- Philosophie et opinion - 
[ Télécharger le cours ]
[ Le cours ]
 
I ) QU'EST-CE QUE L'OPINION ?
A ) L'opinion au sens courant.
B ) Conceptualisation du terme opinion.
1 ) Sous quelle forme se présente une opinion ? 
2 ) D'où nous viennent nos opinions?
3 ) A quoi servent nos opinions?
C ) Opinion et vérité.

II) PEUT-ON ROMPRE AVEC NOS OPINIONS ?

 A ) LES CONDITIONS DE LA RUPTURE AVEC L'OPINION.

  1 ) La rencontre avec l'altérité.

  2 ) Le souci de la vérité.

 B ) L'ECHEC DE LA RUPTURE AVEC LA SPHERE DE L'OPINION.
  1 ) Le rejet de l'altérité.

 2 ) Le renoncement à la vérité.

 C ) LA RUPTURE REUSSIE AVEC NOS OPINIONS.

III ) EN QUOI LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE SE DISTINGUE-T-IL DE L'OPINION ?
 EN QUOI IL SE DISTINGUE AUSSI D'AUTRES DISCOURS RAISONNES ?

 A ) A quoi reconnaît-on un discours philosophique ?

 B ) Qu'est-ce qui distingue la philosophie de la science ? 
Sur quoi fondent-elles leurs discours ?

  1 ) Science et philosophie.

  2 ) La science vaut-elle plus que la philosophie ?

  3 ) La puissance éclairante du discours philosophique.


 
 
I ) QU'EST-CE QUE L'OPINION ?
     
     A ) L'opinion au sens courant
 Le mot opinion est un mot qui appartient à la langue courante où il a plusieurs sens comme c'est souvent le cas avec la langue courante (plurivocité).
 Le sens le plus courant ?

 Opinion : avis personnel au sujet de quelque chose, avis que l'on tient pour vrai, sans quoi il ne serait pas le notre. L'opinion, c'est un énoncé qui prétend être vrai.
 Le mot opinion n'a pas le même sens dans l'expression : opinion politique. Une opinion politique, c'est une idée ou un avis qu'on partage avec d'autres et qui porte sur ce qu'on devrait faire en ce qui concerne la conduite des affaires publiques. Elle est un projet. C'est la raison pour laquelle les idées politiques ne peuvent pas être dites vraies ou fausses : l'idée d'un projet n'est ni vraie ni fausse, mais elle peut être bonne ou mauvaise, meilleur ou moins bonne qu'une autre. Ce qui permet de distinguer les opinions politiques les unes des autres, ce n'est pas le vrai et le faux. On peut les hiérarchiser en fonction de ce qui semble être le meilleur projet de transformation pour l'ensemble de la population donc aussi pour soi-même. Ce sens du mot opinion n'est pas concerné par les problèmes soulevés.

 A s'en tenir là, à cette définition nominale, c'est-à-dire à cette définition du mot, celle qu'on peut trouver dans un dictionnaire, il est manifestement impossible de comprendre ce qui distingue un énoncé philosophique d'une opinion et de comprendre le mépris affiché par les philosophes pour l'opinion. Pourquoi ? Parce que dire qu'une opinion est un avis qui prétend être vrai, cela ne signifie pas du tout que cette prétention est toujours illégitime. Il est après tout possible, à s'en tenir à cette définition, que tout ou partie des opinions aient des prétentions légitimes. Or, par ailleurs, on ne voit pas ce qui pourrait justifier le mépris dans lequel les philosophes et les scientifiques tiennent l'opinion, si ce n'est précisément qu'elle est loin de dire vrai. Donc, d'un côté, il se pourrait que certains opinions soient vraies et de l'autre, on ne semble être en droit de les mépriser que si elles ne sont pas vraies et, puisque ce mépris est général, que si elles sont toutes fausses, en bloc.

Voilà une contradiction qui  semble indiquer que la philosophie comme la science auraient du faire preuve de prudence et de retenue. 

Seulement, il ne s'agit là que du sens nominal du mot, c'est une définition du mot et non de la chose correspondante. Or ce qui nous intéresse, c'est moins ce que signifie le mot que ce qu'est la chose elle-même qu'on nomme opinion. C'est pourquoi on ne peut en rester là : il faut passer du sens du mot à l'essence de la chose, c'est-à-dire passer à la fois du simple mot à la chose qu'il désigne et de la définition du sens du mot à la définition de la nature propre de la chose, de son essence, à la saisie de ses caractères propres, de ses déterminations propres.

 Ce double mouvement vers la chose et vers la définition de l'essence de la chose s'appelle conceptualiser le terme opinion. Conceptualiser, c'est élaborer une définition rigoureuse de la chose dont on parle à partir du sens du mot qui sert à la désigner. Il s'agit donc de se rapprocher du réel, de cerner la réalité dont on parle. A l'issue de ce travail de conceptualisation le terme d'opinion n'appartiendra plus seulement au registre de la langue courante : il sera aussi un terme du registre philosophique, c'est-à-dire un concept, et il nous sera plus aisé sans doute de répondre à la question de savoir pourquoi l'opinion est méprisable.

 Comment s'y prendre pour conceptualiser un terme ?  Il faut analyser la chose, c'est-à-dire l'examiner, la décomposer en ses éléments constitutifs, saisir  ses déterminations, ses caractéristiques propres.

 Il convient donc de toujours distinguer la définition du sens des mots, qu'on peut trouver dans un dictionnaire, et la définition de l'essence de la chose désignée par les mots, qui elle doit être élaborée à partir de la définition du sens du mot, parce qu'elle a toujours un rapport avec la chose et son essence, mais grâce surtout à l'analyse, à la décomposition de la chose.


 
B ) Conceptualisation du terme opinion.

 On peut utiliser trois types d'analyses pour conceptualiser l'opinion.
 - Analyse structurelle : déterminer la forme.
 - Analyse génétique : déterminer l'origine ou les causes.
 - Analyse fonctionnelle : déterminer la fonction ou l'utilité.

1 ) Sous quelle forme se présente une opinion ? Analyse structurelle de l'opinion.

 Opinion : avis personnel, point de vue, jugement dont on pense qu'il est vrai.

 Rapprochons-nous de la chose. Comment sont énoncées les opinions ?

 Les opinions sont prononcées de manière spontanée, directe, brutale, c'est-à-dire sans aucune définitions, explications, démonstrations, justifications, raisonnements, argumentations. Le propre des opinions est d'être prononcées de manière irréfléchie, immédiate.

 Opinion : jugement subjectif, immédiat, irréfléchi. Lorsqu'on opine, on n'a même pas l'idée de démontrer notre jugement, l'affirmation fait l'économie de toute forme de justification de ce que l'on affirme.

 Signification :

 Il est de l'essence de l'opinion de se définir seulement par le type de rapport que le sujet entretient avec ce qu'il affirme et non par le contenu de ce qu'il affirme. Ce n'est pas ce qui est affirmé par quelqu'un qui détermine l'opinion, c'est le rapport immédiat, irréfléchi, purement affirmatif, énonciatif et péremptoire avec ce qui est affirmé qui détermine l'opinion. Ce qui fait une opinion, ce n'est pas le contenu de ce qu'on affirme ou la valeur de vérité de ce qu'on affirme, mais la manière d'affirmer.

 Conséquence : on ne peut pas donner d'exemples d'opinions, parce qu'on ne peut pas la définir par un contenu précis. Il existe des opinions grossières et des opinions savantes, l'essentiel est dans le rapport, de sorte que le même énoncé est susceptible d'être chez l'un opinion et chez l'autre un énoncé d'une nature différente.
 Voilà qui doit créer un malaise généralisé : non seulement cela permet de comprendre que l'on est le plus souvent dans l'opinion, mais en plus qu'il ne suffit pas d'énoncer des propositions qui correspondent à des attentes, qui  satisfont à des attentes sociales par exemples (question d'un prof, d'un parent...) ou qui se trouve avoir quelque rapport avec la réalité pour être en dehors de l'opinion tant que l'on est dans l'immédiateté.

D'où nous viennent nos opinions ? Comment  incorporons-nous des opinions ?

2 ) D'où nous viennent nos opinions?
Analyse génétique de l'opinion.
 

 Elles proviennent de sources non contrôlées, non maîtrisées et non réfléchies : l'expérience quotidienne, les médias, notre éducation, l'intérêt, les passions. L'ensemble des phénomènes qui ont une influence incontrôlées sur notre esprit. De manière spontanée, irréfléchie, nous reproduisons, nous répétons des jugements tout faits prononcés par des individus qui ont sur nous une certaine autorité, en qui nous faisons confiance ou tout simplement que nous aimons.
 Ce qui caractérise donc l'incorporation d'opinions, c'est notre passivité intellectuelle, notre soumission, notre démission intellectuelle. Mais, la passivité intellectuelle se distingue de la simple paresse intellectuelle: la passivité est notre lot commun au moins au début de notre existence, cf. Descartes : Ayant été enfant avant que d'être homme, nous n'avons pas pu faire autrement que d'écouter et de croire ce qu'on nous disaient et de le tenir pour vrai. Si nous avions d'emblée eu l'usage de notre raison dans toute sa force, il ne serait peut-être pas nécessaire de faire de la philosophie, c'est-à-dire pour commencer de faire le ménage dans notre esprit, de se mettre à douter de la valeur de nos opinions.

3 ) A quoi servent nos opinions?
Analyse fonctionnelle de l'opinion.

 Quelle est la fonction de l'opinion, son utilité pour nous?

