Arabie Saoudite
Le prince Abdallah, leader atypique
A 78 ans, le prince Abdallah, héritier du trône saoudien, est apparu
avec son initiative de paix comme le principal dirigeant arabe daujourdhui.
Portrait.
A la surprise de beaucoup, le monde arabe vient de se trouver un nouveau
leader. Il a 78 ans, fume comme un pompier, et n'est officiellement que le numéro
deux dans son pays, une monarchie pétrolière ultra-conservatrice
et dont l'élite dirigeante est notoirement corrompue.
Et pourtant, il est indiscutable qu'aujourd'hui, le prince Abdallah Ben Albdelaziz
Al Saoud, demi-frère du roi Fahd et prince héritier du royaume,
est le dirigeant arabe le plus populaire au Moyen-Orient. Ce n'est d'ailleurs
pas le plan de paix qu'il vient de proposer qui lui vaut cette popularité.
C'est au contraire le respect qu'il impose, même à ses adversaires,
qui ont propulsé le «Plan Abdallah» au premier plan de l'actualité
internationale, alors qu'il ne comporte aucun élément substantiellement
nouveau par rapport au Plan Fahd, proposé en 1981 par son prédécesseur
et actuel roi dArabie, et adopté un an plus tard par la Ligue arabe
au sommet de Fes.
Au sein de la famille royale saoudienne, Abdallah a longtemps fait figure dhomme
seul. Fils dune épouse dAbdelaziz Ibn Saoud issu de la tribu
des Chammar, au nord, il na pas de frère de sang, contrairement
à Fahd et à ses six frères (les «sept Soudayri»,
du nom de leur mère). Affligé depuis lenfance dun
terrible bégaiement, Abdallah nest pas non plus un orateur. Mais
depuis 1962, il dirige la Garde nationale, armée tribale à la
loyauté sans faille dont le rôle principal est de garantir la sécurité
de la monarchie, y compris, si nécessaire, face à larmée.
Isolé dans la fratrie des Al Saoud, Abdallah peut donc compter sur la
loyauté des tribus qui composent ce royaume encore jeune, forgé
par son père au fil des conquêtes guerrières et de ses nombreux
mariages avec des filles des principales tribus de la Péninsule arabique.
En fait, au fil des années, cette singularité est devenue un atout
au sein de la famille régnante, où nombreux sont les princes qui
sirrite de la prétention des sept Soudayri à vouloir tout
régenter. Des alliances de fait se sont donc constituées avec
dautres branches de la famille.
De même, la spécificité du prince Abdallah, longtemps considérée
comme un obstacle à son influence, sest retournée à
son avantage ces dernières années. Abdallah, à juste titre,
est longtemps passé pour un nationaliste arabe très conservateur
et proche des milieux religieux. Au contraire, Fahd et ses frères avaient
la réputation, tout aussi justifiée, dêtre pro-américains,
et, un peu moins justifiée, dêtre des «modernistes».
Cette différence a suscité dinnombrables analyses tendant
à expliquer pourquoi les Américains voulaient à tout prix
écarter Abdallah de la ligne de succession.
Vraies, fausses, ou simplement exagérées, ces analyses ont de
toute façon aujourdhui perdu toute pertinence. A la CIA et au département
dÉtat, les analystes considèrent aujourdhui comme
le meilleur garant de la stabilité du royaume, et donc des intérêts
américains. Au Pentagone et à la Maison Blanche, où toute
critique est assimilée à de lhostilité, on ne voit
pas nécessairement les choses de cette façon, mais on fait comme
si.
Des lettres de créance wahhabites inattaquables
Relativement intègre (à léchelle saoudienne) et sincèrement
pieux, vivant modestement (pour un prince de son rang) et accessible aux Saoudiens
de base, nayant jamais perdu le contact avec les tribus et prenant un
réel plaisir à ces échanges, Abdallah a été
épargné par la virulente campagne lancée contre la famille
royale par les mouvements dopposition islamiste depuis une dizaine dannées.
Depuis que la maladie de Fahd la conduit à diriger de fait le pays,
il na pas hésité à remettre en cause les prébendes
des princes les plus importants (sans toujours y parvenir), à adopter
un parler vrai à destination de lopinion publique (lâge
dor de lArabie est révolu, il va falloir travailler). Abdallah
a même démenti sa réputation conservatrice en sexprimant
publiquement en faveur du droit des femmes à conduire. Sa légitimité
religieuse lui permet de sopposer frontalement à linstitution
religieuse, qui avait usé de la réputation de Fahd quant à
ses murs pour mettre ce dernier sous une tutelle archiréactionnaire.
Les lettres de créance wahhabite dAbdallah étant inattaquables,
ce dernier peut sans risque remettre à leur place les oulémas.
Pareillement, la façon dont, avant le 11 septembre, il a publiquement
tenu tête à ladministration Bush sur la question palestinienne,
et la façon dont, après les attentats, il a refusé de se
soumettre aux injonctions de cette dernière, notamment en ce qui concerne
lutilisation des bases saoudiennes dans la campagne dAfghanistan,
ont propulsé sa popularité au zénith, en labsence
de toute compétition pour le leadership arabe.
Car la popularité du prince Abdallah est, dabord et avant tout,
le révélateur dun vide sidéral: le monde arabe est
en manque de dirigeants audacieux, quils sappellent Nasser, Saddam
Hussein, Hassan II, Sadate, Kadhafi ou Hafez el Assad. Létoile
de ceux qui sont encore en vie a pâli, ce ne sont certes pas Abdallah
de Jordanie, Mohammed VI du Maroc ou Bachar el Assad de Syrie qui peuvent aujourdhui
prétendre à ce rôle. Yasser Arafat est empêtré
dans dinextricables difficultés et il touche lui-même à
la fin de son parcours.
A 78 ans, Abdallah est aujourdhui, sans doute par ses mérites propres,
mais plus encore par défaut, ce qui se rapproche le plus de la notion
de leader arabe.
OLIVIER DA LAGE
27/03/2002