Irak
Washington divise le pays en trois secteurs
Les États-Unis et leurs alliés se préparent envoyer une
«force de stabilisation» pour gouverner le pays, divisé en
trois secteurs géographiques.
La transition se fera sans lOnu et sans les pays opposés à
la guerre. La semaine dernière, une réunion sest tenue à
Londres en présence de 16 pays ayant participé ou soutenu lintervention
militaire en Irak, dont plusieurs membres de lUnion européenne
actuels ou futurs. En revanche, ni la France, ni lAllemagne, ni la Russie
nont été conviées à cette réunion,
dont Paris a été préalablement informé, a tenu à
préciser le chef de la diplomatie française Dominique de Villepin,
en marge de la réunion de Rhodes (Grèce) où se sont retrouvés
ce week-end les ministres des Affaires étrangères européens.
Cette force pourrait être placée dans le cadre de lOtan.
En revanche, selon les indications émanant de Washington, à ce
stade et pour un avenir prévisible, aucun rôle significatif nest
envisagé pour les Nations unies sur le plan politique, en dépit
de lengagement commun de Tony Blair et George Bush de confier un «rôle
vital» à lOnu, et du désir de certains alliés
de Washington, comme la Pologne, den passer par un accord préalable
du Conseil de sécurité.
Français et Allemands font cependant bonne figure et il nest pas
sûr que Paris et Berlin soient vraiment chagrinés dêtre
tenus à lécart dune «force de stabilisation»
dont la crédibilité reste à établir, compte tenu
de labsence actuelle de sécurité en Irak et le sentiment
de vacance de pouvoir dont profitent des chefs de bande et des chefs tribaux
ou religieux. Dautant que cette force risque avec le temps dêtre
perçue comme une force doccupation et de devenir la cible dattaques,
comme cela sest produit au Liban au début des années 80
avec la force multinationale qui avait dû précipitamment quitter
Beyrouth après les attentats contre les forces françaises et américaines
en 1984. Pour lheure, lanalyse des Français est que les forces
doccupation doivent assumer leurs responsabilités conformément
aux conventions internationales.
Si les choses semblent se préciser sur le schéma daprès-guerre,
tel quil est conçu à Washington, limage densemble
reste assez floue, compte tenu des approches différentes que lon
a du problème au Pentagone, à la Maison Blanche et au Département
dÉtat. Le général à la retraite Jay Garner,
en charge depuis plusieurs semaines de ladministration civile de lIrak,
se voit désormais coiffé par un diplomate professionnel, Paul
Bremer. A première vue, cela semble indiquer que le Département
dÉtat reprend la main après la phase guerrière. Plus
vraisemblablement, il sagit dun geste en direction des alliés
de Washington, plus à laise avec le Département dÉtat
que dirige Colin Powell, quavec les hommes de Rumsfeld, au verbe rugueux
et fort peu diplomatique. Mais à y regarder de plus près, ce diplomate,
ancien responsable de la lutte antiterroriste sous Reagan, a un profil de néo-conservateur
militant et rendra compte directement à Donald Rumsfeld.
Un partage qui soulage le fardeau américain
Lautre «geste» américain en direction de ses alliés
est la partition du pays en trois zones placées respectivement sous contrôle
américain, britannique et polonais. Par ailleurs, les Américains
ont confié pour six mois la direction de la région de Bassorah,
dans le sud-est de lIrak, à un Danois, Ole Woehler Olsen, actuel
ambassadeur à Damas. Cette décision présente deux avantages
pour Washington, qui conserve la haute main sur la direction générale
des opérations : cela permet délargir les responsabilités
en associant dautres pays, notamment européens, à la gestion
de laprès-guerre, et donc déloigner les critiques
de ceux qui reprochent aux États-Unis de vouloir régenter le pays
tout seuls ; par ailleurs, ce partage soulage considérablement le fardeau
américain, tant humain que financier, et permet au Pentagone de rapatrier
plusieurs dizaines de milliers de soldats : selon le New York Times , les effectifs
passeraient de 132 000 hommes actuellement à 30 000 dici lautomne.
Cette division de lIrak en trois zones administratives pendant la phase
transitoire obéit donc à des considérations pratiques du
point de vue des forces coalisées. Mais elle pose un problème
politique majeur aux Irakiens : les Américains, tout comme les Kurdes
et certains partis de lex-opposition soutiennent une structure fédérale
pour lIrak, à laquelle sopposent plusieurs mouvements chiites
influents. Les chiites étant majoritaires, ils préfèrent
une structure unitaire, ainsi dailleurs que les nationalistes sunnites.
La question ne se serait pas posée ainsi si les Américains avaient
envisagé au moins une demi-douzaine de districts. Mais en retenant seulement
trois régions, il est clair que ces dernières recouvrent le sud
chiite, le centre sunnite et le nord kurde.
A un mois de la prochaine réunion des mouvements politiques irakiens
qui doivent se prononcer sur la nature de leur constitution, cette division
administrative décidée par la puissance occupante préjuge
largement du résultat des délibérations et peut être
un facteur supplémentaire de radicalisation du courant chiite irakien.
OLIVIER DA LAGE
04/05/2003