 Fonction psychologique: elle rassure, elle donne des repères dans l'existence, elle nous permet de croire que nous connaissons la réalité, et donc d'agir comme il convient, en fonction de ce que sont les choses. Elle donne du sens au monde et à l'existence. Elle évite l'effort intellectuel. Elle permet de pouvoir s'affirmer dans l'ordre du discours, de prendre la parole, d'avoir quelque chose à dire aux autres.
 Fonction sociale : l'opinion est un moyen d'intégration sociale, elle sert à se faire reconnaître par un groupe social, de s'y faire accepter. En la matière, nous préférons presque toujours l'intégration sociale à la vérité et à sa recherche. Ex : adoption des préjugé d'un groupe, de ses opinions religieuses...
 L'opinion a donc des fonctions majeures pour le confort intellectuel et social des individus. Sans elle, la vie serait difficile.
 

 Nous avons désormais déterminé l'ensemble des caractéristiques propres à une opinion : l'essence ou la nature d'une opinion, c'est d'être une proposition qu'on tient pour vraie, qu'on affirme de manière spontanée, immédiate, qu'on adopte par paresse intellectuelle et qu'on conserve parce qu'elle nous rend service. C'est pourquoi on peut ajouter qu'il est de l'essence de l'opinion que celui qui la prononce soit attaché à ses opinions comme à lui-même : on est affectivement, passionnellement attaché à nos opinions, on confond ce qu'on est avec ce qu'on croit savoir.

 Cette définition de l'opinion, loin d'être seulement nominale cerne les caractéristiques réelles et essentielles des opinions. Mais nous permet-elle de comprendre pourquoi elles font l'objet d'une condamnation unanime de la science et de la philosophie ? Qu'est-ce qui est méprisable en elle ?

4) Opinion et vérité.

 L'opinion se définit essentiellement (c'est ce qui apparaît dans les trois types d'analyse) par le rapport que le sujet entretient avec ce qu'il affirme. Tous les caractères mis en évidence qualifient en effet le rapport que le sujet entretient avec son opinion : immédiateté, irréflexion, passivité, utilité. Rien ici qui soit relatif au contenu des opinions.

 Ce qui signifie que si les opinions sont condamnées, ce n'est pas à cause de leurs contenus ni donc à cause de leur fausseté, mais à cause du rapport irréfléchi et passif qu'on a avec nos opinions. Ce qui est condamné et condamnable en effet, c'est qu'on affirme péremptoirement quelque chose, mais en répétant quelque chose sans savoir en quoi ni pourquoi c'est vrai.

 Les philosophes et les scientifiques, comme on aurait pu l'attendre ne s'en prennent pas aux opinions parce qu'elles sont fausses, puisque rien ne permet d'exclure qu'elles puissent être vraies, mais parce que nous ne savons pas ce que nous disons lorsque nous opinons. 

 Aussi bien, comment déterminer le rapport de nos opinions à la vérité sinon en disant qu'elles ne sont ni vraies ni fausses ? Elles ne sont pas vraies puisqu'elles ne sont pas réfléchies, démontrées, mais elles ne sont pas toutes autant qu'elles sont fausses non plus puisqu'elles peuvent bien à l'occasion être exactes. L'opinion n'est ni vraie ni fausse, elle se situe en dessous du seuil du vrai et du faux, mais, parce qu'on la prend pour vraie, on dira qu'elle est de l'ordre du vraisemblable, c'est-à-dire semblable au vrai, mais sans l'être vraiment.  C'est précisément cette vraisemblance de l'opinion qui lui donne un grand pouvoir de séduction capable de provoquer notre adhésion

L'opposition entre le vrai et le vraisemblable est très présente chez Descartes qui pour des raisons de méthode décide de tenir tout ce qui n'est que vraisemblable et donc suspect, douteux, pour faux, dans le but de pouvoir isoler dans l'ensemble de nos idées celles qui sont authentiquement vraies.

 Ce qui signifie que, parmi l'ensemble des énoncés possibles, on ne distingue pas seulement les vrais des faux : il en existe une troisième catégorie, de loin la plus importante, la catégorie des énoncés qui ne sont ni vrais ni faux, mais vraisemblables. Et au sein de l'ensemble des opinions, on peut encore faire une distinction entre celles qui ne correspondent à rien et celles qui se trouvent être exactes, vraies en cela qu'elles correspondent bien à ce qui se passe réellement, encore qu'elles soient par définition indémontrées. Ce qui signifie qu'on ne puisse pas savoir pourquoi elles sont exactes et donc lesquelles le sont et lesquelles ne le sont pas.

 On trouve une pareille distinction chez Platon, dans le Ménon, avec la notion d'opinion droite (orthodoxa). L'opinion droite peut être dite vraie en ce que son contenu est en accord avec la réalité, mais elle l'est par accident, par hasard. Celui qui n'a qu'une opinion droite est incapable de dire pourquoi son opinion est vraie. A la différence de celui qui dispose d'un savoir qui, lui, peut rendre compte, par le raisonnement, de la vérité de son savoir. Attention, pour Platon, toutes les opinions ne sont pas droites, la plupart d'entre elles n'ont qu'un rapport incertain avec la réalité : elles ne sont que des opinions tout court.

 Mais dire que les opinions ne sont ni vraies ni fausses et dire qu'il existe des opinions droites en cela qu'il existe des opinions qui sont exactes ou vraies, implique que nous entendons la vérité en deux sens différents. 

 - On peut la définir comme un énoncé adéquat, c'est-à-dire qui correspond rigoureusement à la réalité, ses caractères propres et dans toute son extension. De ce point de vue, les opinions ne sont pas toutes vraies : ne le sont que celles qui sont droites puisqu'elles correspondent effectivement à la réalité. Mais celui qui la prononce ne sait pas pourquoi elle est vraie, ne peut pas démontrer sa vérité. Ce qui renvoie au deuxième rapport sous lequel il est possible de définir la vérité.
 - On peut aussi définir la vérité d'un énoncé par le caractère démontrable de cet énoncé. Est vrai ce qui est démontré au moyen du raisonnement, d'une démonstration. On pourra aussi reconnaître comme vrai les énoncés pour lesquels il existe des arguments. De ce point de vue le vrai se confond avec le démontrable et de ce point de vue, par définition, aucune opinion n'est vraie.

 Voilà donc deux aspects sous lesquels il est possible de définir la vérité d'un énoncé, l'un concerne le rapport qui existe entre le contenu de l'énoncé et la réalité, l'autre concerne le rapport qui existe entre celui qui se prononce et ce qu'il dit. Attention ! Isolés, ces deux aspects peuvent se révéler insuffisant : il se peut que mon discours soit adéquat au réel, mais si je ne peux pas démontrer mon discours, je suis dans l'opinion droite, qui comme une statue de Dédale, peut s'envoler si je ne l'enchaîne pas. Et, il se peut aussi que je démontre de manière valide un énoncé et que sa conclusion soit fausse du point de vue de la réalité, c'est-à-dire inadéquat. 
 

 Que l'opinion ne soit que vraisemblable, et qu'à ce titre, sa prétention à la vérité soit contestable et illégitime, cela est désormais acquis. Reste à savoir si et en quoi les discours philosophiques et ceux de la science, dont le mépris pour l'opinion se trouve à présent expliqué et justifié, échappent pour leur part aux critiques qui valent pour l'opinion. Nous avons réglé un premier problème, mais rien ne permet encore de soutenir que la critique de l'opinion ne s'applique pas aussi à d'autres discours. 
Mais avant cela se pose la question de savoir comment il est possible de s'arracher à la sphère de l'opinion.


 
 
II) PEUT-ON ROMPRE AVEC NOS OPINIONS ?

 Parce que l'on croit tenir des discours vrais, lorsqu'on se trouve dans l'opinion, on ne peut que l'ignorer. Ce n'est qu'une fois qu'on en est sorti qu'on en prend conscience. C'est le paradoxe de la situation : on s'en rend compte seulement lorsqu'on n'a a plus besoin de le savoir parce qu'on en est sorti. Situation qui rend difficile en elle-même et  difficile à comprendre la sortie hors de la sphère de l'opinion

 A quelles conditions est-il possible de s'arracher à la sphère de l'opinion?

A ) LES CONDITIONS DE LA RUPTURE AVEC L'OPINION.

 La sortie hors de la sphère de l'opinion n'est pas spontanée, ni de l'ordre d'une décision rationnelle, elle est forcée, contrainte, provoquée, et, elle est de ce fait violente.
 Qu'est-ce qui peut provoquer cette sortie ; qu'est-ce qui peut forcer à sortir de l'immédiat, ébranler la confiance en soi de l'opinion?

  1 ) La rencontre avec l'altérité.

 Altérité : du latin alter, le caractère de ce qui diffère, de ce qui est autre, qui est étranger. Cf.: Alter ego (autre moi), alternative (autre voie, option, choix), altération (devenir autre chose que ce que l'on était, associé à l'idée d'une dégradation, d'une parte de son identité, de sa nature)

 Qu'est-ce que l'altérité pour l'opinion ? 

 Les opinions des autres lorsqu'ils contredisent nos propres opinions. Dès lors elles cessent d'aller de soi, ne serait-ce que parce qu'elles ne sont plus les seules.

