Rapport de l'Observatoire Parisien de la Démocratie Locale  (Mai 2005).

La démocratie participative à l’épreuve de deux opérations d’aménagement et d’urbanisme à Paris

INTRODUCTION
L’Observatoire Parisien de la Démocratie Locale a choisi de travailler sur trois axes. Le premier consiste à observer le fonctionnement et les productions des instances de la démocratie participative qui ont été mises en place. Le second s’attache à la modification des pratiques et des mentalités  d’un certain nombre de services de la ville, afin de voir comment l’esprit de la démocratie participative transforme les administrations et les modes d’intervention de leurs agents. Le troisième s’interroge sur la manière dont la concertation avec les habitants et les usagers, voulue par le pouvoir politique, irrigue les opérations d’aménagement et d’urbanisme, s’intègre à leur déroulement, influence le produit final. Les deux textes qui suivent appartiennent à ce troisième axe.
 Ce travail est influencé par une méthode d’analyse qui prévaut aujourd’hui chez beaucoup de chercheurs s’attachant aux problèmes du développement territorial, social ou démocratique. L’observation du fonctionnement et des productions des instances de la démocratie participative consiste à analyser la manière dont les citoyens, les habitants, les usagers investissent, et utilisent à leur bénéfice, les structures que les pouvoirs ont conçues pour eux et leur proposent. A l’offre de concertation du pouvoir correspond une réponse de la société civile. Nous sommes dans ce que les spécialistes appellent, après Louis-Joseph Lebret, « le mouvement descendant », l’initiative de la concertation venant du haut. Quand on suit, pas à pas, une opération d’aménagement ou d’urbanisme, grande ou petite, on s’aperçoit que ce mouvement descendant existe bien : les différents pouvoirs, politiques ou techniques, font, aujourd’hui, des propositions très diverses de participation à la population qui y répond de manière, elle-aussi, très diverse.
Mais un mouvement de sens inverse apparaît. Des citoyens, des habitants, des usagers prennent des initiatives, s’auto-organisent (sous forme associative ou non), construisent des projets ou des contre-projets. Ils se tournent alors vers les pouvoirs politiques et techniques pour obtenir leur reconnaissance et leur insertion dans un processus (occasionnel, permanent) de participation. Nous sommes alors en présence d’un « mouvement ascendant ».
 Les deux dossiers qui suivent montrent que les deux mouvements sont intimement mêlés et souvent difficiles à distinguer. La question centrale est alors de savoir comment se rencontrent, s’unissent, se combattent, s’opposent le mouvement descendant et le mouvement ascendant, tout au long du processus qui produit ou restructure une portion de ville , sur quels objets et selon quelles modalités..
 Deux terrains ont été observés.
Le Carreau du Temple est une opération importante de restructuration d’un bâtiment ancien, et la concertation s’attache essentiellement à en définir les nouveaux usages. Une stricte méthodologie, définie au préalable, a été suivie, avec une forte volonté politique. Le résultat est exemplaire, même si les suites restent incertaines. Tous les acteurs se félicitent de la réussite assez exceptionnelle de la participation.
Le Forum des Halles est une opération gigantesque, d’une folle complexité, engageant des problèmes d’urbanisme, y compris d’urbanisme commercial, de transports (voiries et RER), d’architecture, d’usages multiples, sans parler des aspects symboliques, au coeur de Paris. La concertation y a été engagée en cours de route, selon des modalités incertaines. Les pouvoirs politiques et techniques se félicitent du résultat de la première période, achevée en décembre 2004, mais les associations disent qu’elles ont dû constamment s’imposer, grâce à leur activisme et à leur expertise. Pour un observateur, choisir un tel cas relève de l’inconscience.
L’observation devra certainement se poursuivre, durant la deuxième période et figurera dans le prochain rapport de l’Observatoire.

Bien d’autres dossiers parisiens mériteraient l’observation.
On s’aperçoit que de très nombreux chantiers parisiens d’aménagement et d’urbanisme donnent lieu à des formes diverses de concertation et de participation. On s’aperçoit aussi que de très nombreuses structures mènent à leur propos des recherches, ou des recherches-actions  qui tiennent souvent du conseil méthodologique aux partenaires.
Nous ne donnons ici qu’un très bref aperçu de ce champ qui serait à explorer pour l’Observatoire.
A la Maison des Sciences de l’Homme, par exemple, plusieurs études sont menées, notamment dans le cadre du doctorat d’un jeune chercheur. Elles portent  « sur les associations de défense de quartier dans les politiques urbaines à Paris ». Elles cherchent à tirer les leçons des luttes passées (par exemple l’opération Italie, dans le XIIIème arrondissement, la radiale Vercingétorix dans le XIVème arrondissement), mais elles s’attachent aussi à des dossiers contemporains (ZAC Paris-Rive-Gauche, terrains SNCF-Cardinet-Batignolles, liés à la perspective des Jeux Olympiques à Paris, réaménagement du Bas-Belleville, réaménagement des quartiers Porte-de-Vanves-Plaisance et Montsouris-Dareau, réflexion sur le devenir du quartier Popincourt)…. Elles suivent les démarches, souvent anciennes, d’associations qui se sont peu à peu spécialisées dans ce type d’intervention, comme « Tam-Tam » et « l’ADA 13 », dans le XIIIème arrondissement, que nous retrouverons à propos du dossier du Forum des Halles, comme l’association « Saint-Louis-Sainte Marthe », dans le Xème arrondissement, comme « La Bellevilleuse », dans le XXème arrondissement, comme « Onze de Pique » dans le XIème arrondissement… Les questions qu’elles posent correspondent exactement au champ d’investigation de l’Observatoire : « de quelle manière la démocratie de proximité est mise à l’épreuve des projets concrets d’aménagement et d’urbanisme ? », « comment la démocratie locale fonctionne-t-elle dans ces domaines ? », « à quoi sert la démocratie locale en matière d’urbanisme ? », «  quelles sont les conditions de son fonctionnement ? », « quelles sont les compétences que les associations doivent développer pour parvenir à se faire entendre, pour devenir légitimes auprès des pouvoirs publics, à propos de problèmes aussi techniques et aussi complexes que l’aménagement et l’urbanisme ? », « en quoi la démocratie participative influence-t-elle la définition et les réalisations d’une politique urbaine municipale ? ».
En présentant le programme du « Printemps de la démocratie », Marie-Pierre de la Gontrie, adjointe à la démocratie locale et à la vie associative, a parlé de la concertation « exemplaire » relative au dossier de « Tolbiac-Sud », à l’extrémité de la ZAC Paris-Rive-Gauche. Voilà encore un dossier que l’Observatoire pourrait couvrir, d’autant plus que, contrairement aux deux cas que nous étudions, le conseil de quartier (National-Chevaleret) y a joué un rôle majeur. L’initiative est ascendante et s’est centrée sur la création d’un jardin et sur la conservation de la plus grande partie de la « Halle-SERNAM » quasi monument historique.  Comme au Carreau du Temple, les habitants ont cherché à anticiper sur le concours d’idée, confié à des hommes de l’art, et ont su établir des relations de travail fructueuses avec un architecte. Ils ont eu beaucoup de mal à se faire entendre des décideurs politiques et techniques, et n’ont obtenu qu’une prise en compte très partielle de leurs idées. In fine, les associations et les habitants se sont ligués en collectif pour dénoncer le peu de cas qui a été fait de leur travail dans toute cette affaire. Cette histoire mériterait d’être racontée.
Le « Laboratoire de Sociologie Urbaine Générative », du « Centre Scientifique et Technique du Bâtiment » (CSTB) a conduit aussi, et depuis longtemps, des recherches-actions à propos de nombreuses opérations d’aménagement et d’urbanisme sur Paris, mettant en œuvre une méthodologie éprouvée depuis longtemps. L’Observatoire aurait aussi intérêt à connaître tout cela de plus près. Puisqu’il n’a ni la vocation, ni les moyens de conduire lui-même ce type d’opération, du moins peut-il en rendre compte, au second degré.
Ainsi, le Laboratoire du CSTB a mené une grosse étude sur le Marais, à partir d’un questionnaire quantitatif sur un échantillon très large d’habitants, et d’entretiens qualitatifs avec un échantillon plus restreint. La démarche est très théorisée dans de nombreux textes. Citons, par exemple, l’étude sur « les démarches de développement de la participation des habitants », de mai 2000, qui prend pour exemple, le travail effectué avec 300 habitants, dans un quartier de 700 logements, des Hauts de Belleville.  Sur la clarification des formes et des objectifs de la participation, sur la conception des processus de participation, sur les principes sous-tendant la mise en place des dispositifs de participation, nous aurions beaucoup d’idées intéressantes à piocher. Les enquêtes aboutissent à l’élaboration concertée de plusieurs scénarios, généralement trois. Les habitants doivent alors choisir, aidés par des démarches pédagogiques très réfléchies, et assistés par des sociologues et des architectes-urbanistes qui se mettent à leur service. Il faut insister sur le fait que cette participation se déroule dans la phase du pré-projet, alors que les choses sont encore ouvertes. Nous verrons que le dossier du Forum des Halles a souffert de l’absence de la participation dès l’amont, avant qu’elle soit polarisée, limitée, fermée, par des procédures contraignantes, et par la nécessité de choisir entre les projets de cabinets d’architecture prématurément introduits.
Il faudrait rendre compte d’expériences diverses de ce laboratoire. Citons des opérations assez modestes, à replacer dans le cadre général du travail sur le Marais : la requalification de l’impasse du Trésor, la valorisation de la rue des Rosiers, les travaux qui commencent à propos du rond-point de la place Saint-Paul, et qui s’adossent à l’intervention du conseil de quartier. On pourrait aussi tirer des leçons de l’aménagement concerté d’un square, dans le quartier de la Goutte d’Or, d’un autre square, dans le quartier de la Porte Puchet. La requalification de la rue du Commerce en rue verte a aussi donné lieu à une opération qui mérite l’observation.
Toutes ces pistes sont loin d’être exhaustives. D’autres structures de recherche, d’autres chercheurs, opèrent sur ces questions qui sont manifestement à la mode. D’autres chantiers permettraient d’illustrer les grandeurs et les misères de la participation des habitants relativement aux opérations d’aménagement et d’urbanisme : pensons, par exemple au passage du tramway sur le boulevard des Maréchaux-Sud, à l’utilisation de la rocade ferrée de la Petite Ceinture, à la reprise d’un dossier déjà ancien, à propos de l’aménagement du quartier du marché d’Alligre…
Les deux dossiers qui suivent ne sont donc que deux cas, parmi beaucoup d’autres.
  
LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE A L’ŒUVRE A PROPOS DE LA TRANSFORMATION DU CARREAU DU TEMPLE. .
Le Temple était la forteresse des Templiers à Paris, construite au XIIème siècle, aux limites de la ville de l’époque. C’est là que la famille royale fut enfermée durant la Révolution Française. Depuis le Moyen Age se tenait dans « l’enclos du Temple », sur le « carreau », c’est-à-dire sur une  place, un grand marché de « friperies » bénéficiant d’une franchise. Au XIXème siècle, après la démolition du Temple, on construit, sur une partie du terrain, la Mairie du IIIème arrondissement, un square et, après différentes autres constructions, une grande halle à structure métallique (réalisé par un disciple de Baltard) destinée à poursuivre, à l’abri du couvert, l’activité de vente de vêtements, de tissus ou de cuir. Pendant des décennies et jusqu’aux années 1980, les petits artisans du quartier et du quartier voisin (le Sentier), par plusieurs centaines, y écoulent leurs productions, dans une ambiance de souk. Ce sont majoritairement, mais non exclusivement, des artisans-vendeurs juifs venus de l’Europe centrale et orientale, puis de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui, cette population est très réduite, remplacée par une très dynamique et très massive immigration chinoise qui a d’abord fabriqué dans de petits ateliers, puis ensuite importé de Chine, par containers entiers, des vêtements à très bon marché et des objets divers de maroquinerie. Leur présence croissante est de la plus brûlante actualité. Ils n’utilisent pas la Halle comme lieu de commercialisation, et celle-ci n’abrite plus aujourd’hui que quatre ou cinq vendeurs, dans une triste impression d’abandon. «  C’est un lieu moribond depuis longtemps, mais c’est un lieu de mémoire pour les vieux habitants, avec un réel intérêt architectural ». Tout le monde s’accorde pour penser qu’une page est définitivement tournée et qu’il faut changer l’usage d’un lieu dont l’architecture mérite d’être conservée.
 Le bâtiment actuel est une grande halle métallique, composé de trois travées de largeur inégale. Elle a été amputée, dès le début du XXème siècle d’un de ses angles où a été construit un immeuble d’habitation. La grande halle, dans sa partie centrale présente 2 400 m2, très lumineux, grâce à un éclairage « zénital » de verrières et à des parois latérales de verre dépoli. Avec les travées latérales, on atteint un total de 4 000 m2 au sol. C’est incontestablement un ouvrage imposant d’une forte valeur patrimoniale.
 En 2001, la municipalité de gauche de l’arrondissement fait du Carreau du Temple l’objet principal de sa réflexion sur les équipements publics de proximité. Il y a dans l’arrondissement des équipements prestigieux d’importance métropolitaine, comme le musée du Conservatoire des Arts et Métiers, les Archives nationales, le musée Carnavalet de l’histoire de la Ville de Paris et, non loin, le Centre Pompidou, mais  il y manque presque totalement des équipements de proximité pour la population qui habite ici : équipements sportifs, culturels et économiques (permettant aux nombreux artisans et aux « start up » de trouver « une pépinière » pour leur développement). Le Carreau peut-il abriter ces activités, avec une vocation de proximité un peu plus large que celle de l’arrondissement. ? Comment faire du neuf dans un bâtiment ancien ? Comment animer (ou réanimer) la vie sociale dans un des arrondissements à la  densité humaine la plus « terrifiante » de la capitale (30 000 habitants dans un des plus petits arrondissements de Paris) ?
 Dans la répartition des compétences issue de la loi Paris-Marseille-Lyon (PML), il est évident qu’un tel dossier relève de la mairie centrale, mais Bertrand Delanoë fait savoir qu’il laisse la mairie d’arrondissement mener librement son expérimentation démocratique. « C’est compliqué, mais on jugera au résultat ».
 D’une manière assez exceptionnelle, les élus estiment dès le départ « qu’ils ne sont pas légitimes pour se prononcer sur un tel sujet à la place des habitants, futurs usagers de l’équipement ». « Ce sont les habitants  qui sont le mieux à même de juger ce qui est bon pour eux et d’arbitrer, entre eux, les conflits d’usage qui ne manqueront pas d’apparaître ». L’engagement du maire (Pierre Aidenbaum) et de l’adjoint à l’urbanisme (Olivier Ferrand) est total et ne faiblira pas tout au long du processus. On peut souligner, une fois de plus, à quel point une volonté politique persévérante est indispensable à la réussite de tout processus de démocratie participative. Il existe incontestablement un frein à la participation au sein du conseil municipal, et pas seulement dans l’opposition. Des élus estiment qu’ils n’ont pas à se dessaisir au profit des citoyens. Ils craignent la multiplication des acteurs associatifs qui expriment la prétention de prendre des décisions à leur place, alors que les élus sont les seuls légitimes pour trancher. « Faire participer de manière aussi importante les habitants relève de la démagogie, du populisme ». « La consultation ne sera pas un référendum, mais un plébiscite pour ou contre la majorité municipale et le maire »... On identifie aussi, dès l’origine, les réticences des techniciens qui ne veulent pas, non plus, que les habitants prennent leur place.
Il faut noter, dès le départ, qu’il ne s’agit pas d’un projet urbanistique, ni d’un projet architectural (tout au plus une architecture d’intérieur), puisque l’enveloppe de la structure est obligatoirement conservée. Il s’agit d’un projet d’aménagement, plus simple et surtout plus circonscrit, relatif à  l’usage d’un lieu fermé. Ce cadrage sur une échelle limitée explique en partie la réussite exemplaire de cette opération de démocratie participative, alors que des dossiers plus complexes, multidisciplinaires, à espaces emboîtés et aux fonctions nombreuses, sont beaucoup plus difficiles à aborder par les citoyens, comme l’étude sur le Forum des Halles l’illustre abondamment.
 Le second choix exceptionnel des élus est d’avoir théorisé la démarche avant de l’entreprendre. Ils savent exactement où ils veulent aller, et comment. Cette réflexion méthodologique préalable n’a guère d’équivalent lorsque l’on étudie d’autres dossiers de participation des citoyens relatifs à la transformation urbaine.
 Cette méthodologie s’appuie sur quatre phases qu’il faudra ensuite détailler :
 1°) Une concertation libre, sorte de « brain storming » organisé au sein de groupes de travail.
 2°) Un concours d’idées aboutissant à 133 projets issus des citoyens.
3°) Une synthèse publique, à laquelle les citoyens ont également participé et débouchant sur trois programmes alternatifs.
 4°) Une consultation locale, soigneusement préparée par un comité de pilotage rassemblant tous les acteurs.
 La troisième option des élus concerne le choix des interlocuteurs parmi la population. Ils ont estimé qu’il fallait faire fonctionner simultanément deux types de représentation.
 1°) Les personnes « ordinaires », pouvant intervenir comme « amateurs » et pas forcément comme « experts ». Ce sont les habitants (qu’ils aient le droit de vote ou non) et les travailleurs de l’arrondissement dans la mesure où, à l’heure de la pause ou après le travail, ils peuvent devenir des usagers du futur équipement. Ces personnes interviennent principalement au travers de la consultation, mais ne sont jamais exclues des autres moments de la concertation. Toutes les structures de travail leur restent constamment ouvertes.
 2°) Les personnes « militantes » qui sont prêtes à donner plus de temps et d’énergie pour le projet, qui sont souvent membres d’associations globales (territoriales) ou sectorielles (sport, culture...). Elles sont présentes dans les groupes de travail des différentes phases. Elles sont les porteuses des projets du concours d’idées.
 Ce mélange permet de dépasser l’habituel clivage entre la démocratie directe et la démocratie médiatisée par la vie associative, puisque l’on estime que les deux voies sont complémentaires. Sans aucunement les écarter ou s’en méfier, les décideurs n’assurent aucune exclusivité aux associations, si importantes et actives soient-elles. Ils cherchent à toucher également le « citoyen epsilon » qui n’est pas forcément membre d’une association. De plus en choisissant « un périmètre large de la concertation » (tout l’arrondissement et même un peu au-delà), ils rejettent la notion de « riverains du projet » qui seraient les seuls à avoir leur mot à dire. Il ne s’agit pas d’un projet de quartier, mais d’un projet d’arrondissement. On voit qu’ils évitent ainsi deux écueils qui apparaissent dans le dossier du Forum des Halles : le monopole associatif, cherchant à confisquer la concertation, la prétention des riverains à être les seuls à défendre un intérêt collectif légitime, en négligeant, pire en écartant, les usagers du lieu qui viennent de plus loin.
 Le IIIème arrondissement dispose de trois Conseils de quartier. Ils sont présents dans le comité de pilotage, mais la mairie choisit délibérément de ne pas leur confier la conduite de l’opération, toujours dans le but de toucher des interlocuteurs plus nombreux que ceux qui entrent habituellement dans les structures pérennes de la démocratie locale. De plus la volonté de couvrir l’ensemble de l’arrondissement aurait conduit à un travail inter-conseils, assez difficile à mettre en œuvre.
 Quatrième option : la mise à la disposition des citoyens d’experts qui les aident à rendre leurs projets crédibles. Les 133 projets répondant au concours d’idées ne sont pas seulement des déclarations d’intentions ou de vagues schémas exprimant des désirs. Ils sont complètement élaborés et présentent une véritable valeur de dossiers opérationnels. « Ce sont des dossiers de pro », présentés dans un superbe album. Pour cela, les élus de l’arrondissement bénéficient d’un instrument technique privilégié et unique en son genre dans la capitale : l’Atelier Local d’Urbanisme  du 3ème (ALU3).
 L’ALU3 est né en février 2001, peu avant les élections municipales, mais il  résulte d’un mouvement social ancien.
La municipalité d’arrondissement antérieure à 1995 était de droite depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours. Jacques Dominati, son maire, a envisagé, en 1973 de démolir la Halle et de la remplacer par un parking surmonté par un immeuble. C’était, il faut le reconnaître, au temps de l’automobile omniprésente. On cherchait alors à aménager le maximum de parkings au centre de Paris. En décembre 1973, le Conseil de Paris entérine le projet de démolition de la Halle et de construction d’un nouvel immeuble. En  octobre 1975, les permis de démolir et de construire sont délivrés. En 1976-1977, la mobilisation des habitants contre l’opération est considérable. Le « Comité des habitants du 3ème » qui avait déjà joué un rôle important à propos d’autres « luttes urbaines » s’engage à fond avec l’association « SOS-Paris » Le 1er mai 1977, Jacques Chirac, nouveau maire de Paris vient annoncer sur place l’abandon de la démolition et du projet de construction. Le Conseil de Paris, par une délibération du 16 mai 1977, entérine un projet de réhabilitation et d’entretien de la Halle, ainsi sauvée : toiture, révision de l’ossature, électricité, peinture, ravalement... Il est important, pour la suite de l’histoire, de garder dans la mémoire qu’on a vécu de grands moments ensemble et qu’une mobilisation sociale peut être payante.. 
Le « Comité des habitants du 3ème », ainsi mobilisé, rassemble alors des sportifs, utilisateurs de la Halle, des commerçants de la confection qui y vendent leurs produits, des militants associatifs très divers, le plus souvent de gauche, qui défendent le patrimoine et entendent le valoriser, ou qui contestent l’automobile triomphante. Mais, après ces heures de gloire, il entre plutôt en hibernation au début des années 1980, bien que ses militants continuent de constituer un réseau occasionnel assez distendu.. L’association « Vivre dans le 3ème », active aujourd’hui, est en grande partie issue de ce mouvement. Un autre réseau, plutôt qu’une association, composé majoritairement de « post-soixante-huitards » et d’écologistes avait aussi joué un rôle important à propos du Marché des Enfants Rouges, y expérimentant pour la première fois la méthode de l’appel à projet : 40 projets élaborés par les étudiants en architecture de l’UP6 avaient alors été présentés, mais la concertation n’était pas allée très loin. On identifie parfois ce groupe du nom du lieu où il se réunissait : « Le Little Palace ».Ces deux mouvements ont aussi été actifs à propos du logement social qui fait cruellement défaut dans l’arrondissement (1 200 demandeurs).  Il existe également un « Collectif logement du 3ème » qui a obtenu le lancement d’une OPAH.. D’une manière plus générale, de nombreuses associations (dont celle du quartier des Gravilliers), militent pour le maintien dans l’arrondissement d’une population modeste. Dans le quartier des Gravilliers dont l’école est en ZEP, cohabitent, dans des conditions de logement souvent précaires, des Algériens, des Turcs, des Yougoslaves, des Africains. L’évolution des prix de l’immobilier, aux portes du Marais si prisé maintenant, les chasse peu à peu, mais inexorablement. L’action publique de la mairie d’arrondissement peut-elle aller à contre-courant du marché, et jusqu’où ? Toutes ces questions travaillent les militants actifs de l’arrondissement, quelle que soit leur appartenance associative ou autre. Se constitue ainsi une pépinière de citoyens interventionnistes qui joueront un rôle important dans la réussite de la démocratie participative organisée autour du dossier du Carreau du Temple. La proposition de concertation des élus tombe sur un terreau favorable. Des forces de propositions aguerries existent. De fortes personnalités expérimentées peuvent encadrer le mouvement social On a déjà l’habitude de la « méthodologie du contre-projet » L’ALU3  constitue ainsi l’aboutissement de cette action militante.
 Tous les membres de l’ALU3 sont des bénévoles résidant dans l’arrondissement. Ils forment un noyau d’une vingtaine de personnes, avec un second cercle d’occasionnels. Certains d’entre eux sont architectes, urbanistes, techniciens et entendent se mettre au service des habitants. L’un des principaux animateurs a travaillé durant quatre ans à l’Atelier Public d’Urbanisme de l’Alma-Gare, à Roubaix, aux temps héroïques des luttes urbaines, dans les années 1970. Il s’agit de la première structure de ce type, pour laquelle la municipalité avait estimé qu’elle devait salarier un homme de l’art pour accroître l’expertise des habitants et leur permettre d’exprimer leur volonté dans des formes élaborées acceptables par les techniciens. La filiation méthodologique est évidente avec le IIIème arrondissement de Paris. Ici l’on affirme que « notre association s’est appelée « atelier » pour afficher clairement la vocation que nous voulons lui attribuer : être un lieu de travail et de propositions ». En cohérence avec son slogan, « tout ce qui se passe dans notre quartier nous regarde » l’ALU3 a animé de nombreux travaux sur des dossiers locaux, et pas seulement sur le Carreau du Temple. Citons la réhabilitation de l’îlot Saint-Gilles, à proximité de la place des Vosges, une réflexion sur les espaces publics et privés : passages, cheminements, délaissés de voirie, une étude sur le vieillissement du quartier de l’Horloge en face du centre Beaubourg, le projet du « Maraisbus », minibus à desserte locale, l’accompagnement de l’Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH), la conception du « quartier vert » de la rue de Bretagne,  l’évolution du Marché des Enfants Rouges, autant de dossiers qui mériteraient une étude dans le cadre des travaux de l’Observatoire relatifs à l’intervention des habitants dans les grands et les petits projets d’aménagement et d’urbanisme.
 Sous l’impulsion d’un autre de ses dirigeants engagé nationalement dans ce secteur, l’ALU3 s’intéresse aussi de plus en plus au développement durable pour le IIIème arrondissement. C’est son programme prioritaire pour l’année 2005 : une réflexion en vue d’élaborer un projet d’ensemble pour l’arrondissement. « Il s’agit de voir comment les réalisations récentes, ou les projets en cours, se situent par rapport au principe du développement durable : concilier développement économique, progrès social et prise en compte de l’environnement ». A terme, un « Agenda 21 » devrait être proposé pour le IIIème.
 Cinquième option : durant le processus démocratique, la mairie doit se garder de prendre position ou de chercher à influencer les choix. Les élus laissent tous les groupes travailler librement à tous les stades. Au moment du référendum, elle se garde bien de formuler sa préférence et de faire campagne pour l’un des trois projets. Cette méthode neutralise les oppositions politiques internes.
 Revenons plus en détail sur ces différents éléments.
 1°) La « concertation libre ».
 Elle a lieu en 2002. Elle est lancée par une réunion publique, le 13 février 2002, animée par Anne Hidalgo, adjointe de la mairie centrale. Elle rassemble 380 personnes. Il fallait d’abord identifier les besoins en équipements de l’arrondissement. Des groupes de travail associant les élus et les 120 habitants qui se sont portés volontaires lors de la première réunion, sont mis en place dès le 27 février 2002. (En fait, on estime à près de 300 personnes les participants plus ou moins réguliers à ces groupes). Ils sont assistés par un stagiaire recruté par la mairie d’arrondissement, afin d’assurer la qualité de l’expertise. Ils ont pu travailler, de mars à juin 2002, « à débroussailler le sujet, en toute liberté et sans préjugés ». Ils ont progressivement défini quatre priorités principales : le sport, la culture, la vie associative et le développement économique, quatre types d’activités qui manquent cruellement de lieux de proximité pour s’épanouir. Ces réflexions débouchent, en juin 2002, sur une exposition en mairie qui sert de base à la rédaction du cahier de charges du concours d’idées, finalisé d’octobre à décembre 2002..
 2°) Le « concours d’idées ».
Il se déroule durant le printemps 2003 et démarre par une nouvelle grande réunion publique, le 20 mars 2003, présidée par Bertrand Delanoë.. Certains estiment que l’on a perdu du temps, quelque peu brisé le  dynamisme des habitants, et que la reprise de la concertation montre que l’on a laissé du monde en route. On ne peut nier les hésitations, relevant beaucoup plus des services techniques que des élus. «Les élus ont changé, pas les services » disent les habitants) Ces derniers soupçonnent les services centraux de manifester souterrainement la crainte que des projets trop élaborés, issus des habitants, les dépossèdent  de leur pouvoir, et de contester, classiquement, la capacité des citoyens à construire des projets crédibles. Tout au plus, peuvent-ils admettre que l’on fasse confirmer et éventuellement modifier à la marge des projets issus des services. Il est toujours difficile de franchir la haute marche qui sépare la consultation de la concertation. Les élus tiennent bon et, finalement, le processus reprend après cette petite pause.
Le concours d’idées a été ouvert à tous, individuels ou collectifs. Si le vote final de la consultation est réservé aux habitants et aux travailleurs de l’arrondissement, le concours d’idées s’adresse aussi aux personnes qui habitant en dehors de l’arrondissement, et, en effet, certains projets viennent de loin.. « Il fait appel à la créativité collective pour imaginer le devenir du Carreau du Temple ». « Les habitants ont pu donner forme à leurs idées, comme des professionnels, avec exposé des motifs et croquis explicatifs, grâce à l’expertise fournie par l’Atelier Local d’Urbanisme ».  Il constitue une sorte de « marché de définition », tel qu’il est institué par la loi SRU, mais un marché de définition qui serait réalisé par les citoyens et non par les techniciens. Près de 500 personnes y ont participé. 133 dossiers ont été remis en mairie, avec le 15 mai 2003 comme date limite..
Ces projets sont d’une extrême variété. Citons dans le désordre : un lieu à caractère récréatif et socio-éducatif, un espace théâtral, un centre international d’art de la céramique, une médiathèque, une maison des associations, un espace public numérique, un lieu d’activité et d’exposition des arts appliqués ( la grande école Duperrey est juste à côté),  une maison des cultures nouvelles, un projet multisports modulable, un espace des enfants,  une grande halle sportive et culturelle, un centre international de l’illustration, du dessin et de la bande dessinée, « les Thermes du Temple », ensemble de piscines et cinémas, un musée de l’imaginaire, le carré du design, un centre sportif et de loisirs de bowling, le Temple de la paix, « la cohabitation des tribus », un espace transversal sports, culture et vie économique, etc... On est frappé par l’incroyable richesse de ces propositions, preuve si l’en était besoin, que les citoyens ont quelque chose à dire aux décideurs, et qu’il suffit de libérer leur imagination et de  conforter leur savoir-faire, pour qu’ils s’expriment. Il est aussi intéressant de noter qu’en dépit des difficultés croissantes de la circulation et encore plus du stationnement dans le quartier, aucun projet ne reprend l’idée d’un parking.
3°) La « synthèse publique ».
De mai à juin 2003 des groupes de travail ouverts, réunissant les élus, les services de la ville, et les habitants intéressés, animés par l’ALU3 délégué par la mairie, élaborent des propositions de synthèse à partir des 133 réponses au concours. De juin à septembre 2003, 59 projets sont exposés en mairie. Ils résultent de la première synthèse. Ce travail permet d’aboutir à trois programmes, « les plus représentatifs des idées exprimées dans le cadre du concours ».
première option : « le sport en avant ». Avec ce programme le Carreau du Temple devient « le grand équipement sportif du centre de Paris ». « Il répond à la diversité des pratiques sportives : régulières ou occasionnelles, soutenues ou amateurs. Le site est programmé de manière équilibrée entre ses différents utilisateurs : habitants et travailleurs, associations sportives, scolaires ». La répartition de l’espace disponible se fait, de manière équilibrée entre trois besoins sportifs identifiés lors des phases précédentes : le tennis, les sports collectifs (basket, volley-ball, handball, football en salle) et des salles équipées pour les sports de combat ; mais on trouve aussi des espaces pour d’autres activités sportives : squash, ping-pong, tir à l’arc, mur d’escalade, rink hockey, et à l’extérieur, roller et pétanque...Les salles, prioritairement destinées au sport, peuvent aussi être utilisées pour d’autres activités comme salles de répétition ou de spectacle pour la danse ou l’art du spectacle, pour des expositions, pour des fêtes associatives. Des espaces de convivialité sont prévus : club house, café, éventuellement librairie et petits magasins liés aux sports pratiqués.
deuxième option : « la culture d’abord ». Avec ce programme, le Carreau du Temple devient «  le grand équipement culturel de proximité de l’arrondissement ». Il s’organise autour de trois fonctions. 1°) La diffusion culturelle doit s’effectuer grâce à des spectacles, à des livres, à des supports multimédias, des expositions, des conférences. 2°) La production culturelle doit permettre à chacun de créer ses propres oeuvres. Il faut donc des ateliers divers et des salles de répétition. 3°) L’axe  du jeu : « la culture doit être ludique, être l’occasion d’épanouissement et de partage ». Une grande place est faite aux nouveaux supports, aux nouvelles technologies. Tous les types d’usagers doivent trouver leur place. Le programme propose trois espaces principaux : une médiathèque, une halle d’exposition et d’événements, une salle de spectacle de 250 places, avec salles de répétition associées. Des activités sportives pourront utiliser les lieux, s’ils ne sont pas occupés par la culture. Un pôle commercial lié au numérique peut être intégré.
troisième option : « un espace pour tous ». Avec ce programme, le Carreau du Temple devient « un espace pluriel ». « Il contribue à répondre à tous les grands besoins de l’arrondissement dans un même lieu ». « Il doit permettre le brassage des tribus segmentées : les sportifs , les gens de culture, le monde associatif, les groupes scolaires ». Le programme propose quatre pôles d’importance comparable : 1°) Un pôle économique avec un espace d’exposition et des ateliers de production artisanale pour les créateurs du quartier (design, artisanat d’art, mode...) et un espace numérique destinés aux professionnels des nouvelles technologies. C’est ce volet économique qui constitue la principale spécificité de cette troisième option.  2°) Un pôle associatif, avec en particulier un « espace jeunesse » et une zone Internet, des salles de réunion de gabarits différents. Il est à noter qu’une Maison des Associations est en cours d’aménagement de l’autre côté de la rue et trouvera ici un prolongement spécialisé. 3°) Un pôle culturel, avec une salle de spectacle, des salles de répétition et de musique. 4°) Un pôle sportif, avec un gymnase omnisports et des équipements de sports en salle. Une salle pour les expositions et les événements complétera cette polyvalence.
 Remarquons que chacun des projets laisse quelque place aux autres options : l’option culture laisse un peu de place pour le sport ; l’option sport laisse un peu de place pour la culture. De cette façon les « vaincus » de la consultation ne peuvent pas la considérer comme une catastrophe.
 C’est un comité de pilotage composé des élus de la majorité et de l’opposition municipale, des conseils de quartier, des associations représentatives et des services de la ville qui a organisé la consultation devant trancher entre ces trois options.
 4°) La « consultation locale ».
 Elle a été organisée du 26 janvier au 1er février 2004.
 Qui peut voter ? ceux qui ont 15 ans ou plus, au 1er février 2004 ; ceux qui habitent, travaillent ou sont scolarisés dans le IIIème arrondissement, sans condition de nationalité.
 Quand et où voter ?  Le vote a lieu durant toute une semaine. Un bureau de vote fixe est installé en mairie, du vendredi au dimanche, mais, pour ouvrir la consultation au plus grand nombre, un bureau de vote itinérant (un bus aménagé à cet effet) circule à travers le quartier du lundi au jeudi, avec des points de stationnement largement annoncés.
 Une brochure est distribuée aux électeurs potentiels. Sa traduction en plusieurs langues, dont l’arabe et le chinois, a provoqué quelques difficultés, mais c’était le prix à payer pour atteindre des populations qui ne sont habituellement pas touchées par les opérations de démocratie participative. Le livret présente en détail les trois programmes et précise quelques points essentiels pour que les règles du jeu soient aussi claires que possible.
Les trois projets présentés dans la brochure et soumis au choix des électeurs constituent en réalité des « pré-programmes », « des esquisses définissant l’esprit du futur lieu et sa fonctionnalité, c’est-à-dire les activités qui y prendront place ». La loi oblige ensuite les décideurs de faire rédiger le programme définitif par des professionnels et les services centraux de la ville de Paris (Direction du Patrimoine et de l’Architecture). Ce programme servira de base contractuelle au concours d’architecture. Le projet architectural sera réalisé par l’équipe d’architectes, choisie à l’issue d’un concours d’architecture. On peut se demander comment prolonger l’intervention des citoyens, dans cette phase professionnelle ayant lieu hors du pouvoir de l’arrondissement. Il a été promis que les habitants seront représentés au jury de sélection sanctionnant le concours d’architecture. C’est un point d’ailleurs prévu par la loi SRU.
Les quatre projets prévoient de creuser et d’aménager un sous-sol sous la halle, afin de doubler la surface disponible. Or, rappelons-le, le carreau du Temple est construit sur un secteur de l’Enclos du Temple : le chevet de son église, son cimetière médiéval et moderne, des terrains agricoles, des bâtiments annexes. Des carottages archéologiques ont été effectués en août 2003. Ils ont confirmé la présence de ces éléments. Ces vestiges ne remettent pas en cause l’opération. Ils imposent toutefois une campagne de fouilles de près d’un an.
Dans ces conditions la livraison des premiers équipements est envisagée pour 2007-2008.  Les habitants seront régulièrement informés de l’avancement des travaux par des réunions.
 Il est incontestable qu’une partie de la population (4 080 votants dont 4 066 bulletins validés) s’est passionnée pour cette consultation. « Pour une fois que l’on nous donne la parole, on la prend ». L’Association des Gravilliers (militant depuis de nombreuses années sur une partie de l’arrondissement) joue un rôle important dans la mobilisation des électeurs. Les associations sectorielles de la culture et du sport rameutent leurs adhérents. Les associations de parents d’élèves qui tiennent à ce que la Halle aménagée accueille les scolaires sont aussi très présentes. On trouve des gens très motivés dans toutes les couches de la population, y compris des étrangers qui ne parlent pas le français.  Les partis politiques ne jouent à peu près aucun rôle.
 Finalement, la troisième option ( « espace pour tous ») l’emporte de peu (42 %) suivie de très près par l’option sportive (38 %). C’est donc le parti du « tout un peu » qui l’a emporté, sur des choix plus spécialisés. Pour quelques sceptiques, il était à peu près certain que l’on arriverait à un tel résultat, car dans les référendums locaux ce sont presque toujours les solutions moyennes qui l’emportent, comme une sorte de « non-choix ». Mais on ne peut admettre l’argument de quelques aigris : « beaucoup de bruit pour rien », car la valeur d’un tel exercice au regard de la pédagogie de la citoyenneté et de la réconciliation avec la politique est incommensurable.
 Depuis la consultation de janvier 2004, le rythme de l’intervention démocratique a considérablement ralenti. Le projet lauréat a été remis entre les mains de la Direction du Patrimoine et de l’Architecture (DAPA) de la mairie centrale, pour l’élaboration d’un programme, selon des formes administratives et juridiques incontournables. A la suite d’un appel d’offres (trois mois au minimum de délai admlinistratif), c’est un bureau d’études et de programmation qui a été chargé d’établir le programme du Carreau et, ultérieurement, de lancer le concours d’architecture. Il faut reconnaître qu’en tant que membre du comité de pilotage, l’ALU3 a été informé régulièrement de la conduite des études de programmation et a émis des critiques détaillées qui ont été portées par les élus. Certaines de ces critiques ont été prises en compte. Mais, il a fallu presque un an pour que ce document soit établi. Il a été remis assez récemment. Il fait l’objet de trois réunions publiques, dont l’une a déjà eu lieu.
Durant cette période, il n’y a eu aucune intervention directe de la démocratie participative, c’est-à-dire des habitants et de leurs associations, qui n’ont pas eu accès à « ces pouvoirs obscurs, techniques et lointains » (sic). Cela ne veut pas dire, comme on l’a vu, que l’ALU3, comme intermédiaire mandaté, soit resté inactif. La mairie d’arrondissement annonce à l’ALU3 que la DAPA lui impose un planning qui reporte la fin des travaux au début 2009. Après consultation d’autres professionnels de la programmation, l’ALU3 propose un planning plus serré qui permettrait au maire du IIIème arrondissement de respecter les dates qu’il a précédemment annoncées. L’échéance électorale municipale est politiquement importante, mais il faudrait également ne pas décrédibiliser la concertation en retardant de trop le chantier.. Il faudrait au moins que les travaux soient largement entamés avant l’élection, c’est-à-dire qu’ils soient terminés à la fin 2007, au plus tard au début 2008. En juillet 2004, ce planning rectifié est présenté à la DAPA par l’élu du secteur et l’ALU3. Par lettre de septembre 2004, la DAPA informe les élus du IIIème et l’ALU3 qu’il lui est impossible de raccourcir ses délais et les rallonge encore de presque un an ( fin des travaux à la fin 2009). En novembre 2004, l’ALU3 décide de s’adresser au maire de Paris, et lui fait parvenir une lettre lui demandant de bien vouloir intervenir auprès de ses services pour raccourcir les délais administratifs. « A l’issue d’une phase d’intense créativité collective et d’expérimentation concrète de la démocratie participative, le projet est entré dans sa phase administrative. Nous pouvons comprendre que des raisons impératives puissent obliger la ville à reporter dans le temps des travaux de réhabilitation du Carreau, mais nous craignons qu’à une phase de concertation préalable exemplaire ne succède une longue période de quasi silence sur les motifs des retards et sur les étapes à venir : date du concours d’architecture, fouilles archéologiques, années budgétaires prenant en compte le financement, début des travaux.. » Cette lettre est restée à ce jour sans réponse.
Faut-il mettre en cause l’inertie administrative qui conduit à une lenteur désespérante ? Faut-il évoquer la surcharge de travail ? Faut-il aller jusqu'à parler de mauvaise volonté d’une administration centrale qui n’arrive pas à s’approprier un projet issu des habitants, qui est mécontente de n’avoir pas été mise dans le coup dès le départ ? Ces retards ne sont pas seulement agaçants. Ils sont démobilisateurs pour les citoyens qui, après y avoir cru et s’être beaucoup engagés, ne verront probablement rien sortir de terre avant 2009. On touche là du doigt l’une des difficultés constantes de la démocratie participative : le décalage entre le temps des habitants et le temps administratif et technique.
Le concours d’architecture sera lancé assez vite : il s’agit obligatoirement d’un appel d’offres international, étant donné le volume financier du projet.
 Il se pose aussi des problèmes de financement. L’enveloppe financière a été décidée dès le départ et il faudrait mesurer jusqu’à quel point cette contrainte a pesé sur la concertation. La réalisation  est évaluée à 40 millions d’euros qui sont, en principe, inscrits au budget de la ville. Mais il existe à 300 mètres un autre projet, peut-être concurrent en ce qui concerne les priorités budgétaires : celui de la rénovation du théâtre de la Gaité Lyrique, projet qui est conduit directement par les services centraux de la ville et qui est cher au cœur du maire de Paris. Il est également évalué à environ 40 millions d’euros. La lenteur relative du cheminement administratif et technique du dossier du Carreau du Temple reflète-t-elle le choix prioritaire de la rénovation du théâtre et la volonté de retarder les crédits de paiement relatifs au Carreau ?
 Il faut impérativement et immédiatement relancer la participation. Il est urgent de retrouver l’élan vital initial. Nous avons dit que le programme doit être prochainement présenté aux habitants au cours de plusieurs réunions publiques. Comment faire participer les citoyens, d’une manière ou d’une autre, au concours d’architecture qui aura lieu ensuite ?  Comment faire démarrer aussi vite que possible le chantier de fouilles ? Quel dispositif itératif mettre en place pour que les habitants soient assurés d’une information, voire d’un contrôle, sur le suivi ?  Faut-il  réfléchir, dès maintenant, à la gestion du futur équipement, régie ou convention à un opérateur associatif ? Il serait dommage de gâcher, in fine, une opération de participation aussi exceptionnellement réussie dans ses phases initiales.

