Proche-Orient
Clinton s'en va, Barak et Arafat restent
Le sommet de Camp David s'est officiellement terminé dans la nuit de mercredi à jeudi après neuf jours de négociations sans résultat. Le président Clinton, qui avait différé de 24 heures son départ pour le sommet du G-8 à Okinawa a finalement quitté les Etats-Unis, non sans avoir fait promettre à Ehoud Barak et Yasser Arafat d'attendre à Camp David son retour dimanche.
Après neuf jours de négociations harassantes, au milieu d'une
tension croissante, Yasser Arafat, Ehoud Barak et Bill Clinton se sont séparés
sans résultat. Mais alors que les premiers commentaires sur l'échec
de Camp David circulaient déjà, la Maison Blanche faisait savoir
qu'elle avait demandé aux protagonistes de s'abstenir de faire des déclarations
intempestives. Quelques instants plus tard, c'est le président Clinton
lui-même qui annonçait aux journalistes rassemblés près
de Camp David qu'il avait demandé au premier ministre israélien
et au président de l'Autorité palestinienne de rester sur place
et d'attendre son retour du Japon dimanche. Entre-temps, la secrétaire
d'Etat Madeleine Albright « travaillera avec les parties et tentera de
combler les divergences ». Celles-ci ne sont pas minces. Si des points
d'accord significatifs ont pu être dégagé sur la question
des frontières, des réfugiés et des colonies, le problème
de Jérusalem s'est avéré, comme on pouvait s'y attendre,
le principal point de blocage de part et d'autre.
Est-ce de la part du chef de l'exécutif américain une tentative
de sauvetage, non du sommet, mais des apparences? Ou bien un véritable
accord est-il au contraire à portée de main, pour peu qu'on persévère
dans les efforts? Plaideraient pour la première hypothèse les
nombreuses fuites, de source tant israélienne que palestinienne, rejetant
la faute sur l'intransigeance de l'adversaire. Et pourtant, si Ehoud Barak et
Yasser Arafat ont déféré à la demande du président
Clinton, ce n'est pas uniquement pour lui rendre service. Ils ont chacun de
puissantes raisons de continuer.
En cas de succès, Ehoud Barak sait déjà qu'il devra affronter
l'opposition vigoureuse du Likoud, le parti d'Ariel Sharon de Benyamin Netanyahou,
des partis religieux, des partis d'extrême-droite et des colons. Cette
coalition a réussi à mobiliser dimanche soir 150 000 personnes
à Tel Aviv. De plus, il a quitté Israël avec le tiers de
son gouvernement démissionnaire, ayant échappé de justesse
à une motion de censure. En son absence, la Knesset (parlement) a voté
une loi qui l'obligerait à faire ratifier par référendum
tout accord à la majorité absolue des électeurs inscrits.
Risque d'embrasement
Mais en cas d'échec, il devra de plus affronter l'hostilité des
partis de gauche (Meretz et une partie de son propre parti, le parti travailliste)
et des partis arabes. L'ancien premier ministre du Likoud Benyamin Netanyahou,
battu à plate couture par Ehoud Barak voici à peine plus d'un
an, le dépasse aujourd'hui largement dans les sondages. En cas d'élections
anticipées, il aurait cette fois une chance sérieuse de l'emporter.
Et, surtout, pour l'orgueilleux général Barak, ce serait l'humiliation
d'avoir échoué dans son projet de faire la paix avec ses voisins
arabes un an après son accession au pouvoir et de porter, pour l'Histoire,
la responsabilité partielle de cet échec.
Yasser Arafat est soumis à des pressions aussi fortes que son adversaire.
Non seulement de l'opinion publique palestinienne, mais des gouvernements arabes
et musulmans (Arabie Saoudite en tête) qui ont mis en garde le leader
palestinien contre tout renoncement sur Jérusalem-est qui abrite les
lieux saints chrétiens et musulmans. Arafat, qui en cas d'échec
des négociations, a menacé de proclamer unilatéralement
l'Etat palestinien, sait mieux que personne qu'Israël réagirait
énergiquement. Il aurait, lui aussi, échoué à conduire
son peuple à la « paix des braves » qu'il réclame
depuis vingt ans, à trouver une solution « juste et durable »
au problème palestinien. Les territoires palestiniens s'embraseraient,
la colère se tournant pêle-mêle contre Israël et l'Autorité
palestinienne, pour le plus grand profit des adversaires d'Arafat, à
commencer par les islamistes du Hamas.
Enfin, à l'échelle de la région, les adversaires du processus
de paix relèveraient la tête. Saddam Hussein, dix ans après
l'invasion du Koweït, y trouverait un regain de prestige dans le monde
arabe, les dirigeants arabes partisans du processus de paix se tairaient, sauf
à se placer dans une situation impossible. Au bout du compte, l'économie
régionale en pâtirait sévèrement, les investissements
fuyant à nouveau le Moyen-Orient. On ne mesure pas encore la signification
d'un échec des négociations de Camp David. Il est certain, cependant,
qu'elle irait bien au-delà d'un échec personnel pour Ehoud Barak,
Yasser Arafat et Bill Clinton.
OLIVIER DA LAGE
20/07/2000