Proche-Orient
Ouri Avneri: Sharon a besoin des travaillistes
Oury Avnery, ancien combattant de lIrgoun contre loccupation britannique,
est devenu un militant pacifiste. Premier Israélien à avoir rencontré
Arafat en pleine guerre du Liban, il a siégé 10 ans à la
Knesset et dirige aujourdhui le mouvement pacifiste Goush Shalom. Son
analyse des élections israéliennes.
Cétaient de curieuses élections: le jour du vote, pas de
calicot ni de slogan. Et alors que le scrutin était une victoire personnelle
pour Ariel Sharon, celui-ci est apparu presque triste le soir des résultats.
Durant toute la campagne électorale, cest à peine si le
mot «paix» a été prononcé.
Israël est frappé par une très profonde crise économique
et même le gouvernement reconnaît quil ny a pas de solution
à cette crise, qui est une conséquence du conflit. Or, dit-il,
ce conflit est sans solution car les Palestiniens ne veulent pas la paix. Dans
ces conditions, pour qui voter ? Pour les travaillistes ? En tant que membres
du gouvernement dunion nationale, ils ont partagé les actions du
gouvernement Sharon. Ben Eliezer, comme ministre de la Défense, a été
personnellement impliqué dans les atrocités commises par larmée
et Shimon Peres sest comporté en ministre de la Propagande de Sharon.
Mitzna, qui a été désigné in extremis à la
tête du Parti travailliste, cest vrai, sest montré
courageux en brisant deux tabous: la nécessité de parler avec
Arafat et de continuer à négocier même pendant le conflit.
Mais dès le début de la campagne électorale, ses conseillers
lui ont recommandé de ne plus parler de cela et de mettre laccent
sur la nécessité dune séparation entre Israéliens
et Palestiniens par la construction dun mur, ce même mur que le
gouvernement sortant avait commencé à ériger. Si bien quon
avait limpression quil ne sagissait pas de choisir un Premier
ministre mais un entrepreneur de travaux publics !
Le succès du parti laïc Shinouï (et léchec des
partis religieux) sexplique ainsi: avec lIntifada, chaque citoyen
israélien est obligé daccomplir sa période de réserve,
souvent dans les territoires occupés, au moins un mois par an. Chacun,
sauf les religieux, qui ne font pas leur service militaire et qui sont subventionnés
par lÉtat à ne rien faire, ce qui met en colère le
reste de la population israélienne. Bien sûr, le vote en faveur
du Shinoui est une façon déchapper au problème.
Quant à la victoire de Sharon, cest dabord la victoire dun
homme. Pour les Israéliens, il est celui qui va apporter la paix. Un
homme à poigne, mais qui est prêt à des « concessions
douloureuses » et qui accepte lidée dun État
palestinien. Cette double image, contradictoire en apparence, inspire la confiance.
Dautant que Sharon est véritablement charismatique, ce qui nest
pas le cas de Mitzna
.
Doù un résultat qui illustre labsence de choix véritable
et qui sest ramené, en fait, à une seule question: «
en qui avez-vous le plus confiance ? ». Le débat, aujourdhui,
porte sur la participation des travaillistes à un gouvernement Sharon.
Mitzna a fait savoir avant les élections quil nirait pas
et il tiendra sans doute parole. A linverse, quelquun comme Shimon
Peres, qui était apparatchik politique à lâge de 16
ans et a fait toute sa carrière dans les cercles dirigeants, ne peut
pas imaginer de ne pas être au gouvernement. Cest pour lui une question
de survie, au propre comme au figuré.
Sharon, lun des rares dirigeants israéliens à savoir
ce quil veut
Pour Sharon, qui fait tout ce quil peut pour attirer les travaillistes,
cest un véritable dilemme. Sans les travaillistes, il sera obligé
de faire alliance avec lextrême-drotie, dont certains dirigeants
sont de véritables fanatiques, qui veulent tuer Arafat et expulser massivement
les Palestiniens vers la Jordanie. Ce nest pas que lenvie manque
à Sharon. Mais son seul véritable succès, mais il est dimportance,
est la relation quasi-symbiotique quil a réussi à nouer
avec les États-Unis. Au point quaujourdhui, on ne sait plus
où sarrête Israël et ou commence lAmérique!
Or, Sharon ne peut pas se permettre dentrer en conflit avec George Bush,
qui lui a constamment apporté son soutien, au point de promettre 12 milliards
de dollars de garantie à Israël, ce qui a immédiatement enrayé
la dégradation de léconomie. Lorsque les Américains
seront installés en Irak, ils deviendront, en quelque sorte, une puissance
arabe et nauront sûrement pas besoin de problèmes avec les
autres Arabes.
Sharon est lun des rares hommes politiques israéliens à
savoir exactement ce quil veut. Cest un homme qui sait lorsquune
opportunité se présente, permettant de faire ce qui était
impossible avant, et qui sera impossible après. Il est à laffût
de ces opportunités, mais il faut savoir les reconnaître. Il est
convaincu de longue date que la terre de Palestine doit être couverte
de colonies et quil ny a pas de place pour les Palestiniens. Si
une occasion se présente pour les expulser, il la saisira aussitôt.
Il y a trente ans, il avait toujours avec lui une carte détat-major
(Sharon adore les cartes. Sharon sans carte, cest comme Peres sans ministère!)
indiquant toutes les futures implantations juives en Cisjordanie. Dans tous
les postes ministériels quil a occupés, il sest consacré
à développer la colonisation. La carte des implantations daujourdhui
ressemble à sy méprendre à la carte de Sharon il
y a trente ans.
Quand on comprend les principes de base qui fondent laction de Sharon,
on comprend tous ses actes et en bon militaire, son premier précepte
est le camouflage. Cest là quintervient Shimon Peres, chargé
dexpliquer à la terre entière que Sharon est un homme de
paix. Même chose lorsquil parle de son acceptation dun État
palestinien: cest ce que veut entendre la Communauté internationale,
mais ses véritables partisans nen croient pas un mot. La guerre
avec lIrak fournira au Parti travailliste lalibi quil attend
pour rejoindre le cabinet dunion nationale auquel le convie Sharon.
OLIVIER DA LAGE
04/02/2003