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ERAC de Cannes

Intervenant professeur technique fil au CNAC de Châlons sur Marne

Du nouveau sous les chapiteaux ! Le cirque en France vit une profonde transformation. Revivifié par une génération de jeunes artistes grâce à l'ouverture d'écoles, comme celle d'Annie Fratellini, puis celle de Châlons-en-Champagne, il est en train de conquérir ses lettres de noblesse à côté des autres arts de la scène comme le théâtre ou la chanson. Et séduit un public de plus en plus large sur tous les continents.

De plain-pied avec la création contemporaine, le cirque français des années 90 recherche moins la performance technique que l'expression artistique. Les Tissus, création du Centre national des arts du cirque (CNAC).

Etait-ce la lune, ce ballon blanc qu'essayait d'attraper le funambule, cet immatériel rond de lumière qui rebondit sitôt effleuré ? Et cet artiste chevauchant une moto furieuse et pétaradante jusqu'au faîte de structures métalliques « à la Mad Max » et qui, une fois arrivé sous le ciel de la toile soudain silencieuse, juché en équilibre, tirait un air de son violon, était-il un Pégase moderne ?

On doit la première scène au cirque Plume, qui fait la part belle à la musique et à la poésie, et la seconde au « cirque de caractère » Archaos, qui a consacré un style « grunge ». Elles illustrent la diversité des nouvelles tendances du cirque français actuel, en rupture avec ce qui se faisait depuis des lustres. Si le cirque traditionnel a toujours ses adeptes, surtout des enfants qui y emmènent leurs parents, le nouveau cirque séduit un autre public, surtout des adultes qui y emmènent (parfois) leurs enfants.

Spectacle vivant total, le cirque s'invente de nouvelles formes ; les techniques traditionnelles lui servent à détourner le quotidien, détournement qui est l'essence même de l'idée de spectacle. Il se libère des contraintes de la piste, adopte parfois la scène théâtrale (frontale) ou même réintègre la rue, son espace premier du temps des acrobates, des funambules et des tréteaux en plein air.

 

Une affaire de « famille  »

Le cirque a longtemps été un spectacle de divertissement populaire qui ressemblait à son image d'Epinal, avec ses cages aux lions, ses affiches rouges sur les murs de la ville, l'odeur de la sciure et le son des cuivres avant la succession de numéros d'acrobatie, de jonglage, de magie, de domptage, de clown...

A côté d'une multitude de cirques de villages, les grandes compagnies étaient indissociables de familles illustres, des Grüss, Bouglione, Pinder, Amar et autres Zavatta, au sein desquelles se perpétuait la tradition. Les transformations de la société ont fait éclater ces structures anciennes. Les jeunes ont voulu leur indépendance, et, en quittant leur famille, ils ont déserté le cirque.

 

 

En France, 200 écoles de cirque forment les nouvelles générations au dur apprentissage des disciplines traditionnelles.

Une rivale impitoyable, la télévision, donne à voir à domicile les animaux les plus exotiques et les trucages les plus spectaculaires. Les cirques se sont engouffrés dans la surenchère au détriment de l'invention. Les chapiteaux sont devenus gigantesques, les déplacements trop coûteux, les animaux démodés, les spectacles stéréotypés et le public blasé.

Les premiers signes du renouveau apparaissent dès la fin des années 60, annonçant et accompagnant la révolte de 1968. A l'instar des troupes américaines Bread & Puppet et Living Theater, qui font des tournées marquantes en France, les gens de théâtre retournent dans la rue et créent des spectacles saltimbanques, comme le cirque Bonjour avec Victoria Chaplin, le Grand Magic Circus de Jérôme Savary, ou le Puits aux images de Christian Taguet (qui deviendra en 1987 le Cirque baroque). En 1976, une scission du Puits donne naissance à l'éphémère mais mémorable cirque Aligre.

Une héritière d'une des grandes familles du cirque, Annie Fratellini, joue alors un rôle déterminant. Elle pressent que le cirque est en danger de mort s'il ne se renouvelle pas et, pour former de nouveaux artistes, fonde, en 1974, l'Ecole de cirque Annie Fratellini, ouverte à tous et à toutes sans aucune condition. Si les milliers de jeunes qui y sont passés ne sont pas tous, loin de là, devenus des artistes professionnels, elle a été le premier vivier qui a régénéré les compagnies et le milieu « circassien », bien au-delà de la France.

La même année, la comédienne Sylvia Montfort fait de même en travaillant avec Alexis Grüss. Les écoles de cirque se multiplient, certaines fameuses comme celle de Jean Palacy pour les disciplines aériennes. On en compte aujourd'hui environ deux cents, où les enfants pratiquent le trapèze et le jonglage comme d'autres du tennis ou de la natation, l'émerveillement en plus. Pour quelques-uns, c'est une révélation. Ils ne quitteront plus le cirque, dont ils feront leur métier.