GRANDEURS ET SERVITUDES DE LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE, EN SUIVANT LA CONCERTATION RELATIVE A LA RENOVATION DU FORUM DES HALLES.

 AVERTISSEMENT : Cette enquête, menée de novembre 2004 à mai 2005, est le résultat d’une commande de l’Observatoire Parisien de la Démocratie Locale. Elle n’engage cependant que son signataire. Ce travail, probablement incomplet, peut comporter des erreurs d’interprétation et des omissions. Il peut donc provoquer des discussions, voire des polémiques, ce qui est démocratiquement sain. Il résulte de quelques entretiens, de l’assistance à plusieurs réunions, de la compilation attentive d’un très grand nombre de documents, piochés principalement sur différents sites Internet. Cherchant à être aussi objectif que possible, il constitue néanmoins un travail journalistique sans prétention académique ou scientifique. 

 Il n’est pas question de donner ici une description exhaustive et critique de ce dossier colossal, mais seulement d’en approcher quelques aspects, dans le cadre des travaux et de l’esprit de l’Observatoire Parisien de la Démocratie Locale (OPDL). C’est à partir d’une note de Georges GONTCHAROFF, en date du 20 novembre 2004, que l’Observatoire a décidé de lui confier l’analyse et le suivi de ce dossier.
 Nous aborderons la question de la concertation par quatre angles d’attaque, différents mais complémentaires : son déroulement dans le temps, ses variations selon les espaces, le jeu de ses acteurs et les modalités de son fonctionnement.

I. Examen de la concertation au travers de sa chronologie.
 Il convient d’abord de rappeler quelques éléments du phasage, dans la mesure où le choix politique de la démocratie participative implique une intervention itérative des citoyens  tout au long du processus.
 
Phase 1 : L’initiative relève de la Direction de l’Urbanisme de la Ville de Paris qui, en octobre 2001, entame un diagnostic préliminaire du site, travail qui va durer plus d’un an, mais qui implique uniquement les services techniques, sans intervention des citoyens dans l’élaboration de ce qui aurait pu être « un diagnostic partagé ».
Ce bilan initial et non concerté, probablement mené en commun avec la Société d’Economie Mixte (SEM) Paris-Centre, qui est l’organisme qui possède la meilleure connaissance d’un site qu’il gère, ne semble pas avoir constitué une base assez solide de réflexion pour les décideurs. A posteriori, plusieurs d’entre eux déplorent sa faiblesse et même un certain nombre d’erreurs d’appréciation. Un exemple : la polémique principale concerne le jardin qui est considéré, par l’étude, comme vétuste, peu sûr, et devant être restructuré de fond en comble, alors que d’autres, et principalement les habitants, estiment que son bilan est positif, et disent qu’au prix d’améliorations assez légères, il peut très bien remplir les diverses fonctions d’usage pour lesquelles il a été conçu.  Un vrai débat public ne s’instaure pas, dès le départ, à ce propos, ni sur beaucoup d’autres aspects, par exemple la mesure de l’insécurité.
Sans que nous ayons de documentation à ce sujet, il est à peu près certains que la RATP, à propos de la salle d’échange du RER et de ses issues, ainsi qu’« Espace Expansion », le GIE des commerçants de la galerie marchande, conduisent des diagnostics de leur côté. Les trois démarches ont-elles été confrontées, pour identifier les premières contradictions ?
 Le 11 décembre 2002, le Conseil de Paris délibère et décide de s’engager dans la rénovation du Forum des Halles. Cette délibération confie à la SEM Paris-Centre « le suivi des études préalables pour la réalisation d’un projet d’aménagement sur le quartier des Halles ». Elle n’a pas donné lieu à un véritable bilan partagé par l’équipe municipale. Ni dans le cercle étroit des responsables des partis coalisés, ni en bureau municipal, ni en séance plénière (la seule pour laquelle nous ayons des documents publics), on ne trouve des éléments forts, et qui pourrait être publiquement affichés, exprimant un choix politique majeur sur la destination de ce lieu « capital dans la capitale » .
Quelle vocation globale les décideurs entendent-ils donner au quartier rénové : simple quartier central conçu pour le bonheur et la tranquillité de ses riverains ?, « un véritable parc d’attraction pour la banlieue, une sorte de Paris-Parc, pour le prix d’un ticket de métro » (E. Azière, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004) ?  « un noeud modal d’une métropole de huit millions d’habitants » (le même) ? un des points d’attraction principaux pour les touristes qui viennent du monde entier, avec un geste architectural majeur qui s’inscrirait durablement dans l’histoire et dans la modernité ? «  une perspective de création urbaine contemporaine » (Jean Vuillermoz, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004) ? « une simple opération d’embellissement d’un trou moche au centre de Paris » (Jean-François Blet, même débat) ? « une opération de rénovation cosmétique, un coup de peinture sur les Halles » ? (Jean-Pierre Caffet, même débat). Ces deux derniers s’expriment naturellement sur le mode ironique.
De plus, l’étude du lieu est trop coupée de son contexte métropolitain. Deux exemples : peut-on mener une réflexion sur le centre commercial des Halles, sans une vision élargie de sa place parmi les autres centres commerciaux de l’Ile-de-France ; peut-on mener une prospective sur la station des RER et l’écoulement de ses flux de voyageurs, sans la relier à l’évolution générale des transports en commun dans la métropole, c’est-à-dire essentiellement aux rapports entre les radiales dont elle est le noeud et les rocades appelées à se développer ? .
La suite des opérations va souffrir de cette absence ou de cette faiblesse d’un pré-arbitrage politique initial. Les différents acteurs ne savent pas de manière précise quel est l’objectif final à atteindre.
 
Phase 2 : L’appel à candidatures et la désignation des quatre équipes de concepteurs. L’appel à candidatures s’effectue le 3 mars 2003.  A la lecture du cahier des charges et d’autres documents de l’époque, on s’aperçoit que plusieurs incertitudes pèsent sur cette phase. S’agit-il d’un aménagement relativement léger du site, pour pallier les dégradations du cadre bâti et pour améliorer la vie sociale, c’est-à-dire d’une intervention modeste répondant essentiellement à des problèmes de vétusté et de sécurité, ou s’agit-il d’une restructuration beaucoup plus profonde ?  Il semble que l’on soit passé, sans en être toujours conscient, d’un projet réduit à une vision beaucoup plus ambitieuse de rénovation urbaine. « Libération » dans un article assez méchant, parle « d’un toilettage transformé en méga-opération par un processus de décision peu explicite ».
S’agit-il d’un projet d’urbanisme ou d’un projet d’architecture, ou des deux ? A quel périmètre s’applique l’opération : le Forum stricto sensu ou un territoire plus vaste comprenant les rues avoisinantes et pouvant même s’étendre jusqu’au Centre Pompidou ? Est-on en présence d’un projet de quartier, voire « de proximité » pouvant se limiter à  l’intervention participative des riverains, ou, au contraire, en présence d’un projet métropolitain, impliquant l’ensemble des Franciliens (on parle tant de briser la barrière du périphérique et d’intégrer les habitants de la première couronne à la réflexion parisienne), voire l’ensemble de la nation, et peut-être au-delà, l’ensemble des touristes internationaux qui fréquentent ce cœur historique de la capitale ?
Plusieurs spécialistes, dans les milieux de l’architecture, ont évoqué ce qui s’est fait à Barcelone, Berlin ou Hambourg. Des projets de même dimension ont provoqué des années de débats publics contradictoires entre tous les acteurs de toute la métropole. Une nouvelle culture démocratique porte une nouvelle manière de construire la ville, loin de tout jacobinisme des décideurs, loin de tous les schémas classiques de la prise de décision, dans l’esprit d’une « nouvelle gouvernance ». Pourquoi Paris ne suivrait-il pas ces exemples ?
Quelle filiation précise s’effectue entre le diagnostic et la commande faite aux candidats dans un cahier des charges ?  La faiblesse initiale du cahier des charges va laisser le champ presque totalement libre aux candidats, ce qui explique l’extrême diversité, pour ne pas dire l’antinomie, des solutions qu’ils vont proposer, le fait que certains problèmes posées ne suscitent pas de vraies réponses et que des questions non posées vont apparaître au cours du débat. «  Il aurait fallu soumettre aux concepteurs un cahier des charges qui réponde aux choix décisifs nécessaires » (Laurence Douvin, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004). Le choix prématuré de cabinets d’architecture plutôt que de cabinets d’urbanisme oriente le processus sur une voie incertaine.
 Ces questions sont très importantes pour les citoyens, dans  la mesure où elles déterminent le périmètre de la concertation et le parti général dans lequel ils doivent intervenir.
 Il faut rappeler que l’on se trouve dans le cadre juridique d’un « marché de définitions simultanées », qui, dans l’esprit de la loi « Solidarité et Renouvellement Urbain » (SRU), mais sans être directement liée à elles, découle du Code des Marchés Publics.  La puissance publique met en concurrence plusieurs cabinets (ici quatre) pour cette phase de la procédure. De nombreuses contraintes découlent de ce choix, en particulier l’obligation de la concertation. Cette procédure est complexe, récente, et encore peu rodée par les différentes catégories d’acteurs qui doivent en faire usage. Ce fait explique aussi, sans toujours les excuser, quelques incertitudes.
 Durant cette période très importante, les citoyens et les associations ne sont, en aucune manière, associés aux travaux.  Cela ne veut pas dire qu’ils restent inactifs. Très rapidement une association très dynamique « Accomplir » prend la tête de l’expression citoyenne. Elle organise une série de réunions publiques pour préparer sa prise de position.  La première réunion (5 février 2003) est consacrée à l’examen de la première opération des Halles (démolition des pavillons Baltard et création du Forum actuel) qui, trente ans auparavant (1973), avait déjà, soulevé une mobilisation sociale exceptionnelle. « On ne prépare bien l’avenir qu’en connaissant bien le passé », dit « Accomplir ». C’est aussi ce soir-là que les habitants commencent à identifier les grands enjeux de la rénovation prévue. La deuxième réunion ( 28 mars 2003)  est consacrée à la « mixité sociale » du quartier qui est considérée comme une richesse à conserver. La troisième réunion est centrée  sur les déplacements dans le quartier des Halles, en présence des responsables de la RATP, du Forum des Halles, d’Espace Expansion et de techniciens de la SEM Paris-Centre.  La quatrième réunion (10 juin 2003) s’attache à faire l’inventaire de l’existant et à identifier les besoins pour ce qui concerne les équipements sportifs et culturels. Il faut aussi noter un effort pour toucher les jeunes (les ados) qui fréquentent le quartier (16 juin 2003). Ils « veulent pouvoir jouer au foot, avoir une rampe de rollers, se retrouver ensemble dans une salle de loisirs, pouvoir louer une salle pas trop chère pour organiser des boums" ». Les comptes-rendus de toutes ces réunions sont disponibles sur le site d’« Accomplir ». On a rarement vu la vie associative déployer une telle activité, avec autant de sérieux et de détermination. Mais ce travail est payant. Il permet à l’association de rédiger des propositions nourries par ces rencontres. Cette activité lui donne du poids pour s’imposer comme interlocutrice principale des pouvoirs publics. De là naît probablement une certaine « complicité » entre l’association et la Direction de l’Urbanisme de la ville de Paris qui reconnaît sa compétence et qui ne manquera pas de la privilégier en plusieurs occasions.
 Le 5 juin 2003 la Commission d’appels d’offres de la Ville de Paris désigne les quatre équipes de concepteurs qui ont été retenues.
 
Phase 3 : le démarrage de la concertation. Jusqu'à présent le dossier n’a concerné que les techniciens et les politiques. Le troisième pilier de la démocratie participative, les citoyens, n’est sollicité qu’à la fin juin 2003. Les habitants n’ont donc pas été acteurs des deux premières phases. Ils n’ont pas été impliqués dès l’amont du projet. Les associations qui les représentent expriment toutes une réprobation concernant cette lacune, et regrettent particulièrement leur absence de la phase initiale de diagnostic. C’est a posteriori, en critiquant les projets, qu’ils tenteront de redresser certaines perspectives qui auraient pu être identifiées dès le départ.
 Le 26 juin 2003 a lieu la première réunion publique, en présence de Bertrand Delanoë. Elle annonce officiellement le lancement du projet. Elle s’accompagne de l’ouverture d’une exposition : «  Les Halles, voyage au centre de Paris ».
 La SEM Paris-Centre, au cours de cinq réunions consécutives, durant le mois de juillet 2003, rencontre les équipes de concepteurs pour les informer des « intentions préalables du projet ». Simultanément elle réunit les associations et les équipes le 9 juillet 2003. C’est à cette occasion que sont remises les premières contributions associatives. C’est dans ce cadre qu’« Accomplir », présente un texte majeur : « Quatre-vingt dix propositions pour le projet de rénovation du quartier des Halles », texte adopté le 28 juin 2003 par une Assemblée de l’association. Ces propositions sont destinées à la fois au maire de Paris, aux différents élus concernés, aux maîtres d’œuvre du projet, mais aussi aux responsables d’équipements collectifs, aux responsables associatifs du quartier et à la presse. (On peut toujours les consulter sur le site d’ « Accomplir »).
Une autre association « Paris des Halles » se crée à ce moment-là et publie aussi une « déclaration d’intention à l’adresse des concepteurs et des décideurs du projet de rénovation des Halles » (9 juillet 2003). « Accomplir » se réjouit de la création de cette deuxième association. En réalité, à l’examen des textes, on peut voir, qu’au-delà des similitudes, s’expriment des sensibilités assez différentes. Dès le départ existe le germe d’une concurrence interassociative et une menace sur la supposée prétention d’« Accomplir » d’exercer un certain monopole de la représentativité des habitants.
Cette production citoyenne très riche dément un article assez venimeux paru dans « Télérama », le 10 novembre 2004, et qui souligne l’incapacité des citoyens à avoir un avis pertinent sur un dossier aussi volumineux et aussi complexe.  « Et quand bien même on trouverait les « bons interlocuteurs », quelles compétences auraient-ils pour exprimer un avis éclairé ? Et sur quels critères ? Purement pratiques ? Une vue de l’esprit tant l’architecture est chose complexe. Esthétiques ? On sait les foules conservatrices... » et ainsi de suite pour démontrer qu’il n’est pas raisonnable d’associer la démocratie participative à la démocratie représentative. Au titre de l’article « Des projets urbains comme la rénovation des Halles doivent-ils dépendre d’un verdict populaire ? », la réponse est bien entendu « non ».
 Le 9 septembre 2003, la SEM présente « les orientations générales du projet » aux équipes de concepteurs. « Accomplir » commente : « Ce sont manifestement des équipes très réputées qui ont été sélectionnées, mais du coup on peut éprouver une certaine inquiétude : il semble que d’un projet qui consistait pour l’essentiel à améliorer l’existant, on passe insensiblement à un projet d’envergure, avec des « gestes architecturaux » ; en particulier, alors que jusqu’ici la modification principale concernait les pavillons Villerwal (les « parapluies » en aluminium qui entourent le patio du Forum) et la sortie directe du RER sur la rue, on commence à parler de modifier le cratère du Forum et surtout...de monter en hauteur, en évoquant comme référence la hauteur des pavillons Baltard ! Nous devons rester vigilants ».
Le 17 septembre 2003, les équipes de concepteurs présentent ces mêmes orientations générales aux associations.
Notons que, dès le départ, les décideurs ont choisi de conduire la concertation par le biais de la médiation associative. Cela pose des problèmes difficiles, comme toujours quand il s’agit de la démocratie participative. Le principal est celui de la représentativité des associations (à ne pas confondre avec leur légitimité). Dans la multiplicité et la diversité quantitative et qualitative de la population quelles sont les personnes qui sont représentées par les associations qui interviennent ? Et, a contrario, qui n’est pas représenté, socialement, sectoriellement, territorialement ? Par exemple, comment touche-t-on les jeunes  très présents, et pas toujours appréciés positivement, dans le Forum ?  Les associations de riverains ne les représentent guère. Une réunion qui leur est destinée est organisée le 9 décembre 2003, mais n’a, semble-t-il, guère été productive. De même, qui représente les usagers des transports en commun ? Certainement pas les associations de riverains. La même réunion du 9 décembre 2003 tente de leur donner la parole, mais sans succès probant. Les exclus, les marginaux, les SDF sont nombreux dans ce secteur et il est bien difficile d’espérer une représentation directe dans les instances et opérations de concertation. Mais qui va prendre la parole en leur nom ?
On retrouve aussi la question déjà soulevée du périmètre de la concertation : comment toucher les usagers du Forum qui n’habitent pas le quartier : les Franciliens qui transitent chaque jour par le RER, les chalands qui achètent dans la galerie marchande, les spectateurs de l’auditorium, les usagers des différents ateliers socio-éducatifs et socio-culturels dont les locaux sont situés dans le périmètre, les touristes nationaux et internationaux qui visitent le Forum comme un monument, emblématique de Paris ?
 
Phase 4 : l’élaboration d’un programme définitif. C’est la responsabilité de la SEM Paris-Centre. Elle s’effectue d’octobre à décembre 2003. De leur côté, les associations présentent leurs propres analyses à la SEM, le 13 octobre 2003, en vue de l’élaboration du programme définitif. C’est durant cette période que la SEM tente de recueillir la parole des jeunes, des usagers des transports en commun, des associations. Le site Internet, ouvert le 16 décembre 2003 est malheureusement uniquement informatif. Il n’institue pas un Forum interactif, c’est-à-dire qu’il ne permet pas l’expression de toutes les personnes intéressées, au-delà de celles qui s’expriment grâce à la médiation associative.
 Le 8 janvier 2004 une deuxième grande réunion publique permet de présenter au public le programme définitif du marché de définition. L’affluence est importante mais « l’ambiance très houleuse ».
 La superactivité d’« Accomplir » se poursuit, avant et après cette réunion, en organisant elle-même de nombreuses rencontres « de concertation publique » ( le 6 novembre 2003, le 17 mai 2004, notamment). Durant cette période, l’action associative prend aussi la forme d’entretiens avec le maximum d’acteurs institutionnels pour leur exposer le point de vue de l’association et pour recueillir leur avis. C’est à la fois le travail classique d’un groupe de pression, et celui d’un collecteur d’idées pour enrichir et affiner sa propre position. Les propos recueillis sont restitués lors des réunions publiques. Le site de l’association reproduit la teneur de ces entretiens, de septembre 2003 à février 2004. « Accomplir » rassemble aussi, pour opérer sa propre synthèse, les prises de position d’acteurs divers,  comme celui d’autres associations d’habitants. Il s’agit, par exemple, du Comité Montorgueil , dans le IIème arrondissement, qui a beaucoup travaillé sur le fonctionnement des quartiers piétonniers ; des dirigeants de l’Union des Champeaux et du COPRAS qui rappellent le rôle des habitants qui « ont sauvé les Halles, il y a trente ans, de la catastrophe urbanistique qui se préparait » (« Accomplir » cherche à se présenter comme menant aujourd’hui le même combat.), de la Plate-Forme des Comités Parisiens d’Habitants qui adresse une lettre au maire de Paris pour soutenir l’action menée par les associations au sein des Halles. Enfin, l’association se renforce en obtenant des prises de position, comme celle du curé de Saint Eustache, ou celle de l’association des commerçants, en envoyant des questionnaires aux institutionnels du projet et en en obtenant des réponses ( Bertrand Delanoë, le 13 novembre 2003, au cours d’une réunion de compte-rendu de mandat qui se tient dans le Ier arrondissement ; le président de la SEM Paris-Centre, le 27 février 2004, les Verts de Paris, dans un communiqué du 9 juin 2004).
 
