commentaires, corrections, et suggestions.
Nous allons dans cet article donner quelques démonstrations "élémentaires" du théorème de Fermat dans des cas particuliers. Chacun sait qu’en mathématiques le mot "élémentaire" a un sens fort relatif ; il signifiera ici : compréhensible par un élève de Mathématiques Spéciales. Cependant, l’ingéniosité dont ont fait preuve Fermat, Euler et Dirichlet dans l’obtention de ces démonstrations dépasse largement ce niveau : seuls les outils sont élémentaires.
Soulignons tout d’abord deux points
qui montrent la difficulté du problème, qui est masquée
par la simplicité de son énoncé : l’équation n’a
pas de solution pour n > 2 . Cette conjecture devenue désormais
théorème est maintenant célèbre, mais il faut
bien réaliser qu’il n’y avait aucune raison a priori pour qu’il
fût exact. Il n’est qu’à considérer des équations
diophantiennes assez proches de
qui ont, elles, des solutions, à commencer par :
l’équation dont
(9, 10, 12) est solution ou dont
vous trouverez certainement une solution en chiffres, ou encore dont
le remarquable quadruplet (3, 4, 5, 6) est solution (si vous avez d’autres
relations remarquables entre des puissances, envoyez-les nous !). Le deuxième
point est d’ordre logique, et concerne tous les résultats "négatifs",
où l’on démontre la non - existence d’une solution. L’on
n’échappe pas dans ce cas à une démonstration par
l’absurde où l’on va considérer une éventuelle solution
(x, y, z) pour aboutir à une contradiction.
Mais cette contradiction ne va intervenir qu’à la fin, et durant
toute la démonstration, nous allons manipuler, additionner, diviser
les nombres x, y et z, nombres dont nous savons pertinemment
qu’ils n’existent pas, puisque justement, c’est ce que l’on est en train
de prouver. Nous ne pourrons pas, comme on le fait d’habitude pour se rassurer,
vérifier les calculs dans des cas particuliers, puisqu’il n’y a
pas
de cas particulier : il faut avoir beaucoup de foi pour travailler avec
du vide!
La première réduction
concernant ce théorème, très élémentaire
ce qui ne l’empêche pas d’être forte, est de le ramener aux
valeurs premières de n. En effet, si
n’a pas de solution pour un certain n, la règle : montre
qu’elle n’en aura pour aucun multiple de n. Mais attention,
a des solutions ! Il va donc falloir démontrer que
n’en a pas et que n’en
a pas pour p premier impair. Et lorsqu’à la fin de cet article
nous aurons démontré les cas n = 3, 4, 5, nous aurons
réglé les cas de tous leurs multiples. Cependant le cas n
= 14 , bien que composé ne sera pas réglé ! Le cas
n
= 7 lui est indispensable.
I Le cas n = 4.
Nous commençons par lui, car c’est historiquement le premier cas démontré, et cela s’explique : c’est un cas à part puisque le seul à être non premier, et d’autre part les bicarrés (puissances quatrièmes) font partie du domaine des carrés, domaine qui est bien balisé, à commencer par la classique résolution de , que nous allons rappeler maintenant.
Théorème 1 : résolution de .
est un triplet pythagoricien primitif (c’est-à-dire vérifiant avec x, y, z entiers naturels non nuls premiers entre eux) si et seulement s’il existe deux entiers naturels premiers entre eux et de parités distinctes tels que :
.
Les triplets pythagoriciens quelconques s’obtiennent par produit d’un triplet primitif par un entier = 1.
Démonstration du théorème 1 :
à Les entiers x, y, et z du triplet pythagoricien primitif sont plus que premiers entre eux globalement : ils le sont 2 à 2 (car si un nombre premier divisait deux d’entre eux, il diviserait le troisième). D’autre part, x et y ne peuvent être tous deux impairs car alors z serait pair donc divisible par 4, mais , car, modulo 4, un carré impair est congru à 1. Comme ils ne peuvent non plus être tous les deux pairs, x et y sont de parités distinctes. On peux donc supposer que x est pair et y impair (et donc z impair).
