Proche-Orient
Mystères autour du «trésor» d'Arafat
De ses années de dirigeant révolutionnaire, Yasser Arafat a
conservé une comptabilité occulte qui lui permettait dacheter
les loyautés. Son trésor caché se monterait à plusieurs
centaines de millions.
La succession de Yasser Arafat nest pas seulement politique. Comme toute succession, elle comporte une dimension financière autour de laquelle se disputent les héritiers, sans oser le dire publiquement. Le problème est quen labsence de notaire, nul ne sait à combien se monte lhéritage ni où le « Vieux » a caché son Trésor.
Dans son palmarès 2003, la revue économique américaine
Forbes situait Yasser Arafat au sixième rang pour leur fortune des « rois,
reines et despotes », après des personnalités comme
la reine dAngleterre ou le sultan de Brunei. Forbes estimait à
300 millions de dollars la somme contrôlée par le président
palestinien. Mais dautres sources placent lestimation à 800
millions, voire 1,3 milliard de dollars.
Pour sa part, lancien trésorier du Fonds national palestinien (autrement
dit de lOLP) Jawid Ghussein, qui sest fâché avec Arafat
en 1996, assure que jusquen 1990 et linvasion du Koweït, lOLP
recevait environ 200 millions de dollars par an, dont 85 de la seule Arabie
Saoudite. Chaque mois, assure-t-il, il rédigeait un chèque de
10,25 millions de dollars à lordre dArafat. Le soutien de
lOLP à Saddam Hussein a coûté cher à lOLP
et ce ne sont pas les 150 millions de dollars versés par lIrak
qui ont permis de compenser les pertes. Lexpulsion massive de dizaines
de milliers de travailleurs palestiniens du Golfe, qui contribuaient régulièrement
aux finances de lOLP, est venue aggraver les choses.
Sous le contrôle du FMI
Mais les accords dOslo et linstitution de lAutorité palestinienne a permis de redresser les finances. Les aides internationales et les ristournes douanières versées par Israël (il est vrai, très irrégulièrement), sont venues alimenter les caisses palestiniennes, mais pas toujours conformément au budget affiché. A partir de la fin des années 90, les donateurs et le FMI sinquiètent de lopacité des comptes et la corruption individuelle de quelques notables palestiniens ne suffit pas à expliquer lampleur du trou constaté. Le FMI, les Européens et les Américains vont réussir à imposer à Arafat comme ministre des Finances un ancien cadre palestinien du FMI, Salem Fayed, qui obligera, non sans difficulté, le président palestinien à remettre de lordre et de la transparence dans ses comptes.
Il se heurte en chemin au financier personnel dArafat, Mohammed Rachid.
Ce Kurde irakien lun des rares à avoir accompagné
le président palestinien en France est le seul à détenir
la signature avec le raïs et à connaître la répartition
des comptes détenus par celui-ci. Car si lon omet les dépenses
somptuaires se son épouse parisienne Souha, dont les ressources non expliquées
ont entraîné voici quelques mois louverture dune instruction
judiciaire pour « blanchiment », personne na jamais
reproché à Arafat de mener lui-même un train de vie dispendieux
avec largent détourné. Bien au contraire. Son mode de vie
spartiate hérité de lépoque de la résistance,
il la conservé à Tunis, Gaza et Ramallah alors que certains
de ses plus proches compagnons (Nabil Chaath et Ahmed Qoreï notamment),
qui vivent dans de somptueuses villas, ont ouvertement été désignés
comme corrompus par des parlementaires palestiniens. Mais Arafat, président
de lAutorité palestinienne, ce proto-État palestinien, a
gardé les habitudes du leader révolutionnaire qui ne passait jamais
deux nuits de suite au même endroit mais gardant toujours dans la poche
arrière de son pantalon un petit carnet comportant les données
essentielles de sa comptabilité.
Cest avec cet argent que, quarante ans durant, il a acheté des
loyautés, récompensé des services, indemnisé les
familles de combattants. Cétait aussi son assurance-vie dans les
combats inter-palestiniens : sa disparition rendait inaccessible le trésor
de lOLP. Ces dernières années, cest sur sa cagnotte
secrète quil a payé les fonctionnaires lorsque Israël
a bloqué les paiements dus à lAutorité palestinienne
et indemnisé, en partie du moins, les travailleurs bloqués à
Gaza et en Cisjordanie lors des bouclages à répétition
des Territoires palestiniens par Israël.
La bataille pour remettre la main sur cet argent est lun des enjeux des
disputes auxquelles on a pu assister ces derniers jours autour du lit où
le vieux leader agonisait.
OLIVIER DA LAGE
10/11/2004