 Attention ! L'altérité des opinions, des avis des autres peut avoir différentes formes, plus ou moins fortes et dérangeantes.
 - Elles peuvent être seulement différentes des nôtres. Simplement dans ce cas, elles ne sont pas identiques. 
Ex : 1) Tous les chats sont aimables. 2) Tous les chats sont gris. Il y a là simple différence entre ces deux avis. Cela ne tire pas à conséquence.
 - Elles peuvent être opposées aux nôtres. Elles sont différentes des nôtres, mais en plus, elles sont en désaccord avec elles. Ce qui caractérise deux propositions opposées, c'est qu'elles peuvent être ou bien l'une vraie et l'autre fausse, ou bien toutes les deux vraies ou fausses. EX : 1) Tous les chats sont gris. 2) Les chats sont de différentes couleurs. Ici, elles sont toutes les deux vraies, à condition de préciser que ce n'est pas en même temps : ils sont tous gris la nuit et de couleurs différentes le jour. 
 - Elles peuvent être contradictoires entre elles. Elles sont différentes entre elles mais de telle sorte qu'elles ne peuvent pas simultanément être toutes les deux vraies ou fausses, de telle sorte donc que si l'une est vraie, alors l'autre est nécessairement fausse et inversement. EX : 1) Tous les chats sont gris. 2 ) Aucune chat n'est gris. 1) Dieu existe. 2) Dieu n'existe pas. 1 ) Cette opinion est vraie / Mes opinions sont vraies. 2) Aucune opinion n'est vraie.

 Il va de soi que selon la nature de la différence entre les opinions, leur rencontre n'aura pas les mêmes effets sur nous. Rencontrer de l'opposition ou une contradiction est plus dérangeant, plus susceptible de nous forcer à réfléchir.

Autres formes de l'altérité pour l'opinion :

 Des faits, des événements, des êtres qui sont des réfutations réelles de nos opinions et qu'il est impossible de ne pas voir.
  Ex : Les sauvages de la Renaissance. Comment se fait-il qu'il y ait des êtres qui n'ont jamais entendu parler de Dieu et du Christ mort sur la croix pour le rachat des pêchés de toute l'humanité. D'où la question de savoir si ce sont des hommes ou non. La réponse par la négative de la part de l'Eglise catholique en ce qui concerne les Noirs donnera une caution religieuse à l'esclavage.
  Ex : La rencontre avec d'autres cultures qui comportent des croyances, des certitudes et des rituels sociaux très différents des nôtres et qui ont leur "logique", qui ont leur justification.
  Ex : Des faits, des événements qui contredisent une opinion répandue à une époque donnée: le tremblement de terre de Lisbonne contredit l'idée de Providence Divine. Tchernobyl, le sida et le cancer comme remettant en cause l'optimisme technologique. La crise économique durable remet en cause la croyance selon laquelle le mode de production capitaliste rend possible une élévation générale du niveau de vie et du bien-être matériel.

 Mais cette rencontre ne va pas de soi : l'opinion maîtrise bien l'art de l'esquive de tout ce qui la contredit. Ce qui  fait que cette rencontre est assez rare... (Il faut souvent faire l'effort de découvrir ou de construire des espaces de communication et d'échange, des lieux communs qui rendent possible la rencontre.)

 Quelles sont les conséquences de cette rencontre ?
 Traumatisme  et déstabilisation. C'est une expérience pénible, troublante, dérangeante. On peut y perdre sa confiance en soi, sa sérénité et le sommeil.

 Platon puis Aristote, pour désigner à la fois cette rencontre et ses effets sur nous, parle de l'étonnement. Ce mot ici a un sens fort, le sens rappelé par son étymologie : tonnerre, être frappé par la foudre, être foudroyé par la prise conscience de l'existence de quelque chose à quoi on ne s'attendait pas, qui nous surprend compte tenu de nos opinions. Pour Platon et Aristote, l'étonnement est le sentiment qui déclenche la rupture avec l'opinion et l'entrée dans la réflexion, la philosophie. C'est le sentiment philosophique par excellence. Pourquoi ? Parce que ce qui le déclenche, c'est la découverte soudaine d'une opposition ou d'une contradiction entre une de nos opinions et celle d'un autre ou une observation. Donc parce que ce qui étonne correspond très exactement à ce qui caractérise  un problème philosophique : une contradiction entre deux discours qui semblent être tous les deux vrais, ce qui n'est pas possible puisqu'ils se contredisent précisément.
Attention : on peut avoir des étonnements de divers ordres, il est par exemple possible de s'étonner qu'il existe quelque chose plutôt que rien, qu'il y ait un monde, du réel. Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Question posée en ces termes par Leibniz. L'importance de cette expérience de l'étonnement a fait dire à de nombreux philosophes que celui qui ne s'étonne de rien, donc celui pour lequel tout est "normal", ne sera pas philosophe. 
 

 Toutefois, la rencontre avec l'altérité , si elle est une condition nécessaire à l'arrachement à la sphère de l'opinion, n'est pas suffisante pour rompre avec nos opinions. Il ne suffit pas de rencontrer l'altérité pour quitter ses opinions, sinon, on ne serait plus dans cette sphère depuis longtemps.

2 ) Le souci de la vérité.

 Il ne suffit pas de rencontrer l'altérité pour sortir de la sphère de l'opinion, pour quitter l'immédiateté, pour se mettre à réfléchir. Ce n'est pas cette rencontre qui va d'elle-même susciter le passage à la réflexion ; elle ne fait que la rendre possible. Pire, cette rencontre peut même conduire à renforcer l'attachement à nos opinions. 

Que se passe-t-il en effet lorsque nous rencontrons l'altérité, par exemple, sous la forme d'une autre opinion ? Le plus souvent, lorsque la conversation est possible, nous nous mettons à argumenter, c'est-à-dire à exposer les raisons pour lesquelles nous avons affirmés notre opinion. Dans l'improvisation puisque nous n'avions initialement par d'arguments en faveur de notre opinion parce qu'elle n'était qu'une opinion justement. Se mettre à proposer des arguments est généralement tenu pour une bonne chose. On pourrait même dire que se mettre à argumenter, c'est commencer à sortir de l'opinion. 
Seulement, qu'est-ce que présuppose une telle attitude ? Que nous sommes bien persuadés que ce que nous avançons est vrai et qu'il suffit de produire une argumentation pour que cela apparaisse à celui à qui on s'adresse. Or, d'où nous vient cette certitude d'avoir raison ? De rien. Elle est d'autant moins fondée, à nos yeux, que nous savons désormais qu'il n'est guère prudent de penser que nos opinions sont nécessairement vraies. On le voit, commencer à argumenter risque de ne pas nous rapprocher de la vérité, mais nous faire aller à la recherche d'arguments en faveur d'une idée dont on ne sait pas si oui ou non elle est vraie.
Alors plus loin : qu'est-ce que nous recherchons en proposant des arguments ? A convaincre ou à persuader notre interlocuteur du bien fondé de notre avis. Ce qui suppose une fois de plus que nous pensons avoir raison sans pourtant avoir encore toutes les raisons de le penser. Mais si nous cherchons à faire admettre à notre interlocuteur que nous avons raison sans vraiment pouvoir être sûr que nous avons raison, c'est qu'en réalité notre but n'est pas de communiquer une vérité, mais de vaincre, de gagner l'autre à notre cause. Sous couvert de dialoguer, on se fait la guerre. C'est du reste pour cette raison que le plus souvent chacun campe sur ses positions, c'est-à-dire se bat sans gagner de terrain sur l'autre.
Qu'est-ce que cela signifie sinon que la rencontre avec l'altérité n'a en rien conduit à se défaire de ses opinions, bien au contraire ? Ce qui veut dire que cette rencontre ne produit pas à elle seule et toujours la rupture avec nos opinions.
Qu'est-ce qu'il aurait fallu pour que cela se produise ici ? Que faut-il pour qu'une conversation qui part d'un désaccord conduise à autre chose que se faire la guerre ? Que ceux qui conversent renoncent au désir de vaincre pour celui d'en avoir le cœur net, pour celui de rechercher la vérité en acceptant dès le départ qu'il soit possible que ce ne soit pas nous qui la détenons. Sans ce souci de rechercher la vérité sans en faire un duel, la rencontre avec l'altérité sera stérile. 
En apparence, cela ne fait pas beaucoup de différences, mais en réalité cela change tout. C'est sur cette idée que revient souvent Socrate, particulièrement dans le Gorgias, lorsqu'il oppose la rhétorique, dont le but affiché est de persuader tous les auditoires d'à peu près tout, à la pratique du dialogue tel qu'il l'entend, à savoir où on a autant de plaisir à réfuter les autres qu'à être réfuté par eux parce que dans les deux cas, c'est la recherche de la vérité qui progresse.

 Sans ce désir de connaître la vérité, la rencontre avec l'altérité est vaine. Et, en l'occurrence, il s'agit bien d'un désir, d'une volonté impérieuse, d'un élan irrépressible,  et pas d'une simple résolution ou d'une simple bonne intention : cela ne suffit généralement pas.
 Cf.: Le Banquet de Platon : entre l'ignorance (ne rien savoir encore) et la science (posséder un savoir démontré et assuré) il existe deux intermédiaires : l'un est statique, il s'agit de l'opinion droite (indémontrée mais en rapport avec la réalité telle qu'elle est), l'autre dynamique, en mouvement, il s'agit d'Eros, du désir ou de l'amour, compris comme amour des belles choses, au nombre desquelles il faut aussi compter la science et la vérité conçues comme les plus belles choses qui soient. Platon indique par là que la recherche de la vérité relève bien plus d'une force qui agit en partie malgré nous que d'une décision raisonnée. 