On peut alors écrire : , et il est facile de voir que v et w sont aussi premiers entre eux. L’identité donne , ce qui montre que v et w sont des carrés (avec n > m premiers entre eux) d’où u = nm (exercice 1 : si le produit de deux entiers premiers entre eux est un carré, chacun d’eux est un carré et leurs racines carrées sont premières entre elles).
On a donc et l’on vérifie que n et m n’ont pas la même parité puisque y et z sont impairs.
La réciproque est facile ;
quant aux triplets pythagoriciens quelconques, il suffit de les diviser
par le PGCD des trois nombres pour obtenir un triplet primitif. à
Nous avons donc obtenu une bijection
entre les triplets pythagoriciens primitifs et les couples d’entiers >
0 premiers entre eux et de parités distinctes. Remarquons, et ce
sera la clé de la résolution de (de
façon à abaisser le degré), que nous avons ainsi obtenu
le fait que lorsqu’un carré est la somme de deux carrés premiers
entre eux, il est impair et sa racine carrée est aussi la somme
de deux carrés premiers entre eux. Remarquons également qu’un
"triangle de Pythagore" (i.e. rectangle à côtés entiers
non nuls) possède toujours une aire entière.
La résolution qui va suivre
de l’équation de Fermat dans le cas n = 4, tirée de
[Edwards], n’est pas due à Fermat proprement dit, ou du moins, on
n’en a pas de trace. Mais elle est tout à fait comparable à
d’autres démonstration qui nous restent de lui. Elle utilise en
particulier le raisonnement par descente infinie qu’il a lui-même
inventé et baptisé de ce nom : il ne peut y avoir de descente
infinie dans l’ensemble des entiers naturels, ou, dans un langage moins
poétique : dans un ensemble d’entiers naturels, il est impossible
que pour tout élément, il y en ait un autre qui lui soit
strictement inférieur, ce qui revient encore à dire qu’un
ensemble non vide d’entiers naturels possède un plus petit élément.
Théorème 2
l’équation : n’a pas de solution en entiers non nuls, ou, en français : la somme de deux bicarrés non nuls ne peut être un carré.
Ce résultat est plus fort
que l’inexistence de solution pour ,
mais ce petit cadeau bonux ne demande aucun effort supplémentaire,
c’est pourquoi nous ne nous en sommes pas privés.
Démonstration du théorème 2 :
à Supposons qu’il existe tels que . Si un entier d divise x et y, divise , donc divise z (exercice 2 : si un carré divise un carré, la racine carrée du premier divise la racine carrée du deuxième). Quitte à diviser x et y par leur PGCD et z par son carré, on peut donc supposer que x et y sont premiers entre eux ; le triplet est donc pythagoricien primitif. On peut écrire, quitte à intervertir x et y :
.
La deuxième égalité signifie que est encore un triplet de Pythagore, et il est primitif car n et m sont premiers entre eux. On sait que n est impair, et par conséquent, m est pair puisque n et m sont de parités contraires. On peut encore écrire :
,
avec p et q premiers entre eux, donc premiers avec n..
Cependant, comme , les entiers n, p et q sont tous les trois des carrés :
et
la relation montre
que l’on a trouvé une nouvelle solution à l’équation
de départ. Mais ceci est absurde par l’argument de descente infinie,
car .
à
Il est intéressant de donner
maintenant une interprétation géométrique de ce résultat,
que l’on pourrait désigner par "l’impossibilité de la quadrature
du rectangle". Considérons une solution (x, y, z)
de (dont
on sait maintenant qu’elle n’existe pas) : le rectangle de côtés a
une diagonale entière z et une aire carrée .
Soit réciproquement un rectangle de côtés entiers >
0 a et b dont la diagonale est un entier c, et l’aire
un carré. Quitte à diviser a et b par leur
PGCD, on peut supposer que a et b sont premiers entre eux.
Leur produit étant un carré, a et b sont des
carrés ,
et l’on a .
On peut donc énoncer :
Corollaire 1 : impossibilité de la quadrature du rectangle.
Il n’existe pas de rectangle à côtés et diagonale entiers non nuls ayant la même aire qu’un carré à côtés entiers.
Ou encore : il n’existe pas de triangle de Pythagore dont l’aire soit le double d’un carré.
Ou enfin : on ne peut pas trouver
deux carrés non nuls dont la somme et la racine carrée du
produit soient tous deux des carrés.