Dans les années 80, c'est une explosion de talents et de compagnies : le Cirque nu, Déclic Circus, le cirque du Docteur Paradi, la Compagnie Jo Bithume... Des jazzmen marionnettistes de Franche-Comté (est de la France) créent le cirque Plume, qui offre « une heure et demie de bonheur » avec sa poésie rafraîchissante. Les femmes du cirque de Barbarie font passer leur vision du monde et leur ironie dans leurs spectacles profonds et sensibles. Bartabas fonde Zingaro, théâtre équestre aux somptueuses rondes de chevaux. Il puise aux sources musicales les plus traditionnelles, allant chercher ses interprètes dans des lointains villages de Bulgarie, du Maroc ou de l'Inde.

Venu comme Bartabas du cirque Aligre, Pierrot Bidon fonde Archaos, qui exprime la violence et la désespérance des cités oubliées (mais qui aujourd'hui peine à renouveler son inspiration). En fait de volatiles, la Volière Dromesko présente de délirantes machines qui battent des ailes. Tous ces nouveaux artisans du rêve sont bien des artistes confirmés, rompus aux dures disciplines traditionnelles, et ils revendiquent leur appartenance au monde du cirque. Beaucoup en ont d'ailleurs adopté le mode de vie nomade.

 

Quand l'Etat s'engage

Une autre prise de conscience salutaire est venue des pouvoirs publics. En 1979, le cirque, qui dépendait jusqu'alors du ministère de l'Agriculture en raison de la présence des animaux, passe sous la tutelle du ministère de la Culture - un changement de statut qui va au-delà du symbole. Puis en 1987, la volonté politique de soutien au cirque se confirme avec la création du Centre national des arts du cirque (CNAC) à Châlons-en-Champagne (est de Paris), lequel se veut lieu de formation de haut niveau pour les jeunes et les professionnels ainsi que lieu de recherche et de création.

Les ambitions du CNAC prennent corps à partir de 1990, quand le ministère de la Culture fait appel pour le diriger à un artiste, Bernard Turin, sculpteur de formation et amoureux du cirque. Cet ancien trapéziste amateur a créé une école de cirque à Rosny-sous-Bois (banlieue parisienne), et fondé la Fédération des écoles de cirque. Il structure l'enseignement en deux cycles de deux ans, débouchant chacun sur un diplôme d'Etat*.

L'enseignement dispensé à Châlons, outre les professionnels du cirque, fait appel à des artistes confirmés en danse, musique, théâtre et arts plastiques, ainsi qu'à des sportifs de haut niveau. Les caractéristiques qui font la réussite de l'école nationale de Châlons sont autant de matières à critique pour ses détracteurs : elle rompt radicalement avec le mode de transmission du savoir traditionnel ; elle s'ouvre à toutes les disciplines artistiques contemporaines (danse, musique, théâtre, arts plastiques) ; elle recrute sur concours par une sélection sévère ; enfin, elle bénéficie d'un confortable budget (16 millions de francs en 1996, soit 2,6 millions de dollars sur la base de 1 dollar = 6 francs).

A leur sortie, tous les élèves sont embauchés, en France et à l'étranger, ou fondent leur compagnie, comme les clowns des Nouveaux Nez ou les acrobates de Que-Cir-Que et bien d'autres. La dernière-née des jeunes troupes - Convoi exceptionnel - réunit des anciens de Châlons et de l'école Fratellini et des musiciens. La promotion de 1995 a eu un tel succès avec son spectacle de fin d'année, le Cri du caméléon, mis en scène par le chorégraphe Joseph Nadj, qu'elle a créé la troupe Anomalie pour le faire tourner. Celle de 1996 a joué Malbrough s'en va-t-en guerre jusqu'au Vietnam, avec qui les liens se renforcent, comme avec le Brésil et bien d'autres pays, très intéressés par l'expérience française. Les publics étrangers manifestent le même engouement : Zingaro a fait un triomphe à New York en 1997 et Pierrot Bidon d'Archaos est depuis plusieurs mois au Brésil, où il forme des jeunes enthousiastes.

Pour Jean Vinet, directeur des études à Châlons, « l'évolution du cirque est comparable à celle de la danse, qui a débouché sur la distinction entre danse classique et danse contemporaine. Le cirque traditionnel privilégie la prouesse technique et la pureté d'exécution, tandis que le nouveau cirque s'attache à développer l'expression personnelle de l'artiste, à donner un sens au spectacle au-delà du numéro. »

Assiste-t-on à la création d'une « école française du cirque » comme il y eut celle de Moscou ? S'il est trop tôt pour l'affirmer, l'art du cirque, éternel, universel, nomade et cosmopolite par nature, est en passe de devenir en France un art contemporain à part entière. Le huitième ?

Monique Perrot-Lanaud
Journaliste

* Le Brevet artistique des techniques du cirque, niveau baccalauréat, et le Diplôme des métiers d'art du cirque, niveau baccalauréat + 2. Chaque année, environ 30 élèves sont admis en premier cycle sur 300 candidats, et 15 en second cycle sur 200 candidats.

 

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Dernière modification : 24 juillet 2006