Phase 5 : de la remise des études au choix du lauréat.
En avril 2004, les études sont remises à la SEM Paris-Centre et au comité de pilotage. « Accomplir » réagit immédiatement et publie un document très important : « la comparaison entre les quatre projets sur la base de 51 critères d’évaluation » (avril 2004). On peut bien entendu, discuter infiniment à propos de la pertinence de ces critères qui découlent directement des 90 propositions du 20 juin 2003. D’un point de vue méthodologique, on ne peut, par exemple, pas accepter que les critères ne soient pas pondérés, qu’on mette sur le même plan une proposition qui concerne un nombre restreint de personnes (les toilettes sur le site !) et celles qui impliquent des centaines de milliers de personnes (la liaison sous-sol-sol).
Sur les quatre architectes ou cabinets d’architecture sélectionnés ( David Mangin, Rem Koolhaas, Winy Maas, Jean Nouvel), « Accomplir » prend immédiatement et fortement position en faveur de David Mangin, auquel l’association donne une note de 41 sur les 51 critères retenus (mais sans pondération entre eux). L’action de l’association, pendant toute la période, va tendre à promouvoir le projet Mangin et à l’imposer aux décideurs. « Avant de décider d’un projet, il faudrait organiser une concertation avec les associations locales et parisiennes pour déterminer la finalité du projet ».  (Lettre au maire de Paris, 25 mai 2004). La principale animatrice d’ « Accomplir » déclarera à Télérama, en novembre 2004 : « Quel choc quand nous avons découvert, au mois d’avril 2004, les différentes maquettes des projets ! Ils nous avaient dit « améliorations », « mises aux normes » et voilà qu’ils nous balançaient quatre énormes machins qui chamboulent tout, massacrent le jardin et bouchent le ciel ».
Le projet le plus « modeste » et qui bouleverse le moins de choses est certes celui de Mangin. Il est cependant loin de répondre à toutes les attentes des habitants. En particulier, contrairement à ce qu’« Accomplir » réclamait depuis le début, à savoir un blocage des surfaces marchandes, il prévoit l’ouverture sur l’extérieur du centre commercial jusque là confiné en sous-sol, et la création de 14 000 mètres2 de commerces supplémentaires. Cette extension de surface se fait au plus près de la principale sortie du RER. Des architectes sont allés jusqu’à qualifier le projet Mangin « d’urbanisme commercial ». D’autres soulignent son astuce : il a rassemblé des éléments qui peuvent plaire à toutes les catégories d’acteurs ; il a éliminé la plupart des éléments qui peuvent fâcher. 
« Accomplir » accentue les méthodes de renforcement de son action qui lui ont réussi précédemment. Le 27 juin 2004, à l’initiative d’« Accomplir », est créé « le Collectif Rénovation des Halles », rassemblant 26 associations. Il lance immédiatement une pétition en faveur du projet Mangin. Il demande un rendez-vous au maire pour présenter ses arguments en faveur de ce projet. L’association des Usagers des Transports de l’Ile-de-France retient aussi le projet Mangin comme correspondant le mieux aux critères qui lui sont propres : facilités des accès aux espaces de la RATP, éclairage et aération, facilité des échanges...
 Le 6 juillet 2004, le Conseil de Paris débat sur « La mise en valeur du quartier des Halles ».  On s’attend à ce que le maire opère son choix à ce moment-là, mais sa décision est reportée à la mi-décembre 2004.  La décision est en effet difficile à prendre.  Le maire le dit lui-même : « Les quatre projets qui ont été présentés par les équipes d’architectes ont tous des aspects intéressants, mais aucun ne peut être totalement convaincant en l’état » (Bertrand Delanoë, débat du 6 juillet 2004).  « Les projets proposés ne peuvent en aucun cas être considérés comme des produits finis » (Jean Vuillermoz, même débat).  « Aucun des projets retenus au terme du concours international d’architecte ne s’adapte aux Halles, quelle que soit la qualité indéniable des quatre projets » (Florence Berthout, même débat).  « Aucun projet n’est en l’état acceptable » (Yves Contassot, même débat).   Beaucoup d’élus de tous les groupes sont de cet avis.  Ils constatent en particulier que les quatre études ont presque complètement éludé la question du sous-sol, en se concentrant sur le visible « alors que la majorité des visiteurs des Halles vient par le centre commercial, ou, en tout cas, via le métro et le RER, par le sous-sol » (Georges Sarre, même débat).
Que faire alors ?  Rejeter les quatre projets  par l’acte juridique que la loi appelle « une déclaration d’infructueux », ou « une déclaration sans suite ». Et repartir à zéro sur des bases plus sûres ? Ou ne choisir aucun projet, mais obtenir durant le délai supplémentaire que l’on s’accorde, une certaine fusion entre ce qu’il y a de meilleur en chacun d’eux ?  C’est difficile à ce stade durant lequel les équipes sont surtout concurrentes et d’ailleurs centrées sur des logiques très différentes .  Choisir le parti général du moins mauvais des projets, et demander à son auteur d’aller chercher dans les autres ce qu’ils ont de plus valable ?  Cela n’est guère déontologiquement facile à mettre en oeuvre.
On constate aussi que les quatre candidats sont allés au-delà de ce que doit être un simple marché de définition et que, poussés par leur spécificité et leur compétence professionnelle, ils ont abouti à des projets architecturalement trop aboutis.  Ils ont « focalisé l’attention de l’opinion sur les aspects esthétiques de l’opération, davantage que sur les véritables problématiques urbaines » (Eric Azière, débats du Conseil de Paris 6 juilllet 2004).
Les élus ont probablement été piégés par le lancement prématuré du concours d’idées que représente un marché de définition, avec un cahier des charges insuffisamment précis et renfermant même quelques contradictions que certains projets s’appliquent à souligner.  Ils doivent prendre du temps, maintenant, pour trouver une issue honorable.  De plus un marché de définition se contente de tracer un cadre général, alors qu’à ce stade, les citoyens attendent de savoir, dans le moindre détail, ce qui va être décidé.  Ce malentendu pèse lourd dans la suite de la concertation.  On attend de ces documents ce qu’ils ne sont pas capables, par nature, de donner.  La liaison entre le marché de définitions simultanées, le programme et le projet n’a pas été suffisamment expliquée, dès le départ.
Une exposition des quatre maquettes connaît un succès considérable. Près de 100 000 visiteurs s’y pressent en quelques semaines. 8 000 avis très divers sont recueillis, sous forme de bulletins déposés par les visiteurs dans la salle d’exposition, avec, pour une fois, une parole qui va bien au-delà des riverains. Le site Internet connaît 100 000 connexions. « Cette vitalité démocratique est un élément tout à fait réjouissant » (Patrick Bloche, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004).
 Un rapport officiel analyse tout ce matériau en septembre 2004. De son côté « Accomplir » mène sa propre analyse des avis et souligne les trois thèmes principaux qui sont abordés : la relation au contexte urbain (élargissement du périmètre), le besoin d’une masse végétale au cœur du quartier, le refus d’une densification de l’habitat et des bureaux. «Les critères mis en avant par les visiteurs sont pour la plupart très proches de ceux que nous avions nous-mêmes retenus. La synthèse des questionnaires montre que les aspects positifs du projet Mangin ont été soulignés par de nombreux visiteurs de l’exposition, bien au-delà des seuls riverains ».  L’association en profite pour délivrer des questions complémentaires (21 juillet 2004).  Elles portent sur la densité du bâti, sur l’accessibilité et l’usage du jardin, sur la réalisation d’équipements publics « d’importance métropolitaine », sur la qualité environnementale en liaison avec le développement durable, sur les restructurations indispensables du pôle de transports en commun, sur la circulation automobile, c’est-à-dire sur les problèmes de voirie de surface et de voirie souterraine. Elle se projette déjà vers l’avenir en posant des interrogations sur le phasage des travaux et sur la continuité de l’exploitation durant leur durée. Toutes ces réflexions conduisent évidemment à une préférence pour le projet Mangin.
C’est en novembre 2004 qu’éclate une très vive polémique publique entre « Accomplir », « le Collectif Rénovation des Halles » d’un côté, et la SEM Paris-Centre de l’autre. Le 2 novembre 2004, cette dernière a présenté au groupe de pilotage, son rapport confidentiel relatif aux quatre propositions en lice pour le projet des Halles.  C’est sur la base du rapport de la SEM que la Commission d’Appel d’Offre  de la mairie devra retenir le nom du futur maître d’oeuvre. La confidentialité, dénoncée avec tant de force par « Accomplir », constitue une obligation légale, liée à toute la procédure (constamment renforcée par le législateur), liée aux marchés publics, afin de mettre cette procédure à l’abri des pressions de toutes sortes et aux compromissions, qui ont été si puissantes et si efficaces dans le passé. Mais « Accomplir » transforme astucieusement cette obligation légale en complot anti-démocratique, et la presse, comme l’opinion publique suit cette voie. Un tel rapport est constitué par une comparaison des avantages et des inconvénients des projets au regard du programme défini par le cahier des charges, généralement en attribuant des critères objectifs pondérés d’évaluation à chacun d’entre eux et en désignant, de facto, celui qui obtient la meilleure note.. « Accomplir » qui a eu immédiatement le rapport de la SEM, en dépit de sa confidentialité, déclare vigoureusement qu’il « est scandaleusement orienté et partial ». « Tout est fait pour favoriser le projet Koolhaas au détriment de ses concurrents ». Ce prétendu raté de la concertation est un épisode majeur. La mobilisation associative atteint alors son paroxysme.
Exemples : « Il n’existe pas ou peu d’exemples de dialogue aussi riche que celui qui s’est instauré aux Halles entre les associations et les pouvoirs publics dans la première partie du projet ; le maire de Paris a donc eu raison de tenter l’expérience, mais il ne faut pas l’arrêter en route » ( le président d’« Accomplir », le 20 novembre 2004). « Si la décision concernant les Halles doit être prise « selon des critères objectifs », comme l’a déclaré à plusieurs reprises l’adjoint au maire de Paris chargé de l’urbanisme, nous demandons la transparence des critères et la publication de débats qui conduiront à la décision. Sinon comment ne pas céder au soupçon selon lequel toute cette concertation n’aurait eu d’autre but que de tenter de conditionner les esprits avant une décision arbitraire, du reste peut-être déjà prise depuis longtemps » ( communiqué de presse du Collectif de Rénovation des Halles, 22 novembre 2004).  Ce même collectif rend publique sa réponse au président de la SEM, en insistant sur « le scandale du rapport confidentiel ».  « Accomplir » réévalue ses 51 critères, au regard du rapport de la SEM, et confirme, en l’argumentant, sa préférence pour le projet Mangin.
 Cette mobilisation est payante. Toute la presse parisienne et nationale parle de la question.  Une partie d’entre elle, reprenant les arguments associatifs, met en doute la volonté démocratique du maire de Paris.  La situation peut devenir politiquement dangereuse. C’est l’époque de la publication du fameux article de « Télérama ».  Les associations, par cette campagne, renforcent leur poids dans le rapport de forces.  On voit s’esquisser un front : associations, commerçants, Direction de l’Urbanisme, Verts, qui isole la SEM et qui peut mettre les socialistes en difficulté.

Phase 6 : le choix du lauréat. Et après ?
  Le 12 décembre 2005, au cours d’une conférence de presse, Bertrand Delanoë annonce le choix du projet David Mangin, « le choix de la raison et de l’audace ». Il suit ainsi le conseil de ceux qui lui ont dit « qu’il fallait se garder de projets pharaoniques » (Georges Sarre).
On mesure mal les pressions contradictoires dont le maire a fait l’objet. Deux éléments au moins peuvent être esquissés. 
Le premier est financier. On sait que le maire qui s’est engagé à ne pas augmenter la pression fiscale sur les contribuables parisiens, mais qui veut néanmoins mener un urbanisme actif dans la capitale, recherche prioritairement des financements privés. Au Forum, le financement privé principal ne peut venir que d’Unibail, le très puissant groupe financier qui gère la galerie marchande (à ne pas confondre avec l’association qui regroupe les commerçants). Or Unibail a fait savoir sa préférence pour le projet Mangin. Mieux, il a dit qu’il ne dégagerait des financements que pour ce projet-là, et pour aucun autre. La raison principale est que le projet Mangin est le seul qui ne ferme pas le Forum durant les travaux et qui permet donc la poursuite des activités (le projet Koolhaas prévoit une fermeture au moins partielle, mais d’assez longue durée). Nous avons aussi noté que le projet Mangin, loin de bloquer les commerces, comme cela a été affirmé plusieurs fois par erreur, assure 14 000 mètres2 de commerces supplémentaires et l’ouverture de la galerie marchande sur l’extérieur.
Le second élément concerne le prestige : marquer son mandat dans l’histoire par un monument prestigieux constitue la tentation de tous les grands dirigeants, de Pompidou à Mitterrand.  C’est le projet Koolhaas qui est le plus audacieux, et qui est porté par un des architectes au plus grand renom international.  Jean Nouvel est aussi renommé, mais son projet est moins flamboyant et offre l’inconvénient de beaucoup densifier.  La plus grande partie du cabinet du maire, la majorité des socialistes, les communistes, ainsi, nous l’avons vu, que, dans une certaine mesure, la SEM, poussent en faveur du projet Koolhaas. On admire d’autant plus le courage du maire d’avoir opté pour le projet Mangin et d’avoir fait le deuil (difficile ?) du projet Koolhaas, c’est-à-dire d’avoir trouvé une issue politique qui le sort d’une situation très dangereuse.
Mais alors, le maire a-t-il choisi « une solution minimaliste, manquant totalement de souffle » (Florence Berthout) ?  Est-on dans le cas de figure dont avait parlé Yves Contassot (débat du Conseil de Paris, 6 juillet 2004) : « Un des écueils à éviter serait de dire que, malgré des projets insatisfaisants, nous en choisissons quand même un, au motif qu’il serait le moins mauvais » ?
Les associations crient victoire, à juste titre, peut-être un peu trop fort, car elles ne constituent pas la seule cause du choix final et que le triomphalisme indispose toujours : « Nous remercions le maire de Paris et son équipe d’avoir donné la priorité à une stratégie urbaine et d’avoir refusé de se lancer dans un choix architectural prématuré, avant d’avoir défini un programme urbain et un cahier des charges précis, ce qui va pouvoir être fait maintenant. Enfin, nous sommes très heureux que ce projet se fasse sur la base de la proposition de David Mangin et avec son concours : nous avons en effet soutenu son projet depuis le mois de mai dernier à partir d’une analyse approfondie des quatre propositions, car il est celui, et de très loin, qui a répondu à la question d’urbanisme posée par les Halles de la façon la plus pertinente et la plus efficace » (communiqué du Collectif Rénovation des Halles, 15 décembre 2004).
Dès lors, plusieurs questions se posent. Elles ne sont pas encore totalement clarifiées au moment où nous rédigeons cette étude ( mi-mai 2005).
 Quel est le calendrier exact des prochaines échéances dans le cheminement juridique du projet ?  Assez rapidement, devrait intervenir la déclaration de la ZAC dont le programme devra être soumis à enquête publique. Une autre phase s’ouvrira alors pour la démocratie participative. Si le programme de la ZAC est trop vague, la participation n’aura pas du grain précis à moudre. Si le programme de la ZAC est trop précis, les citoyens diront qu’on ne leur laisse guère de marge de manoeuvre.  Cette phase est toujours délicate.
C’est le fractionnement du dossier qui permettra probablement d’atténuer les tensions.  Le traitement du jardin peut être mis en œuvre assez rapidement, avec la responsabilité pleine et entière de l’équipe Mangin qui dispose d’un paysagiste de renom. Cette opération peut être assortie de la fermeture de la plus grande partie de la voirie souterraine, peu fréquentée, et par conséquent de l’abandon d’un certaine nombre de sorties très décriées. Il ne faut conserver que les accès au parking souterrain et au pool de fret. 
Le second volet est constitué par le concours architectural concernant le Carreau. Le volume prévu par le projet Mangin devra sans doute être modifié, car il est très important.  Il s’agit d’une procédure classique, qui pourrait être mise en œuvre vers 2007 et dans laquelle un représentant des habitants sera obligatoirement membre du jury.
Il faut enfin, aussi vite que possible, régler le problème très délicat de la déconnexion de la gare et du centre commercial.  Koolhaas traite mieux cette question que Mangin et il faudra probablement pousser la RATP à mener de nouvelles études que, dans l’état actuel, elle refuse de financer. Rappelons qu’en juillet 2005, dans le cadre des lois de décentralisation, doit intervenir une réforme du Syndicat des Transports en commun de l’Ile-de-France (STIF) et que les financements incomberont alors à la région.
Quelle est la consistance exacte de la mission confiée à David Mangin ?
  Le Conseil de Paris délibère à nouveau sur le projet des Halles, le 8 février 2005 et décide « de confier à l’équipe SEURA, pilotée par David Mangin, la mission de déterminer le schéma général du projet et les éléments le constituant, afin de permettre à la ville de préparer les dossiers de mise en œuvre opérationnelle (dossier de création et de réalisation de la future ZAC) et d’accompagner leur bon déroulement dans le temps ». La formule est encore assez vague et ne lève pas toutes les interrogations relatives à la mission exacte confiée à David Mangin. Ses réponses, lors de la réunion publique du 13 avril 2005, ne sont pas, non plus, de la plus grande précision.  On peut penser que la mission inclut la réalisation du jardin, la restructuration d’une partie de l’espace piétonnier et la coordination des architectes qui traiteront le Carreau.
Sur quelles bases va s effectuer la mise en œuvre de la démocratie participative durant la période suivante ? Nous verrons quelles sont les propositions qui sont faites à ce jour, dans le cadre d’« une charte de la concertation » (quatrième partie de ce texte).

2. Examen de la concertation au travers des espaces concernés et des problèmes qui s’y posent.
  La concertation sur le projet de rénovation des Halles s’effectue sur un objet exceptionnellement complexe. Nous allons tenter de cerner rapidement à la fois les problèmes globaux qui se posent et ceux qui sont spécifiques aux différents lieux, sans avoir la prétention d’être totalement exhaustif..
 
A. Problèmes globaux
 
1°) Le périmètre géographique de l’opération..
 Des propositions concernent le Forum stricto sensu, mais beaucoup d’autres s’attachent à traiter un périmètre plus vaste, notamment en ce qui concerne les voiries automobiles ou piétonnes et les problèmes de circulation. On peut citer, par exemple, le débouché des voiries souterraines, la voirie piétonne du quartier, le franchissement sécurisé du boulevard Sébastopol, la liaison à améliorer avec le plateau Beaubourg.

2°) La densité.
 Très rapidement, les associations d’habitants ont exprimé leur refus d’une « surdensification », qu’il s’agisse des bâtiments de logements ou de bureaux, mais aussi de surfaces commerciales et d’équipements publics. Elles estiment que le site « qui est minuscule est déjà saturé de commerce, d’équipements et de visiteurs ». (critères d’évaluation d’  « Accomplir »). La crainte quasi générale est que la densification se fasse au détriment du jardin  ou en gagnant sur les hauteurs. « Nous ne voulons pas de tours, ni d’immeubles de grande hauteur, ni dans le jardin, ni en bordure du jardin, ni à la place des pavillons Willerval. Nous souhaitons que la hauteur des bâtiments qui les remplaceront n’excèdent en aucun cas  leur hauteur actuelle (11 à 14 mètres) ». On souligne aussi que de nouveaux bâtiments ne doivent pas boucher des perspectives historiques : celle qui donne sur Saint Eustache et celle qui donne sur la Bourse du Commerce. On comprend mieux le rejet du projet des « derricks » Koolhaas (« les deux tiers de la hauteur de la Tour Saint Jacques » !), ou de la densification importante choisie par Jean Nouvel.
Cependant, certaines contradictions se font jour. On réclame simultanément la construction de logements sociaux qui sont en déficit dans le quartier et qui permettraient de maintenir la mixité sociale. «Nous souhaitons qu’on ne supprime aucun des logements sociaux existants ». «Nous demandons la création de nouveaux logements sociaux et intermédiaires ». La ville répond, à juste titre, que si l’on veut concilier cet objectif avec celui de la non densification, la création de nouveaux logements sociaux ne peut se faire que par l’acquisition par la ville d’immeubles dans le bâti ancien, afin de leur donner les normes et le statut de logements sociaux. On réclame aussi de nouveaux équipements de proximité ou métropolitains. Enfin, les commerçants et l’association qui les représente font constamment pression pour qu’il n’y ait aucune diminution des surfaces existantes et même création de surfaces commerciales nouvelles.
Notons au passage une certaine contradiction avec les idées véhiculées par les partisans du développement durable qui prônent la fin de la croissance périphérique des villes et des agglomérations, afin d’arrêter le grignotage des espaces agricoles et naturels, et la reconquête des centres par leur densification.
Le maire-adjoint à l’urbanisme, responsable de ce dossier, estime que le problème de la densité est le premier à régler et pose les questions que les politiques devraient trancher maintenant, puisqu’ils ne l’ont pas fait dans un débat initial : « Faut-il des surfaces supplémentaires ?  N’en faut-il pas ?  S’il en faut, dans quelles proportions ? Et pour quelles affectations ? » ( Jean-Pierre Caffet, débat du Conseil de Paris, 6 juillet 2004).

3°) La mixité sociale.
Le quartier des Halles actuel présente une indéniable mixité sociale. Il ne s’agit donc pas de l’organiser, comme dans certains quartiers traités par la loi Borloo, mais de la maintenir. La situation n’est pas tout à fait aussi satisfaisante en ce qui concerne la pyramide des âges. La population a tendance à vieillir et le parc de logements et son coût ne permettent guère d’accueillir des familles avec de jeunes enfants venus ou à venir. L’association « Accomplir », qui a beaucoup mis ce thème en avant, propose une série de mesures comme la création de nouveaux logements sociaux et intermédiaires dans le périmètre, avec notamment des logements T3 et T4 permettant d’accueillir des familles avec de jeunes enfants (nous avons vu que ce thème n’est guère compatible avec celui de la non densification); le recensement de tous les appartements inoccupés (ils sont particulièrement nombreux ici) en vue de leur éventuelle réquisition ; des encouragements à la location pour les propriétaires-bailleurs, la création d’une résidence médicalisée pour personnes âgées...
Les SDF posent un problème difficile à régler. On sait que, dans toutes les grandes villes, ils investissent de préférence les centre-villes et les gares. Le Forum remplit à la fois les deux fonctions. Il est vain de vouloir les exclure du quartier, même avec de vastes et constants déploiements policiers. La création d’équipements qui leur soient destinés (accueil, salles de repos), ou le renforcement des services sociaux du quartier qui leur soient ouverts, sont des palliatifs humainement satisfaisants, mais qui ne feront qu’accroître leur présence.
 