Voici maintenant, traduit du latin
par Tannery et Henri, et tiré de [Noguès], ce que l’on considère
être la démonstration de Fermat de "son" théorème
dans le cas n = 4 :
Si l’aire d’un triangle était un carré, il y aurait deux bicarrés dont la différence serait un carré ; il s’ensuit qu’on aurait également deux bicarrés dont la somme et la différence seraient des carrés. Par conséquent, on aurait un nombre carré, somme d’un carré et du double d’un carré, avec la condition que la somme des deux carrés qui servent à le composer soit également un carré. Mais, si un nombre carré est somme d’un carré et du double d’un carré , sa racine est également somme d’un carré et du double d’un carré, ce que je puis prouver sans difficulté.
On conclura de là que cette racine est la somme de deux côtés d’un angle droit d’un triangle dont l’un des carré composant formera la base et le double de l’autre carré la hauteur.
Ce triangle rectangle sera donc formé par deux nombres carrés dont la somme et la différence seront des carrés. Mais on prouvera que la somme de ces deux carrés est plus petite que ces deux carrés, dont on a également supposé que la somme et la différence soient des carrés. Donc, si ont trouve deux carrés dont la somme et la différence soient deux carrés, on donne par là même en nombre entiers deux carrés jouissant de la même propriété dont la somme est inférieure.
Part le même raisonnement,
on aura ensuite une somme plus petite que celle déduite de la première
et en continuant indéfiniment on trouvera toujours des nombre entiers
plus petits satisfaisant aux mêmes conditions. Mais cela est impossible,
puisque, un nombre entier étant donné, il ne peut y avoir
une infinité de nombre entiers qui soient plus petits.
Ces raisonnements d’une densité
exceptionnelle nécessitent pour nous, pauvres mortels, quelques
éclaircissements. Tout d’abord, Fermat lie trois problèmes
différents en apparence, dont nous allons montrer qu’ils sont en
fait équivalents.
Problème 1 : trouver deux bicarrés non nuls et distincts dont la différence est un carré ().
Problème 2 : trouver deux carrés non nuls dont la somme et la différence sont des carrés.
Problème 2’ : trouver trois carrés en progression arithmétique dont la raison est un carré non nul (nous avons rajouté ce problème, car c’est une simple reformulation du problème 2).
Problème 3 (quadrature du
triangle rectangle) : trouver un triangle de Pythagore ayant la même
aire qu’un carré à côtés entiers.
Démonstration 1 : l’existence d’une solution au problème 1 implique l’existence d’une solution au problème 2.
à
On a .
Comme dans le début de la démonstration du théorème
2, on peut se ramener au cas où x et y sont premiers
entre eux. Soit alors d le PGCD de .
Alors d divise donc
d=
1 ou 2. Si d = 1, comme , sont
des carrés, ce que nous voulions. Si d = 2, z= 2z'
et donc
et . Mais
alors .à
Le passage du problème 2 au
problème 2’ est laissé au lecteur.
Démonstration 2 : l’existence d’une solution au problème 2’ implique l’existence d’une solution au problème 3.
à
Soient les trois carrés
en progression arithmétique de raison .
Alors ,
et . Le
triangle de côtés est
donc un triangle de Pythagore d’aire carrée. à
Démonstration 3 : l’existence d’une solution au problème 3 implique l’existence d’une solution au problème 1.
à Soient a, b, c les côtés du triangle rectangle d’aire carrée () ;
alors .
Nous avons bien trouvé deux bicarrés non nuls dont la différence
est un carré. à
Ces trois problèmes étant
donc équivalents, il suffit que l’un n’admette pas de solution pour
qu’aucun n’en admette. Et chacun aura reconnu que le premier est un raffinement
de , raffinement
qui n’est d’ailleurs pas le même que celui du théorème
1 (). Il semble
que l’intention de Fermat était de résoudre le problème
3, et que malgré les apparences, il fasse une descente infinie sur
le problème 2. Quant à l’incursion du début dans le
problème 1, elle semble ne devoir servir qu’à montrer que
Fermat a bien démontré "son" théorème dans
le cas n = 4. Si le lecteur désire une démonstration qui
suive pas à pas celle de Fermat avec éclaircissement des
points obscurs, il devra se reporter à [Edwards] page 10. Nous allons,
nous, faire une descente infinie sur le problème 2, semblable à
celle de la démonstration du théorème 2 ; d’ailleurs,
je vais faire un "copier coller" sur le Mac.
