Pierre Mendès France et les médias : une relation moderne ?

 

par Nicolas Dorgeret

 

Cette question doit se comprendre à la lumière de l'essor des médias dans l’immédiat après-guerre. La radio s'est répandue pendant l'Occupation, la télévision demeure un objet rare (1794 postes en région parisienne en 1949, 3790 en France en 1950) mais les journaux et magazines sont encore très populaires. L'époque est aussi aux premiers directs à la télévision (1947) mais la politique n’y viendra que bien après les variétés et les sports.

Les rapports entre PMF et les médias comportent plusieurs facettes. Pierre Mendès France, par ses causeries et ses relations proches avec L’Express puis Le Nouvel Observateur, est vu à juste titre comme un précurseur. Mais comment concevait-il la mission des médias en politique ? Pourquoi les a-t-il utilisés pour défendre sa politique et quels traits de personnalité ces méthodes dénotent-elles ? Dans quelle mesure ont-elles contribuées à ses succès ? Enfin comment expliquer sa progressive disparition de la vie médiatique après la fin des années 1950 ?

 

Les causeries radiodiffusées

 

Mendès France a vécu les grands événements de la guerre autant dans les coulisses du pouvoir que grâce à la radio ; que ce soit l’offensive allemande du 10 mai 1940, la formation du gouvernement Pétain du 17 juin 1940 ou même l’appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC, il observe combien la radio joue le rôle de vecteur d’information premier des Français, témoigne de l’impact émotionnel qu’elle suscite et admire l’utilisation qu’en font les résistants pendant 4 ans[1]. Et s’il accorde dans ses écrits plus de place à la presse qu’à la radio, c’est sans doute parce qu’il tient ce dernier média pour moins corrompu[2] – le paradoxe est que PMF avait plus d’amis et de contacts dans la presse qu’à la radio : Servan-Schreiber et Mauriac en sont des exemples.

Lorsque Mendès devient ministre de l’Economie de De Gaulle à la fin de la guerre, il pose dès sa première intervention radiophonique le 11 novembre 1944 les termes de son engagement pour redresser la France. Il est alors le premier[3]et le seul homme politique à expliquer – et à tenter de faire comprendre aux Français – des enjeux aussi complexes que la macroéconomie, en rassurant quant à ses intentions – il n’a aucune intention de proposer le « plan »  autoritaire à la mode soviétique – tout en disant la vérité sur la chute du revenu des Français ... Au cours de la vingtaine d’émissions, il effectue une lente montée en puissance des thèmes, usant de méthodes de Professeur d’Université[4]. A chaque fois, il brise les idées reçues et martèle un discours de justice sociale.

Mendès France va dès lors n’avoir de cesse de dire aux Français des « vérités salutaires » et cette obsession de la vérité est récurrente chez lui, au point que l’on intitulera plus tard le compte rendu des discours au coin du feu de 1954-1955 Dire la vérité[5]. Précisément, un de ses principes est de ne jamais utiliser d’arguments démagogiques pour convaincre car la vérité est « consubstantielle à la vie démocratique et à la société[6] ». Sa méthode est récurrente : décrypter la situation de la France, révéler les problèmes, présenter les remèdes et son plan d’action en invitant chacun à participer à l’effort de la nation. Ses thèmes favoris sont : « dire la vérité », « appeler à la solidarité et aux sacrifices ». Les mots sont simples et forts, déclamés par un timbre de voix éraillé mais qui explose de sincérité et de sens des responsabilités…

Investi en juin 1954, Mendès France représente une des rares alternatives dans un jeu politique morcelé et complexifié par des enjeux qui divisent. La série d'échecs gouvernementaux a définitivement lassé les Français. La grisaille ambiante ne décourage pas Mendès qui n'hésite pas à briser les traditions politiques pour relancer l'intérêt dans la politique. Il considère qu'il doit rendre des comptes d'abord aux Français et non au Parlement ou aux partis. Ces derniers se sentent humiliés, méprisés et en tiennent rigueur à Mendès France qui passe outre leurs objections. Il apparaît sur les écrans des Français et applique à nouveau la méthode qui lui a réussi au ministère de l’Economie nationale (1944-1945) et lui réussira tant : des problèmes, des solutions, un effort. A peine dix jours après son investiture, il inaugure les causeries radiodiffusées dont il espère qu’elles auront le même effet que celles de Roosevelt sur la population américaine dans les années 30. Grand bien lui en fait car sa popularité croît – en août 1954, son audience est de 62% d’approbation contre 7% de mécontentement – alors qu'il explique à la nation son action dans des causeries hebdomadaires radiodiffusées. Dès sa première adresse, l’homme est clair sur ses intentions : « Mon intention est de m’adresser à vous régulièrement, pour vous parler en toute simplicité et vous tenir au courant de ce que fait et de ce que pense le Gouvernement. Je crois que c’est l’une de mes taches d’expliquer à l’opinion la signification et la portée de nos actes. » Mais Mendès France sait que la communication ne marche que si le deux éléments communicants sont réceptifs l’un à l’autre : il se veut à l’écoute de la population.

