En ce printemps 1978, les terminales d’un petit lycée de Champagne ne pensent pas qu’au Bac… Surtout chez les garçons… Surtout chez les sportifs.
Car si ces jeunes pratiquent aussi bien l’athlétisme et le tennis de table que le basket, le hand ou le volley, il y a, pour la plupart d’entre eux (et avec la bénédiction du prof de sport), le rendez-vous immanquable du mercredi matin à 11 h, où ils sont autorisés à se faire leur match de foot pendant une heure !
On y joue surtout technique et collectif, avec plus ou moins de facilité et de réussite (le plus doué d’entre eux commence déjà à faire des apparitions dans l’équipe de D3 de la ville, malgré ses 18 ans). C’est le geste qui compte, pas le but. Pour marquer, on met les moins performants au poste d’avant-centre, où ils n’ont quasiment plus qu’à pousser le ballon dans les filets. Tout le monde est content.
Par contre, dans
les vestiaires, on commence à parler de choses sérieuses. C’est vrai que le
football régional a toujours bien été représenté à haut niveau, même si les
Ardennais de Sedan viennent de plonger vers
C’est pourquoi, bien que bataillant tous les ans pour éviter la relégation, le TAF a de nombreux supporters dans le département de l’Aube, et ces lycéens en font bien sûr partie. Il y en a aussi quelques uns qui préfèrent quand même le Stade de Reims, mais pas de mise à l’écart ou d’affrontement ; le respect mutuel est là.
Malheureusement,
en cette fin de saison, les Rémois souffrent autant que les Troyens. La finale
de
Et ce qui était tant redouté se produit. A l’issue de la 34e journée, le TAF pointe à la 17e place, avec un point d’avance sur les Rémois, désormais premiers reléguables, tandis que se profile… un terrible Reims-TAF fratricide, pour le samedi suivant !
Bien entendu, la région ne parle plus que de ça, et pour les lycéens c’est la mobilisation générale. Alors, sous l’impulsion d’un d’entre eux, un supporter inconditionnel un peu fou que tous surnomment « Petit Bateau » (nom du sponsor maillot du club troyen), on décide d’un déplacement au mythique stade Auguste Delaune !
Seulement, de nombreux problèmes se posent vite aux jeunes supporters. D’abord Reims n’est pas la porte à côté (pas loin de 200 bornes aller-retour). Il y a bien des cars spéciaux qui vont monter, mais comme les lycéens sont éparpillés un peu partout dans les villages alentour, ce n’est pas pratique… Et puis ça coûte du fric ! Leurs finances sont plutôt en berne à cet âge-là.
On décide alors de réquisitionner les rares et vieilles 2CV et 4L des quelques majeurs possédant déjà le permis pour partir seuls à l’aventure. Mais là encore, les barrages de l’autorité parentale pour les mineurs fonctionnent, et, à l’arrivée, seule une poignée d’irréductibles et de privilégiés répondent présent pour le déplacement du 21 avril, avec bien sûr un « Petit Bateau » excité plus que jamais en figure de proue !
Le jour J est enfin là. Dans la presse régionale, c’est du 50-50 pour les pronostics, même si curieusement Reims semble faire un complexe du TAF, comme si c’était presque une bête noire. Et on parle des points forts des deux équipes. Chez les Rémois on insiste sur le duo d’attaque Santamaria-Emon, ce dernier arrivé depuis peu (Christan Coste étant remplaçant), et en défense sur le capitaine de fer René Masclaux et son élève Régis Durand ; il ne vaut mieux pas tomber entre leurs pattes !
Côté Troyen, l’alter-ego de Masclaux s’appelle René Le Lamer, un vrai coriace (d’ailleurs ils se ressemblent tous les deux, autant dans le physique que dans le jeu !). Mais la défense s’articule aussi autour de Daniel Zorzetto et Philippe Mahut, qui approchent de la sélection nationale. Hugo Curioni, nouveau au club, doit faire parler sa grande expérience de buteur. Et les vedettes restent tout de même le spectaculaire gardien Guy Formici, le chouchou de public, ainsi que la bombe malienne Cheikh Diallo (capable précédemment d’exploser la grande défense stéphanoise à lui tout seul, et dans le Chaudron même s’il-vous-plaît !).
Les intrépides lycéens découvrent ainsi un stade Auguste Delaune dans une ambiance plutôt festive, malgré l’enjeu, tandis que leurs collègues restés à la maison écoutent la radio, comme tout amateur de foot régional ce soir-là.
Et le match commence, tandis que Petit Bateau, équipé de la tête au pied de la tenue du parfait supporter troyen, ne tient vraiment plus en place.
Il n’a pas vraiment le temps de se remettre. A peine dix minutes de jeu et l’autobus Diallo plonge à l’horizontale à travers la défense rémoise. Le ballon est au fond des filets. On ne pouvait pas mieux commencer pour les Troyens. Petit Bateau est alors comme monté sur ressorts, et il en perdrait même ses lunettes !