Théorème 3
Les problèmes 1, 2, 3 ci-dessus n’ont pas de solution.
Avant de passer à la démonstration, pouvez-vous, en intermède, trouver trois carrés en progression arithmétique (de raison non carrée, bien sur) ? Pouvez-vous même les trouver tous ? (exercice 3 : la démonstration se trouve quasiment ci-dessus ; si vous séchez, reportez-vous à [Guinot 1] page 155).
à Supposons qu’il existe tels que . Si vous supputez que l’on va se ramener au cas où x et y sont premiers entre eux, non seulement vous avez du flair, mais vous avez gagné! On a alors et le triplet est donc pythagoricien primitif. On peut écrire :
cas 1 :,
cas 2 :.
Le cas 2 est impossible car alors seraient des doubles de carrés non nuls, or ce sont aussi des carrés par hypothèse (exercice 4 : un carré non nul ne peut être le double d’un carré).
La troisième égalité du cas 1 signifie que est encore un triplet de Pythagore, et il est primitif car n et m sont premiers entre eux. On peut encore écrire, quitte à intervertir n et m : , avec p et q premiers entre eux, donc premiers avec m.
Cependant, comme , les entiers m, p et q sont tous les trois des carrés : . On a alors et donc, comme dans la démonstration 1 on a deux cas :
Soit sont des carrés, et dans ce cas, on a trouvé une nouvelle solution à l’équation de départ. Ceci est absurde par l’argument de descente infinie, car .
Soit et d'où et
ceci est aussi absurde car à
Lorsque l’on fait une démonstration qui ressemble à une autre, on peut se demander s’il n’y a pas redondance. En d’autres termes, ne pouvait-on pas montrer directement que les équations et sont équivalentes, puisque de toutes façon, d’un point de vue logique, elles le sont, n’ayant pas de solution ? Mais nous n’y sommes pas parvenus.
On peut en tout cas résumer
ces deux résultats dans l’unique énoncé : il n’existe
pas de triangle de Pythagore dont deux des côtés soient des
carrés.
II Le cas n = 3.
Nous attaquons le plus petit nombre
premier impair. D’une façon générale, puisqu’il y
a plus d’entiers non divisibles par un nombre premier p donné
que d’entiers divisibles par p, on pourrait s’attendre à
ce qu’il soit plus difficile de montrer que n’a
pas de solution en entiers premiers avec p, qu’en entiers dont l’un est
multiple de p. C’est en fait le contraire qui se produit. Bien que cela
ne serve pas dans la résolution générale de ,
nous allons commencer par la démonstration du fait que x,
y
ou z est divisible par 3, car c’est une simple mais jolie manipulation
de congruences. Cette preuve ne sera pas directement généralisable
à un nombre premier quelconque, mais on en verra plus loin une généralisation
partielle sous la forme du théorème de Sophie Germain. C’est
ce que l’on désigne par "premier cas de Fermat" : montrer que n’a
pas de solution avec les entiers x, y et z premiers avec p.
Lemme 1
si , l’un des entiers x, y ou z est divisible par 3.
Démonstration du lemme 1.
à
D’après le petit théorème de Fermat, ou tout simplement
une vérification à la main, tout entier est congru à
son cube modulo 3. Donc si , et
l’on peut écrire .
Si l’on travaille maintenant modulo 9, l’on peut écrire : et
par conséquent, est
divisible par 3. Ceci montre que x, y ou z (qui est
congru à x + y modulo 3) est divisible par 3. à
La démonstration générale se fait également par descente infinie. La version que nous allons en donner est due à Euler, mais le lecteur trouvera dans [Hardy & Wright] page 192 une démonstration située dès le départ dans .
De même que pour résoudre , nous avons eu besoin de connaître la résolution de , nous aurons ici besoin de connaître la résolution de l’équation diophantienne auxiliaire : , résolution qui va maintenant nous occuper un certain temps.