Cf.: l'étymologie du mot philosophe: celui qui aime, désire la sagesse, donc qui ne la possède pas encore.
 Sans ce désir, cet amour de la vérité, la rencontre avec l'altérité est vaine lorsqu'il s'agit de sortir vraiment de la sphère de l'opinion.

 En raison de l'importance des deux conditions et en raison de leur rareté, on peut comprendre que le saut en dehors de la sphère de l'opinion est plus souvent raté que réussi. Mais, comment plus précisément peut-on rater ce saut ?
 

B ) L'ECHEC DE LA RUPTURE AVEC LA SPHERE DE L'OPINION.

 Puisque ce saut exige que soient remplies deux conditions, il peut donc échouer de deux manières.

  1 ) Le rejet de l'altérité.

 A la violence, psychologique, provoquée par la rencontre avec l'altérité peut répondre une autre violence, un autre coup de force dirigé contre l'altérité et destiné à faire cesser la souffrance qu'elle nous cause. De cette manière, on peut la neutraliser, faire en sorte qu'elle cesse de nous parler, d'être importante.
 - Se moquer : nier le caractère sérieux des propos de l'autre, les renvoyer à une simple plaisanterie sans intérêt.
 - Déprécier l'autre : le déclarer fou ou stupide, c'est-à-dire incapable de tenir des propos sérieux. Le fou, l'idiot n'ont pas l'esprit sain, ne sont pas en totalité des hommes, donc on n'a rien de commun avec eux, donc ce qu'ils disent ne vaut pas.
 - L'ethnocentrisme : attitude qui consiste à penser que sa propre culture incarne l'accomplissement de l'humanité et de la culture, que les autres ne sont que des barbares sous développés, des êtres inachevés ayant conçu une culture arriérée.

 Dans tous les cas, on annule la possibilité de la rencontre authentique avec les propos de l'autre en niant tout fonds commun avec eux. L'autre n'est plus que bizarre, absurde, exotique, anecdotique...

 Mais ce n'est pas tout : lorsque le renvoi dans l'étrange est impossible, lorsqu'il est trop manifeste que l'autre n'est pas fou, qu'il nous parle bien, trop bien et qu'il est dérangeant, on peut le détruire, le mettre hors d'état de nuire. (la prison, l'asile et la mort). 
 Cf : Athènes condamnant Socrate à mort parce qu'il dérangeait tout le monde avec ses questions qui obligeaient à réfléchir et à renoncer à ses opinions, à ses préjugés.

 Par ailleurs, lorsque l'altérité prend la forme non pas de discours, mais de réalité observées ou dont on nous rapporte l'existence, il est tout aussi possible de s'épargner la peine de la rencontre non pas en détruisant cette réalité, mais en faisant comme si elle n'existait pas.
 En effet, quand on est dans l'opinion, on entretient un rapport au réel très complexe. D'une part, nos opinions ne sont pas toujours sans aucun rapport avec lui. Elles ne sont pas de pures illusions, elles sont tournées vers les faits. Seulement, nos opinions rendent notre regard sélectif : on ne retient que ce qui confirme nos opinions et on se fait aveugle à tout ce qui les infirme et les réfute. Jusqu'à considérer que seul que ce qui la confirme est vraiment réel. On déréalise ce qui nous dérange. L'altérité de la réalité à l'égard de ce qu'on pense d'elle s'en trouve ainsi annulée, anéantie à nos propres yeux. A défaut, on ne remettra pas nos opinions en cause en expliquant qu'une observation qui les contredit est l'exception qui confirme la règle.
Cf : Clément Rosset. La réalité ne s'impose pas à nous : elle est tolérée à condition de ne pas contrevenir trop fortement à nos attentes. Lorsqu'elle devient inacceptable, elle est suspendue, mise hors circuit.

 Pourquoi un tel rejet ?
 Parce que renoncer à ses opinions, c'est gros de dangers, de désespoir. Telle est l'attitude du conformisme, du dogmatisme (de l'affirmation contre toute forme d'objection et de critique d'une idée, d'une thèse ou d'une doctrine.) Illustration de la violence dont sont capables les certitudes commodes ou utiles.

 Conséquences de ce rejet ?
 On peut continuer comme avant à affirmer ses opinions. Cette affirmation violente ou fermée aux discours des autres s'appelle le dogmatisme, attitude qui consiste à tenir pour vraie et indiscutable une thèse, une conception de la réalité. L'expression la plus humble du dogmatisme est le fait d'être buté, de considérer ses propres convictions comme les seules qui valent. Attitude qui n'est jamais éloignée de la violence des fanatiques.
 Le saut a donc échoué... Mais ce n'est pas la seule manière d'échouer... Le saut peut échouer non pas en raison du rejet de l'altérité, mais à cause du renoncement à la vérité.

2 ) Le renoncement à la vérité.

 A l'inverse de la situation précédente, il est possible d'accepter l'altérité, celle des opinions différentes des nôtres, mais pour les noyer toutes dans la pluralité des opinions. L'altérité est tolérée, reconnue, acceptée, mais au point que les différences entre les opinions sombrent dans l'indifférence, deviennent indifférentes. Toutes les différences reviennent au même, se valent.
 C'est cette position qu'expriment les expressions telles que : tout se vaut ; à chacun ses opinions, à chacun sa vérité, on détient tous une part de la vérité, chacun a le droit de penser ce qu'il veut ; c'est comme les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, c'est une question de point de vue.

 Comment s'appelle une telle attitude ?
 Le relativisme. C'est la position que ceux qui pensent que tout le monde détient une vérité, sa vérité, que la vérité est donc relative à celui qui la prononce et non quelque chose qui vaut en soi, qui est vrai indépendamment de celui qui la prononce. Seulement, comme on peut observer que tous les individus n'affirment pas le même chose, n'ont pas tous la même vérité, on ajoute que, puisque chacun a sa vérité, que toutes les opinions se valent. Si tout est relatif, il est vain d'accorder à un discours plus de valeur qu'à un autre. Tous se valent, voire tous n'ont aucune valeur. Ce n'est donc même pas la peine de faire l'effort de les connaître.

 On peut trouver que le relativisme est finalement une position tolérante et même généreuse dans la mesure où elle permet à tout le monde de dire ce qu'il pense, sans accorder à un discours plus de valeur qu'un autre. De ce point de vue, on peut le trouver bien préférable à l'attitude inverse, celle du dogmatisme et du fanatisme, qui eux conduisent à la violence, alors que le relativisme lui n'y conduit pas.

 Seulement, dire cela, c'est ignorer que le relativisme est autant que le dogmatisme une des raisons pour lesquelles le saut en dehors de la sphère de l'opinion échoue. En effet, dans ce cas, il n'y a pas d'examen des opinions, de réflexion sur leur multiplicité, de recherche de propositions qui vaudraient pour tous. Je ne cherche pas à en avoir le coeur net, je réaffirme comme avant mes opinions
 L'altérité est tolérée, mais sa puissance interrogative est annulée, désamorcée par le renoncement à la vérité.

 Par ailleurs, une telle position n'est pas sans danger parce qu'elle autorise l'expression de la bêtise, de propos violents et bientôt de la violence tout court. Parce que c'est ainsi que se banalise les opinions les plus intolérantes, celles qui grâce à la tolérance ambiante peut affirmer sa propre intolérance, son refus de l'altérité. La tolérance ne peut pas tolérer sans risquer de se nier ou de disparaître les opinions des ennemis de la tolérance. Comme pour la liberté. Le relativisme se menace lui-même de disparaître.

 Enfin et surtout, le relativisme est quand on y réfléchit un peu une position intenable sérieusement. Comment peut-on en effet soutenir simultanément que notre point de vue exprime la vérité, et, qu'il n'est pas préférable à n'importe quel autre point de vue, puisque toutes les opinions se valent ? Il faudrait savoir : soit nous avons raison de préférer notre point de vue à celui des autres et dans ce cas, il vaut plus qu'eux, soit notre point de vue ne vaut pas plus que celui des autres, auquel cas notre attachement à celui-là est vain.
 Ou bien, mon point de vue est vrai et il est préférable à tous les autres qui s'en distinguent et qui donc pour cela sont faux, ou bien son caractère indifférent révèle son absence de justesse, de vérité, sa fausseté donc : toutes les erreurs se valent en tant qu'elles ne sont pas des vérité.
 Dit autrement : si nous avons tous nos opinions au sujet d'une chose, le risque est élevé qu'il existe entre les opinions des différences, des oppositions, voire des contradictions. Or, comment peut soutenir que nous avons tous raisons si nous ne sommes pas d'accord entre nous ? Comment peut-on dire alors que nous sommes tous dans le vrai ?

 De sorte que si on tient à être cohérent, il n'est plus possible de dire que chacun détient sa vérité, que toutes les opinions se valent ou que la réponse à toute question dépend de chacun. du reste, au fond, si le relativisme est professé, il n'est pas réellement pratiqué : on ne change pas d'avis sans cesse et on tient pour vraies nos opinions et pas celles des autres sans quoi on n'y tiendrait pas autant. On ne va pas jusqu'à s'installer dans la contradiction. On est relativiste pour rester en bons termes avec ceux avec lesquels nous sommes en désaccord et pour qu'on nous laisse tranquille avec nos opinions.

 Résumons-nous : le saut en dehors de la sphère de l'opinion peut échouer de deux manières : soit par rejet de l'altérité, soit par renoncement à la vérité. Mais dans les deux cas, on fait bien plus qu'échouer : ces deux échecs s'accompagnent toujours et nécessairement soit d'un côté de la violence, soit de l'autre de l'incohérence et de l'absurdité. On n'échoue pas sans frais dans la rupture avec la sphère de l'opinion.