4°) La prospective du développement durable.
 La centrale thermique « Climespace », installée dans le périmètre alimente à la fois le besoin en électricité du Louvre et du Forum. Elle empoisonne la vie des riverains depuis des années et les associations demandent son transfert, au bénéfice de la centrale Alma-Marceau, dans le VIIIème arrondissement.
D’une manière plus générale, les écologistes demandent pour le Forum « la création d’un pôle exemplaire d’énergies renouvelables pour viser à l’autosuffisance énergétique » (Jean-François Blet, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004).. Une étude de faisabilité est naturellement nécessaire sur ce point, avec un large appel au solaire. Tous les bâtiments construits devraient présenter le label de Haute Qualité Environnemental (HQE), déjà utilisé maintes fois ailleurs.
 
5°) L’équilibre des fonctions
 « Le mélange entre les équipements collectifs et les commerces qui caractérise le Forum des Halles et a fait son succès, nous paraît harmonieux. Il ressemble à la vie et nous convient parfaitement » ( « Accomplir »).
 Le déséquilibre pourrait venir d’une forte tentation de multiplier les surfaces commerciales dans un lieu aussi central et aussi achalandé. Rem Koolhaas a annoncé la couleur sans complexe et c’est probablement la raison principale pour laquelle les associations d’habitants ont descendu son projet en flammes, alors que la majorité des élus semblaient très séduits par son audace moderniste. Que dit-il ? « Quel est, dans nos pays occidentaux, l’ultime activité commune ? Quels sont les lieux publics où se réunissent en nombre les citoyens ? Le shopping est devenu l’activité ultime de l’espèce humaine » (novembre 2004). « Acccomplir » lui rétorque : « Monsieur Koolhaas propose d’ouvrir le centre commercial sur le jardin. Selon lui, le centre commercial est, sera, ou doit être, la matrice de la ville ! Pas d’accord, Monsieur Koolhaas ! Nous avons l’ambition, avec nos élus et avec d’autres architectes que vous, de garder le contrôle sur l’espace public ! ». Mais le projet Nouvel ajoutait aussi 16 575 m2 de surfaces commerciales supplémentaires, et, nous l’avons dit le projet Mangin, 14 000. La pression de la société marchande semble irrésistible, ici comme partout ailleurs.
Il semble que l’opinion majoritaire soit à contre-courant et dise « qu’il ne peut être question d’ajouter encore des commerces dans un quartier de centre ville où on en compte déjà beaucoup »  (Jean Vuillermoz, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004). « Nous ne voulons pas augmenter les surfaces commerciales » (Jean-François Legaret, même débat).  Plus largement, la question politique n’est-elle pas : pourquoi l’énorme investissement public s’opérerait-il au bénéfice des seuls marchands ? Ce serait renouveler le parti de 1973 dont le résultat principal a été de coiffer la gare du RER d’un centre commercial. Serait-ce donc un parti urbanistique inévitable qui s’impose indépendamment des orientations politiques de majorités municipales ?
 Les habitants ont constaté, dans le Forum et encore plus dans les rues environnantes, la disparition progressive du « commerce de bouche », c’est-à-dire des magasins alimentaires. Il devient de plus en plus difficile aux riverains de s’approvisionner à proximité. Ce sont les boutiques de vêtements, de souvenirs, de gadgets, etc., sans parler des sex shops de la rue Saint Denis, qui, étant plus rémunératrices, remplacent, comme partout, l’alimentation. Les riverains réclament la création d’un marché alimentaire bihebdomadaire de produits frais à proximité du Forum. Leur revendication semble prise en compte par les décideurs. Ce pourrait même être une des premières réalisations du réaménagement, dès l’automne 2005. Les riverains demandent aussi la création d’une grande surface alimentaire dans le Forum. Cela aussi semble acquis
 L’autre déséquilibre pourrait venir de la multiplication des équipements publics et il existe, en effet, de nombreuses revendications sectorielles à ce sujet. Chaque association sectorielle défend la présence d’un lieu correspondant à son objet. Citons par exemple le maintien et l’agrandissement important (doublement de ses locaux ? ) du Conservatoire du Centre, le réaménagement et l’agrandissement, dans un même lieu, de la bibliothèque d’enfants et de la bibliothèque d’adultes, la création d’un pôle de pratiques artistiques amateurs, à partir d’un équipement existant déjà, l’agrandissement et la modernisation de la médiathèque, le transfert dans le Forum de la Maison du Geste et de l’Image installée dans un immeuble voisin, de même le transfert dans le Forum du Pavillon des Arts, la création d’une Maison des services publics, la création d’un accueil de jour supplémentaire pour les sans-abris... Cette pléthore nécessitera un arbitrage politique, car l’addition de toutes les demandes envahirait la plus grande partie de l’espace du Forum !
 
6°) La sécurité.
 Des désaccords très importants d’appréciation existent sur ce sujet. Les décideurs insistent tous sur l’insécurité du Forum et sur la nécessité de prendre en compte, prioritairement, cet aspect dans le réaménagement. « Accomplir » affirme : « Le quartier des Halles souffre d’une mauvaise réputation : il est censé être « mal famé » et dangereux, ce que nous contestons, car nous estimons qu’il est au contraire devenu l’un des endroits les plus sûrs de la capitale. Cela dit, nous souhaitons que les choix d’architecture qui seront faits contribuent à renforcer le sentiment de sécurité, et non, au contraire, à le diminuer ».
 Une proposition consiste à réunir en un seul lieu, moderne, bien équipé en matériel et en personnels, les deux commissariats de police actuellement séparés.
 
7°) Les nuisances du chantier.
 Les riverains posent des questions  concernant la durée des travaux et leur phasage. Ils craignent, bien entendu, de longues et lourdes nuisances, et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils ont choisi le projet qui leur semble provoquer le moins de bouleversements et durer le moins longtemps. Mais, à ce jour, ils n’ont reçu aucune réponse précise concernant cette question ;
Nous avons déjà dit que la fermeture ou non de la galerie marchande durant les travaux avait constitué un élément important du choix final.

B. Problèmes spécifiques.

1°) La gare d’échange et son accès..
« La principale fonction des Halles actuelles est celle d’une gare. .Le problème essentiel est celui de l’importance respective que la Ville accorde à l’aménagement en surface et à l’aménagement en sous-sol » (Georges Sarre, débats du Conseil municipal, 6 juillet 2004). « Les difficultés ne sont pas d’ordre architectural, mais avant tout une question d’optimisation des flux d’hommes, de véhicules et de marchandises dans le cadre concerné ». ( Eric Azière, même débat). « Le Forum, c’est d’abord un noeud de communication central avec un impératif de sécurité » (Patrick Bloche, même débat).
La RATP et le Syndicat des Transports de l’Ile-de-France (STIF) sont en première ligne pour ce qui concerne cet aspect. La gare d’échange et les couloirs n’ont plus les dimensions adaptées au croisement de trois lignes de RER et au passage quotidien de 800 000 voyageurs (mais seulement 125 000 montent et descendent, c’est-à-dire circulent dans les  lieux de passage). Sa sécurisation est aussi impérative qu’urgente. La question majeure est celle que l’on a appelé « la séparation dessus-dessous ». Pour la RATP il s’agit d’écouler le plus rapidement et le plus directement possible le flux des entrées et sorties de voyageurs de l’extérieur vers l’intérieur, et vice versa. On accélère ainsi les passages dans la gare d’échange. Il s’agit au premier chef d’un problème de sécurité, sans parler de l’agrément des voyageurs. On imagine avec effroi les conséquences d’un accident majeur (incendie, attentat...) dans les conditions actuelles d’évacuation.  Les riverains ont peur que ces sorties directes ne se fassent dans le jardin « qui offre un havre de paix qu’il faut protéger ».
Les commerçants ont intérêt à ce que les entrées et les sorties se fassent par paliers, en transitant par la galerie marchande. En y ajoutant une signalétique douteuse, comme c’est le cas actuellement, on piège quelque peu les chalands et on peut améliorer le chiffre d’affaires. Pour eux, séparer radicalement voyageurs et chalands représente un danger. La question est donc bien : le centre commercial doit-il être ou non le passage obligé pour toute fréquentation du Forum ? De nombreux élus politiques, et notamment les Verts, sont partisans d’une sortie directe : « Je suis contre les cheminements complexes au travers du centre commercial, imposés par certaines équipes aux voyageurs. Il faut favoriser l’accès direct des usagers depuis le jardin et par une entrée nouvelle depuis la rue de Rivoli » (Denis Baupin, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004). C’est précisément l’accès direct par le jardin que les riverains combattent farouchement. On est en présence d’un antagonisme fondamental qui ne peut être tranché que par un choix politique.
Certains élus auraient souhaité que soit organisée une consultation des voyageurs (sous forme de questionnaire) pour recueillir un avis, mais cette opération n’a pas été financée et retenue lors de la première phase de la concertation. Il faudra peut-être y revenir.

2°) La voirie de surface et la voirie souterraine.
Il faut naturellement concilier le nouvel aménagement des Halles et l’un des choix majeurs de la municipalité parisienne : diminuer considérablement la circulation de l’automobile dans les quartiers centraux de la capitale. Faut-il ne compter que sur les circulations automobiles périphériques au quartier, pour en faire quasi complètement un plateau piétonnier ? Il est alors nécessaire de sécuriser très sérieusement les traversées du boulevard de Sébastopol (vers le plateau Beaubourg) et de la rue du Louvre dont les trafics s’accroîtront. Faut-il garder (en les modifiant) les circulations traversantes souterraines, avec leurs parkings eux-aussi souterrains ? Une étude montre que cette voirie souterraine est assez peu fréquentée et essentiellement par les habitants des quatre premiers arrondissements de Paris pour des parcours de moins de 3 kilomètres, précisément la cible privilégiée de la municipalité dans sa politique de dissuasion de l’utilisation de la voiture pour de petits parcours intra muros. La fermeture de la voirie souterraine est-elle envisageable, et conciliable avec le maintien des parkings ? « Nous ne voulons pas poursuivre la vocation de cette voirie souterraine qui nous paraît être un équipement complètement dépassé, dangereux et inesthétique » (Jean-François Legaret, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004). « Il faut limiter au maximum le transit automobile... Il ne faut maintenir en sous-sol que les fonctions indispensables liées au parking, aux autocars et aux livraisons » (Denis Baupin, même débat).
Un problème très délicat est posé par la livraison des produits aux commerçants du  Forum et à ceux des rues piétonnes avoisinantes. La RATP et la ville devraient lancer une étude relative à une solution qui permettrait de faire transiter une grande partie de ce flux de marchandises en fret, par le réseau ferré, et de créer une plate-forme intermodale. «  Il faut décider la création d’un pôle de fret intermodal rail-route, pour que Paris soit la première des capitales à réduire drastiquement la pollution et l’effet de serre » (Jean-François Blet, même débat). « Nous souhaitons que les marchandises nécessaires au centre commercial, mais aussi progressivement les marchandises nécessaires à la zone piétonne soient acheminées en sous-sol, et ce à court terme. Et au plus vite que soit étudiée la possibilité d’acheminer ces mêmes marchandises par le rail jusqu’au cœur de Paris, via les voies du RER » ( Denis Baupin, même débat). Il s’agit d’un projet très ambitieux, dont la faisabilité technique et financière n’est pas encore certaine. 

3°) Les équipements publics.
Nous en avons déjà abondamment parlé.Les demandes sont trop nombreuses et devront être arbitrées.  La présence forte d’équipements publics sur le site n’est remise en cause par personne, car il s’agit « d’équilibrer l’omniprésence de la marchandise ».
Mais un débat existe entre les tenants d’équipements publics, relativement modestes, dispersés sur l’ensemble du site, et peu visibles, comme c’est le cas actuellement, et les tenants d’équipements publics regroupés en un bâtiment ou un ensemble de bâtiments prestigieux, répondant au geste architectural attendu, et marquant fortement la présence du public par rapport à celle du privé. « Il faut envisager la construction d’un équipement public majeur, pourquoi pas à vocation régionale, témoignant de la centralité des Halles, comme cœur de la Région Ile-de-France » (Jean Vuillermoz, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004). « Je crois que la réflexion sur un équipement public à la dimension de ce site, c’est-à-dire ayant au moins une vocation régionale, doit être menée. Son affectation reste à définir. J’ai entendu parler de l’Europe, de la recherche, de la culture. Mais alors, il ne faut pas dire qu’il ne faut pas mettre un m2 supplémentaire, alors qu’un équipement de ce type aura nécessairement plusieurs milliers de m2 ! » (Jean-Pierre Caffet, même débat). Certains ont évoqué la possibilité d’utiliser la Bourse du Commerce existante pour cet équipement. Daniel Mangin imagine d’y installer un grand restaurant sous la toiture.

4°) Le jardin.
« Le jardin, seul espace vert du centre, est vital pour ceux qui vivent alentour » (Jacques Boutault, débats du Conseil de Paris, 6 juillet 2004).
Nous avons gardé pour la fin le segment du dossier qui fait l’objet de toutes les attentions des riverains. Le jardin actuel est fragmenté en un jardin d’aventure, un espace pour les enfants et les tout petits, un amphithéatre (René Cassin) garni d’une sculpture, « La Grosse Tête », à laquelle les habitants ont l’air de beaucoup tenir, un mail dont les arbres (des tilleuls) ont bien prospéré et qu’il serait coupable de supprimer. Le tout mesure 43 000 mètres carrés au sol, mais seuls 19 000 mètres carrés sont actuellement utiles. Les 24 000 mètres carrés qui manquent sont soit minéraux, soit interdits au public pour des raisons de sécurité.
Plusieurs polémiques ont éclaté à son sujet. Est-il « sinistré », comme certains l’ont affirmé et doit-il, par conséquent, être restructuré de fond en comble ? Ou bien, comme d’autres l’affirment, un simple réaménagement est-il possible, avec le savoir-faire déjà éprouvé des services de la ville et avec la conception et la direction de David Mangin et de son paysagiste ? D’autres voudraient en profiter pour réaliser un jardin « inédit », à la suite d’un concours international d’architectes-paysagistes. Cela serait aussi important pour la modernité qu’un « geste de béton, d’aluminium et de verre ».
Ce jardin est-il vraiment fréquenté par les gens du quartier ? Certains le trouvent trop souvent presque vide. D’autres contestent cette affirmation : les riverains utilisent beaucoup le jardin de jeux d’enfants (espace Lalanne). Ils y prennent le frais, le soir quand il fait beau. Les joueurs de boules sont nombreux. Les salariés du quartier y mangent sur le pouce le midi. Les touristes fatigués de marcher s’y arrêtent. On cherche à traverser le quartier par l’espace vert ;  les cheminements nord-sud et est-ouest pourraient bénéficier d’améliorations et de simplifications. L’étude sociologique d’un chercheur du CNRS donne quelques indications sur la fréquentation et les usages du Jardin des Halles (réalisée en novembre 2002 et communiquée en mars 2003, voir le site d’« Accomplir »). Ce qui est certain, c’est que le jardin est très encombré par les trémies d’aération des circulations souterraines, les enclos techniques et de camouflage des dispositifs de sécurité, les cabanes et réserves des jardiniers...., qu’il est rempli de chicanes, de recoins favorables aux dealers, de barrières, de fontaines, d’escalators... Les bancs ont en partie disparu pour qu’ils ne servent pas de lieux de rassemblement aux sans abris et autres errants. Les toilettes publiques sont absentes et les soulagements sauvages empuantissent le jardin quand il fait chaud...
Les associations refusent le parti de certains projets qui achèvent d’encombrer l’espace planté, de terrasses de café, d’aubettes, voire de commerces, « attentatoires à sa gratuité », et « symbole de l’envahissement de la marchandise dans l’espace public ». « Accomplir » qui propose de très nombreuses mesures très détaillées pour améliorer l’aspect et le fonctionnement du lieu, résume « Nous ne voulons pas que le jardin soit minéralisé, mais qu’il reste planté d’arbres et de pelouses, d’un seul tenant, continu ou non morcelé, non constructible ».
Il faudrait aussi parler de son animation régulière et occasionnelle (quels événements y organiser ?). Même si les riverains veulent un jardin calme, ne faut-il pas quelques activités pour le rendre vivant ?

3°) Examen de la concertation au travers de ses acteurs
Cette partie mérite certainement un plus long développement. Nous n’en donnons ici qu’une esquisse.  Il s’agit d’examiner quels sont les acteurs qui interviennent dans le dossier du Forum des Halles et surtout quel rôle exact est joué par chacun d’eux. Nous reprenons ici la classification des acteurs de la démocratie participative, aujourd’hui admise par tous, selon la configuration d’un trépied : les décideurs politiques, les opérateurs techniques, les citoyens et habitants.

a) Les décideurs politiques.
 Il est caractéristique de notre système juridique que tous les acteurs et les medias aient ramené la décision à la seule personne du maire. C’est, en particulier, de lui que l’on a attendu, en juillet, puis en décembre 2004, la désignation du cabinet lauréat. On minimisait ainsi toute décision collective, voire collégiale. Il n’est pas possible de connaître, en dehors de quelques indiscrétions, de quelle façon la décision du maire s’est formée : les relations interpersonnelles entre le maire et son adjoint chargé de l’urbanisme, les discussions au sein de son cabinet, les discussions au sein du groupe informel que représentent les dirigeants des partis coalisés pour former la majorité municipale, et même les discussions de la municipalité (le maire et les adjoints) ne donnent pas lieu à des comptes-rendus officiels que nous pourrions analyser. Les seuls documents officiels que nous possédons sont, par conséquent, les comptes-rendus des débats et délibérations du conseil de Paris, essentiellement ceux du 11 décembre 2002, pour ce qui concerne l’engagement dans la rénovation et le choix de la SEM Paris-Centre pour le suivi des études préalables ; ceux du 6 juillet 2004, que nous avons abondamment cités, constituant une discussion d’étape après la connaissance de quatre projets d’aménagement pour « la mise en valeur du quartier des Halles » ; ceux du 8 février 2005 confiant à l’équipe Seurat, pilotée par David Mangin, « la mission de déterminer le schéma général du projet et les éléments le constituant, afin de permettre à la ville de préparer les dossiers de mise en œuvre opérationnelle de l’opération (dossier de création et de réalisation de la future ZAC) et d’accompagner leur bon déroulement dans le temps ».
 En plus des déclarations lors de ces différentes réunions du Conseil de Paris, ceux qui voudraient connaître plus en détail le point de vue personnel du maire disposent d’un  document  récent : son  allocution  lors de sa conférence de presse du 12 décembre 2004 ( site de la SEM Paris-Centre) ; on trouve aussi l’enregistrement exhaustif de cette conférence de presse et une interview particulière sur le site d’ « Accomplir » ; 
 La personnalisation excessive de la décision politique simplifie, certes, l’identification du décideur par les autres acteurs, mais, par ailleurs, elle oublie tout le lent et complexe processus de discussion, préalable à la décision, qui anime le groupe dirigeant ; elle ignore aussi tout le travail des groupes de pression qui cherchent à influencer le décideur ultime en agissant sur son entourage. Il est donc très abusif de dire, comme l’a fait presque toute la presse, que les choix relèvent « du seul fait du prince ». Tout au plus, le prince est-il largement éclairé, s’il a écouté et intégré les points de vue contradictoires exprimés, directement et indirectement, par les autres acteurs, avant d’en faire une synthèse qui détermine son choix. Mais l’observateur extérieur ne peut guère pénétrer dans cette sphère qui reste confidentielle, à moins de se transformer en journaliste d’investigation et d’arracher des confidences aux membres du premier cercle. Autrement dit, la décision résulte d’un double phénomène : d’une part, elle constitue la synthèse de tous les processus d’instruction, au sein desquels il faut compter les pressions politiques, les contraintes techniques et les remontées de la démocratie participative ;  d’autre part, elle comporte une part de choix d’intime conviction personnelle de la part du décideur, à laquelle l’observateur n’a pas accès. Notre droit induit cet exercice solitaire. La limite de la démocratie participative est bien constituée par le non-partage du pouvoir final de décision.
 Pour être exhaustif, il faudrait aussi analyser les débats et les actes de la Commission d’Appel d’Offres (CAO) de la ville de Paris. Elle rassemble des élus de tous les groupes politiques et son rôle dans la préparation de la décision finale mériterait aussi d’être approfondi.
 Enfin, il a été mis en place, dès le début, un groupe de pilotage du projet, rassemblant élus et institutionnels, présidé par le maire de Paris et ayant deux vice-présidents : le maire du Ier arrondissement, qui appartient à l’opposition parisienne, et l’adjoint à l’urbanisme de la mairie centrale, qui appartient, bien entendu, à la majorité. Dans le schéma classique de la concertation, c’est cette instance politico-administrative qui doit jouer le rôle d’interlocuteur principal pour les citoyens et les usagers. Elle ponctue le déroulement de l’opération par une série de décisions intermédiaires qui constituent à la fois la conclusion de la phase précédente et le cadre dans lequel va sa dérouler la phase suivante : phase de diagnostic (partagé), phase de fixation des objectifs stratégiques, phase de programmation proprement dite, en particulier par l’établissement du cahier des charges pour la maîtrise d’œuvre, phase de la conception finale, par ajustement du programme et du projet, phase de la réalisation, phase de l ‘évaluation ex-post. Il est capital, pour que la concertation reste parfaitement claire aux yeux des citoyens et des usagers, que cette identification des phases successives soient nettement marquée. Les décisions conclusives de chaque phase doivent être fortement actées, par des sortes de documents contractuels entre les différents acteurs qui reconnaissent que l’on a réussi à se mettre d’accord à telle étape, et que l’on peut donc aller plus loin ensemble. Des débats publics doivent conclure chacune des phases et amorcer la suivante. Certains spécialistes parlent ainsi de « programmation générative », la fin, officiellement et collectivement constatée, de chaque phase générant la suivante.
 Dans le cas du Forum des Halles, il est évident que cette rigueur méthodologique a fait presque totalement défaut. D’une part, les interlocuteurs associatifs des décideurs et des institutionnels ont été le plus souvent incapables de savoir à quelle phase du processus ils se situaient exactement et confondaient, par exemple, concours, projet, programme ; d’autre part ils ne possédaient pas de documents sûrs, terminant une étape, et leur permettant de s’engager avec fermeté et pertinence dans la suivante. Cette incertitude  explique, par exemple, les erreurs de jugement sur la nature juridique et pratique des quatre projets retenus (beaucoup croyaient que le projet retenu serait réalisé tel quel, n’ayant pas compris qu’il s’agissait d’un concours d’idées, dans le cadre nouveau d’un marché de définition), sur les missions exactes confiées au cabinet lauréat, sur ce qui va se passer maintenant. C’est naturellement sur l’articulation entre les phases qu’il faut faire porter le plus gros effort de politique de communication : rapports entre le diagnostic et le projet, rapports entre le projet et le cahier des charges imposé aux candidats, rapports entre ce cahier des charges et le jugement porté sur les différents projets, afin que le choix du lauréat s’effectue avec le maximum d’objectivité, rapports entre le projet retenu et le programme…
 On peut s’interroger sur les causes de ce relatif ratage. Sur un fond politique, que l’on peut estimer sincère, qui consiste à faire fonctionner sur ce dossier un processus exemplaire de démocratie démocratique, on peut penser que la réflexion méthodologique a été insuffisante. La générosité de l’intention ne suffit pas. L’exercice de la démocratie participative demande de la rigueur et du temps, et ici on a nettement brûlé les étapes initiales, principalement celles du diagnostic partagé et de la déclaration publique des objectifs stratégiques. On peut aussi parler de la faiblesse du groupe de pilotage qui n’a pas pleinement joué son rôle. Il s’est certes réuni, mais il n’a pas pris et affiché des positions fermes et publiques à chaque articulation de la procédure.
 Notons enfin l’absence presque totale et assez incompréhensible de la région et de ses instruments techniques dont l’apport méthodologique aurait pu être précieux. ( l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France (IAURIF) qui aurait eu beaucoup de choses à dire, puisqu’elle a suivi de près et analysé la concertation relative au dossier Paris-Rive-Gauche, l’Atelier Public d’Urbanisme (APUR) qui s’est beaucoup impliqué sur ce même dossier jusqu’à une période récente). La ville entendait-elle rester maîtresse chez elle et ne pas donner au dossier une importance métropolitaine ? Le Conseil régional souhaitait-il rester au maximum à l’écart, afin de ne pas être engagé dans des co-financements importants ? En dépit de la similitude de la majorité politique entre les deux instances, la concertation interinstitutionnelle ne semble avoir guère fonctionné. De toute manière, avec les modifications de compétences de l’acte II de la décentralisation, la région sera plus impliquée que jamais dans la réalisation et les financements concernant les transports en commun (articles 37 à 43 de la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales). Le Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF), redéfini par la loi, sera l’opérateur politique, administratif et technique majeur pour cet aspect du dossier qui n’a été que très marginalement traité jusqu’alors. Nous avons déjà fait remarquer que les quatre projets retenus, et par conséquent le projet lauréat, s’étaient beaucoup plus préoccupés du dessus que du dessous. D’autres pistes seront alors ouvertes à la concertation, avec un considérable élargissement des interlocuteurs citoyens et associatifs, puisqu’il ne s’agira plus seulement des habitants et des riverains, mais de tous les usagers de la gare d’échange.