Le lecteur doit certainement connaître l’identité de Fibonacci , qui permet d’écrire un produit de deux sommes de deux carrés comme somme de deux itous. Si, dans cette formule, on remplace b par bv3 et d par dv3, on obtient :
qui montre que les entiers du type sont eux aussi stables par produits.
Une utilisation répétée de cette formule nous donne :
Une famille infinie de solutions à l’équation est donc donnée par . Par exemple, n = 2 et m = 1 donne . Tout le problème est maintenant de savoir si ce sont les seules.
Et c’est là qu’Euler a commis un péché, mais un péché génial. Au lieu de rester sagement dans les entiers bien de chez nous, il est passé dans les nombres complexes. Pour détendre le lecteur avant ces moments terribles, D. Goffinet me conseille le jeu de mot : Euler veut aller dans C, il étend dans G...
Il devait bien savoir (Euler) que la formule :
est une simple transcription (avec les notations actuelles) de : où . Et l’équation , s’écrit . Or dans les entiers, lorsqu’un produit de 2 termes premiers entre eux est un cube, chacun d’eux est un cube. Euler a froidement étendu cette propriété à l’ensemble des , ensemble que l’on note maintenant : lorsque x et y sont premiers entre eux, également, et leur produit étant un cube, , d’où
: on a obtenu l’unicité voulue. Mais Euler a eu de la chance : cette propriété est vraie dans tous les anneaux "factoriels" dans lesquels on a l’unicité de la décomposition en produit de facteurs irréductibles. Or si n’est pas à proprement parler factoriel (car ), il possède une extension factorielle : l’anneau =, anneau des "entiers" sur le corps , formé des . Mais par contre, ni , ni l’anneau des entiers de Q [i rac(5)], qui lui est égal, ne sont factoriels (car ). La méthode d’Euler ne se généralisera donc pas ... Mais il reste que le théorème de Fermat a été l’initiateur de l’utilisation en arithmétique de ces extensions quadratiques de Z. Pour une étude de ces anneaux, nous renvoyons le lecteur à [Mutafian] pages 248 à 273, par exemple. Et nous considérerons comme démontré le
Lemme 2
Si deux entiers x et y
premiers entre eux sont tels que est
un cube , alors il existe
deux entiers n et m premiers entre eux tels que ,
ce qui donne :,.
Bien entendu, on peut arriver à
démontrer ce lemme sans le secours des nombres complexes (et Euler
était
tout à fait en mesure de le faire) ; on trouvera une telle démonstration
dans [Weil] et dans [Guinot 3] pages 124 à 126.
Nous pouvons maintenant, en suivant
toujours Euler, démontrer le
Théorème 4
L’équation : n’a pas de solution en entiers non nuls, ou, en français : la somme de deux cubes non nuls ne peut être un cube.
Démonstration du théorème 4
à Considérons un solution éventuelle x, y, z à cette équation. La première idée est d’utiliser le fait que x + y divise . Remarquons auparavant que , qui peut s’écrire est symétrique en x, y, -z.. Et comme d’habitude, on se ramène au cas où x, y, z sont deux à deux premiers entre eux. Nous laissons le lecteur voir pourquoi forcément l’un des entiers est pair et les deux autres impairs.
Si , par exemple, z est pair (et ceci ne restreint pas la généralité d’après la remarque de symétrie ci-dessus), sont des entiers relatifs non nuls premiers entre eux. Comme , u et v sont de parités contraires. L’équation devient en u et v : .
Si, tout d’abord, u n’est pas multiple de 3, on constate facilement que 2u et sont premiers entre eux et par conséquent, 2u et sont des cubes . On voit apparaître l’équation auxiliaire parachutée ci-dessus ! D’après le lemme 2 :
est donc un cube ; il reste à vérifier que 2n, n-3m et n+3m sont deux à deux premiers entre eux. On remarque que puisque u et v sont premiers entre eux et de parités contraires, n et m sont premiers entre eux et de parités contraires. D’autre part, n n’est pas multiple de 3 car sinon, u le serait. Nous laissons le lecteur en déduire lui-même que 2n, n-3m et n+3m sont deux à deux premiers entre eux, et que ce sont donc des cubes vérifiant . On a donc retrouvé une solution en entiers non nuls (x’, y’, z’) à . Or est un diviseur de , donc .