 C'est pour ces raisons que cette rupture est nécessaire : elle l'est d'un point de vue éthique si on veut éviter la violence, elle l'est d'un point de vue rationnel si on veut éviter de dire n'importe quoi. Ce qui signifie qu'en réalité la seule question qui mérite ici d'être posée n'est pas de savoir pourquoi il faudrait faire de la philosophie, mais comment peut-on se passer d'en faire, comment pourrait-on vivre et penser sans en faire puisqu'elle permet non seulement de rompre avec l'opinion, mais aussi et peut-être surtout, avec la violence et le n'importe quoi.

 Ce qui importe donc maintenant, c'est de savoir en quoi consiste le saut réussi et où mène-t-il ?

C ) LA RUPTURE REUSSIE AVEC NOS OPINIONS.
 

 Nous savons qu'il n'est possible de rompre avec nos opinions que si on rencontre l'altérité tout en étant désireux de connaître la vérité. Mais en quoi consiste au juste cette rupture, le saut en dehors de l'opinion ?

 Le saut consiste moins en une rupture avec les opinions elles-mêmes qu'avec l'attitude propre à l'opinion : il est rupture avec l'immédiateté qui caractérise l'opinion. Celui qui s'arrache à la sphère de l'opinion ne se contente pas de dire que toutes ses opinions sont mauvaises - ce n'est qu'une opinion de plus -, il passe de l'irréflexion à la réflexion. 

 Mais, en quoi consiste la réflexion ? 

 La réflexion consiste d'abord à se dire : Stop! Une minute! Il faut voir ça de plus près! Prenons le temps et la peine d'y voir un peu plus claire dans telle ou telle idée ou affirmation.
 A savoir : réfléchir, c'est d'abord se mettre en retrait par rapport au cours des choses et de la vie, cesser d'y être plongé, se donner du temps, celui de la réflexion, comme on dit justement.

 Elle consiste ensuite à se dire : Mais, au juste, qu'en est-il vraiment ? Est-ce que c'est vrai, cette idée que j'entends ou en laquelle je crois ? Est-ce que cet avis est aussi solide, aussi valable que je le crois ou qu'on le croit ? Elle consiste donc à se poser des questions. Réfléchir, c'est bien, comme on le dit communément, se poser des questions. 
Mais ce n'est pas que cela, c'est aussi tâcher de répondre aux questions qu'on se pose, pour ensuite éventuellement interroger la réponse et ainsi de suite jusqu'à être satisfait par la réponse qu'on donne finalement. Réfléchir, c'est se poser des questions et se donner des réponses à ses propres questions.
 

 Ce qui à l'examen est une des choses les plus surprenantes qui soient. Il est en effet étrange et paradoxal de SE poser des questions. Lorsqu'on pose une question, c'est parce qu'on cherche à savoir quelque chose qu'on ignore. Pour savoir ce qu'on ignore, on la pose à quelqu'un qui, selon nous, doit connaître la réponse. Se poser à soi-même une question implique donc simultanément qu'on ne sait pas quelque chose qu'on veut savoir et néanmoins qu'on doit connaître la réponse puisqu'on SE pose la question à soi-même. Se poser des questions suppose donc que nous sommes à la fois ignorants et savants. Tel est le paradoxe de la réflexion.

Comment expliquer et dépasser ce paradoxe ? Comment peut-on soutenir qu'on connaît la réponse à la question qu'on se pose et qu'en même temps on ne la connaît pas ?
On peut d'abord l'expliquer en disant qu'on l'a su la réponse, qu'on l'a appris, mais qu'on l'a oubliée. Dans ce cas, la réflexion se confond avec un effort de mémorisation ou de reconstitution de ce qu'on a su et oublié.
Mais on peut aussi l'expliquer autrement : les réponses qu'on cherche, on peut ne pas les avoir apprises. Ce qui implique que celles qu'on trouve, ce sont celles qu'on produit de soi-même, qu'on invente, qu'on tente. Mais comment s'en tenir à des réponses qu'on invente ? N'est-ce pas prendre le risque d'admettre comme vraie des réponses délirantes ? Non, parce qu'on ne retient que celles qui résistent à l'examen qu'on leur fait subir avec les questions auxquelles on les soumet par et dans notre réflexion. Réfléchir, c'est ainsi essentiellement mettre à l'épreuve les réponses qu'on donne à nos propres questions.
Contre toute attente, la réflexion exige donc d'avoir de l'audace dans ces réponses, d'oser des réponses, de tenter, mais elle exige aussi d'avoir de la prudence, de la méfiance, d'être impitoyable avec les tentatives vaines.

Parce que la paradoxe peut être dépassé de deux manières, on peut opposer d'un côté les formes de pensée qui exige la mémorisation puis la restitution de savoirs aux disciplines de la réflexion proprement dite, aux disciplines qui reposent sur l'inventivité de la réflexion. Ce qui signifie que la pratique de la philosophie ou de la science, parce qu'elles reposent sur la réflexion, exigent bien autre chose que l'acquisition et la restitution de savoirs. On peut d'ailleurs expliquer que la philosophie et la science aient une histoire traversée par des conflits par cela qu'elles reposent sur la réflexion, l'invention de réponses et de questions qui raturent les questions et les réponses antérieures.

Mais cela signifie aussi que parmi l'ensemble des choses que nous savons, il y en a que nous n'avons pas apprises mais que nous avons conçues par nous-mêmes, que nous avons constituées autant que  découvertes.

 Cette définition de la réflexion, on la retrouve chez Platon, qui dans le Théétète, définit l'acte de penser comme un dialogue intérieur au cours duquel on s'interroge soi-même et on donne des réponses à ses questions. Jusqu'à ce qu'on n'ait plus de raisons de douter de ce qu'on dit. De ce point de vue, on de distinguera pas penser et réfléchir.

 Il faut toutefois observer que la réflexion peut ne pas être produite par un effort continu, volontaire et conscient : il arrive que les réponses à nos questions, celles qui nous travaillent, nous viennent comme inopinément, comme de soudaines révélations. C'est qu'on pensait encore, mais sans le savoir, sans effort conscient.

 Rq : on pourrait s'étonner que la réflexion repose sur l'invention de réponses aux questions qu'on se pose dans la mesure où on doit constater qu'il arrive souvent que deux personnes qui réfléchissent dans leur coin aboutissent aux mêmes résultats. Comment peut à la fois inventer des réponses et les découvrir ?
 A ce paradoxe, Platon répond en disant que la réflexion en réalité n'invente rien, mais découvre des vérités qu'on connaissait, mais qu'on avait oublié. C'est la théorie dite de l'anamnèse. Platon ramène l'invention à une remémoration.
 

 Seulement, si réfléchir, c'est se poser des questions pour leur apporter des réponses, il faut remarquer que la philosophie et la science n'ont absolument pas le monopole de la réflexion. Elle est même une activité intellectuelle finalement assez courante. Ainsi, on réfléchit lorsqu'on se demande comment éduquer ses enfants, comment faire son devoir ou quel est son devoir ou que faire de ses vacances. La réflexion peut ainsi servir soit à l'élaboration d'un projet, soit à la recherche des moyens les plus adaptés à la poursuite d'une fin donnée.

 Mais si la réflexion n'est pas le propre de la philosophie et de la science, qu'est-ce qui caractérise la réflexion philosophique ? Qu'est-ce qu'il faut ajouter à la définition générale de la réflexion pour comprendre en quoi consiste la réflexion philosophique, c'est-à-dire la rupture philosophique avec les opinions.
 Le passage à la réflexion correspond à la rupture avec nos opinions lorsqu'elle se donne pour but la découverte de la vérité (et non la conception d'un projet ou la découverte de moyens de faire quelque chose) et qu'elle a pour objet celles de nos opinions dont la vérité est devenue incertaine du fait de la rencontre avec l'altérité. On retrouve ainsi les deux conditions de la rupture avec nos opinions. La rupture avec nos opinions est donc à la fois passage de la passivité intellectuelle à la réflexion et mise en question des opinions.

 Peu de philosophes ont écrit sur la manière avec laquelle ils ont vécu ce passage et sur ce qui l'a provoqué. Toutefois, on peut trouver chez certains d'entre eux des témoignages ou des récits de ce passage. Notamment un témoignage chez Descartes et des récits chez Platon.