b) Les opérateurs techniques.
 Il s’agit du deuxième élément du trépied de la démocratie participative.
 La Direction de l’Urbanisme de la Ville de Paris est naturellement en première ligne. C’est elle qui a rassemblé les premiers éléments du dossier pour permettre la première délibération du Conseil de Paris, le 11 décembre 2002. C’est elle qui prépare et qui anime les réunions de concertation avec les associations. C’est elle qui supervise la délégation confiée à la SEM Paris-Centre. C’est elle qui instruit les autres décisions que le Conseil municipal ou le maire doivent prendre. C’est elle qui consulte les associations sur les formes contractualisées de la concertation future, qui propose sa propre vision des choses, qui tranchera in fine (voir la quatrième partie de ce texte).
 La Société d’Economie Mixte (SEM) de Paris-Centre a  été, on l’a vu, chargée « du suivi des études préalables », par la délibération du Conseil de Paris du 11 décembre 2002. Elle a organisé de nombreuses rencontres avec les équipes de concepteurs. Simultanément, elle a organisé de nombreuses rencontres avec les associations à vocation globale (en particulier le 13 octobre 2003 et le 16 décembre 2003) ou avec des interlocuteurs sectoriels. La réponse du président de la SEM à la contribution d’ « Accomplir » (27 février 2004) constitue un élément important du dialogue. On ne peut donc pas accuser la SEM, comme l’ont fait certains, d’avoir travaillé  en dehors de l’esprit de la concertation.
 Mais, nous l’avons déjà noté, un scandale, orchestré par « Accomplir », éclate à propos de la synthèse des quatre projets retenus, effectuée par la SEM (« synthèse des réponses posées aux quatre équipes », 15 septembre 2004). « Accomplir », et c’était facile et stratégiquement astucieux, a joué sur le caractère « confidentiel » de ce rapport, qui constitue d’ailleurs plus une analyse comparative des réponses qu’une synthèse. « Accomplir » affirmait aussi que ce rapport était outrageusement partial et qu’il optait nettement pour le projet Koolhaas, « alors que l’on attendait plus d’objectivité technique de la part d’un tel document et d’un tel organisme ». C’était méconnaître la mission, juridiquement encadrée, de la SEM, dont le rapport doit en effet éclairer les discussions de la Commission d’Appel d’Offres, qui, elles-mêmes, restent confidentielles, pour assurer l’impartialité maximale, jusqu’au choix du lauréat. Le rapport de la SEM, d’après la loi, ne peut pas être un document public, soumis à la concertation, mais un élément de la chaîne interne de la décision, dans le domaine des marchés publics. Les dérapages nombreux et connus dans l’attribution des marchés publics (notamment avec l’ancienne municipalité parisienne) ont poussé le législateur à intervenir plusieurs fois pour renforcer les protections de la confidentialité et de l’objectivité. Cette confidentialité est destinée à empêcher, ou du moins à réduire, les pressions extérieures, des politiques, des opérateurs, mais aussi des groupes de pression associatifs. On touche là du doigt une autre limite de la démocratie participative qui ne prend pas part à la phase ultime de la décision.
Réagissant au chiffon rouge, agité par « Accomplir », tous les partisans du projet Mangin, finalement retenu, se sont alors mobilisés contre la SEM. Cette campagne, relayée par la presse et qu’un journaliste a qualifié « de bruit et de fureur » mériterait d’être longuement analysée. « Accomplir », jetant toutes ses forces dans la bataille, y a utilisé ou fait utiliser toutes les armes possibles.

c) Les citoyens, les habitants et leurs associations.
 Voici le troisième élément de notre trépied. Il convient de distinguer les associations à vocation globale, c’est-à-dire prenant en charge, de façon transversale et exhaustive, tous les problèmes du territoire, et les associations sectorielles n’intervenant que sur un aspect du dossier.
 
Nous avons déjà abondamment cité « Accomplir », la première association d’habitants à s’être constituée et exprimée avec force, de manière constante, tout au long de cette histoire. De décembre 2002 à juillet 2003, elle est quasiment en situation de monopole dans la représentation des habitants et gardera constamment de l’avance par rapport à toutes les autres associations, grâce à sa débordante activité et à sa connaissance, constamment actualisée, du dossier. Son information immédiate, relative à toutes des pièces et péripéties de la procédure, avant même toute information publique officielle, font inévitablement penser que l’association bénéficiait de complicités dans la place, et que l’administration contribuait à la construction d’un interlocuteur unique qu’il serait relativement facile d’instrumentaliser. Comme toujours dans ce cas, on peut se demander qui manipule l’autre : l’association manipule-t-elle l’administration  ou l’administration manipule-t-elle l’association ? Le site Internet d’« Accomplir » est incontournable, au même titre que celui de la ville de Paris et celui de la SEM.
Classiquement, « Accomplir » accroît son influence grâce à  deux élargissements. En juin 2004, elle est à l’initiative de la création du « Collectif de rénovation des Halles » qui rassemble 26 associations sectorielles. C’est sous cette étiquette, plus large, que seront menées les principales actions ultérieures, notamment la dénonciation de la partialité de la SEM et la promotion du projet Mangin. Jouant de son antériorité, de sa connaissance du dossier et de sa prétention à une certaine complicité avec les décideurs, « Accomplir » peut facilement faire comprendre aux associations sectorielles que leurs revendications particulières seront plus facilement prises en compte si elles passent par sa médiation.
Le second renforcement résulte de la recherche d’une mise en réseau. « Accomplir » obtient, avec de plus en plus de force, l’intervention de « la Plate-forme parisienne d’associations d’habitants », créée en 1967 et qui s’est beaucoup  manifestée à l’occasion de la première rénovation des Halles dans les années 1968-1970. « Accomplir » multiplie aussi les liens avec d’autres associations territoriales qui ont mené, sur d’autres arrondissements de Paris, des luttes urbaines ou des tentatives diverses de démocratie participative. Il faut citer, en premier lieu, les associations qui interviennent, depuis de nombreuses années, à propos de la ZAC Seine-Rive-Gauche : notamment l’association « Tam-Tam » ou « l’ADA 13 », une des plus grosses et des plus anciennes associations d’habitants de Paris qui, entre autres, a réussi à limiter et à arrêter la construction de tours dans le secteur de la place d’Italie. Il s’agit non seulement de capitaliser l’expérience d’autres associations, mais encore de démontrer que la mobilisation citoyenne peut être efficace, même devant de gigantesques et complexes dossiers d’aménagement et d’urbanisme. On peut aussi citer l’association « Petite Ceinture, grand Paris » qui a lutté, jusqu’ici en vain, pour la réaffectation de la vieille rocade ferrée aux transports en commun.
 Une seconde association à vocation globale, « Paris des Halles » est créée en décembre 2002. D’autres apparaissent ensuite, particulièrement dans la période récente qui promet une charte de la concertation et la présence d’un membre de chaque association  dans un « Comité de concertation ».« Paroles des Halles » est un collectif rassemblant une douzaine d’associations, à l’initiative de « Paris des Halles ». Cette structure est animée en particulier par des dissidents d’ « Accomplir ». Le « Forum Social Local (FSL) de Paris-Centre », dans lequel ATTAC joue un rôle moteur, a longtemps été polarisé par d’autres combats nationaux et internationaux. Il a tardé à s’investir dans le local, mais il fait fonctionner depuis plusieurs mois, un « Atelier des Halles » qui a émis un jugement motivé sur les quatre projets et qui joue un rôle de plus en plus actif dans la concertation. « Glob’Halles est une association très récente. La liste ne manquera pas de s’enrichir dans les mois qui viennent.
 Le compte-rendu de la réunion de concertation du 13 avril 2005, organisée par la Direction de l’Urbanisme de la ville, est particulièrement intéressant (compte-rendu intégral sur le site d’« Accomplir »). Il illustre le développement d’une vive concurrence interassociative, l’activisme et le triomphalisme d’ « Accomplir » ayant polarisé les oppositions associatives cherchant à briser sa  primauté. La plus grande partie de la réunion a été paralysée par ces oppositions, empêchant de traiter sérieusement le problème qui était à l’ordre du jour, à savoir l’adoption d’une charte de la concertation.
En ce qui concerne le fond, il s’agit bien de distinguer entre le problème de la légitimité de toutes les associations et le problème de leur représentativité. La suite de la concertation risque d’être fortement handicapée par le trop plein de candidats à la représentativité autoproclamée, et quasi impossible à mesurer scientifiquement, objectivement. Cette situation peut surtout de profiter aux décideurs, politiques et techniques qui auront en face d’eux un front désuni.
 On peut s’inquiéter de la faiblesse de l’intervention des conseils de quartier de l’arrondissement, et des arrondissements voisins, si l’on élargit le périmètre de la concertation. Il faut rappeler qu’il existe quatre conseils de quartier dans le Ier arrondissement : Saint-Germain, Vendôme, les Halles et Palais Royal. Ici, trois élus, dont le maire, sont membres de droit des conseils de quartier. Initialement, le maire désignait les autres membres, sans qu’il soit facile de savoir sur quels critères objectifs. Aujourd’hui, le conseil d’arrondissement, sur proposition du maire, agrée automatiquement toute candidature qui se manifeste. Elles ne sont malheureusement pas très nombreuses. Le maire convoque les réunions publiques des conseils de quartier et en fixe l’ordre du jour. Ces réunions réunissent de 10 à 50 personnes. Seul le conseil de quartier des Halles possède un bureau et semble avoir une activité notable, mais tous les autres acteurs s’accordent pour regretter qu’il ne se soit pas plus fortement impliqué dans le dossier de la rénovation. On peut espérer une intervention plus importante à l’avenir. Par contre, il a joué un rôle important dans la concertation relative au Plan Local d’Urbanisme (PLU). Ailleurs, les activités de fêtes de quartier prédominent. Le Comité d’Initiative et de Consultation d’Arrondissement (CICA), structure de concertation rassemblant les associations de l’arrondissement, créée en 1982, à la suite de la loi Paris-Marseille-Lyon (PML) qui les a rendues obligatoires, a aussi consacré quelques débats au projet de réaménagement des Halles.
 Il n’est pas question de citer ici toutes les associations sectorielles qui interviennent sur ce dossier. Citons celles qui se sont le plus manifestées. Le Conservatoire de musique du Centre de Paris est  situé dans le périmètre du Forum. Depuis février-mars 2003, l’association de parents d’élèves qui existe ici comme dans tous les conservatoires, jette un cri d’alarme concernant l’exiguïté et la vétusté des locaux, alors qu’il s’agit du Conservatoire « qui compte le plus d’enfants primés aux examens ».  Il semble qu’à cette époque, la concertation ait été difficile à propos d’une éventuelle rénovation. La gestion de l’ancienne direction, de 1997 à 2001, est contestée. En avril 2003, un audit est entrepris, mais il est annoncé qu’il ne sera pas rendu public. Le conseil de Paris doit accorder une subvention exceptionnelle pour permettre au Conservatoire de continuer de fonctionner. Le maire adjoint à la culture de la ville de Paris annonce que « le projet de rénovation des Halles sera l’occasion de moderniser et de développer le Conservatoire du Centre ». On comprend donc qu’une nouvelle association de parents d’élèves du Conservatoire, née en juin 2003, se soit immédiatement impliquée dans le dossier des Halles. « Accomplir » s’engage aussitôt auprès de cette association pour participer au pilotage du « projet d’établissement ».
 Le Conseil de la Jeunesse du Ier arrondissement devrait avoir du grain à moudre, avec la présence d’un important flux de jeunes dans le quartier et la présence d’équipements nombreux et divers destinés à la jeunesse, dans le périmètre du Forum ou à proximité. On n’a malheureusement pas constaté sa présence active dans le dossier des Halles.
 Les commerçants de la galerie marchande constituent un acteur majeur de la société civile. 160 commerces sont réunis dans un Groupement d’Intérêt Economique (GIE) : « Espace Expansion » qui a entamé un dialogue suivi avec « Accomplir » et qui a pris position en faveur du projet Mangin. Il faut bien distinguer cette structure d’ « Unibail », groupe financier de première importance qui gère la Galerie marchande et dont nous avons déjà dit qu’il avait pesé de toute sa puissance pour que le projet Mangin soit choisi. Dans les rues avoisinantes, les commerçants sont omniprésents. La société « Les artisans du Palais » gère chaque année une foire commerciale sur la place des Innocents. Tous ces acteurs sont, bien entendu, attentifs à l’évolution de la situation et constituent des groupes de pression dont il faut tenir compte.
 Les questions sociales préoccupent plusieurs associations du quartier qui espèrent profiter de la rénovation pour améliorer la situation des populations les plus démunies, en créant des équipements nouveaux et des services. Nous avons déjà parlé des jeunes. Il existe aussi une réflexion associative qui mériterait d’être développée, à propos de la présence massive des SDF dans le quartier. Dès février 2002, le problème est analysé dans le cadre de l’établissement du contrat local de sécurité. Des associations luttent pour qu’il soit reconnu qu’il ne s’agit pas d’un problème de police, mais d’un problème de société. Citons les deux principales : « le Collectif La Rue »  qui fédère de très nombreuses associations et organismes venant en aide aux gens de la rue dans le centre de Paris ; l’association « Agora Emmaüs », très active ici. L’installation, en mai 2004, d’un centre de soins spécialisé pour les toxicomanes, dans la rue Saint Denis, est l’aboutissement d’une lutte associative locale.
 Toute cette activité associative concerne le périmètre restreint de l’opération des Halles. Dans la première partie, nous avons souligné deux problèmes majeurs qu’il faut rappeler ici.
Les associations sont précieuses, indispensables, comme médiatrices de la démocratie participative. Mais elles ne représentent pas toute la population concernée. Les études sociologiques, au premier rang desquelles celles du regretté Albert Meister, montrent que la vie associative  est socialement sélective : sur-représentation des couches moyennes et des jeunes retraités, sous-représentation des couches populaires, des jeunes et des étrangers. Il faut, parallèlement avec la concertation menée avec les associations, mettre en œuvre des méthodes qui permettent de toucher des citoyens « de base » qui ne s’expriment pas par la médiation associative  et que cette dernière ne représente pas. Ces méthodes existent et ont été éprouvées positivement ailleurs sur d’autres dossiers. Il ne semble pas qu’elles aient été tentées ici, ni par la RATP, vis-à-vis de ses usagers, ni par les commerçants, vis-à-vis de leurs chalands, ni par les politiques, vis-à-vis des citoyens « epsilon » qui ne s’expriment pas par le biais des associations. Les expositions, et les cahiers de doléances auxquelles elles donnent lieu, ne pallient que très partiellement cette carence. Les grandes réunions publiques sont indispensables, mais elles donnent plus souvent la parole aux responsables associatifs qu’aux citoyens de base. La méthode du double collège employée dans certains arrondissements pour la composition des conseils de quartier met sur pied deux représentations parallèles et égales, celle des associations et celle des citoyens tirés au sort. Pour la suite de la concertation qui sera plus formalisée, il serait utile d’inventer, aux Halles, un système qui permette ne pas s’en tenir à la seule représentativité associative, si indispensable et si riche soit-elle.
Le dernier problème, déjà posé, est celui du périmètre de la concertation. Les Halles ne sont pas la propriété de leurs riverains. Jusqu’à présent la réflexion a été très insuffisante sur la manière d’associer les personnes intéressées dans un périmètre plus vaste : usagers de la gare d’échange, venant parfois de très loin, chalands parisiens, nationaux et internationaux de la galerie marchande, touristes du monde entier. On ne peut noter qu’une intervention de la Fédération des Usagers des Transports en Commun. Même si l’intensité de la concertation ne peut pas être aussi forte pour ces acteurs plus lointains, il serait tout de même très utile de recueillir des points de vue, pour l’enrichissement du dossier et la pertinence de la prise de décision.