Reste à regarder ce qui se
passe si u est multiple de 3. dans ce cas, v ne l’est pas
car u et v sont premiers entre eux. On écrit alors
u
= 3w, d’où est
un cube et l’on constate encore que 18w et sont
premiers entre eux donc 18w et sont
des cubes. De la même façon que ci-dessus, on en déduit
une nouvelle solution (x’,y’, z’’) à ,
vérifiant .
Mais ceci est absurde par l’argument de descente infinie. à
III Le théorème
de Sophie Germain
La démonstration de Dirichlet
du cas n = 5 du théorème de Fermat nécessite
de savoir que l’une des inconnues est divisible par 5, autrement dit d’avoir
résolu ce qu’on appelle le premier cas de Fermat. Or cette résolution,
faite auparavant par Sophie Germain (dont mous vous recommandons de lire
l’étonnante histoire dans [Dahan]), se généralise
facilement à une classe plus grande de nombres premiers, c’est pourquoi
nous allons l’énoncer dans sa généralité.
Théorème 5, de Sophie Germain
soit p un nombre premier impair tel qu’il existe un nombre premier auxiliaire q vérifiant :
condition vérifiée en particulier si 2p+1 est un nombre premier.
Alors une solution (x,
y,
z)
de est forcément
telle que x, y ou z est divisible par p.
Démonstration du théorème
5
à Montrons tout d’abord que si q = 2p+1 est un nombre premier, alors q vérifie (1) et (2).
D’après le petit théorème
de Fermat, est
congru à 0 ou à 1 modulo q, ce qui fait que est
congru à 0, 1 ou -1 modulo q (Z/qZ
est intègre !), donc n’est pas congru à p. Si ni x,
ni y, ni z n’est divisible par q, sont
congrus à ±1 modulo q, et l’on voit que est
impossible.
Considérons maintenant une solution (primitive comme d’habitude) (x, y, z) de , dont aucun terme n’est multiple de p, et dans laquelle on a changé z en -z pour raison de symétrie (comme dans le cas 3 ci-dessus). L’égalité se factorise en . Vérifions que les deux facteurs sont premiers entre eux : si un nombre premier r divisait y + z et , y serait congru à -z modulo r et donc ; r = p est impossible car p diviserait y + z donc x, ce qui est supposé ne pas être, donc r divise y : c’est absurde car il diviserait aussi z.
On en déduit que les deux facteurs sont des puissances p-ièmes. Le même raisonnement pouvant être fait sur y et sur z, on obtient, toutes les nouvelles lettres représentant des entiers :
Travaillons maintenant modulo q
: la condition (1) montre que, par exemple, .
Donc ,
donc (toujours par (1)), a, b ou c est divisible par
q.
Si b était divisible par q, alors également
ce qui contredirait le fait que x et y sont premiers entre
eux. De même pour c, donc c’est a qui est multiple
de q. Mais alors , ;
z
n’étant pas multiple de q, g
non plus, et considérons g‘
tel que gg‘
soit congru à 1 (Z/qZ
est un corps !) ; alors ,
ce qui contredit (2). L’un des termes x, y ou z est
donc divisible par p. à
Les premiers nombres premiers dont
le double plus 1 est premier sont : 3, 5, 11, 23, ..., (Keller,
1986), et ont été baptisés "nombres premiers de Sophie
Germain". On ne sait même pas s’il y en a une infinité (le
problème est similaire à celui des nombres premiers jumeaux).
Mais le théorème fonctionne aussi pour p = 7 ; en
effet, si 2p+1 = 15 n’est pas premier, q = 4p+1 =
29 l’est ; est congru à
0 ou 1 modulo q, donc est
congru à 0, ±1 ou ±12 (12 est racine carrée
de -1 modulo 29), et l’on a bien (1) et (2). D’ailleurs, Legendre a montré
que si p est un nombre premier tel que 4p + 1, 8p+1,
10p + 1, 14p+1 ou 16p+1 est premier, alors le premier
cas de Fermat est réalisé pour p.
IV Le cas n = 5.
