Proche-Orient
La «colombe» Beilin prend son envol
Lancien ministre travailliste Yossi Beilin a été élu
mardi à la tête dun nouveau parti de gauche, Yahad, face
au député Ran Cohen.
Longtemps, Yossi Beilin a travaillé dans lombre de Shimon Peres.
Avec dautres jeunes technocrates brillants, comme Ouri Savir, il faisait
partie de ceux que lon avait surnommé en Israël les «blazers
bleus», tant leur aspect BCBG (bon chic-bon genre) de jeunes cadres toujours
tirés à quatre épingles détonnait dans la vie politique
israélienne où, depuis lépoque des pionniers et sur
le modèle de David Ben Gourion lui-même, luniforme de lhomme
politique était plutôt la chemise ouverte que la cravate assortie
aux boutons de manchettes.
Beilin, Savir et les autres Blazers bleus navaient cure des remarques
sur leur apparence. Ils étaient la boîte à idée de
cet ex-enfant-prodige de la politique israélienne quétait
le leader travailliste Shimon Peres. Peres est lui-même brillant, mais
une grande part de ses initiatives en direction des Palestiniens, dans les années
80-90 leur revient. Le grand rival de Peres, Yitzhak Rabin, qui avait la dent
dure pour Shimon Peres nétait guère plus tendre envers ses
protégés, tels Yossi Beilin que Rabin surnommait le «caniche
de Peres».
Cest à Beilin (et Ouri Savir) que lon doit, côté
israélien, davoir engagé les pourparlers qui ont conduit
aux accords dOslo. Du reste, en Israël où la déception
est grande après léchec du processus de paix, lextrême
droite les surnomme les «criminels dOslo» et les qualifie
de «traîtres». Mais linterruption du processus de paix
et larrivée au pouvoir dAriel Sharon a marqué la rupture
entre Yossi Beilin et son mentor. Alors que Shimon Peres devenait le ministre
des Affaires étrangères de son adversaire politique de toujours,
Yossi Beilin refusait dadmettre que le parti travailliste se mette à
la remorque du Likoud.
Beilin ne tarde pas à faire connaître sa dissidence et refuse,
comme tant dautres travaillistes, de faire amende honorable sur les accords
dOslo. Ayant tenté en vain dentraîner un courant significatif
du parti travailliste dans lopposition à la coalition avec le Likoud,
il jette léponge et quitte le parti travailliste en décembre
2002 au moment même où sa thèse finit par prévaloir,
avec le départ du gouvernement des travaillistes. Désormais, sa
carrière politique ne doit plus rien à Shimon Peres.
LInitiative de Genève
Juste avant les dernières élections (janvier 2003), Beilin a rejoint
le parti dextrême-gauche pacifiste Meretz, dirigé par Yossi
Sarid, mais ne parvient pas à se faire élire parmi les six députés
que cette formation obtient (sur 120) à la Knesset, le parlement israélien.
Voici peu, Yossi Beilin a conforté son image de «colombe»
et sa crédibhilité internationale avec le pacte de Genève,
négocié avec le Palestinien Yasser Abed Rabbo et signé
à Genève en grande pompe en décembre dernier, en présence
dun imposant parterre de personnalités. Bien que ce document nait
aucune valeur officielle, il a redonné une dynamique à lespoir
quaboutisse un processus de paix aujourdhui moribond et lacharnement
avec lequel le gouvernement israélien a combattu lInitiative de
Genève en dit long sur le poids réel de cette initiative privée
sans statut officiel.
Récemment, Meretz a fusionné avec un autre petit parti, le Shahar
(laube) pour former un nouveau mouvement, Yahad (ensemble). Lorsque Yossi
Sarid a annoncé son retrait de la direction du parti, Beilin sest
présenté contre Ran Cohen à la tête de la nouvelle
formation qui compte près de 20 000 adhérents. Lintellectuel
ashkénaze contre le Sépharade aux préoccupations sociales,
presque un cliché dans la vie politique israélienne, le Likoud
et le parti travailliste ayant déjà joué cette pièce
à de multiples reprises. Cest donc Beilin qui a gagné, mais
de peu. Pour ce faire, il a dû laisser tomber limage dintellectuel
de gauche préoccupé de grandes questions diplomatiques et insensible
à la situation sociale de ses compatriotes.
Sil ambitionne de jouer à lavenir un rôle significatif
et ne pas se contenter dêtre la conscience de gauche des déçus
du parti travailliste, il va lui falloir convaincre la base travailliste, et
notamment les syndicats que cest désormais Yahad, son parti, qui
incarne les idéaux de jeunesse du travaillisme. Le pari est loin dêtre
gagné.
OLIVIER DA LAGE
17/03/2004