Histoire Militaire Histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1837 : Num. BNF de l'éd. de Paris : Delloye, 1838.
Hugo, Abel. Éditeur scientifique
Combats en Méditerranée pages 18, 19, 20 du Tome 2
Croisière sur les cotes de Corse.
-Un des premiers soins dont on s'était occupé, après la reprise de Toulon, avait été de recomposer l'escadre qui devait stationner dans ce port. En peu de temps on y arma quinze vaisseaux, parmi lesquels il s'en trouvait huit que les Anglais croyaient avoir abandonnés dans un état à rester toujours hors de service. Cette escadre était néanmoins trop faible pour secourir, ainsi qu'on se le proposait, Bastia, dont les Anglais faisaient le siège, appuyés par la flotte de lord Hotham, forte de vingt vaisseaux.- Elle mit à la mer le 3 mars 1795, sous les ordres du contre-amiral Martin, auprès duquel se trouvait le conventionnel Letourneur de la Manche.
Outre les quinze bâtiments de haut bord, la flotte comptait six frégates et trois corvettes. Le 7 août, étant en vue des côtes de Corse, on rencontra au sortir du golfe Florent le Berwick, vaisseau de 74 canons, qui allait rejoindre la flotte anglaise mouillée devant Livourne. L'amiral Martin le fit chasser par trois frégates que l'escadre suivit à une petite distance. Bientôt les frégates atteignirent le Berwick, et l'Alceste l'attaqua la première avec audace. Au bout d'un quart d'heure de combat, il amena son pavillon; son capitaine venait d'avoir la tête emportée par un boulet de canon, et l'équipage ne voulut pas soutenir un combat que le voisinage de la flotte française rendait sans espoir. Le Berwick fut aussitôt dirigé sur Toulon.
Combat naval d'Alassio.
-On continua à croiser; un coup de vent sépara deux vaisseaux de l'escadre, le Mercure qui fut démâté le Sans-culotte qui éprouva d'autres avaries.-Ce vaisseau était le seul à trois ponts, et portait 120 canons. - L'escadre française se trouva ainsi réduite à treize vaisseaux à deux batteries, armés ensemble de 980 canons. Elle rencontra le 13 mars, en vue d'Alassio, sur la côte du Ponent, la flotte anglaisa composée de quinze vaisseaux (dont quatre étaient à trois ponts) portant 1,164 canons, de sept frégates et d'un brûlot. Martin, voyant son infériorité, voulait éviter le combat; mais le vaisseau, le Ça-Ira, en manœuvrant, ayant abordé la Victoire, .perdit ses deux mats de hune, tomba sous le vent et resta en queue do ligne cet accident força l'amiral français â s'engager, il fit aussitôt former la ligne de bataille. Lord Hotham ordonna à son avant-garde de forcer de voiles pour combattre le Ça-Ira. Ce vaisseau fut attaqué par la frégate l'Inconstante à laquelle se joignit le vaisseau l'Agamemnon, que commandait le célèbre Nelson, alors capitaine. Le Ça-Ira repoussa vigoureusement les deux bâtiments anglais; niais il éprouva de fortes avaries. La frégate française la Vestale s'avança pour le reprendre à la remorque, et le vaisseau le Censeur vint à son secours. Le Ça-Ira et le Censeur ayant eu bientôt à combattre toute l'avant-garde anglaise, furent très maltraités et mis presque hors d'état de manœuvrer : à la nuit, les Anglais cessèrent le combat. Le lendemain matin, s'apercevant que ces deux vaisseaux étaient encore en arrière de l'escadre française, les Anglais s'avancèrent pour s'en emparer. L'amiral Martin, dans le but de les secourir, ordonna de virer vent-arrière par la contre-marche, afin de former sa ligne de bataille entre le Censeur, le Ça-Ira et l'escadre anglaise, que la sienne eût ainsi prolongée de la tète à la queue: mais, contrariée par le vent, cette manœuvre fut manquée; le calme empêcha l'escadre française de prendre part au combat; Un seul vaisseau, le Duquesne, s'était seul porté en avant après avoir épuisé les deux tiers de ses munitions et perdu une partie de son équipage, il parvint à se dégager. Le Ça-Ira et le Censeur, n'ayant plus l'espoir d'être secourus, combattirent néanmoins avec courage, et ne se rendirent qu'à la dernière extrémité. Le vent qui se leva ensuite, sépara le. deux escadres.
Combat des Iles d'Hyères.