Nous terminerons cet article par la démonstration de Dirichlet, qui complète celle de Sophie Germain. Cette démonstration est, en plus long et plus méticuleux, du même type que celle d’Euler pour le cas 3. Cependant, la descente infinie ne sera pas du même genre que les précédentes : au lieu d’aboutir à une solution plus "petite" à l’équation de départ, on va construire une suite auxiliaire d’entiers, strictement décroissante et infinie, ce qui sera le point absurde. D’autre part, l’équation annexe à résoudre sera ici du type , ce qui nous entraînera dans l’anneau (car ). Or, contrairement à ce que dit [Devlin] page 167, il se produit un phénomène similaire à celui qui s’est produit avec : n’est pas factoriel (car ), mais il possède une extension factorielle : l’anneau (où est le nombre d’or), anneau des "entiers" sur le corps , formé des .
Nous aurons besoin des 2 lemmes suivants.
Lemme 3
Si deux entiers x et y
premiers entre eux, y multiple de 5, sont tels que est
une puissance cinquième d’entier ,
alors il existe deux entiers n et m premiers entre eux de
parités contraires tels que ,
ce qui donne : , .
Lemme 3’
Si deux entiers x et y impairs premiers entre eux, y multiple de 5, sont tels que est une puissance cinquième d’entier , alors il existe deux entiers n et m impairs premiers entre eux tels que , ce qui donne :
, .
Ces deux lemmes très délicats sont démontrés
directement dans [Edwards] pages 68 et 72. La démonstration de la
factorialité de se
trouve dans [Hardy & Wright] page 214 (il s’agit de démontrer
que la "norme", définie par est
"euclidienne" dans , c’est-à-dire
si a et b sont deux éléments non nuls quelconques de ,
il existe q et r dans tels
que a = bq + r avec ).
Lemme 4
il est impossible de trouver 4 entiers n, m, c et d (n et m non nuls premiers entre eux de parités contraires), tels que
Démonstration du lemme 4.
à La première égalité montre que m est multiple de 5, et la deuxième peut s’écrire où ; a et b sont premiers entre eux car si un nombre premier divisait a et b, il diviserait , ce serait donc 2 mais c’est impossible car a est impair ; b étant divisible par 5, une application du lemme 3 donne où p et q sont premiers entre eux et de parités contraires (car si p et q étaient impairs, a serait pair). L’on obtient :
L’on vérifie que sont premiers entre eux : il est clair qu’un nombre premier diviseur commun ne peut être que 2 ou 5 ; 2 est impossible car serait pair, et 5 non plus car p serait multiple de 5, donc a aussi, comme b. L’on peut donc écrire :
encadré qui a un net air de
famille avec celui de départ. Or montre
que q > 0 et , d’où
m
> q > 0. Ceci est absurde par l’argument de descente infinie.
à
Lemme 4’
il est impossible de trouver 4 entiers n, m, c et d, n et m impairs premiers entre eux, tels que
Démonstration du lemme 4’.
à La première égalité montre que m est multiple de 5, et la deuxième peut s’écrire où ; a et b sont premiers entre eux car si un nombre premier divisait a et b, il diviserait , ce qui est impossible. On vérifie également qu’ils sont impairs ; b étant divisible par 5, une application du lemme 3’ donne où p et q sont premiers entre eux impairs. L’on obtient :
L’on vérifie alors que sont premiers entre eux et l’on peut donc écrire :
encadré qui a lui aussi un
net air de famille avec celui de départ. Or montre
que q > 0 et , d’où
m
> q > 0. Ceci est absurde par l’argument de descente infinie.
à
Nous pouvons passer à la démonstration
générale :
Théorème 6
l’équation : n’a
pas de solution en entiers non nuls,
ou, en français : la somme de deux puissances cinquièmes
d’entiers non nuls ne peut être une puissance cinquième d’entier.
Démonstration du théorème 6.
à D’après le théorème de Sophie Germain, l’un des termes d’une solution en entiers non nuls, primitive, (x, y, z) de , est divisible par 5, et l’on ne restreint pas la généralité en supposant que c’est z. Nous allons maintenant faire deux raisonnements suivant que z est pair ou non (le premier raisonnement est dû à Dirichlet, et le deuxième à Legendre, mais à nouveau simplifié par Dirichlet).
