Histoire – 3/01/06 Philippe Marchiset

La Monarchie de Juillet est-elle « une royauté de la rue » (Armand Carrel) ?

En juillet 1830, Charles X est chassé du trône lors des Trois Glorieuses. Un nouveau régime, qui dure jusqu’en 1848, s’instaure autour de la figure du Duc d’Orléans, qui prend le titre de Louis-Philippe 1^er, Roi des Français. Toutefois les souverains étrangers voient en lui le « roi des barricades », tandis que Frédéric-Guillaume IV de Prusse considère que sa couronne est constituée de pavés. Ces dénominations paradoxales et ambiguës rejoignent celle d’Armand Carrel[1] qui qualifie la Monarchie de Juillet de « royauté de la rue ». Cela pourrait renvoyer soit à la caractérisation de l’émanation et de la nature du pouvoir, ou de sa réalité, voire à un élément de modernité politique inachevé. Si ces diverses considérations de la monarchie orléaniste ont des émanations diverses, elles ne renvoient pas moins à une même réalité, celle d’une monarchie issue d’une Révolution reposant sur un compromis aux évolutions contradictoires.

Quels aspects de la Monarchie de Juillet peuvent accréditer ou non sa qualification de « royauté de la rue » ?

Louis-Philippe parvient au pouvoir grâce à la Révolution de 1830, l’on peut donc parler de « royauté de la rue » pour qualifier l’origine du régime, sa nature et son aspiration première à des réformes libérales. Toutefois l’évolution du régime vers le conservatisme entraîne une rupture avec la Nation pour consacrer l’apogée d’une bourgeoisie et de notables minoritaires.

L’expression « royauté de la rue » soulève intuitivement à elle seule une contradiction : la royauté s’oppose d’emblée à la rue, symbole du peuple, des barricades et des mouvements révolutionnaires qui visent justement à faire tomber la Monarchie. C’est donc la première spécificité de la Monarchie de Juillet puisqu’elle est d’essence révolutionnaire, bien qu’elle ne soit en réalité qu’un compromis entre deux situations refusées par la bourgeoisie. Elle devient donc très vite à défaut d’un consensus (que « royauté de la rue » peut aussi signifier), le régime par excellence de la bourgeoisie et des notables. Si le conservatisme est omniprésent après 1835, ce régime a tout de même fait des pas supplémentaires vers le libéralisme, ce qui tempère en partie l’idée d’une royauté exclusivement acquise à la cause de la bourgeoisie.

La problématique choisie impose une réponse thématique qui, étant donné l’évolution du régime, est aussi chronologique. Par ailleurs le plan adopté permet également de répondre d’une façon dialectique au sujet posé .

I) La Monarchie de Juillet peut se définir comme une « royauté de la rue » par son origine et la nature du pouvoir

A) L’origine du pouvoir ou la légitimation de la Monarchie par la « rue » (rue = lieu + peuple)

B) Un régime de compromis qui caractérise l’expression de Carrel : entre Résistance et Mouvement

C) Les aspects libéraux du régime : entre paradoxes et apparence

II) Mais la réalité du pouvoir et son évolution conservatrice la coupent de la « rue »

A) La répression des différentes émeutes entraîne la rupture entre le peuple et le pouvoir

B) Derrière l’illusoire libéralisme se cache le régime de la bourgeoisie et des notables

C) Un conservatisme dogmatique et omniprésent jusqu’en 1848

Conclusion

La Monarchie de Juillet est donc un pouvoir politique dont l’émanation et la légitimité sont celles de la rue, bien que le compromis Louis-Philippe soit le fruit de la bourgeoisie et non pas des insurgés républicains. La « royauté de la rue » entendue comme réalité du pouvoir avec tous ses paradoxes ne caractérise pas la Monarchie de Juillet dans ses évolutions puisque c’est le régime d’une minorité de la population dans les faits, en dépit des mesures libérales. Mais celles-ci bien qu’essentiellement apparentes constituent une avancée non négligeable dans la transformation politique du pays ; de fait elle a introduit des éléments de modernité qui permettent de caractériser cette « royauté de la rue » à bien des égards comme une transition nécessaire vers la démocratie.

Bibliographie

· Hervé Robert, La Monarchie de Juillet, Paris, PUF, “ QSJ ”, n¡ 1002, 1994 [incontournable pour la période, précis, concis et par thèmes, bref l’esprit Que sais-je ?]

· Paul Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet, Plon, 7 tomes, Paris, 1888 [chronique au jour le jour frisant pratiquement l’exhaustivité ; nombreuses allusions, anecdotes ; déconseillé sauf si la Monarchie de Juillet est votre passion ; pas synthétique du tout ; disponible sur Gallica en pdf (BNF)]

· Alain Mengus, « Monarchie de Juillet et démocratie », disponible sur http://monarchiedejuillet.free.fr [site clair traitant bien le sujet en question avec un esprit synthétique et une vue globale]

· Encyclopédies Hachette Multimédia, Grand Larousse en 10 volumes et Berstein et Milza du XIX^ème siècle

---

[1] 1800-1836. Il fut l’un des rédacteurs en chef du journal d’opposition le National en compagnie de Thiers et Mignet, fondé 6 mois avant la chute de Charles X et qui joue un grand rôle dans le soulèvement des Parisiens. Le National soutient la solution du Duc d’Orléans et favorise son émergence politique et sa conquête de légitimité à travers Paris. Toutefois le glissement du régime vers la Résistance et le conservatisme, dès le ministère Perier en 1831, marque l’entrée du National et de Carrel dans l’opposition républicaine. Armand Carrel meurt à 36 ans des suites d’un duel.