Toutes les semaines, c’est une complicité renouvelée entre les Français et leur président du Conseil, qui leur parle en grand frère bienveillant et responsable, pour reprendre l’image de Jean Lacouture. Mendès déborde du champ lexical politique pour rapprocher son auditoire de lui : il se montre ainsi réconfortant, encourageant, affectueux… Si le public qu’il cherche à toucher change chaque semaine, c’est que PMF fait attention aux différentes composantes de la population ; tel un grand communiquant moderne, il s’adresse tantôt aux ménagères, tantôt aux hommes actifs, tantôt aux retraités, tantôt aux enfants et aux jeunes. Boris, son directeur de cabinet, se charge de l’étude des réactions aux discours pour adapter le contenu et cibler les publics.

Au-delà de la méthode, la pédagogie de PMF et son ouverture révèlent un trait de sa personnalité : sa foi dans la raison et son optimisme sur la nature humaine alors même qu'il traverse le siècles des populismes et des totalitarismes. Il croit en un citoyen capable de faire  ses propres choix s’il se sent gouverné et gouvernant. Cette responsabilisation, les Français la réclament depuis la fin de la guerre et, pour la première fois depuis longtemps, grâce à Mendès France, ils se sentent gouvernés ; ils sont donc plus enclins à gouverner par leurs efforts collectifs le sort de la nation. Dans chaque propos sur la décolonisation, sur l’économie, sur l’Europe, il y a un appel à la responsabilité et à l’engagement civique qui a fini par séduire tous ceux qui sont investis de pouvoirs administratifs, économiques ou intellectuels.

A l’opposé d’un de Gaulle qui se pose volontiers en figure paternelle (autoritaire et rassurante à la fois) destinée à mener la France et qui fait aussi part à l’irrationnel de l’imaginaire collectif français. Mendès France dialogue d’égal à égal, parlant à chacun comme le grand frère informé et responsable soucieux du bien-être de la famille, Mendès France est donc à la fois pédagogue et capitaine d’équipe. Là où de Gaulle s’impose par son autorité, lui met en avant sa foi dans les Français et dans leur rationalité, la liberté qu’il leur laisse, et le prouve en restant ouvert au dialogue avec la population, bien qu’en fin de compte il ne doit rendre de compte qu’au Parlement. Cependant, Mendès estime qu’« un homme de gauche doit se soumettre continuellement au contrôle de l’opinion »[7]. Il se refuse donc à la solitude du pouvoir mais, aux yeux de ses collègues de la classe politique, il se met trop en avant, d’une part au sein du gouvernement – il emploie volontiers le « je » au lieu du « nous » de l’action collective pour parler de la politique gouvernementale – et, d’autre part, par rapport au Parlement – il expose aux Français les débats de politique contemporaine parfois avant même qu’ils n’aient eu lieu au parlement... En ce sens, comme le signale Claude Marti, Mendès rejoint de Gaulle : « même personnalisation du pouvoir (c’est homme qui gouverne et non un gouvernement), même dialogue « direct » avec le peuple, même méfiance à l’égard des partis et de l’Assemblée nationale, même goût pour le geste spectaculaire destiné à frapper les imaginations et plus encore à faire revenir une part de rêve dans le politique (le « pari indochinois », le « voyage à Bizerte », le « verre de lait ») »[8].

Comment analyser sa volonté de parler directement aux Français, en dehors du cadre parlementaire ? Si l'analyste est un opposant de Mendès France, il pensera qu'en 1954 PMF savait que sa majorité parlementaire était fragile, provisoire, et qu’il entendait faire pression sur elle par le détour de l’opinion. Le partisan admirera au contraire la démarche qui implique sinon un désir de démocratie directe, en tout cas une intention de s’adresser aux citoyens par-delà la représentation parlementaire. Deux éléments tendent à corroborer la deuxième thèse : d'abord Mendès avait déjà usé des causeries dix ans auparavant à l'époque où il était ministre de l'Economie et ce n'était donc pas un usage circonstancier et politicien ; ensuite cela reflète une véritable opposition à la morne IVe  République – de la part de l’un de ses pourfendeurs les plus implacables – et à ses partis et groupes de pression, ainsi qu’à l’irresponsabilité de ses représentants.