Lorsque z est pair, x et y sont impairs et sont entiers premiers entre eux, de parités contraires. L’équation devient alors : . Si le premier facteur avait été au lieu de 2u, le lemme 4 nous aurait permis de conclure aussitôt. Mais le fait que 5 divise z (voilà pourquoi le théorème de Sophie Germain est indispensable) va nous permettre de nous y ramener. Comme 5 divise , il divise u ou u4 : u est donc multiple de 5. Posant u = 5w, on obtient : . Les deux facteurs étant premiers entre eux, on obtient :
Ce n’est pas encore tout à fait comme la forme du lemme 4, mais on va y parvenir. La deuxième égalité peut se mettre sous la forme où sont premiers entre eux. W étant divisible par 5, le lemme 3 montre qu’il existe n et m premiers entre eux de parités contraires tels que . L’on obtient :
.
Les deux facteurs étant premiers entre eux, on obtient :
ce qui est impossible par le lemme
4.
Lorsque z est impair, x et y sont de parités contraires et l’on posé u = x + y, v = x - y au lieu de précédemment ; u et v sont alors impairs premiers entre eux. L’équation devient alors : .
Comme 5 divise z, 5 divise et il divise u ou u4 : u est donc multiple de 5. Posant u = 5w, on obtient : . Les deux facteurs étant premiers entre eux et le premier impair, on obtient :
Le carré d’un nombre impair étant congru à 1 modulo 8, est congru à 2 : il est donc pair, non multiple de 4. les entiers sont donc impairs (premiers entre eux) et vérifient : . W étant divisible par 5, le lemme 3’ montre qu’il existe n et m impairs (premiers entre eux) tels que . Si l’on tire la valeur de W en n et m, l’on obtient : . Les deux facteurs étant premiers entre eux, on obtient encore une fois :
Ceci est impossible par le lemme
4’ à
Voilà donc où on en était en 1825. La complexité des démonstrations ci-dessus nous montre bien que d’autres voies et d’autres outils devaient être créés pour tordre le coup au cas général. Mais la route fut longue et difficile : dans le livre de [Noguès] qui fait le point des connaissances en 1931, ce que nous venons de faire tient en 4 pages sur 150 ! Nous ne savons pas sur combien de pages tiendraient les années postérieures à 1931, mais nous savons maintenant que ce nombre est fini.
Bibliographie
- concernant exclusivement le théorème de Fermat.
[Edwards] H. M. Edwards : Fermat’s last theorem (Springer Verlag, 1977).
[Noguès] R. Noguès : théorème de Fermat , son histoire (Vuibert, 1932 ; A. Blanchard, 1966 ; J. Gabay, 1992)
[Ribenboim] P. Ribenboim : 13 lectures on Fermat’s theorem (Springer Verlag, 1980). La première de ces "lectures" a été traduite dans la brochure de l’APMEP n° 41, fragments d’histoires des mathématiques, (1981), pages 99 à 120.
- évoquant le théorème de Fermat ou cité dans l’article.
[Cuculière] R. Cuculière : mille ans de chasse aux nombres congruents, Pour la Science, juillet 1987, pages 14 à 18.
[Dahan] A. Dahan Dalmedico : Sophie Germain, Pour la Science, octobre 1988, pages 36 à 45.
[Devlin] K. Devlin : mathématiques, un nouvel âge d’or, pages 157 à 176 (Masson, 1992).
[Guinot 1] M. Guinot : Pythagore, Euclide et toute la clique (Aléas, 1992).
[Guinot 2] M. Guinot : les resveries de Fermat , pages 101 à 109 (Aléas, 1993).
[Guinot 3] M. Guinot : ce diable d’homme d’Euler, pages 129 à 134 (Aléas, 1994).
[Hardy & Wright] G. H. Hardy, E. M. Wright : an introduction to the theory of numbers (Oxford university press, 1938)
[Itard] J. Itard : arithmétique et théorie des nombres, pages 106 à 117 (PUF, Que-sais-je ?, 1963).
[Mutafian] C. Mutafian : le défi algébrique, tome 2 (Vuibert, 1976).
[Stewart] I. Stewart : voyage au pays de Fermat, Pour la Science, mars 1989, pages 102 à 107.
[Universalis] M. David, J. L. Coliot - Thélène : article sur les équations diophantiennes dans l’encyclopédie Universalis.
[Weil] A. Weil, number theory, an approach through history, from Hammurapi to Legendre (Birkhäuser, 1983).