Irak
Des militaires français bientôt en Irak ?
Changement de ton à Washington où les autorités demandent
à la France dêtre présente militairement en Irak.
Pour lheure, Paris se fait désirer. Mais pour combien de temps
?
Au lendemain de la victoire militaire anglo-américaine en Irak, ladministration
Bush ne voulait pas entendre parler dun «rôle central»
de lOnu en Irak. Certes, George Bush avait concédé un «rôle
vital» à lorganisation internationale pour faire plaisir
à Tony Blair, mais sur un plan pratique, tous les pouvoirs étaient
dévolus à ladministrateur civil américain qui rendait
compte à Donald Rumsfeld, le secrétaire la Défense. A ceux
qui suggéraient au secrétaire dÉtat Colin Powell,
pourtant une «colombe», quil serait peut-être de bonne
politique de laisser quelque rôle dans la reconstruction de lIrak
aux pays qui navaient pas soutenu la guerre et à leurs entreprises,
Powell répondait sèchement que puisque les alliés avaient
versé le sang et pris les risques, il était juste quils
en tirent les bénéfices.
Parallèlement, la presse américaine et les parlementaires se déchaînaient
contre les Français et les Allemands qui faisaient figure de perdants
aux cotés de Saddam Hussein. Sénateurs et congressmen débattaient
des sanctions à prendre contre cette France arrogante qui avait tenté
de rallier le monde entier contre Washington. Afin que nul nen ignore,
la buvette du Capitole (siège du parlement) avait rebaptisé sur
son menu les French fries (frites, dites françaises) en freedom fries
(frites de la liberté). Cétait il y a trois mois.
Mercredi, changement radical de ton au Sénat, où le secrétaire
américain à la Défense Donald Rumsfeld est passé
sur le gril par les membres de la commission de la Défense et du renseignement.
Les parlementaires salarment de linsécurité galopante
dans un Irak prétendument pacifié, du coût vertigineux et
apparemment sans fin des opérations militaires et aimeraient beaucoup
que ladministration Bush appelle les alliés de lOtan à
partager les risques et les coûts de loccupation. Rumsfeld a beaucoup
perdu de sa superbe. Il semmêle dans les chiffres, reste évasif.
Lorsquon lui demande si son gouvernement a fait appel à la France
et à lAllemagne pour envoyer un contingent, il acquiesce mollement,
se référant à la France et lAllemagne en parlant
de « ces deux pays ». Prononcer leurs noms est encore trop douloureux
pour le contempteur de la « vieille Europe ».
À Paris, létat-major se prépare discrètement
depuis plusieurs semaines à dépêcher des forces spéciales
et dautres spécialistes qui pourraient être à pied
duvre à lautomne. Si on le leur demande. Car la décision
appartient à léchelon politique. Jeudi, par la voix de son
ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin fait connaître
sa réponse : sur deux pages dentretien accordé au Figaro,
le ministre français indique quune présence militaire française
en Irak ne pourrait se produire que « dans le cadre dun mandat précis
» des Nations unies. Peu après, lAllemagne fait à
son tour connaître son point de vue : cest le même.
Le retour de lOnu
À Paris, les autorités sont partagées entre des impératifs
contradictoires. Dun côté, lévolution de la
situation en Irak valide la position prise par Paris et Berlin avant, pendant
et après la guerre. Pourquoi donc se précipiter en Irak pour participer
à une occupation aux buts incertains, hautement impopulaire chez les
Irakiens et dans le monde arabe et perdre le capital politique accumulé
en volant au secours des Américains empêtrés dans le bourbier
irakien ? Dun autre côté, il nest dans lintérêt
de personne, ni des Arabes, ni de lEurope, que la situation en Irak évolue
vers un chaos généralisé, susceptible de déstabiliser
la région. Dautant que, sans faire de bruit mais efficacement,
lOnu a fait son retour sur la scène irakienne. Kofi Annan a désigné
un envoyé spécial, le Brésilien Sergio Vieira de Mello,
qui a accompli un travail reconnu au Kosovo et au Timor Oriental. Il sest
dailleurs adjoint un fin connaisseur de la région, lancien
ministre libanais de la Culture Ghassan Salamé. En à peine un
mois, Vieira de Mello a réussi à simposer comme un acteur
clé de la reconstruction de lIrak et ladministrateur américain
Paul Bremer avec lequel il sentretient presque chaque jour.
Pour la France, rester à lécart du jeu trop longtemps pourrait
savérer contre-productif, dautant que Paris a toujours des
intérêts politiques et économiques significatifs en Irak
: la dette irakienne à légard de la France, hors intérêts,
est estimée à trois milliards de dollars et le groupe pétrolier
Total, bien placé du temps de Saddam Hussein, nentend pas être
évincé des contrats de laprès-Saddam. Total sera
dautant mieux placé que la France sera présente sur place
au côté des Américains.
La France est donc condamnée à donner assez rapidement une réponse
à ces demandes pressantes des États-Unis. Mais avant de le faire,
Paris veut des garanties quelle sestime, cette fois, en mesure dobtenir.
OLIVIER DA LAGE
11/07/2003