Arabie Saoudite
Les multiples défis d'al Qaïda
De nombreuses questions se posent sur les circonstances dans lesquelles des
preneurs dotages ont pu séchapper lors de lassaut dAl
Khobar.
Que sest-il véritablement passé à al Khobar samedi
et dimanche, lors de cette prise dotages au cours de laquelle 22 personnes
ont été tuées, avant et pendant lassaut donné
par les forces saoudiennes ? Comment, en particulier, trois des preneurs
dotages ont-ils pu parvenir à fausser compagnie aux forces de lordre
qui encerclaient le bâtiment ?
Trois hypothèses viennent à lesprit : un lamentable
cafouillage dû à un manque de coordination de la part des forces
saoudiennes, des complicités au sein de celles-ci, ou encore un discret
marchandage entre les autorités et les ravisseurs destiné à
sauver la vie de certains otages. En labsence déléments
tangibles, aucune de ces hypothèses nest à écarter.
Les forces de lordre saoudiennes, même bien équipées
et entraînées, nont pas le savoir-faire requis pour faire
face à ce genre de situation et dans la confusion de lassaut, il
est imaginable, même si ce nest pas le plus vraisemblable, que les
auteurs de lattentat aient pu réussir à se faufiler. La
thèse de la complicité est largement propagée dans les
médias occidentaux. Il ne fait guère de doute, en effet, que des
sympathisants, et peut-être même des militants dal Qaïda
soient infiltrés parmi les services de sécurité saoudiens,
tout comme ces derniers ont réussi à infiltrer des cellules dal
Qaïda. Enfin, on ne peut davantage écarter lidée que
les autorités aient négocié avec les ravisseurs pour éviter
une issue plus dramatique encore.
Quoi quil en soit, au lendemain du drame, la situation napparaît
guère brillante pour les dirigeants saoudiens. Quelques semaines seulement
après lattentat visant des Occidentaux dans le port pétrolier
de Yanbou, sur la Mer Rouge, cest à nouveau lindustrie pétrolière
qui est visée, cette fois au cur le la région doù
est produit lécrasante majorité du pétrole brut dArabie.
Surtout, depuis à peine plus dun an, le visage du royaume a bien
changé : jusqualors, hormis quelques incidents isolés,
lArabie Saoudite passait pour un pays relativement fermé où
la sécurité était assurée sans faiblesse par un
pouvoir autoritaire. Mais depuis lattentat du 12 mai 2003 à Ryad,
qui a fait 35 morts, les violences se sont succédé dans le pays :
entre les attentats meurtriers qui ont secoué les métropoles saoudiennes,
tout particulièrement lattentat du 8 novembre qui a fait de nombreuses
victimes arabes dans un quartier du centre de Ryad, des fusillades accompagnant
des arrestations de militants islamistes, des assassinats détrangers,
etc. ont ponctué les douze derniers mois. Le message envoyé par
les terroristes est clair : lArabie Saoudite est un pays dangereux
pour les étrangers et il le devient pour ceux des Arabes qui leur prêtent
main-forte.
Dérive à lalgérienne
Le dernier communiqué diffusé par Abdelaziz Miqrin, que
lon présente comme le chef dal Qaïda en Arabie Saoudite,
dénonce les «mécréants» ou «infidèles»,
à savoir ceux qui ne suivent pas les préceptes islamiques au sens
où lentendent Oussama Ben Laden et ses partisans. Autrement dit,
cela vise non seulement les étrangers non musulmans mais tous les autres
musulmans. Cette doctrine, issue du wahhabisme professé par les fondateurs
du royaume, sen éloigne du fait que les dirigeants saoudiens, et
notamment Ibn Saoud qui a donné son nom au royaume proclamé en
1932, ont généralement su mâtiner leur dogmatisme religieux
par une bonne dose de réalisme politique. Du temps dIbn Saoud,
la cour royale comprenait des étrangers chrétiens et la ville
de La Mecque ne leur était pas interdite.
Mais les néo-wahhabites qui suivent Ben Laden ne sont pas prêts
au compromis. Dans lun de ses derniers communiqués, Miqrin appelle
ses partisans à tuer, dans lordre, les juifs de toutes nationalités,
les Américains, les Britanniques, les Espagnols, les Australiens et les
Italiens. Il recommande aussi de pratiquer la guérilla urbaine, par petits
groupes de trois ou quatre qui se fondent dans la ville sans se faire remarquer.
A lévidence, al Qaïda surfe sur la vague dindignation
qui parcourt le monde arabe depuis lintervention américaine en
Irak, ce qui favorise le recrutement de nouveaux volontaires.
Il semble que la structure actuelle dal Qaïda en Arabie Saoudite
(le pays dorigine de Ben Laden) soit composée principalement de
deux strates : les anciens combattants dAfghanistan, de Bosnie ou
de Tchétchénie, âgés de 35 à 50 ans) qui constituent
les cadres du mouvement et assurent le lien international avec lorganisation,
et des cellules recrutées par ces derniers, mais composées principalement
de jeunes fanatisés, souvent issus de luniversité, où
ils ont reçu une formation religieuse, et souvent sans emploi.
La raison pour laquelle le régime a de sérieux motifs dinquiétude
est que, sil est facile de repérer et dinfiltrer certaines
de ces cellules, elles fonctionnent de façon indépendante et nont
pas ou peu de contacts entre elles. Les objectifs généraux sont
connus et proclamés dans les communiqués diffusés sur Internet,
les cibles sont décidées de façon décentralisées
en fonction des moyens et des possibilités. Un terrorisme national et
décentralisé sajoute donc aux opérations planifiées
de façon méticuleuse par al Qaïda, comme les attaques contre
les ambassades américaines en Afrique en août 1998 ou les attentats
du 11 septembre. Certains évoquent une dérive à lalgérienne,
sur le modèle des GIA, les groupes islamiques armés.
Pétrole contre sécurité
Pourtant, alors même qual Qaïda semble disposer de toujours plus de relais dans le royaume, sa popularité est en chute libre, notamment depuis lattentat du 8 novembre dans lequel de nombreux Arabes ont été blessés ou tués. Tant que les attaques dal Qaïda visaient des étrangers à létranger, il ne fait pas de doute que Ben Laden bénéficiait dun certain degré de sympathie en Arabie Saoudite. Tel nest plus le cas. Désormais, le régime lutte ouvertement contre une organisation qui sest voué à sa destruction et la population, dans son immense majorité, rejette ces méthodes. Reste quune minorité encore importante sest au contraire radicalisée et constitue lextension saoudienne dal Qaida.
Le projet de cette dernière reste mondial et vise les «juifs et
les croisés», mais depuis lorigine, il sen prend aussi
aux régimes «corrompus et apostats» qui prêtent leur
concours aux «infidèles», cela figure en toute lettre dans
la «Déclaration de guerre» proclamée par Ben Laden
dès août 1996 en Afghanistan.
Dans limmédiat, lune des conséquences les plus visibles
de la crise sécuritaire que traverse le royaume saoudien pourrait être
un spectaculaire rapprochement avec les Etats-Unis. En effet, en dépit
de leurs nombreux désaccords et des tensions qui les ont opposés
depuis le 11 septembre 2001, les dirigeants saoudiens et américains font
face à une même menace visant conjointement leurs intérêts.
En 1945, à bord du USS Quincy mouillant dans le canal de Suez, Ibn Saoud
et Franklin Roosevelt avaient scellé un pacte parfois surnommé
«pétrole contre sécurité». Ce pacte est plus
que jamais dactualité.
OLIVIER DA LAGE
31/05/2004