 Le témoignage de Descartes se trouve à la fois dans le Discours de la méthode et dans les Méditations Métaphysiques. Dans le Discours,  il affirme que les études qu'il a suivi ne lui ont enseigné que des savoirs incertains, vraisemblables. Sur les choses les plus importantes, les plus grands esprits sont en désaccord. En somme, les opinions savantes qu'il a apprises s'opposent les unes aux autres, sont dans un rapport d'altérité les unes par rapport aux autres. Après ses études, ses voyages vont lui faire perdre de nouvelles certitudes : la rencontre avec l'altérité des autres coutumes, des autres idées admises comme vraies le conduit à douter de ses dernières certitudes. Ces déceptions et ses désillusions semblent le conduire à devenir sceptique : à douter qu'il existe une seule connaissance certaine, et même à douter qu'il soit seulement possible pour les hommes de connaître une seule chose en toute certitude. C'est précisément pour en avoir le cœur net, pour savoir si le scepticisme n'est pas la plus avisée des attitudes intellectuelles qu'il entreprend d'écrire les Méditations métaphysiques. Il y décide d'entreprendre une fois pour toute l'examen de toutes ses opinions afin de découvrir s'il en existe au moins une qui soit vraie et, si elle existe, à partir d'elle de découvrir toutes celles qui, lui ressemblant, pourront être tenues pour vraies sans réserve. Il recherche une première vérité à partir de laquelle il serait possible de découvrir toutes les autres. 
 L'entreprise est radicale : Descartes part de l'incertitude qui frappe toutes les opinions pour se demander si ne serait-ce qu'une seule d'entre elles est vraie et donc s'il nous est possible de connaître quelque chose en toute certitude. Son but est donc radicalement d'en avoir le cœur net sur notre possibilité de connaître vraiment quelque chose. 
Pour ce faire, il va procéder à un examen méthodique de ses opinions, à une réflexion sur ses opinions qui suivra un ordre méthodique déterminé. A savoir : faire du doute une méthode de tri, d'élimination ordonnée de tout ce qui n'est pas certain, de toutes les idées incertaines, incapables de satisfaire pleinement son désir de vérité. A l'issue du doute radical, il ne reste aucune idée qui puisse être tenue pour vraie. Il se retrouve alors dans la situation extrême qui consiste à penser, à réfléchir, à avoir une pensée en acte mais plus aucun contenu de pensée, plus aucune idée qui puisse être affirmée. Moment de détresse qu'il compare à celle que connaîtrait un homme en train de se noyer dans une eau sombre, ne sachant où se trouve la surface. Une des plus terribles images inventées par un philosophe.

 Les dialogues de Platon, notamment les dialogues dits de jeunesse, sont tous des récits du passage plus ou moins réussi de l'opinion à la réflexion, non pas chez Platon ou chez Socrate, mais chez ses interlocuteurs. Socrate, dans ces dialogues, examine avec ses interlocuteurs certaines opinions courantes ou nouvelles à l'époque. Le point de départ des dialogues, c'est le plus souvent des situations de la vie quotidienne dans lesquelles on prononce des jugements tels que : ça, c'est beau, c'est courageux, c'est de la vertu, c'est pieux, c'est juste... A partir de là, Socrate invite ses interlocuteurs à lui donner la définition de la beauté, du juste, du courage, de la piété, de la vertu... Il faut bien qu'on sache ce que c'est puisqu'on en parle, qu'on juge les personnes et les choses en utilisant ces mots.
Or, au cours du dialogue, il apparaît que ses interlocuteurs ne savent pas de quoi ils parlent, c'est-à-dire que leurs définitions ne sont que des opinions sans aucune valeur. Le dialogue, c'est-à-dire les questions de Socrate et les réponses de ses interlocuteurs, va permettre de comprendre et de faire comprendre que ces opinions n'ont qu'une prétention illégitime à la vérité soit parce qu'elles oublient une grande partie de la réalité concernée, soit parce qu'elles se contredisent elles-mêmes. Par le dialogue, les interlocuteurs de Socrate sont forcés de reconnaître que leurs opinions ne valaient rien. Ils sont plongés ainsi dans la plus grandes des perplexités, dans l'embarras : ils ne savaient pas ce qu'ils disaient, ils parlaient à tort et à travers, et, une fois qu'ils s'en sont rendus compte, ils ne savent plus quoi penser et dire. 
Qu'est ce que cela signifie ? Puisque le dialogue progresse par les questions de Socrate et les réponses de ses interlocuteurs, il est l'équivalent de la réflexion non pas telle qu'elle se déroule dans l'esprit d'une seule personne, mais transposée sous la forme d'une conversation entre deux personnes. On peut donc dire que les dialogues de Platon sont comme une mise en scène, une dramatisation de ce qui pourrait être une réflexion personnelle. De ce point de vue, il apparaît que la rupture avec les opinions, la prise de conscience de la piètre valeur des idées communes est l'œuvre de la réflexion. C'est donc elle qui plonge dans l'embarras.
Cet état peut conduire à mettre en colère contre Socrate ceux qui le voient remettre en cause les opinions admises et ceux qui doivent admettre qu'ils ne savent pas ce qu'il prétendaient savoir. Mais il peut aussi conduire à plonger ses interlocuteurs dans une perplexité dont ils parviennent pas à sortir d'eux-mêmes malgré les questions de Socrate. Dans ce cas, ils lui demandent souvent les réponses aux questions qui les laissent sans voix. A quoi il répond toujours qu'il n'en sait rien, que leur embarras est aussi le sien. Au cours de son procès, il dira même que la seule chose qu'il sache c'est qu'il ne sait rien et c'est sans doute pour cela qu'il est déclaré sage, le plus sage des hommes, par l'oracle de Delphes. Enfin, cet état peut conduire ses interlocuteurs à réfléchir avec Socrate de telle sorte qu'ils proposent des réponses qui ne sont plus des opinions, qui ont une autre valeur, une autre tenue. Dans ce cas, la rupture avec les opinions conduit à mettre son interlocuteur en état de réfléchir avec Socrate. Mais Platon ne parle pas de rupture avec les opinions, de passage à la réflexion, il parle de conversion de l'âme. Convertir l'âme se son interlocuteur, c'est l'amener à cesser de penser par l'opinion et à partir des témoignages de sens pour penser par soi-même et sans le secours des sens. C'est cette rupture avec les opinions, cette conversion de l'âme, qui est aussi exposé dans la fameuse allégorie de la caverne, précisément sous la forme d'un allégorie, d'une image.
Dans les dialogues de jeunesse, Socrate compare ce qu'il fait avec ses interlocuteurs avec travail de sa propre mère qui était sage-femme : de même que sa mère accouchait les corps, lui il accouche les esprits de ce qui s'y trouve par les questions qu'il pose. Et, après avoir accouché les esprits, comme le fait une sage-femme avec l'enfant qui vient de naître, il s'assure par de nouvelles questions que les idées qu'il a fait sortir de l'esprit de ces interlocuteurs, sont viables, c'est-à-dire valables ou au contraire vaines, sans consistance. Il sépare les opinions sans fondement des idées qui n'en sont pas. L'art d'accoucher les esprit, c'est ce qu'on appelle la maïeutique socratique.

 Que ce soit à partir du témoignage de Descartes ou des récits que sont des premiers dialogues de Platon, on peut observer que l'acte d'arrachement à l'opinion, le passage à la réflexion est toujours un moment de crise, un moment sacrificiel et qui, pour commencer, est désespérant. Se mettre à réfléchir, c'est prendre le chemin du désespoir, comme le dit Hegel.
 Ce qui signifie que ce qui caractérise le philosophe, du point de vue des faculté ou des aptitudes psychologiques, c'est beaucoup moins la puissance de l'intellect, que le courage et la probité, sans lesquels on ne peut pas accomplir les efforts de la réflexion ni  endurer ses effets.
 

 Faisons le point.

 Notre premier problème était de savoir si nous avions raison de priser nos opinions ou si les philosophes et les scientifiques avaient raison de les mépriser. Après avoir défini l'essence des opinion, nous pouvons donner raison aux philosophes et aux scientifiques. Ce qui ne signifie pas encore que ce qu'ils soutiennent se distingue radicalement de nos opinions et encore moins que ce qu'ils disent est vrai. Il n'empêche que nous savons maintenant qu'il est possible de rompre avec nos opinions et donc de tenir des discours qui ne sont pas du même ordre.
Reste à savoir en quoi la philosophie est aussi différente de nos opinions qu'elle le prétend et si ses discours valent plus que ceux de l'opinion. 
Ce qui nous engagera à nous demander et en quoi elle se distingue de la science avec laquelle elle partage le même mépris pour l'opinion.
 
 

III ) EN QUOI LE DISCOURS PHILOSOPHIQUE SE DISTINGUE-T-IL DE L'OPINION ?
 EN QUOI IL SE DISTINGUE AUSSI D'AUTRES DISCOURS RAISONNES ?
 

 Pour répondre à ces questions, et trouver des solutions à nos problèmes, il faut commencer par s'interroger sur les prétentions de la philosophie par rapport à l'opinion. 
 Or, pour examiner ces prétentions, il semble nécessaire de faire ce que nous avions fait au sujet de l'opinion, à savoir : analyser le discours philosophique sous les points de vue structurel, génétique et fonctionnel.

 Seulement, à bien y regarder, c'est vain parce qu'on l'a déjà fait, en partie du moins, lorsqu'on a répondu à la question de savoir comment il était possible de rompre avec l'opinion. 
 En effet,  l'origine du discours philosophique correspond précisément à ce qui détermine la rupture avec l'opinion, à savoir la rencontre avec l'altérité et le désir de vérité, elles-mêmes étant à l'origine de la réflexion. En somme tout le contraire de la passivité. 
Mais ainsi connaissons-nous aussi non pas tant la fonction que la vocation du discours philosophique, de la philosophie en général : la recherche de la vérité. Ce qui n'a rien à voir avec les fonctions de l'opinion : se rassurer et s'intégrer socialement.

 Ce qui signifie que sur ces deux points au moins, il est impossible de comparer le discours philosophique et l'opinion. A ce titre, il n'est pas contestable que la philosophie, comme elle le prétend, se distingue de l'opinion. 
Mais qu'en est-il en ce qui concerne la forme même du discours philosophique comparativement aux discours de l'opinion ?

A ) A quoi reconnaît-on un discours philosophique?