Le TAF essaie alors de gérer son avantage, malgré Albert Emon qui sait se mettre en valeur. On se dirige ainsi vers la fin de la première mi-temps quand Santamaria s’enfonce dans la défense troyenne avant de s’étaler. Et M. Buils qui siffle peut-être un peu vite en montrant le point de penalty ! Les ressorts de Petit Bateau stoppent net, surtout en voyant Formici essayer d’embrouiller l’Argentin de Reims. Peine perdue : égalisation 1-1 !
« C’est pas possible ! » s’exclame alors Petit Bateau.
On arrive alors enfin à cette mi-temps, mais nouveau coup de théâtre ! Notre arbitre semble éprouver quelques remords, et sanctionne une possible faute de Masclaux par un nouveau penalty. C’est au tour de Diallo de se trouver seul prêt à torpiller Laudu. Petit Bateau a tout juste le temps d’essuyer la buée sur ses lunettes pour voir ladite torpille repoussée inexplicablement par le goal rémois !
« Mais c’est pas possible ! » hurle alors de détresse le lycéen.
Puis tous profitent de la pause pour se détendre les guiboles, boire un coup et discuter de ces deux penalties avec les supporters rémois. Et chacun convient de part et d’autre que ce n’est pas dans l’habitude du Malien de gâcher de telles cartouches.
C’est pourtant vrai que Diallo ne semble pas dans son assiette dès la reprise. Le canonnier de Mopti n’arrive plus à percer le blindage de Masclaux, et ce dernier en profite même (très rare) pour faire quelques incursions et porter le surnombre dans le camp troyen ! Le public rémois semble alors retrouver de l’enthousiasme pour son équipe qui attaque à tout va, tandis que le TAF s’éteint peu à peu. D’Arménia pense alors qu’il faut en remettre une couche et fait rentrer Coste juste avant l’heure de jeu.
Bien lui en prend car à peine cinq minutes plus tard ce que l’on sentait venir arrive et Santamaria, encore lui, bat Formici. Reims prend l’avantage.
« C’est pas possible !! » s’insurge alors Petit Bateau qui semble refuser d’y croire.
Ses copains sentent pourtant que c’est mal engagé surtout que, dix minutes après être rentré en jeu, Christian Coste permet à son équipe de faire le trou : 3-1. Le calvaire commence pour le TAF. Les supporters rémois se mettent alors à crier « Formici une chanson ! », mais le pauvre Guy, retrouvant alors une froideur inhabituelle chez lui, ne peut pas grand chose contre le naufrage de son équipe, surtout que ce soir-là les poteaux semblent jouer en faveur des locaux.
« C’est pas possible… », même les ressorts de Petit Bateau commencent à retomber.
« Pas possible ! Mais c’est pas possible… »
Et pour que la coupe soit pleine (sans mauvais jeu de mot !), c’est Santamaria qui se fait le coup du chapeau à une minute de la fin ! 5 à 1 net et sans bavure. Qui l’eût dit avant le match ? Pas grand monde, même à Reims, et certainement pas le pauvre Petit Bateau.
« C’est pas possible… », voilà tout ce qu’il peut désormais articuler !
La rentrée dans la nuit est plutôt morose et silencieuse pour les jeunes supporters. On commente un peu le match en essayant de rester objectif, même si on ne veut pas trop enfoncer le clou pour leur collègue qui leur lâche bien encore quelques « c’est pas possible… » avant de s’endormir !
Morne lundi dans tout le département et au lycée en particulier. Ceux qui ont écouté le match à la radio viennent timidement aux nouvelles, savoir comment ça s’est passé, sans trop toutefois insister. On compatit et on laisse Petit Bateau tranquille. Et quand on demande aux autres comment il a réagi au naufrage, une seule et invariable réponse arrive :
« Il disait tout le temps …C’est pas possible !… »
Par la suite, les gens ont beau se rassurer en disant qu’il reste trois journées et que tout n’est pas perdu, il n’y a plus que des « Petit Bateau » pour y croire dur comme fer.
Surtout que le pire scénario se produit le mercredi suivant : le TAF démobilisé s’incline chez lui contre Strasbourg, tandis que Reims va gagner à Sochaux…
Trois points de retard sur le 17e avec un goal average de – 30 : rester en D1 tient désormais du miracle… qui ne se produira pas malgré deux victoires, dont une à Marseille !
Les Troyens termineront 19e avec 31 points, les Rémois 15e avec un petit point de plus… et il fallut consoler Petit Bateau !
Consolation toute provisoire, car c’est le début de la fin pour le football champenois dans l’élite. Tandis que le TAF en ruines à tous les niveaux disparaît corps et biens à la fin de la saison suivante, c’est au tour du Stade de Reims de le remplacer en D2 avant de s’effondrer aussi quelques saisons plus tard…
Et malgré ça, tous nos jeunes lycéens footeux ont eu leur Bac cette année-là !
… Bien sûr que c’est possible !
Par F.R « Formici »
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