Henri Vincenot (1912 – 1985)
d’une famille de cheminots, collaborateur de « La vie du Rail », a commencé par
écrire des pièces de théâtre pour une troupe amateur. Ses ouvrages, mariant
l’ancienne culture païenne et la spiritualité chrétienne, communiquent
l’émotion, la sensation physique de cette Bourgogne frissonnante et profonde
qu’il aura sans cesse célébrée. A ses dons d’écrivain, Henri Vincenot ajouta un
talent de peintre et de dessinateur. Retiré à Commarin depuis 1968, il partagea
son temps entre la peinture, la littérature, les travaux campagnards quand il
n’était pas sans un hameau, autrefois abandonné, et qu’il reconstruisit avec
ses enfants.
Dans « La billebaude »,
Henri Vincenot nous fait le récit de la découverte de la Peuriotte
La Peuriotte
... je crus rêver : nous débouchions dans une petite combe profonde où la
forêt dévorait et digérait lentement un hameau de pierres grises ; certains
toits étaient effondrés et même de jeunes frênes s'élançaient de l'intérieur
de plusieurs maisons éventrées, d’autres étaient encore intactes ou presque,
quoique moussues et couvertes de petites joubarbes rouges. Un espèce de
sentier nous prit et nous conduisit près d'un lavoir brisé où coulait l'eau
d'une source captée entre deux roches, elle remplissait un petit lavoir et,
au delà, elle se perdait dans le cresson, le baume de rivière et la menthe,
et divaguait dans un verger mangé de ronces, d'épines noires et d'herbes
plates.
Faces à la vallée perdue, les quelques maisons ouvraient
l'œil mort de leur fenêtres. Un beau silence recouvrait tout ça. De temps en
temps, le grand cri féroce d'un couple de circaètes qui planaient très haut dans
le ciel. A côté d’un seuil, un banc de pierre où l’on voyait des coquilles de
noix brisées. Sur un perron s’ouvrait une porte béante.
Je n'avais jamais vu ces maisons qui dormaient sous un
édredon de ronces et de troènes au milieu des bois, sur le bon versant d'une
combe mystérieuse, et même, je n'en avais jamais entendu parler. C’était la
Belle au Bois dormant, j’en étais le Prince Charmant. Je m’aventurai dans une
ruelle, entre deux murets éboulés, et j’entrai dans la première maison. Je n’eus
pas grand-peine, car elle n’avait plus de porte. Mirette s’était mise à grogner.
Les dalles de la grande salle étaient couvertes de gravats et, sur une table,
des loirs dévoraient un chapelet d’oignons secs ; une chaise bancale veillait au
coin de la cheminée où les cendres étaient encore tièdes sous une marmite noire.
J'appelai. Personne ne répondit. Pourtant je sentais une
présence humaine. Dans un réduit se trouvait tout un tas de petites
bûchettes d'aulne, bien sèches, grosses comme des petits crayons, et tout à côté
une de ces longues serpes dont quelques fendeurs de merrains se servaient encore
à cette époque. Il était tard.
Par peur d'être surpris par la nuit dans les bois, je n'allai
pas plus loin, bien que je sentisse parfaitement comme un regard qui suivait
chacun de me pas et surveillait le moindre de mes gestes.
Mirette s'était orientée. Elle partit à fond de train
aussitôt que je le lui demandai et je la suivis au pas de gymnastique ; un peu
plus loin je ne pus m'empêcher de me retourner pour voir encore ce petit hameau
mort, au centre de sa combe, au meilleur de l'endroit de l'adret.
Parmi les immensités forestières, le bruissement de la source
montait jusqu’à nous. Les maisons recevaient encore le dernier rayon de soleil
alors que tout le reste de la vallée était déjà dans l'ombre, preuve que ceux
qui les avaient construites connaissaient bigrement bien leur affaire. Les murs
étaient beaux comme ceux d'une cathédrale avec les équarries verticales et d'un
seul jet.
Je me souviens bien avoir pensé "ça sent le moine ! ", puis
m'adressant à ma chienne qui se léchait les pattes : " Tu vois, Mirette,
rappelles-toi bien de ça, c'est ici que je viendrai finir mes jours ! "