 S'il est vrai que la philosophie naît de la rupture avec nos opinions par la réflexion, alors on doit s'attendre à ce que le discours philosophique rende compte de cette réflexion. 
Est-ce à dire que les discours philosophiques, en tant qu'ils naissent de la réflexion, sont des comptes-rendus de la réflexion des philosophes ? Pas exactement : en dehors des dialogues de Platon et de quelques autres textes - et toujours sous une forme très travaillée -, rares sont les ouvrages de philosophie qui se présentent sous la forme d'un dialogue, d'un échange de questions et de réponses.
 Mais il n'est pas nécessaire que les textes philosophiques se présentent sous cette forme pour attester qu'ils sont bien les fruits de la réflexion dans la mesure où la réflexion est susceptible de produire des résultats qu'il est possible de présenter sous d'autres formes que celle d'un dialogue. Sous quelles formes ? Sous la forme de définitions, d'explications, d'argumentations, de démonstrations. N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'on a fait ? Dégager l'essence de l'opinion, c'est-à-dire produire son concept, a bien été l'œuvre d'une série de questions auxquelles on a donné des réponses qui ont fini par former la définition que nous cherchions.

Qu'est-ce que cela signifie ? Que si la philosophie condamne, critique l'immédiateté, le caractère irréfléchi, indémontrée, dénué d'arguments de l'opinion, elle échappe à sa propre condamnation. Car, si ces discours procèdent de la réflexion et présentent les résultats de réflexions, alors ils sont autre chose qu'un ensemble d'opinions : des discours démonstratifs, argumentés. 

C'est donc d'abord à cela qu'on doit pouvoir reconnaître un discours philosophique, c'est-à-dire à son caractère rationnel ou raisonné. A savoir : un discours rationnel est un discours qui avance et enchaîne entre elles des raisons qui permettent de soutenir, de démontrer, de justifier une thèse, une idée. Est raisonné un discours qui donne des raisons de penser qu'il a raison. Cette caractéristique du discours s'appelle la discursivité : l'enchaînement articulé de propositions ou de raisons qui permet de manière linéaire de passer progressivement d'un ensemble de propositions de départ à une conclusion démontrée.
 A quelles conditions un discours peut-il être rationnel ou discursif, c'est-à-dire démonstratif ? A quelles règles doit-il se conformer, se plier ?
 Aux règles de la logique, celle qu'on dit formelle en ce qu'elle s'applique à la forme du discours. Respect des principes de la logique dite formelle.

 Ex : le principe de non-contradiction. 

 Si b et c s'opposent, alors A ne peut pas être b et c à la fois.
  Socrate ne peut pas être dit assis et en train de marcher.
  Socrate ne peut pas être dit grand et petit.
 Cela signifie qu'une proposition ne peut pas être en même temps vraie et fausse. Cela signifie aussi que si l'une des deux propositions est vraie, alors l'autre est fausse.
 Formulation d'Aristote du principe de non contradiction : On ne peut pas affirmer d'une chose quelque chose et son contraire, en même temps et sous le même rapport.
 Ainsi, si on reprend les propositions au sujet de Socrate, il faudrait distinguer des temps différents pour la première et des rapports différents pour la seconde, par exemple préciser qu'il est grand comparé à Platon et petit comparé à Alcibiade.
 Les effets et les conséquences de ce principe formel sont considérables.

 En définitive, ce qui caractérise la forme ou l'essence du discours philosophique, c'est son caractère raisonné, discursif et cohérent. 

 C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on fait de Socrate/Platon le fondateur de la philosophie : il est en effet le premier qui ait eu le souci de ne pas se contenter de dire des choses empreinte de sagesse, d'affirmer de belles sentences, mais de leur trouver une justification, de les démontrer, de leur apporter des arguments. Avant lui, les penseurs dit présocratiques se contentaient d'un dire, souvent à caractère poétique (Cf. le poème de Parménide, les aphorismes de Héraclite), certes pénétrant et plein de sagesse, mais dépourvu de toute forme de justification rationnelle. 
 Pour plus de précisions sur cette thèse et pour passer un bon moment, il faut lire Platon, de F. Châtelet,  disponible en livre de poche (Gallimard)

 Il faut ajouter toutefois que le caractère raisonné, discursif du discours philosophique ne l'empêche pas d'être aussi polémique, sophistique, rhétorique, ironique, imprécatoire, implicite...

 Mais, si ce trait, ajouté aux autres permet bien de distinguer le discours philosophique de celui de l'opinion et donc d'apporter une réponse à notre question et une solution au problème que nous avons posé, il pose aussi un problème.

 D'abord, la philosophie n'a pas le monopole des discours raisonnés, cohérents, discursifs. Elle partage cette caractéristique avec d'autres discours, comme celui des sciences, de la théologie, mais aussi ceux qu'il peut nous arriver de tenir lorsque nous sommes soucieux de convaincre avec des raisons du bien fondé de nos avis, de nos idées. C'est pourquoi il va nous falloir distinguer tous ces discours, malgré leur commune discursivité,  malgré leur commune distance à l'égard des discours de l'opinion, et leur commune condamnation de ladite opinion.

 Mais, et c'est beaucoup plus important même si cela ne saute pas aux yeux, la seule cohérence d'un discours, son respect scrupuleux des règles de la logique formelle, sa discursivité ne garantissent absolument pas la vérité du discours. Autrement dit, la seule discursivité, si elle suffit à légitimer la prétention de tous ces discours à ne pas être des opinions de plus, ne garantit en revanche pas que ces discours soient vrais, alors qu'ils le prétendent ou qu'on leur prête cette prétention. 

 Ce qui signifie donc que la supériorité des discours raisonnés des philosophes comme des sciences sur les opinions n'est pas assurées. L'opinion tiendrait-elle sa revanche ?
 

 Si les discours raisonnés ne sont pas nécessairement vrais, c'est parce qu'il faut distinguer la validité d'un discours et sa vérité. Un discours est dit valide, si quant à sa forme, il n'enfreint aucune règle logique, si sa forme est du point de vue de la logique irréprochable. Un discours sera dit vrai si sa conclusion est en accord avec la réalité, si elle est adéquate au réel. Or, pour le redire en ces termes, la validité formelle d'un discours ne garantit pas la vérité de sa conclusion. On pourrait penser que cette validité du discours constitue tout de même une condition nécessaire à défaut d'être suffisante de la vérité du discours. Pas du tout : il est possible de tirer une conclusion vraie (adéquate) d'un raisonnement non valide.
 Ex : 
1 ) Tous les chats ont quatre pattes. 
2 ) Félix, mon animal domestique, a quatre pattes. 
3 ) Donc Félix est un chat. 

La conclusion est vraie si j'ai un chat qui s'appelle Félix. Pour autant, la démonstration n'est pas valide. Elle est une forme non valide du raisonnement. Si on remplaçait Félix par Médor, sans changer la forme du raisonnement, on arriverait à une conclusion fausse, parce que Médor est un chien comme son nom l'indique. Ici, démonstration non valide et conclusion vraie. Ce raisonnement a en plus l'apparence de la validité. Mais pourquoi peut-on dire que cette conclusion est vraie, même après avoir appris que le raisonnement n'était pas valide ? Parce qu'on peut le vérifier dira-t-on. Parce qu'on peut, au moyen de l'observation, c'est-à-dire en comparant la conclusion du raisonnement et ce qu'on peut dire de la réalité telle qu'on la perçoit, saisir un accord entre cette conclusion et nos observations.
 Ex : 
1 ) Tous les hommes sont mortels. 
2) Zeus est un homme. 
3) Donc, Zeus est mortel. 

Ici, c'est le contraire : le raisonnement est valide, mais sa conclusion est fausse. Pourquoi ? Parce que Zeus n'est pas un homme mais un dieu. Donc, si la conclusion est fausse, c'est parce qu'un de ses points de départ, une de ses prémisses, est fausse. Conséquence : un raisonnement qui est valide, qui respecte la logique formelle, a une conclusion vraie, à condition que ses prémisses soient vraies.

 Mais si la validité d'un discours ne garantit pas la vérité de ses conclusions, alors cela signifie que l'ensemble des discours rigoureux, valides, à commencer par ceux de la philosophie et ceux des sciences, ne sont peut-être pas vrais quant à leurs conclusion. Voilà qui semble remettre en cause la valeur que la philosophie s'accorde et celle qu'on accorde spontanément à la science.

Seulement, cette difficulté n'a pas échappé à la philosophie et à la science. Toutes les deux la connaissent depuis qu'elles sont apparues. Et toutes les deux affirment qu'elles détiennent un moyen de dépasser cette difficulté. 
Plus exactement, ce n'est pas tant que la philosophie et la science se sont rendus compte de ce problème pour lui apporter ensuite chacune sa solution, en réalité la science et la philosophie apparaissent avec la mise en œuvre de leur moyen propre de dépasser cette difficulté. La philosophie n'est rien d'autre qu'un des moyens de régler ce problème, et, la science un autre moyen. Elles apparaissent du jour où ce moyen apparaît comme tel.

Comment font-elles pour garantir le passage de la validité formelle à la vérité objective et universelle de leur discours ? Comment parviennent-elles à la vérité à partir d'un raisonnement valide ? Pourquoi y a-t-il deux moyens et pas un seul, donc pourquoi y a-t-il de la science et de la philosophie et pas seulement l'une des deux ? Et les deux moyens qu'elles proposent tiennent-ils leurs promesse ? Sont-ils d'égale valeur ? ce qui nous ramène au dernier problème que nous avions soulevé au début du cours : faut-il distinguer la science de la philosophie du point de vue de leur valeur respective ? Faut-il accorder au sens commun que la science dit la vérité tandis que la philosophie n'est que fumeuse ?
 