Logiquement, en tout cas, ces pratiques suscitent l’indignation de parlementaires, parmi lesquels François de Menthon qui en appelle à l’anti-constitutionnalité des méthodes de communication de PMF. L'anecdote peut faire sourire aujourd’hui mais souligne la tension évidente face à ces nouvelles pratiques qu'introduit Mendès. On le dit antiparlementaire, antidémocratique et cette méthode suscite méfiance et vexation. Il faut dire que la radio est vue à l’époque comme la voix de la France et l’auditeur commence à identifier PMF à la France. Malgré son contact direct, il fait à l’occasion l’éloge de sa majorité parlementaire ou des médias dont il ne veut pas s’aliéner le soutien. Ses causeries tranchent sensiblement avec ses discours au Parlement qui évidemment ne s’adressent pas au même public : devant les parlementaires, il reprend ses thèmes fétiches (lutte contre l’inflation, sécurité des salaires, sécurité de l’emploi) mais insiste sur le fait que ces enjeux dépendent en grande partie de la bonne volonté des hommes politiques. A nouveau, il responsabilise. Il tente, là encore, de vaincre l’impopularité des politiques qu’il prône en appelant au courage des individus.

 

Le soutien de la presse à son gouvernement 

 

Dans l'après-guerre, la presse hebdomadaire est encore largement neuve et influente. Les « hebdos » de gauche, comme L'Observateur (fondé en 1950) et L'Express, renouvellent le genre et dominent en influence et en tirage. Ce dernier titre notamment, fondé le 16 mai 1953 par un jeune polytechnicien, Jean-Jacques Servan-Schreiber, et une jeune journaliste, Françoise Giroud, joue un rôle-clé dans l'ascension et le maintien au pouvoir de Pierre Mendès France. Il incarne en effet à cette époque-là la traduction politique des aspirations d’une nouvelle génération à gauche, faites de hauts fonctionnaires, d’intellectuels et de syndicalistes qui s’opposent à la puissance du parti communiste et de la CGT. L’Express et le Nouvel Observateur, deux nouveaux médias où se côtoyaient écrivains, universitaires, journalistes et personnalités politiques, choisirent Mendès France car il représentait la raison et la modernité face à la révolution communiste et aux conservatismes de droite.

L’Express fait donc clairement partie de ce qui serait appelé aujourd’hui un « plan média »  pour porter à la tête du gouvernement un homme issu des radicaux et symbolisant la nouvelle génération. Pour des raisons sans doute d’affinité, Mendès France est préféré à Edgar Faure et se voit proposer de diriger la revue que Servan-Schreiber, héritier des Echos, vient de fonder afin qu’elle soit un supplément hebdomadaire au journal familial. Mendès saute sur l’occasion d’autant plus volontiers qu’il admire le jeune Servan-Schreiber et sait combien un organe de presse dévoué à sa cause lui sera utile dans ses combats politiques, d’autant plus qu’il est finalement assez isolé au sein même de sa famille politique, le parti radical.

Une équipe brillante mène l’hebdomadaire : Pierre Viansson-Ponté, Simon Nora, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud, puis François Mauriac (à partir de novembre 1953) grâce auquel la revue gagne une partie de ses lecteurs catholiques. Servan-Schreiber et ses amis perçoivent un changement dans le monde – détente, décolonisation, changements sociaux notamment – et considèrent Mendès comme l’homme du renouveau de la classe politique en France. Plus rapidement qu’ils ne l’avaient prévu, Mendès France est aux portes du pouvoir et, dès lors, il convient d’accélérer la transition de L’Express, d’un simple journal mendésiste observant les évolutions de la scène politique en un organe de presse du président du Conseil « PMF » (cette mode américaine des initiales est largement diffusée par L’Express). Au départ, L’Express en donne l’image d’un recours possible puis, après son échec du 3 juin 1953, d’un recours providentiel.

En mai 1954, le tirage atteint 90000 exemplaires, le double d’un an plus tôt. Contrairement à ce que l’on croit, le lectorat bourgeois et conservateur des Echos ne change pas outre mesure quand L’Express apparaît. Sans donner dans l’anticléricalisme ni dans le modernisme à tout crin, L’Express rajeunit toutefois le lectorat des Echos et s’installe dans le paysage de la presse française sans bouleverser la hiérarchie.

Après son élection, la revue prolonge l’état de grâce de PMF et le souffle d’espoir que son gouvernement apporte. Elle lui donne une aura internationale. Il est le premier homme politique français à recevoir les honneurs de la couverture de Time Magazine qui le désigne comme l’homme symbolisant la nouvelle France d’après-guerre. Cela offre à Mendès France des soutiens de plus en plus jeunes, les mêmes qui l’écoutent à la radio. L’Express est un réservoir de talent pour le nouveau présient du Conseil : JJSS, Nora, Sauvy, Boris et Picot notamment, contribuant à la pédagogie de PMF[9], constituent un laboratoire d’idée au service du chef du gouvernement et servent de sondeurs d’opinion en testant les projets de PMF parmi les lecteurs de la revue. L’Express est la première à évoquer un style PMF et à l’incarner, en se renouvelant pour être en phase avec un gouvernement énergique et dynamique, en contraste avec l’immobilisme des précédents.