4. Examen de la concertation au travers de ses modalités.
 Alors que dans sa première période, jusqu’au choix du projet Mangin, la concertation s’est effectuée sans cadre méthodologique directeur, fixé par un texte, les associations ont ardemment demandé, et la Direction de l’Urbanisme a accepté, que la deuxième phase qui s’ouvre maintenant soit encadrée par un document contractuel : charte, convention ou autre.
 En fait, dès le début 2004, la « Plate-forme parisienne d’associations d’habitants », forte de son expérience de 1968-1970, a réclamé ce genre de document, afin que les engagements des décideurs, concernant l’intervention des citoyens et des habitants soient clairement affirmés et fassent l’objet d’une convention contractualisée. Tous les acteurs associatifs, y compris « Accomplir » et « Rénovation des Halles », se sont alors tournés vers une association de recherche, liée à l’Institut d’Urbanisme  de  Paris (IUP) de l’Université  de  Paris XII-Val de Marne, l’EPPPUR, ( « Evaluation des Pratiques, des Projets et des Paysages Urbains »). Cette structure mène depuis plus de cinq ans des actions de recherche-action, sur des terrains variés, et des missions de conseil relatives aux démarches participatives en architecture et en urbanisme.  Elle peut aussi faire état de nombreux écrits décrivant une méthode, éprouvée sur le terrain, de « programmation concertée et participative ».
Pour répondre à cette demande de conseil émanant des associations, l’EPPUR a alors fourni un document de portée générale, mais pouvant être adaptée au cas particulier des Halles. Il s’agit d’une « contribution à l’élaboration d’une charte de programmation concertée et participative » (texte complet pouvant être consulté sur le site de l’IUP de l’université de Paris XII,  et repris avec des explications concernant la méthodologie, les circonstances et les modes d’application au dossier des Halles, dans le numéro 342 (mai-juin 2005) de la revue « Urbanisme ». 
Ultérieurement, comme nous le verrons, « Accomplir » et « Rénovation des Halles » se sont retirés de cette commande et ont conçu leur propre projet de charte.
 Le 15 décembre 2004, la mairie de Paris organise une conférence de presse pour présenter le résultat de la Commission d’Appel d’Offres concernant le marché de définition. Daniel Mangin est lauréat. La Direction de l’Urbanisme se félicite du « succès auprès de l’ensemble des usagers de ce site », de la première phase de concertation engagée à l’occasion des études préalables et notamment du marché de définition. Le maire affirme avec beaucoup de force que la concertation va continuer : « La concertation n’est pas terminée : nous faisons aujourd’hui des choix d’orientation et la concertation va se poursuivre à travers le processus de la ZAC. Nous allons pouvoir prendre notre temps et prendre des décisions mûrement réfléchies comme nous le faisons aujourd’hui, et chacun sera invité à donner son point de vue ». Les acteurs associatifs en concluent immédiatement qu’ils doivent faire des propositions, afin de donner un cadre plus clair, encadré juridiquement, à la nouvelle phase de la concertation.
 
a) Critique de la période de la concertation à partir des neuf critères de la charte de la concertation de 1996 (ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement).
Sur quelles bases s’appuyer pour travailler ce texte ?
A l’occasion d’une réunion publique, le 22 janvier 2005, le collectif « Renouveau des Halles » utilise la Charte de concertation, établie par le ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, datée du 5 juillet 1996, (au temps de Corinne Lepage), pour établir le bilan de la première phase de la concertation. C’est aussi cette charte qui sert de base aux propositions de l’EPPPUR qui en réécrit cependant complètement l’article 6, afin de la rendre plus opérationnel.
 En 1998, le véritable traité international que constitue la Convention d’Aarhus (ratifiée par la France en février 2002) oblige les signataires « à organiser une concertation avec l’ensemble de la population »…  « pour tous projets importants en terme d’aménagement qui peuvent avoir un impact sur l’environnement ».  Il s’agit en somme d’une sorte d’élargissement des motivations qui avaient présidé à l’adoption de la charte de 1996. La loi Barnier et l’organisation, en France, des premiers grands débats publics, encadrés par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), sont aussi à replacer dans ce cadre. ( voir les fascicules édités par la CNPD, sur « la conception du débat public et sa mise en œuvre »). L’agrandissement du Port du Havre, le passage de lignes à haute tension au travers des Pyrénées, le troisième aéroport parisien, sont autant de dossiers qui ont été traités de cette manière. Mais un dossier de la nature et de la taille de celui du Forum des Halles entre-t-il dans cette catégorie ? Peut-on obliger la ville de Paris à adopter ce type de procédure ? Personne ne semble d’ailleurs le demander. 
Quoi qu’il en soit, il est utile de partir de la charte de 1996, quelque peu oubliée de 1996 à 2004, et qui ressurgit ici. Elaborée de manière assez confidentielle, en petit comité d’experts, avec une forte influence de l’association « France-Nature-Environnement » et du « Carrefour National des Associations de Quartier » (CARNAQ), elle est citée en annexe du rapport de Nicole Questiaux, au Conseil d’Etat, commandé par Lionel Jospin et relatif à « l’utilité sociale aujourd’hui », en fait, plus exactement, au contentieux en matière d’urbanisme ( La Documentation Française, décembre 1999, annexe 6 du rapport). La perspective est ici un peu différente : il s’agit d’alléger le contentieux des juridictions administratives, en inflation constante. Pour ce faire, afin d’éviter les plaintes a posteriori des citoyens et des associations, il serait plus judicieux de faire fonctionner, a priori, une concertation authentique qui désamorcerait une partie des oppositions. L’application des principes de la charte de 1996 serait un bon outil pour cette politique intelligente et démocratique.
Constatant que « le besoin de concertation est un phénomène de société », que « la concertation constitue un enrichissement de la démocratie représentative par une démocratie plus participative » et qu’elle exige « un changement des mentalités et des comportements », cette charte propose neuf principes faisant l’objet de neuf articles.
 Premier principe : « la concertation commence à l’amont du projet ».
 Deuxième principe : « La concertation est aussi large que possible ». « La concertation doit associer tous ceux qui veulent y participer, notamment élus, associations et particuliers. Elle ne se limite pas à la population riveraine du projet, mais s’étend à l’ensemble des populations concernées par ses impacts… ». Insistons sur le terme : « et particuliers ». La charte ne donne pas l’exclusivité de la représentation aux associations. Elle demande aux décideurs de la conduire également avec les citoyens et usagers « ordinaires ».
 Troisième  principe  :  « La  concertation  est mise en œuvre par les pouvoirs publics ». «  La mise en œuvre de la concertation procède d’une volonté politique. Il incombe donc aux pouvoirs publics (élus, administrations) de veiller à sa mise en œuvre… ». Notons au passage qu’on se trouve bien dans une logique descendante, celle d’une concertation octroyée par les pouvoirs, et non dans le cas d’une logique ascendante, celle d’une participation conquise par la lutte des citoyens. Cette optique est logique dans un texte officiel, mais elle ne reconnaît pas l’initiative des citoyens qui expriment une demande de participation. Elle les met obligatoirement dans une attitude de réponse à une offre de concertation.
 Quatrième principe : « La concertation exige la transparence ». « Toutes les informations doivent être données aux partenaires de la concertation… Il convient d’indiquer, dès le début de la concertation, les étapes du processus décisionnel, afin que le public sache à quel moment et par qui les décisions sont prises. L’information est complète, accessible aux non spécialistes, permanente et contradictoire. Des possibilités  d’expression sont mises à la disposition des intéressés et, notamment des associations… ».
 Cinquième principe : « La concertation favorise la participation ». « La concertation a, notamment, pour objet de favoriser le débat, d’échanger les arguments et de rapprocher les points de vue, de favoriser la cohésion sociale, d’améliorer les projets et de faire émerger des propositions ». « Le maître d’ouvrage énonce, tout d’abord, les alternatives et les variantes qu’il a lui-même étudiées et les raisons pour lesquelles il a rejeté certaines d’entre elles. Le maître d’ouvrage réserve un accueil favorable aux demandes d’études complémentaires, dès lors qu’elles posent des questions pertinentes, et s’engage, le cas échéant, à procéder à l’étude de solutions alternatives et de variantes ».
 Sixième principe : « La concertation s’organise autour de temps forts ». « La concertation est un processus qui se poursuit jusqu’à la réalisation effective du projet, et même au-delà si nécessaire. Il est souhaitable que les partenaires de la concertation se mettent d’accord sur un cheminement, marqué par des étapes et des temps forts, chacun donnant lieu à un rapport intermédiaire ». L’article 6 distingue trois phases : celle de l’examen de l’opportunité du projet, celle de la définition du projet, celle de la réalisation du projet. C’est à ce propos que l’EPPPUR fait des propositions plus fines que nous détaillerons par la suite.
 Septième principe : « La concertation nécessite souvent la présence d’un garant ». Nous verrons que cet aspect a largement fait l’objet de débats à propos d’une charte propre aux Halles.
 Huitième principe : « La concertation est financée par le maître d’ouvrage ».
 Neuvième principe : « La concertation fait l’objet de bilans ». Il existe des bilans intermédiaires, pour chaque phase, et un bilan définitif à la fin de la phase de réalisation du projet.
 Ces neuf principes constituent bien une grille de lecture pertinente pour évaluer la première phase de la concertation relative aux Halles. La coordinatrice du collectif « Rénovation des Halles » a utilisé ce plan lors de la réunion de bilan du 22 janvier 2005. Reprenons donc quelques-unes de ses remarques.
Premièrement : il n’y a pas eu de concertation, dès l’amont du projet. Tout au plus le bruit courait-il que « quelque chose se préparait ». C’est de la SEM que sont venues, à l’automne 2003, quelques informations « plus ou moins confidentielles », livrées à quelques personnes (dixit « Accomplir »). C’est, nous l’avons dit, le Conseil de Paris du 11 décembre 2002 qui lance officiellement l’affaire. Mais les « personnes concernées » ne font l’objet d’aucune information particulière.
Deuxièmement : même si les décideurs ont affirmé, dès le début, que « le projet ne concernait pas que les riverains », les efforts ont été très limités pour ce qui concerne la mobilisation des Parisiens et des banlieusards. On ne peut faire état que de l’exposition qui a attiré de nombreux visiteurs ( 125 000 selon la Direction de l’Urbanisme), y compris venus de loin. L’exploitation des remarques qu’ils ont émises à cette occasion semble d’ailleurs très limitée. La SEM a organisé des réunions de travail réservées aux associations. Elles n’ont pas été ouvertes ; elles n’ont pas fait l’objet d’une information publique ; les ateliers sur les maquettes n’ont été accessibles que sur invitation, c’est-à-dire que les simples citoyens, non membres des associations, n’ont pas été informés et n’ont pas pu participer à ces opérations.  Seules les grandes réunions publiques ont été annoncées et ouvertes, mais elles relèvent du domaine de l’information beaucoup plus que du domaine de la concertation. Enfin, le calendrier a été très serré : par exemple, un peu plus de deux mois  entre  la remise des projets – mi-avril 2004 -  et ce qui semblait être la date de la décision municipale – début juillet 2004.  C’est, sur un dossier si important et si complexe, trop peu de temps pour qu’une véritable concertation ait le temps de s’organiser, de s’épanouir et de produire des effets positifs.
 Troisièmement : à aucun moment, « l’autorité publique » n’a arrêté les modalités de la concertation, c’est-à-dire la définition de ce qui est concertable ou non, la définition des acteurs de la concertation, la définition des méthodes utilisées, le calendrier, les sources de documentation, les moyens…Les associations disent qu’elles ont dû négocier tout cela au cas par cas. C’est pourquoi elles réclament avec d’autant plus de force un cadre rédigé et contractuel, pour la deuxième période. 
Quatrièmement : le site Internet de la ville constitue le principal support de la « transparence ». Il faudrait analyser sa qualité informatique, pour les spécialistes, mais surtout pour le plus grand nombre. Ses initiateurs en sont très satisfaits et signalent que plusieurs dizaines de milliers de connexions ont été établies. Il faudrait s’assurer que toutes les études qui ont été réalisées ont fait l’objet d’une communication. Il faut considérer ici comme très positif que les contributions des associations aient été accueillies par le site de la ville, permettant ainsi le « débat contradictoire » que prône la charte. Les associations insistent surtout sur le glissement concernant l’ampleur du projet. Il n’y a eu aucune transparence relative aux causes du passage d’une réhabilitation légère, telle qu’elle était définie par la délibération de décembre 2002, au réaménagement très lourd devant lequel on se trouvait in fine. Mais les décideurs politiques étaient-ils vraiment conscients de ce changement de nature et de dimension ?
Cinquièmement : les associations se plaignent d’un débat trop segmenté : celui des élus, celui du groupe de pilotage, celui des techniciens, celui des associations entre elles, lui même « saucissonné » en catégories : les riverains, les commerçants, les usagers des transports en commun…sans que des occasions aient été prévues pour des débats transversaux. « A aucun moment les différentes catégories d’acteurs ne se sont retrouvées autour d’un table pour travailler vraiment au fond ». Etait-ce au pouvoir d’organiser cette transversalité ? Rien n’empêchait les associations de prendre cette initiative.
Sixièmement : c’est probablement l’aspect le plus important : « les étapes se sont succédées, voire tuilées, sans qu’il y ait eu de véritable validation d’une étape, avant de passer à la suivante ». Nous verrons que les propositions de l’EPPPUR, qui portent sur cet article, ont principalement pour but de pallier cette carence. Le court-circuit des premières étapes – diagnostic, réflexion stratégique globale, fixation des objectifs – a été particulièrement dommageable pour la suite de la concertation. Nous avons déjà noté les contradictions concernant la densification ou non, l’extension ou non des surfaces commerciales, les rapports entre l’urbanisme et l’architecture, la communication entre le dessus et le dessous ; ce sont autant de points, et il y en d’autres, qui n’ont pas été définis avec assez de force dès les premières étapes.
Septièmement : personne n’a évoqué la nécessité d’un garant lors de la première période. Cette question est l’une de celles qu’il faut régler pour ce qui concerne la deuxième période.
Huitièmement : la question du financement de la concertation n’a jamais été envisagée. Elle a certainement eu un coût pour les politiques et les institutionnels, mais les partenaires associatifs n’ont reçu aucune aide.
Neuvièmement : aucun bilan officiel de la première période n’a été établi à ce jour.
Telles sont les principales critiques associatives vis-à-vis de la première période de la concertation. On pourrait conclure par un jugement négatif et péjoratif à l’égard des décideurs. Paradoxalement, il n’en est rien. Tellement heureux de voir le projet Mangin choisi, « Rénovation des Halles » affirme que « la concertation a été très satisfaisante du point de vue de ses résultats »...  « La concertation a été conquise par la force et elle a abouti à un beau résultat »… « On se trouve en présence d’un projet d’urbanisme qui a été jugé excellent par la Direction de l’Urbanisme, qui a suscité un large consensus parmi les acteurs de la concertation et qui va permettre d’élaborer maintenant un projet architectural de qualité »… « Il s’agit d’un résultat miraculeux, avec une concertation officielle si rudimentaire et un programme aussi lacunaire ».  « Rénovation des Halles » estime que l’affaire a été sauvée grâce à l’extrême engagement des associations, « en dépit des graves carences du dispositif ».
De cette leçon, découlent les revendications concernant la période nouvelle qui s’ouvre à partir de décembre 2004. « Pour plus de sûreté et aussi pour plus de démocratie, nous souhaiterions que dans l’étape suivante la concertation soit acquise par le droit, c’est-à-dire que l’on construise un dispositif formalisé, officiel, dans lequel chacun pourrait jouer son rôle à sa place ».