 
 
 
B ) Qu'est-ce qui distingue la philosophie de la science ? 
Sur quoi fondent-elles leurs discours ?

 Comment s'assurer qu'un discours n'est pas seulement valide, mais que ces conclusions sont vraies. A bien y regarder, on vient de le voir en analysant les deux raisonnements donnés en exemple : pour savoir si la conclusion d'une démonstration est vraie, il est possible ou bien de confronter la conclusion à ce qu'on sait déjà de la réalité, ou bien de s'assurer avant de commencer que les points de départs sont eux-mêmes vrais.
 Ces deux manières de procéder sont respectivement celle de la science et celle de la philosophie.

1 ) Science et philosophie.

 Pour dépasser le problème que pose l'insuffisance de la validité formelle des raisonnements en matière de vérité, la science recourt à ce qu'on appelle l'expérience, l'expérimentation, ce qui lui permet non pas tant de vérifier la vérité de ses conclusions que de les tester. La science teste la valeur de ses conclusions au moyen d'expériences. mais des conclusions de quels raisonnement ? Des raisonnements qu'elle fait à partir d'hypothèses qui elles-mêmes sont conçues comme des explications possibles des phénomènes qu'elle ne parvient pas encore à expliquer. La science test par l'expérimentation la valeur des hypothèses explicatives qu'elles imaginent en se demandant si les conséquences logiques de ces hypothèses correspondent à des phénomènes observables. Et, la science est la science précisément parce qu'elle recourt à l'expérimentation comme moyen de tester ces hypothèses en confrontant les conséquences logiques de ces hypothèses à des observations de la réalités réalisées à partir d'expérimentations.
 

 La philosophie, quant à elle, ne trouve pas une issue au problème de l'insuffisance du raisonnement qui ressemble à celle des sciences. Pourquoi ? 
Parce que l'observation des faits et l'expérimentation sont en elles-mêmes insuffisantes ou vaines dans la mesure où les problèmes que soulèvent la philosophie, les questions qu'elle pose, ne peuvent pas trouver par ce moyen de solutions ou de réponses. Pour savoir quel est le meilleur régime politique possible, il n'est peut-être pas inutile de commencer par observer ce qui se fait en la matière, mais rien n'assure que ce régime existe. Pour savoir ce qu'il est possible de connaître en toute certitude, il est vain de se tourner vers les connaissances déjà accumulées dans la mesure où d'une part il est possible que ces connaissances ne représentent pas l'ensemble de ce qu'il est possible de connaître, et, d'autre part il est possible aussi que ce qu'on appelle connaissance et que l'on tient pour vrai soit en réalité faux ou incertain. 

 Alors comment s'y prend-elle ? Sur quoi fonde-t-elle son discours ?

 Ce qui la caractérise en propre, c'est de rechercher des fondements à son discours, c'est-à-dire d'établir des points de départ qui soient absolument incontestables, des bases à partir desquelles elle raisonne. Dit autrement, elle cherche à établir des principes à partir desquels il est possible de raisonner avec certitude.
 Ce qui signifie qu'elle passe souvent plus de temps à chercher ces fondements qu'à raisonner à partir d'eux, dans la mesure où la recherche de points de départ absolument solides constitue un travail long et difficile.
 Pouvoir rendre compte non pas seulement de la cohérence interne, de la pureté formelle du discours, mais de sa valeur, de sa vérité, au moyen de principes, de bases et de points de départ absolument solide est un souci typique.
 Mais, il est vrai que selon les penseurs, ce souci sera plus ou moins marqué ou apparent dans le corps du discours. Il est très marqué chez Descartes, Husserl, chez Kant ou chez Platon. Il l'est moins ou différemment chez Hegel, Nietzsche ou Pascal.

 Rq : Toute la question est de savoir si ce souci doit être tenu pour constitutif du philosophique en tant que tel, auquel cas cette caractéristique doit aussi être tenue pour discriminatoire, c'est-à-dire pour le critère qui sert à distinguer ce qui est philosophique de ce qui ne l'est pas. Conception normative de cette définition différentielle du discours philosophique. Ou alors, il faut considérer ce souci comme certes fréquemment observable, mais pas du tout comme discriminatoire, le propre du philosophique ne consistant pas qu'en cela. Ce qui signifie qu'on ne dispose pas avec ce souci d'un critère déterminant et qu'il est à trouver s'il existe, c'est-à-dire si le philosophique est autre chose que ce que l'on tient pour tel, sans que l'on puisse finalement rendre intégralement compte de cette élection, de cette appréciation.

 Notons qu'en ce qui concerne le moyen de s'assurer que les points de départ des discours sont solides, force est de reconnaître tous les philosophes ne sont pas d'accord, mais ils ne sont pour autant pas tous en désaccord. Qu'est-ce à dire ? Que les fractures, les conflits qui traversent et structurent toute l'histoire de la philosophie depuis ses origines sont presque tous relatifs à cette question. Si les philosophes ne sont pas tous d'accord entre eux sur la question, ils se partagent grossièrement en deux camps : d'un côté ceux qu'on appelle les empiristes (ou matérialistes ou sensualistes) de l'autre ceux qu'on appelle les idéalistes. Les premiers soutiennent qu'en dernière instance, ce sont nos perceptions qui décident de la vérité ou de la fausseté de points de départ d'un discours, les seconds soutiennent que ces points de départ sont des idées (principes, catégories, idées innées, Idée, ...) qu'on trouve en nous ou qu'on peut découvrir soit par intuition intellectuelle, soit par un effort de la réflexion, mais dont nous ne sommes pas les auteurs, les inventeurs.

 Maintenant que la science et la philosophie sont distinguées par la manière avec laquelle l'une et l'autre parviennent à régler le problème posé par le passage de la validité formelle d'une discours à la vérité de ses conclusions, reste à se demander s'il y a lieu de les hiérarchiser et d'accorder à l'un ou l'autre de ces moyens, donc à l'une ou l'autre de ces discipline, une prééminence. 

2 ) La science vaut-elle plus que la philosophie ?

 Faut-il accorder à l'une d'elle plus de crédit, de valeur qu'à l'autre ? faut-il comme le pense souvent le sens commun se fier à la science et se méfier de la philosophie ?

 En ce qui concerne la science, rien n'est plus imprudent que de penser qu'elle ne fait que dire la vérité et donc que l'expérimentation fournit un moyen sûr d'établir la vérité. C'est ce qu'enseigne l'histoire des sciences. En effet, dès lors qu'on comprend que l'histoire des sciences n'est pas l'histoire d'une accumulation progressive de connaissances, mais l'histoire de ruptures théoriques au cours desquelles de manière brutale une théorie nouvelle en supplante une autre, comme la physique de Einstein remplace celle de Newton, on comprend du même coup que la science ne progresse qu'en corrigeant des erreurs passées. Or, comme on ne peut pas soutenir que l'état actuel des sciences est définitif, qu'elle est arrivée au terme de son histoire, il faut donc convenir que parmi l'ensemble des connaissances scientifiques tenues aujourd'hui pour solides, il s'en trouve nécessairement qui seront réfutées demain, sans qu'on sache lesquelles. Aussi n'est-il pas prudent de penser que tous les discours scientifiques sont vrais parce qu'ils sont prononcés par des scientifiques sous le contrôle de l'expérimentation. du reste, il n'y a plus guère que les non-scientifiques pour croire que la science détient la vérité. Depuis le début du siècle, les scientifiques sont guéris de l'illusion de croire que la science peut avoir réponse à tout et que ces réponses sont éternelles. (Illusion qu'on appelle le scientisme)

 Qu'en est-il de la philosophie ? Le moyen dont elle se sert pour passer de la validité formelle à la vérité est-il sûr ? On ne le prétendra pas au vu des conflits qui traversent toute l'histoire de la philosophie. Mais, indépendamment de cette question des fondements, la philosophie semble aussi trouver une forme de justification, de légitimation de ses discours tout à fait originale, à savoir dans la puissance éclairante de ses discours.

3 ) La puissance éclairante du discours philosophique.

 Ce qui fait peut-être la valeur du discours philosophique, ce n'est pas tant qu'il soit fondé, mais qu'il soit éclairant. A savoir : qu'il offre la possibilité de comprendre, d'analyser, de déplier, de situer les enjeux, de pointer les contradictions de telle ou telle chose ou activité. De passer ainsi du perçu, du senti vaguement au conçu, c'est-à-dire à l'expression conceptuelle de ce qu'on sentait sans vraiment y voir clair. En ce sens, elle éclaire : elle rend clair, grâce au concept ce qui était obscur et confus dans le pur senti.
 Qu'il donne des concepts grâce auxquels il est possible de voir des choses qu'on ne voyait pas faute d'avoir les mots pour le dire. Cf. Début du cours sur l'opinion : elle ne voit que ce qui la confirme, c'est-à-dire qu'elle est certes souvent de mauvaise foi, mais elle est aussi aveugle faute d'avoir les mots qui permettent de dire ce qu'elle voit aussi. Or, tout ce qui n'a pas été nommé est comme inexistant pour nous. Aussi donner des mots, des concepts, c'est comme donner des yeux pour voir et comprendre.

 Et que la philosophie donne des yeux pour voir, c'est-à-dire des mots pour dire, peut être tenu pour plus fondamental que de découvrir la vérité dans la mesure où la vérité ne peut être dite que si on a des mots pour cela, que si on a déjà conçu de concepts en lesquels elle pourra être exprimée. Cf : Deleuze, Qu'est-ce que la philosophie ? 
 


 

[ Accueil ]