Qu’avez-vous mis en lumière dans votre enquête ?

Sassier : La révélation de ce livre, c’est la corruption. Nous racontons comment les hypermarchés ont arrosé tout le monde pour contourner les rouages politico-administratifs, par exemple pour obtenir des autorisations d’ouverture de magasins. Dans les communes, ils ont financé des ronds-points, des piscines, voire des avantages personnels aux maires.

Bothorel : Nous avons même recueilli le témoignage d’anciens ministres. Jean-Marie Rausch, ministre du Commerce et de l’Artisanat en 1992, nous a raconté les pressions « énormes » qu’il subissait pour accepter des valises d’argent liquide.

D’après vous, ce n’est pas un phénomène isolé ?
Sassier : La grande distribution illustre parfaitement le « mal français ». Elle sait tirer parti, à travers la corruption, de l’empilement des lois et d’un mille-feuille administratif de règlements et de responsabilités qui fait qu’on ne sait plus qui fait quoi.

Quelles sont les conséquences économiques ?
Sassier : La France est la championne mondiale des ronds-points ! Mais surtout d’hypers par habitant. La grande distribution a mis la main sur le premier moteur de l’économie française : la consommation. Du coup, elle domine aussi la production. Les fournisseurs vivent dans la crainte de perdre des commandes.
Bothorel : La grande distribution est un conducteur sans permis qui roulerait en toute impunité. Elle impose le paiement de ses fournisseurs quatre-vingt-dix jours après la livraison du produit, ce qui est une exception française. Cet avantage lui procure une trésorerie colossale. C’est en faisant fructifier cet argent et en facturant illégalement des services aux fournisseurs que la grande distribution a bâti sa fortune, pas autrement.

Mais au moins, c’est un secteur qui crée de l’emploi...
Bothorel : C’est incontestable, même si ces emplois sont peu qualifiés et mal payés. Reste qu’il n’existe aucune étude qui compare les créations et les destructions d’emplois. C’est invraisemblable. Quand une grande surface s’installe, les petits commerces environnant meurent.
Sassier : Il y a aussi les industriels qui plient bagage parce que les hypers cassent les prix et délocalisent leurs achats. Ils n’ont aucun scrupule à pervertir la mondialisation en allant acheter là ou les prix sont les plus bas et où il n’y a pas de lois sociales.

A vous lire, la grande distribution est un grand méchant loup...
Bothorel : Non, on accuse le système. On dénonce une société qui s’accommode de la corruption, de la fraude. C’est quelque chose de très français. Les grands patrons de la grande distribution en ont profité. Peu de gens sont aussi doués.
Sassier : On a aussi voulu alerter sur le « coût » des bas prix. Le consommateur ne peut exiger d’acheter de moins en moins cher sans prendre le risque de tirer les salaires vers le bas.

Recueilli par Angeline Benoit