b) Deux conceptions de la concertation, deux textes face à face
Après avoir, comme toutes les autres associations fait appel à l’expertise et au conseil de l’EPPPUR, « Accomplir » et « Rénovation des Halles », pour des raisons difficiles à élucider,  ont préféré élaborer de leur côté un projet de charte, tandis que toutes les autres associations continuaient de travailler avec l’EPPPUR. Comme nous le verrons, nous sommes en présence de deux propositions sensiblement différentes transmises toutes deux à la Direction de l’Urbanisme, pour quelle fasse elle-même ses propositions.
« Accomplir » et « Rénovation des Halles » se sont essentiellement tournés vers l’expérience de la ZAC de Paris-Rive-Gauche, pour y trouver un modèle transposable de concertation. Rappelons que cette ZAC, créée en 1991, s’étend de la gare d’Austerlitz à Ivry et couvre 130 hectares. Devant l’importance du dossier et des réactions associatives, le commissaire enquêteur qui conduisait l’enquête publique a conclu qu’il « fallait accompagner ce vaste projet d’une concertation publique permanente ».  En 1997, est créé le Comité Permanent de Concertation (CPC). Les responsables politiques de l’époque (notamment Jacques Toubon) ont souvent proclamé que le dispositif complexe adopté pour la ZAC de Paris-Rive-Gauche s’inspirait largement de la charte de 1996. L’examen attentif des deux textes montre le contraire. Les différences entre les deux textes sont importantes, sans parler de l’esprit. En particulier l’intervention « des particuliers », conjointement à celle des associations (troisième principe de la charte de 96) est complètement oubliée. Les observateurs, par exemple lors des journées d’étude de l’IAURIF, ont pensé que les associations sont entraînées dans une mécanique très lourde et très complexe, centrée sur des aspects relativement secondaires, saucissonnées en de nombreux sous-groupes de travail et écartées des débats principaux. Il est ainsi facile de les neutraliser et de les institutionnaliser. Quand « Accomplir » prend la charte de la concertation de la ZAC Paris-Rive-Gauche comme un modèle exemplaire, l’association se trompe. C’est un exemple intéressant qui a le mérite de la durée, qui peut servir de base à une réflexion fructueuse, mais dont il convient d’analyser les carences et les dysfonctionnements, si l’on veut faire mieux aux Halles.
Le Comité Permanent de Concertation très nombreux rassemble l’ensemble des acteurs et ne se réunit qu’une fois par an. Il ne discute que des grandes orientations et du bilan annuel. Tous les mois, ou tous les mois et demi, un bureau planifie les tâches, en fonction du déroulement du chantier et arrête les thèmes à traiter dans des groupes du travail. Ce sont ces derniers qui constituent l’élément principal du dispositif. Ils sont très nombreux et se réunissent souvent, avec une remarquable régularité. Ce sont surtout les associations thématiques qui les animent, chacune selon sa spécificité, mais il existe aussi quelques groupes de travail transversaux (par exemple sur la conservation et la mise en valeur du patrimoine industriel, notamment ferroviaire). On identifie  15 associations principales et, plus récemment, les trois conseils de quartier qui sont situés, au moins partiellement, sur le site. L’inconvénient réside dans le fait que ces groupes s’investissent dans le long terme, travaillent généralement en suivant une progression assez rigoureuse, de telle sorte qu’il est difficile d’y introduire, en cours de route, des éléments nouveaux et encore moins de simples citoyens qui ne seraient pas porteurs de l’expertise et de la mémoire du groupe. Cette relative fermeture des groupes de travail est constatée partout, dans de très nombreuses opérations de démocratie participative. Elle est garante de leur efficacité, mais elle tend à réduire la concertation à un dialogue entre experts institutionnels et experts associatifs, entre notables politiques et notables associatifs, c’est-à-dire à un cercle restreint de citoyens très compétents, de plus en plus coupés de la réalité du plus grand nombre. Il est alors nécessaire de réfléchir à des dispositions limitant ces dérives et à les mettre en place.
A Paris-Rive-Gauche, un  « garant » (article 7 de la charte de 1996) est un personnage essentiel de la concertation. Il veille à ce que les débats soient menés de façon démocratique. Une ou deux personnes qualifiées forment, avec le garant, un « comité de suivi » qui rédige un rapport annuel sur la façon dont la concertation s’est déroulée.
La SEM du lieu (SEMAPA) dégage « un budget annuel de la concertation » qui permet de rétribuer le garant et les personnes qualifiées, et qui permet surtout de demander des études alternatives et des contre-expertises, en cas de besoin (article 8 de la charte de 1996).
Par rapport aux critiques qui ont été faites à propos des Halles, il faut noter qu’ici les différentes phases et les natures juridiques différentes des différents types de projets ont été clairement identifiées et expliquées aux partenaires : concours d’idées, marché de définition, concours d’architectes… Les groupes de travail participent à la définition des cahiers des charges, conjointement avec la Direction de l’Urbanisme et la SEMAPA. Ces documents intègrent, au moins partiellement, les revendications des associations. Des points de vue contradictoires s’expriment, bien entendu, assez fréquemment. Les associations ne sont pas toujours satisfaites, mais elles reconnaissent que la recherche de compromis a eu lieu, avec le temps et la patience qu’il fallait. Il ne faut pas nier qu’à certains moments, certains litiges, ont compromis la concertation et qu’ils ont été difficiles à surmonter. La présence  des instruments de concertation n’a pas empêché qu’en plusieurs occasions, les associations ont estimé devoir établir des rapports de force publics, en dehors de l’appareil de dialogue mis en place, y compris sur le plan des recours juridiques. Les associations ont toujours affirmé que leur participation très active à la concertation n’entravait pas leur liberté. Certains experts ont pronostiqué, plusieurs fois, la mort de la concertation, mais elle a toujours réussi à survivre. Les responsables associatifs imputent cette sauvegarde à « la sûreté du dispositif issu de la  charte de 1996 », qui institue « un dialogue démocratique permanent et à long terme ». Ils notent aussi une évolution très favorable de la mentalité des élus et des techniciens.
Cependant, plusieurs observateurs constatent la lourdeur du dispositif, véritable « usine à gaz » qui nécessite un énorme investissement en temps et en compétence des citoyens qui désirent s’impliquer. On a parlé, « d’une grosse structure bureaucratique » de « la concertation du riche », provoquant une forte sélection sociale des citoyens-participants. Là aussi, il faudrait poursuivre la réflexion à propos des dispositions qui permettraient de pallier une telle dérive. Enfin, les spécialistes, réunis en particulier en journées d’études, à l’IAURIF, ont plutôt conclu que « le montage coûteux proposé aux associations a provoqué un fonctionnement en circuit fermé de ces dernières qui ont eu peu à dire sur le principal, à savoir la programmation concertée des projets ». Les associations ont surtout obtenu des avancées sur le périphérique et sur l’accessoire, mais l’essentiel n’a pas été ébranlé par la concertation. Ces jugements sévères mériteraient probablement d’être examinés de plus près, et nuancés,  afin que la même dérive ne s’effectue pas aux Halles, à la suite de la mise en place d’un dispositif de concertation voisin.
Les responsables associatifs de la concertation relative à la ZAC Paris-Rive-gauche ont participé à la réunion du 22 janvier 2005, organisée par « Rénovation des Halles ». Ils ont insisté sur l’avantage qu’auraient les associations des Halles à faire adopter par la ville un dispositif semblable au leur. «  Ce serait une excellente idée que d’adopter un dispositif de ce type aux Halles, car il s’agit également d’un processus à long terme…Il semble important de faire comprendre à la ville que si au départ la concertation apparaît comme un surcoût, elle constitue en réalité une économie » (Association Tam-Tam).
C’est courant février 2005 que « Rénovation des Halles » présente à la Direction de l’Urbanisme son « projet de contrat de concertation permanente ». (texte complet sur le site d’« Accomplir ») « Convaincues de l’intérêt de la concertation pour l’ensemble des usagers (riverains – habitants et commerçants - ,voyageurs quotidiens, promeneurs occasionnels ou encore touristiques), les associations, qui se sont déjà fortement impliquées lors de la première phase par une analyse approfondie des projets présentés et une expression précise et mesurée des besoins et attente des usagers, ont demandé qu’un cadre organisé et permanent soit officiellement mis en place pour la suite de la concertation ». Référence est faite à la charte de 1996, à la Convention d’Aarhus et à la charte de la ZAC de Paris-Rive-Gauche, pour présenter neuf articles qu’il n’est pas nécessaire d’analyser en détail, mais dont nous indiquons ici quelques points marquants.
Un Comité Permanent de Concertation (CPC) doit être mis en place. C’est une grosse structure très nombreuse. Elle « doit discuter et débattre, avant toutes les décisions, de toutes les orientations, propositions, projets et modalités de mise en œuvre ayant trait au réaménagement des Halles, afin d’en assurer la meilleure qualité pour la collectivité et la meilleure adéquation possible aux attentes exprimées par les usagers ». Bref, les décideurs sont étroitement et constamment encadrés. Auprès des politiques et des partenaires institutionnels, le texte prévoit la présence des conseils de quartier et « des associations et groupements locaux, parisiens ou régionaux, qui se déclarent intéressés par le projet, après demande motivée à l’organe désigné par la ville ». Les réunions plénières du CPC ont lieu deux fois par an. Elles sont l’occasion « pour les élus de communiquer et d’expliciter les arbitrages qu’ils ont effectués pour chaque élément de l’aménagement, à chaque étape : diagnostic, élaboration d’objectifs, établissement du cahier des charges, conception réalisation, évaluation »…
Un bureau est prévu dont la composition est à l’image du CPC. C’est lui qui fixe le calendrier et les ordres du jour de toutes les réunions : plénières, bureau, groupes de travail, débat public. C’est lui qui propose la création, les finalités et les modes de fonctionnement des groupes du travail.  C’est lui qui « régule le fonctionnement de la concertation », qui contrôle le site Internet, qui contrôle la rédaction des supports écrits, qui suscite des apports nouveaux de personnes ou d’organismes extérieurs, porteurs de ressources.
Les groupes de travail se réunissent sous le contrôle du bureau qui fixe le cadre et la durée de leurs missions. Ils examinent tous les projets et les enrichissent de l’expression plurielle de leurs membres. Ils interviennent dans l’élaboration des cahiers des charges. Ils participent au suivi de la réalisation des projets. Ils peuvent, si nécessaire, inviter des personnes-ressources extérieures.
Un médiateur est désigné par la ville, après agrément du CPC.
« La politique d’information est conçue et organisée de sorte que chaque partie prenante dispose des moyens nécessaires à un « bonne participation » au processus de concertation ». « Cela signifie que chaque partie prenante s’engage à mettre à la disposition de l’ensemble de toutes les autres et dans les meilleurs délais, toute information utile à la discussion collective ». Le texte prévoit de manière très détaillée les modes et les délais de cette information. Il mise beaucoup sur un site Internet public spécifique, centralisant de manière exhaustive tous les documents.  Chaque réunion donne lieu à un compte-rendu public qui figure sur le site Internet. Des débats publics doivent être organisés par la ville « régulièrement, au fur et à mesure de l’aménagement et, dans tous cas, à l’ouverture de ses nouvelles phases ».
« Un représentant des groupements de riverains et d’usagers participera aux jurys de concours ayant trait à l’aménagement, avec voix délibérative ».
« La concertation est financée par la ville, au moyen d’un budget préalablement établi ». Un local permanent sur le site doit être aménagé.
Aussitôt ce texte connu les autres associations, notamment « Paris des Halles », « Paroles des Halles », et le  « Forum Social Local de Paris-Centre » ont-ils commencé à le critiquer, quelquefois avec une extrême violence. Voyons rapidement sur quoi portent les principales critiques.
1°) Le projet de charte fait la part trop belle aux seules associations, voire même leur assure l’exclusivité de la concertation. « Une association qui cherche le leadership de la concertation peut servir d’alibi aux décideurs, surtout si la concertation se déroule dans un carcan institutionnel qui laisse peu de place aux autres ». Le texte ne laisse pas non plus un espace d’intervention pour les citoyens et habitants de base qui n’appartiennent pas aux associations. Des individus des groupes informels ont aussi des choses intéressantes à dire ou des contestations à formuler. Tout le monde n’a pas Internet et ne peut pas s’exprimer par ce canal. La logique du texte est d’organiser un face-à-face mairie-associations, voire mairie-une seule association, « alors que la concertation avec les habitants constitue tout de même l’ardente obligation recommandée par la loi ». « On se réfère à la lettre de la charte de 1996, mais on ne respecte pas son esprit ». « On veut, au contraire, que tout citoyen puisse participer à tout moment ». « Non à la démocratie censitaire et sur diplôme ! » (sic, de « Paroles des Halles »)
2°) Les missions du CPC sont trop étendues à des aspects purement techniques qui ne relèvent pas de la concertation. Le CPC n’a pas à se mêler de tout, et tout le temps. Il doit laisser leur autonomie décisionnelle aux politiques et leur autonomie professionnelle aux techniciens. «  Ce n’est pas aux citoyens de décider à la place des politiques. Ils sont élus pour ça. Si nous ne sommes pas contents, nous ne voterons pas pour eux la prochaine fois ». « Ce n’est pas aux citoyens de suivre l’exécution des marchés ou de faire la réception des travaux ! » : « Ce n’est pas le rôle des structures de la concertation de mettre constamment les élus et les techniciens sous haute surveillance ». La mission du CPC est essentiellement d’ être au courant des projets, de faire des observations et des contre-propositions à leur propos, pour porter la parole pertinente des habitants et des usagers aux décideurs, de combler les erreurs et les oublis des hommes de l’art, de débattre des orientations générales.
3°) Les pouvoirs du bureau sont excessifs. On critique en particulier son contrôle total de l’information, de sa diffusion, des sujets à débattre Cette structure semble « vouloir confisquer la libre expression ».
4°) Les groupes de travail apparaissent comme fermés et étroitement contrôlés par le bureau. Leur composition ne permet pas la libre expression de citoyens non-associatifs. Leur mode de fonctionnement ne permet pas les interventions occasionnelles.
5°) Le terme « d’habitant », employé constamment dans le projet n’est pas assez précis. Il ne recouvre pas les travailleurs du quartier. Il n’ouvre pas assez le périmètre social et géographique de la concertation aux Parisiens, aux Franciliens, aux usagers du centre commercial et des équipements, aux touristes venus du monde entier. Le Forum est un lieu public et donc un bien commun pour tous ces gens-là, et pas seulement pour les habitants (riverains) du quartier.
6°) Le texte semble revenir sur les phases initiales, comme s’il fallait faire repartir le dossier à zéro. La charte ne rattrapera pas les ratés de la première période. Il faut plus nettement la tourner vers l’avenir et obtenir le détail du contenu et de l’échéancier de la mission de Daniel Mangin, afin que la concertation l’accompagne efficacement. Il faut, dès maintenant, se préparer à affronter les questions qui n’ont pas été suffisamment abordées, comme « la circulation entre le bas et le haut », la nature et la localisation (regroupée ?) des équipements publics, les problèmes de la sécurité des voyageurs dans la salle d’échange, l’importance de l’emprise commerciale, etc.
7°)  L’utilisation du site Internet comme lieu de débats interactifs (forums) et pas seulement comme banque de données informatives, doit être plus nettement affirmée. Mais, nous l’avons dit, le site Internet ne suffit pas à assurer une information démocratique. Il faut faire des propositions plus précises relatives aux manières, diverses et pluralistes, d’assurer l’information à tous, « pédagogique, claire et intelligible » ; « chacun doit pouvoir s’informer et comprendre sans être spécialiste » ; «  l’information ne doit pas être filtrée et retravaillée par un bureau omnipotent » : on souhaite une équipe de communication professionnelle et indépendante.
8°) Les débats publics doivent être organisés selon les règles de la Commission Nationale du Débat Public à laquelle il est nécessaire de faire référence.
Le 11 février 2005, « l’Atelier des Halles du Forum Social Local de Paris Centre », en présence d’adhérents des deux collectifs associatifs, « Rénovation des Halles » et « Paroles des Halles » discutait de son côté de la proposition à faire à la Direction de l’Urbanisme, pour la rédaction d’une charte. C’est à ce propos que l’EPPPUR a pu faire prendre en compte ses propositions, élaborées dès janvier 2005, dans la perspective d’apporter un conseil aux associations pour la seconde période.  Pour simplifier, disons qu’il s’agit d’une reprise de la charte de 5 juillet 1996, sous réserve d’une réécriture de son article 6.
Le but de cette réécriture consiste essentiellement à préciser les étapes de la programmation et le rôle de la concertation à chacune d’elle. « La concertation  et la participation concernent chacune des phases de la programmation depuis le début, le projet politique et le diagnostic, et la fin, l’évaluation, et le passage d’une phase à l’autre, le débat public ponctuant chaque phase ». « La concertation et la participation sont organisées autour des temps forts de la démarche du projet ». Trois instances interviennent dont les rôles doivent être nettement distingués, afin d’éviter toute confusion : l’instance politico-administrative, dite Comité de pilotage ; l’instance opérationnelle ; l’instance d’usages et de citoyenneté . « L’instance d’usages et de citoyenneté intervient sous trois modalités différentes : les individus et les collectifs (conseils de quartier, associations de quartier, associations à vocation générale) qui interviennent sur la base du travail effectué par leurs adhérents ; les groupes de travail animés par un binôme d’assistants, extérieurs à la maîtrise d’ouvrage et comprenant un sociologue (ou économiste) et un architecte (ou ingénieur). Ces groupes sont composés de 10 à 15 usagers volontaires représentatifs des groupes concernés par les problèmes qui leur sont soumis par le groupe de pilotage à chaque étape. Ils se tiennent en l’absence des élus et de leurs mandataires. Les groupes de travail soumettent leurs propositions par écrit au groupe de pilotage qui les intègre dans le document conclusif de la phase, les refuse ou les renvoie pour étude plus approfondie ; un débat public organisé à la fin de chaque étape selon des règles précises : publication des arbitrages et conclusions dix jours avant le débat ; publication des questions posées par des individus et des collectifs organisés ou non avant le débat, ou dépôt le jour des débats. Les débats publics s’ouvrent sur un exposé du groupe de pilotage et, après le temps consacré aux réponses aux questions soumises à l’avance, le débat est ouvert aux questions du public présent. Le comité de pilotage publie dans le 15 jours le compte-rendu intégral des débats, un texte de synthèse et son arbitrage final qui sert de point de départ à la phase suivante ». 
La distinction entre les fonctions de pilotage et les fonctions des groupes de travail est essentielle. Elle évite la confusion des genres. « L’information la plus complète est mise à la disposition des citoyens du début, et tout au long de la procédure, notamment les propositions des collectifs, celle des groupes de travail représentatifs et les arbitrages successifs du groupe de pilotage ». « Ces principes s’appliquent à toutes les procédures prévues par le code des marchés publics : concours, marchés d’études de définition simultanés, dialogue compétitif, etc.. ».
Par une lettre du 5 mars 2005, la « Plate-forme des Comités parisiens d’habitants » propose au maire de Paris de mettre en place un petit groupe d’associations pour mettre au point un système de concertation pour les Halles. « Paris des Halles », réuni le 12 avril 2005, affine ses propositions pour la suite de la concertation. L’EPPPUR envoie une lettre au maire-adjoint chargé de l’urbanisme, le 29 mars 2005, pour accompagner ses documents. Après la réunion du 13 avril 2005, « la Plate-forme des Comités parisiens d’habitants »   renouvelle ses propositions actualisées, dans une nouvelle lettre au maire. Toutes ces initiatives restent sans réponse. Il semble que la Direction de l’Urbanisme n’ait connaissance et/ou ne tienne compte que du texte d’« Accomplir » et de « Rénovation des Halles ».
A la veille de la réunion du 13 avril 2005, il est certain que la Direction de l’Urbanisme est donc en présence de deux projets, voisins sur certains points, différents, et même très différents, sur d’autres. Elle rédige à son tour une proposition, en vue de la réunion de concertation du 13 avril 2005.

c) La réunion de concertation du 13 avril 2005 et ses suites.
 Force est de constater que la proposition officielle semble, à la première lecture, assez proche de celle d’« Accomplir » et du collectif « Rénovation des Halles », illustrant ainsi, une fois de plus, une certain voisinage. Cependant la lecture plus attentive du texte montre nettement des différences importantes et une volonté de maîtrise politique de la situation. Les propositions de la Direction de l’Urbanisme sont infiniment plus légères et moins contraignantes pour les décideurs qui n’ont pas à travailler constamment sous le regard tatillon des associations, y compris pour les aspects techniques. Le « Comité de Concertation » est considéré comme « une extension du groupe de pilotage ». Son organisation et son secrétariat sont assurés par la Direction de l’Urbanisme. Le Bureau au rôle si critiqué disparaît. Les groupes de pilotage, de trente personnes au maximum  sont créés par le Comité de concertation « sur une période de temps limité, pour approfondir un sujet spécifique ». Il n’est pas prévu de les ouvrir aux simples citoyens. Ils se réunissent à la demande de la ville qui en fixe l’ordre du jour. Le texte de la Direction de l’Urbanisme rentre dans le détail des thèmes et des phases de la concertation. Des réunions publiques, des expositions, un site Internet d’information (et non de débats), un lieu d’accueil et de renseignement du public sur le site sont prévus, ainsi que des moyens financiers destinés à couvrir les frais de fonctionnement des instances « et d’éventuelles études de variantes ponctuelles ». D’une manière plus générale, à la lecture des textes et à l’observation des réactions, il est évident que l’élu et l ‘administration manifestent une méfiance certaine vis-à-vis des grosses machines de concertation, mangeuses de temps et d’énergie. Mais, de ce point de vue, la proposition d’« Accomplir », inspirée par le  lourd dispositif de Paris-Seine-Rive-Gauche est au moins aussi complexe, sinon plus, que celle proposée par l’EPPUR qui découle plus directement de la charte de 96.  Dans les deux cas, il faut démontrer que le temps passé en amont, c’est du temps gagné en aval.
Nous avons déjà dit que la réunion du 13 avril 2005 n’avait pas permis de trancher. Les rivalités entre les associations ont en partie paralysé la réunion qui a juste permis, à la Direction de l’Urbanisme, d’identifier les points d’accord et les points de désaccord, et de s’engager à faire de nouvelles propositions.  En arrière-plan se profile, bien entendu, l’épineuse question de la représentativité comparée des différentes associations.
Les principales critiques continuent de porter sur les points suivants :
1°) L’objectif démocratique du dispositif de concertation n’est pas assez précisé. « Si on s’inspire de la charte de 1996, il faut que cette concertation ait pour objet de permettre aux parties prenantes de discuter, de débattre, avant toutes décisions de toutes les organisations, de proposition de projet et de modalités de mise en oeuvre.. » (« Accomplir »). Il y a  donc bien un désaccord sur le rôle, plus ou moins étendu, plus ou moins politique, plus ou moins contraignant pour les décideurs, du Comité de Concertation.
2°) Le Comité de Concertation doit-il être institué comme une « structure permanente » (ce que le texte de la Direction de l’Urbanisme se garde bien de dire) ? Cette structure lourde, aux réunions peu fréquentes, nécessite un bureau, une « Commission permanente » forte ?
3°) A partir du moment où l’autorité publique se permet d’énoncer la liste des groupes de travail thématiques, on imagine toutes les contestations qui peuvent surgir sur leur nombre, leur intitulé, les omissions… On ne peut se contenter de groupes ad hoc et éphémères, aux thèmes très sectoriels et pointus. Il faut aussi prévoir des groupes transversaux, plus pérennes.
4°) On a généralement estimé que la politique d’information esquissée par le texte public était nettement insuffisante. Un Forum de débats permanent sur le site Internet a été demandé par tous.
5°) L’absence de garant, de médiateur, dans le texte de la Direction de l’Urbanisme a été très désapprouvée.
6°) Ressurgit, naturellement, le débat entre, d’une part, la démocratie médiatisée par la vie associative et, d’autre part, la démocratie directe, assurant la représentation de tous les citoyens volontaires dans des structures ouvertes. Certains conseils de quartier de Paris ont tenté de résoudre cette question en prévoyant deux collèges distincts dans leur composition : un collège des représentants associatifs et un collège de citoyens tirés au sort. Peut-on procéder de la même manière ici, à une autre échelle et pour d’autres objets ? « Personne ne doit être exclu de la concertation. C’est un point absolument essentiel. Personne ne doit trouver la porte fermée, s’il veut apporter une contribution et donner un avis » (le maire du Ier arrondissement).
L’adjoint à l’urbanisme conclut en faisant la liste des points sur lesquels il est nécessaire de continuer de travailler :
1°) Il faudra, peut-être dans un préambule, préciser la philosophie du texte, c’est-à-dire les objectifs précis assignés à la concertation.
2°) La liste des groupes de travail est purement indicative. Il y a place à une large discussion pour arrêter cette question. Il peut en effet y avoir des groupes transversaux. Il ne faut pas trop multiplier les sous-groupes sectoriels qui construiraient une machine trop compliquée et difficile à maîtriser.
3°) Il y a accord sur le caractère interactif du site Internet.
4°) Ce n’est pas au pouvoir de décider de la plus ou moins grande représentativité des différentes associations. Que les associations décident entre elles de celles qui siègent au Comité de Concertation. C’est généralement ce qui se passe pour ce type d’instance, les Comités de développement de Pays ou d’Agglomération par exemple. Mais ne mettons pas en place un Comité trop nombreux.
5°) Les simples citoyens ne siègent pas dans les instances, mais ils peuvent s’exprimer dans les réunions publiques. « On ne peut pas fonctionner sur un projet d’urbanisme de cette ampleur avec de la démocratie totalement directe ».
6°) La question la plus controversée, sur laquelle un consensus ne semble pas pouvoir se dégager, est celle de l’existence ou non d’un bureau. La question doit être retravaillée.
Terminée de cette manière, cette réunion, décisive pour la suite, laisse dans l’expectative.
Dès le 27 avril  le « Collectif  Rénovation des Halles » repart à l’assaut et fait de nouvelles propositions. En partant du texte de la Direction de l’Urbanisme, il reprend, avec une belle constance, toutes ses formulations antérieures :
1°) Le Comité de Concertation doit être permanent.
2°) Il doit  débattre de toutes les modalités de mise en œuvre de l’aménagement.
3°) Le bureau est maintenu, mais ses missions sont moins détaillées et moins impérieuses. « Il assure la permanence de la concertation »…  « Il organise le suivi de son déroulement »...  « Il définit le planning de la concertation ».
4°) Le fonctionnement et les méthodes des groupes de travail sont très fortement détaillées.
5°) La demande d’un médiateur est maintenue et ses missions font l’objet d’un long développement.
6°) Des précisions sont apportées à propos du déroulement des réunions publiques, des obligations d’information et du fonctionnement du site Internet.
7°) Le texte est toujours aussi muet sur la place des habitants et usagers, en dehors de la médiation associative.
La balle est maintenant dans le camp de la Direction de l’Urbanisme.

CONCLUSION
Les deux cas qui viennent d’être étudiés illustrent les difficultés à suivre l’impact de la démocratie participative sur des cas concrets d’aménagement ou d’urbanisme. Mais ils montrent aussi quel intérêt ils peuvent représenter pour l’observateur qui décortique des cas concrets, qui, par conséquent, sort d’une vision abstraite, utopique, de la démocratie participative, et qui se heurte aux difficultés multiples de sa mise en oeuvre.
 En fait ces études, qui ont l’ambition d’aller de la praxis au concept, se situent délibérément à l’inverse de celles qui commencent par définir et par préciser des concepts, pour voir ensuite comment ils s’incarnent sur le terrain. Nous sommes peut-être sur la frontière qui sépare le travail du journaliste de celle du chercheur scientifique et/ou académique. C’est une limite que nous reconnaissons volontiers à notre travail. Mais il serait absurde d’opposer trop fortement deux méthodes, dans la mesure où il faut plutôt les considérer comme complémentaires.
 Dans l’introduction, nous avons rapidement fait mention de beaucoup d’autres chantiers et de beaucoup d’autres recherches. Par rapport à cette masse impressionnante de travaux, nous devons nous demander quel est le rôle spécifique de l’Observatoire.
 Beaucoup de ces chercheurs, plus quelques journalistes spécialisés, nous ont dit qu’ils manquaient d’un lieu qui assurerait le répertoire de tous les travaux portant sur les rapports entre la démocratie participative et les opérations d’aménagement et d’urbanisme s’effectuant sur le territoire de la ville de Paris.
 Faut-il orienter les missions de l’Observatoire dans cette direction :
en renforçant les forces qui travaillent dans ce sens ;
en facilitant la mise en réseau, ou du moins en relation, des chercheurs qui le souhaitent ;
en organisant des rencontres, des séminaires, des journées d’études sur cet axe ;
en créant un site Internet destiné à recevoir et à rendre consultables tous les textes consacrés à ce sujet ? 
Il est évident que les moyens humains, matériels et financiers actuels de l’Observatoire ne le permettent pas pour le moment, et qu’une articulation avec la documentation accumulée par la Direction de l’Urbanisme serait nécessaire. Mais il serait souhaitable qu’une réflexion se développe dans cette direction.
 Si, comme le montre abondamment, et avec des approches très variées, le dernier numéro de la revue « Urbanisme », nous sommes au seuil « d’une nouvelle gouvernance des villes », c’est-à-dire dans l’impossibilité de les construire et de les aménager comme autrefois, entre élus et techniciens, et avec l’absence des habitants, il est urgent de capitaliser nos connaissances pour donner aux décideurs et aux citoyens les instruments dont ils ont besoin pour « faire de la politique urbaine autrement ».
 
Georges GONTCHAROFF, 25 mai 2005.