Irak
LAmérique sinstalle dans loccupation
Les États-Unis ont perdu en moyenne un soldat par jour depuis la fin officielle des combats. Washington dénonce une « résistance organisée » des partisans de Saddam Hussein.
Le ton commence à changer à Washington à propos de
lIrak. On ne parle plus de désordres compréhensibles après
la chute dune dictature, comme lavait fait le secrétaire
à la Défense Rumsfeld pour expliquer les pillages. Ni même
de soldats perdus du régime déchu. Plus de deux mois après
avoir renversé le régime de Saddam Hussein, ladministrateur
américain Paul Bremer, en milieu de semaine, a évoqué une
« résistance organisée » contre les forces américaines.
Ici, cest un soldat américain qui est mitraillé en plein
Bagdad par des hommes qui prennent la fuite et se fondent dans la foule. Là,
cest une patrouille américaine qui tombe dans une embuscade dans
un faubourg de la capitale, laissant morts et blessés sur le carreau.
Dans la ville de Fallouja, à environ 60 kilomètres à louest
de Bagdad, les forces américaines retranchées dans une école
sont régulièrement attaquées. Dans cette localité
sunnite conservatrice et loyale à Saddam Hussein, les occupants ne sont
pas les bienvenus. Quune sentinelle observe les environs à la jumelle
et les hommes laccusent dobserver leurs femmes. Les soldats américains
à la gâchettes facile ne prennent aucun risque, et lorsque des
manifestants sapprochent de trop près de leur camp, cest
à balles réelles quils tirent dans la foule tuant et blessant
plusieurs de ces derniers. Largument selon lequel ils sont en état
de légitime défense est rejeté en bloc par la population
locale qui estime que les Américains nont rien à faire en
Irak.
Depuis plusieurs semaines, Fallouja est devenu pour les Américains un
abcès de fixation, une poche de résistance à réduire,
car il ne sagit pas seulement dactes isolés de résistance.
À lévidence, lopposition armée à loccupation
est structurée, du moins localement. Ce qui ne signifie pas quelle
obéisse à un plan concerté. En tout cas, Fallouja nest
pas le seul endroit où les soldats américains éprouvent
des difficultés. Dune façon générale, cest
tout le «triangle de fer» sunnite reliant Bagdad, Fallouja et Tikrit
qui donne du fil à retordre aux Américains.
Ces derniers ont entrepris de véritables opérations militaires
et non de simple police ces derniers jours. Lopération «Péninsule»,
mobilisant quelque 4 000 soldats jusquà jeudi, visait à
pourchasser des membres du parti Baas retranchés dans la région
de Balad, à une centaine de kilomètres au nord de Bagdad. Selon
les décomptes officiels, 113 Irakiens y auraient laissé la vie.
Depuis samedi, lopération «Scorpion du désert»
a pris le relais dans le nord et le nord-ouest de lIrak. Et les raids
se poursuivent, encore et toujours à Fallouja.
Oléoduc saboté
Le « triangle de fer » nest pas la seule région
dIrak à donner du fil à retordre aux Américains.
Dans le nord, là où les alliés kurdes des États-Unis
contrôlent le terrain, des franc-tireurs irakiens ont déclenché
une bataille de rue en plein cur de Mossoul, sur la place du gouvernorat.
À Kirkouk, 74 personnes « liées à Al Qaïda »
ont été arrêtées. Vendredi, dans le nord du pays,
un oléoduc acheminant le pétrole irakien en Turquie était
en feu après avoir été saboté.
Quant au sud chiite, si les forces doccupation anglo-américaines
ne font pas pour le moment lobjet dattaques militaires comparables
à ce que lon observe dans le centre du pays, elles doivent compter
avec le pouvoir de fait du clergé chiite qui a pris le contrôle
de la vie quotidienne de la population et des infrastructures sociales et administratives.
Officiellement, depuis que le président Bush a proclamé le 1er
mai la fin des principales opérations militaires, les forces américaines
ont perdu 45 hommes (au 10 juin), soit en moyenne un par jour. Si les pertes
se poursuivent à ce rythme, sous peu, les États-Unis auront perdu
davantage de soldats en temps de « paix » que durant la guerre.
Leurs forces doccupation se montent actuellement à 147 000 soldats,
appuyés par 13 à 14 000 autres hommes de troupes, principalement
britanniques.
Donald Rumsfeld avait cru, dans un premier temps, pouvoir annoncer le retour
rapide dun nombre substantiel de militaires. Mais ceux qui sont sur place
ne sont pas de trop pour rétablir la sécurité, encore inexistante,
pourchasser les combattants nostalgiques de Saddam Hussein, mettre la main sur
les armes de destructions massives que le régime déchu est censé
avoir cachées, reconstruire les infrastructures civiles du pays, et favoriser
lémergence dune direction irakienne crédible.
Contrairement à ce quavaient laissé entendre Bush et Rumsfeld,
lAmérique sinstalle dans loccupation, dans les pires
conditions. Il sagit maintenant de faire accepter ce tournant à
lopinion américaine qui nétait sans doute pas préparée
à voir ses boys mourir en Irak en si grand nombre après la fin
de la guerre.
OLIVIER DA LAGE
15/06/2003