Golfe
Regain de tension entre les deux rives
En libérant les huit soldats britanniques capturés dans ses eaux
territoriales, lIran a mis en garde contre les conséquences dune
éventuelle récidive. Un avertissement à prendre au sérieux
alors que se multiplient les incidents maritimes entre lIran et ses voisins
arabes.
a libération des huit soldats britanniques qui sétaient aventurés dans les eaux territoriales iraniennes sest accompagnée dune mise en garde solennelle de la part de Téhéran. La prochaine fois que des militaires étrangers franchiront sans permission la frontière iranienne, les autorités se montreront beaucoup moins accommodantes. «La République islamique a pris en compte dans une certaine mesure le fait que ces soldats avaient reconnu leur erreur et demandé pardon, mais il nest pas certain quelle agisse de même la prochaine fois avec ceux qui lagressent», a déclaré lamiral Ali Fadavi, vice-commandant des forces navales des Gardiens de la Révolution. Pour sa part, la presse iranienne, dominée par les conservateurs, ne croit pas que les trois vedettes britanniques qui patrouillaient sur le Chatt el Arab aient pénétré par accident en territoire iranien.
Cet incident, qui a trouvé une issue heureuse pour ses protagonistes,
a fait couler beaucoup dencre depuis trois jours sur les raisons de cette
crispation iranienne. La plupart des analyses se concentrent sur les inquiétudes
de Téhéran vis-à-vis de lévolution de la situation
en Irak et du maintien de la présence américano-britannique au-delà
du 1er juillet. Cest sans doute exact, mais cet épisode est à
replacer dans une perspective beaucoup plus large.
Depuis plusieurs semaines, en effet, les incidents navals se multiplient dans
les eaux du Golfe entre lIran et ses voisins de la rive sud, notamment
dans la zone du détroit dOrmuz. Le 2 juin, un bateau de pêche
iranien a été arraisonné par les garde-côtes des
Émirats arabes unis dans leurs eaux territoriales, et ses onze hommes
déquipages arrêtés, suscitant une protestation immédiate
du ministère iranien des Affaires étrangères contre ce
«comportement inacceptable». Lincident sest produit
tout près des trois îlots occupés par lIran depuis
1971 dont la souveraineté est revendiquée par les Émirats
arabes unis.
Quelques jours plus tard, six bateaux de pêches des Émirats et
leurs 23 hommes déquipage ont été capturés
à proximité de lîle iranienne de Qeshm, puis, peu
après, un autre navire de pêche émirien était à
son tour arraisonné avec ses cinq membres déquipage près
de lîle de Sirri, dans la même région sud-est du Golfe.
Incidents meurtriers
Les incidents ne se limitent pas à des tensions entre lIran et
les Emirats arabes unis, dont le contentieux sur la souveraineté des
deux îles Tomb et Abou Moussa est ancien et bien connu. Des incidents
de même nature ont également opposé lIran au Qatar
et au sultanat dOman. Le 11 juin, un bâtiment de la marine nationale
du Qatar a attaqué un bateau de pêche iranien qui se trouvait dans
les eaux territoriales qatariennes, causant la mort dun marin-pêcheur
iranien et en blessant deux autres.
De même, selon des sources diplomatiques dans le Golfe, un incident similaire
sest produit avec la marine omanaise, dans lequel, là aussi, un
marin iranien a perdu la vie.
Selon des sources diplomatiques citées par lagence IPS, dautres
accrochages maritimes entre lIran et ses voisins arabes ont eu lieu précédemment
sans quon le sache. Dans tous ces incidents, lIran a monté
le ton, convoquant les ambassadeurs des pays concernés, rendant la nouvelle
publique par le bais des médias iraniens, alors que les monarchies arabes
de la rive sud gardaient le silence dans lespoir de ne pas aggraver une
situation déjà tendue.
Dans ce contexte, la capture des soldats britanniques prend un sens bien différent
et va largement au-delà de lincident frontalier. Sans se prononcer
sur les responsabilités dans chacun des épisodes (qui a franchi
la frontière maritime invisible pour pénétrer, volontairement
ou non, dans les eaux territoriales de lautre ?), ce qui apparaît
clairement est le climat de tension quil met en relief. Il ne fait guère
de doute que, ces dernières années, de semblables erreurs de navigation
ont dû se produire sans engendrer pour autant des réactions dune
telle vivacité, qui nest pas sans rappeler celle qui régnait
dans les eaux du Golfe au milieu des années 80, en pleine guerre Iran-Irak.
Deux raisons peuvent expliquer la brutale dégradation des relations entre
lIran et ses voisins arabes, illustrée par ces escarmouches frontalières.
Le contrôle que les conservateurs exercent désormais sans partage
sur le pouvoir à Téhéran a fait passer au second rang lobjectif
atteint par le président Khatami de développer des relations amicales
et confiantes avec les monarchies arabes de la rive sud du Golfe, au profit
dune attitude plus agressive et impériale de la part de lIran.
Mais laccroissement de la présence américaine dans les Emirats,
conséquence de la guerre dIrak, suscite également une inquiétude
croissante à Téhéran au moment où, à Washington
et Tel Aviv, lobjectif affiché est daffaiblir, voire de renverser
le régime iranien. Dautant que la protection américaine
a donné à ces petites monarchies (Qatar, Koweït, Bahreïn,
Émirats) une assurance qui est perçue à Téhéran
comme de larrogance encouragée par Washington.
De part et dautre, la peur est mauvaise conseillère et le retour
de la méfiance entre lIran et les monarchies arabes met le Golfe
à la merci dun dérapage incontrôlé qui peut
désormais survenir à tout moment.
OLIVIER DA LAGE
25/06/2004