-Le contre-amiral Martin rentra à Toulon, et y fut bientôt rejoint par six vaisseaux envoyés de Brest, aux ordres du contremaître Renaudin, l'ancien capitaine du Vengeur, échappé comme par miracle au désastre de son bâtiment. Ce renfort portait l'escadre de la Méditerranée à vingt vaisseaux; mais peu de temps après son arrivée une insurrection éclata à Toulon, et les marins de l'escadre y prirent part. Ceux venus de Brest, restèrent seuls fidèlement à leur poste; Renaudin profita de leurs bonnes dispositions pour faire prendre à sa division une position avantageuse dans la rade de Toulon, afin d'être en mesure d'en défendre l'entrée aux Anglais, s'ils y étaient appelés par les insurgés. La vigueur des autorités militaires et des représentants du peuple, les troupes nombreuses dirigées contre les Toulonnais, étouffèrent promptement l'insurrection. Le représentant Niou avait remplacé Letourneur auprès de l'escadre; il adressa aux marins, qui s'étaient joints aux insurgés, une énergique proclamation et les invita à revenir sur leurs vaisseaux et à mériter l'oubli de leur insurrection, en faisant des prodiges de valeur contre les Anglais, qu'il allait sur-le-champ les mener combattre, Cette proclamation produisit un excellent effet. Les marins revinrent à leurs bords, jurant de laver leur crime dans le sang des ennemis de la République. Niou, pour ne pas laisser refroidir cette ardeur, ordonna de mettre à la voile.
L'escadre républicaine était composée de dix-sept vaisseaux, et de six frégates; elle rencontra, le 13 juillet, à trois heures du matin au sud des îles d'Hyères, la flotte anglaise forte de vingt-trois vaisseaux (dont cinq à trois ponts), et d'une quinzaine de frégates et de corvettes. La disproportion des forces était trop grande, pour que l'amiral français ne songeât pas à éviter le combat, Malheureusement l'armée était sous le vent des îles d'Hyères, et ne pouvait pas aller se mettre à l'abri derrière ces îles : Martin se décida à faire voile vers la baie de Fréjus. Lés Anglais lui donnèrent la chasse; à trois lieues de terre les vaisseaux français furent pris par le calme; ceux de l'ennemi recevaient encore un peu de brise, et en profitèrent pour s'avancer. L'arrière-garde française se trouva bientôt atteinte par l'avant-garde ennemie ; l'armée ne pouvait se porter à son secours. Les Anglais manœuvrèrent de façon à la couper. Les vaisseaux français commencèrent le feu, et envoyèrent à l'ennemi des bordées si bien ajustées, qu'ils démâtèrent un vaisseau à trois ponts, et firent des avaries majeures à plusieurs vaisseaux. Ce premier avantage permit à l'escadre de Martin de profiter d'une légère brise qui s'éleva, pour rétablir sa ligne, que le calme avait mise en désordre. Le vaisseau l'Alclde avait été si maltraité, qu'il ne pouvait rester à son poste. L'amiral français envoya les frégates la Justice et l'Alceste pour le remorquer; et au risque d'engager une action générale, il allait lui même se porter à son secours, lorsque le corps du vaisseau, sa mâture et ses voiles s'embrasèrent tout à coup. L'incendie fut si prompt et si violent, que tous les bâtiments qui se trouvaient à proximité, amis ou ennemis, durent se hâter de s'éloigner, et qu'on ne put lui porter aucune assistance : une demi-heure après Il sauta avec un fracas épouvantable. Ce funeste Incident ralentit là canonnade qui continuait encore entre l'avant-garde ennemie et l'arrière-garde française; plusieurs vaisseaux anglais avaient été si maltraités, qu'ils avaient besoin de se faire remorquer. Lord Hotham se vit forcé de renoncer à poursuivre les vaisseaux français. Ceux-ci vinrent en bon ordre s'embosser dans la baie de Fréjus. La flotte anglaise prit le large, et alla réparer ses avaries, partie à Livourne, partie en Corse.
Le combat des îles d'Hyères fut le dernier qui se livra jusqu'à la célèbre bataille d'Aboukir. Les vaisseaux français cessèrent de se mesurer en ligne avec les vaisseaux ennemis. Le gouvernement comprit qu'il ferait beaucoup plus de mal à la marine anglaise, en autorisant l'armement de nombreux corsaires, et en formant de légères escadres qui, parcourant rapidement l'Océan, la Méditerranée, la Mer des Antilles et l'archipel Indien, devaient détruire, sur tous les points, ou ramener dans nos ports les navires marchands, et ruiner ainsi en détail le commerce de l'Angleterre