Arabie Saoudite
Scandale sur les rives du Potomac
Plusieurs articles de la presse américaine, accusant la femme de lambassadeur
Bandar Ben Sultan davoir indirectement financé les attentats du
11 septembre, ont placé le royaume sur la défensive. Au même
moment, les exigences politico-militaires de Washington à légard
de Ryad se font plus pressantes que jamais.
La presse américaine ne parle que de cela : lépouse
de linamovible ambassadeur dArabie Saoudite à Washington
a financé certains des auteurs des attentats du 11 septembre 2001 contre
le World Trade Center et le Pentagone. Plus précisément, une donation
charitable (15 000 dollars) en faveur dune Jordanienne mère de
six enfants qui devait se faire opérer de la thyroïde aurait atterri
entre de mauvaises mains. Son époux, un homme daffaires saoudien,
est soupçonné selon plusieurs journaux et magazines américains
davoir remis cet argent à deux des pirates de lair.
Laffaire fait dautant plus de bruit que lambassadeur Bandar
Ben Sultan, en poste dans la capitale américaine depuis une quinzaine
dannées, est le fils du prince Sultan, ministre de la Défense,
second dans lordre de succession de la couronne saoudienne, et poursuivi,
ainsi que dautres membres de la famille régnante, dans une plainte
collective de familles des victimes. Son épouse, mise en cause dans les
articles de presse, est la princesse Haïfa Bint Fayçal, fille du
roi Fayçal dArabie assassiné en 1975. On ne saurait être
plus proche du cur du pouvoir saoudien, mis en cause en juillet dernier
lors dun briefing secret au Pentagone par un consultant de la Rand Corporation
qui avait fait scandale, lorsque son contenu avait été rendu public
en août, en affirmant que le royaume wahhabite était le véritable
ennemi et le «noyau du mal».
L«affaire» du financement indirect des terroristes par la
princesse Haïfa a commencé à sourdre dans la presse dominicale
de Washington. Dans la soirée de dimanche, radios et télévisions
américaines de la côte ouest à la côte est évoquaient
abondamment ces révélations, à paraître notamment
dans Newsweek. Lundi dernier, le tout-Washington se ruait sur lhebdomadaire,
consacrant pas moins de cinq pages à cette affaire, illustré par
une photographie montrant un George W. Bush affalé dans un fauteuil de
son ranch de Crawford expliquant quelque affaire dÉtat à
un Bandar Ben Sultan attentif et bienveillant, portant blue-jeans et chemise
ouverte, assis sur laccoudoir dun sofa, à son aise comme
sil était chez lui. Car là est aussi le message : il y a
des relations damitié, presque familiales entre les Bush et la
famille de lambassadeur saoudien. La trahison nen est que plus choquante.
Une sèche déclaration de la Maison-Blanche
Dès la journée de dimanche, sénateurs démocrates
et républicains (surtout démocrates, dailleurs) avaient
commencé denvahir les écrans de télévision
pour dénoncer la duplicité de cet allié douteux dans la
guerre contre le terrorisme. Surprise par la véhémence de la charge,
la famille Al Saoud dépêchait dans les mêmes studios son
meilleur atout dans la guerre médiatique : le conseiller particulier
du prince régent Abdallah, Adel al Jubeïr, qui parle laméricain
pratiquement sans accent et parvient généralement miraculeusement
à rendre compréhensibles et acceptables des politiques saoudiennes
que le public américain nest prêt ni à comprendre
ni à accepter. Parallèlement, le couple Bandar-Haïfa publie
communiqué sur communiqué pour se justifier et expliquer comment
sa confiance a été abusée.
Vient enfin le coup de grâce dans laprès-midi de mercredi
: une déclaration du porte-parole de la Maison-Blanche Ari Fleischer,
aussi laconique que sèche : «lArabie Saoudite peut faire
plus» pour combattre les réseaux terroristes et leurs ramifications
financières. Des informations non confirmées du Washington Post,
qui dispose de bons contacts au sein de ladministration Bush, affirment
même que Washington aurait donné 90 jours à lArabie
pour prendre des mesures énergiques contre leurs ressortissants soupçonnés
de terrorisme, faute de quoi les États-Unis prendront unilatéralement
des mesures énergiques non précisées.
Certains mauvais esprits se sont interrogés sur lopportune publication
dinformations que les services américains connaissaient depuis
plusieurs mois, au moment précis où il devient urgent pour le
Pentagone dobtenir de Ryad une collaboration à laquelle se refuse
obstinément le régime saoudien dans la perspective de sa future
guerre contre lIrak. Notamment lemploi des facilités militaires
au sol (utilisation du centre de commandement de la base du prince Sultan, au
sud de Ryad, bases aériennes) et louverture de son espace aérien.
Jusquà présent, le gouvernement saoudien a rejeté
toutes ces éventualités dans lhypothèse où
elles ne sinscriraient pas dans le cadre dune résolution
du Conseil de sécurité de lONU prise sous le chapitre 7
(à valeur contraignante). De là à penser que ces fuites
ont été organisées par la Maison Blanche pour forcer la
main de cet allié réticent, il ny a quun pas, allègrement
franchi par la plupart des observateurs.
Pour arrondir les angles, il ne restait plus, à Colin Powell, le diplomate
de service de ladministration Bush quà exprimer ses doutes
sur le fait que la princesse Haïfa ait pu consciemment financer le terrorisme
antiaméricain, et à la mère de lactuelle président,
Barbara Bush («Mammy Bush») qui a si souvent reçu le prince
Bandar et son épouse à la maison a téléphoné
à la princesse pour lui témoigner toute son affection et son soutien
dans ces difficiles moments.
OLIVIER DA LAGE
27/11/2002