Le soutien aux allures de propagande que L'Express lui fournit est tel que l'hebdomadaire s'institue en porte-parole officieux du président du Conseil. Revue aux idées et aux méthodes neuves, L'Express utilise toutes les nouvelles techniques de communication et de publicité pour soutenir leur favori et pour mettre en avant son modernisme en contraste avec la morne classe politique de la IVe République. Cette offensive a une double conséquence : d'une part la popularité croissante de PMF dans les milieux de gauche, que ce soit la jeunesse universitaire, les intellectuels et les syndicalistes et d'autre part le sentiment global de la population française d'avoir enfin un homme d'Etat à sa tête qui gouverne le pays. Ce côté partisan est contagieux et, à une époque où les questions de politique intérieure préoccupent la France, le quotidien Le Monde de Hubert Beuve-Méry prend, de manière exceptionnelle, clairement parti pour Mendès. Toutefois la question de la CED altère le soutien des médias de gauche à l'expérience gouvernementale de Pierre Mendès France.

S’il gagne en popularité grâce aux médias, Mendès France bénéficie aussi d’une certaine aura et d’une stature au sein de la classe politique qui doit le ménager. Mais ses congénères supportent mal le contact direct avec le pays qu'il a mis en œuvre et surtout rejette la dévalorisation du Parlement que PMF a entrepris (volontairement ou non). Il dérange aussi car il brise une époque où la transparence et l’omniprésence[10] médiatiques étaient perçues comme des défauts. Or comme l’explique Claude Marti, il est « le médium et le message, le faire et le dire, le pédagogue et le clinicien ». Alors même que le Parlement lui interdit de s’exprimer après la chute de son gouvernement, il explique a posteriori les paradoxes des arguments de ses opposants : « la preuve que je n’avais aucune intention agressive ou antiparlementaire, c’est que rien n’aurait pu m’empêcher, si j’avais voulu, de m’expliquer à la radio devant le pays tout entier ; par exemple le samedi suivant comme chaque samedi » dira-t-il.

Dès avant la chute de Mendès, L’Express prépare les législatives de 1956 et engage Jean Daniel et André Malraux. La diffusion atteint alors 153 000 exemplaires, ce qui en fait le premier hebdomadaire politique de France. La stratégie est d’assurer une position forte à Mendès France au sein du parti radical, au risque que ses ambitions pour 1956 soient déçues. L’Express renonce alors au mythe de l’homme providentiel et présente désormais PMF comme le maillon le plus brillant du parti radical. Le journal désacralise Mendès pour le faire accepter aux électeurs radicaux. En dépit de la fin de l’expérience mendésiste, la revue tire jusqu’à 170 000 exemplaires. Mais toute la stratégie est renversée quand des élections précipitées sont convoquées en octobre 1955. Il s’agit dès lors de convaincre tous les électeurs susceptibles de voter pour PMF, sans distinction d’orientation politique (socialistes, gaullistes, etc.).

L’heure est grave et L’Express, devenu quotidien, doit innover pour sauver les chances de Mendès. Le journal inaugure la pratique de contrats entre médias et sondeurs d’opinions (IFOP dans ce cas) et fait preuve d’audace. Mais la vague mendésiste est déjà retombée progressivement au cours de l’année 1955[11]. Si L’Express n’a pas créé le courant mendésiste, il a fait découvrir un personnage à l’opinion publique ; de par son électorat jeune et sensible à la personnalisation du pouvoir, L’Express a aussi créé une base de soutien à PMF pour les années à suivre.

 

Les médias, même après son expérience… Comment Mendès France a-t-il perpétué son image par des ouvrages, des interviews, des passages à la radio ou à la télévision?

 

Outre L’Express, l’autre revue marquante de l’expérience Mendès France est Le Nouvel Observateur. La revue a été la sienne de 1964 jusqu’à sa mort, en partie car il en a été le parrain dès sa naissance. Se déclarant mendésiste, le magazine fondé par des transfuges de L’Express prolonge vainement le culte mendésiste dans les années 1960-1970. Jean Daniel, co-fondateur, raconte : « C’est à Montfrin, dans la propriété de Marie-Claire, sa future épouse, que se déroulèrent sous sa présidence les premières réunions qui rassemblaient les équipes de «France Observateur» et des transfuges de «l’Express» pour opérer la fusion qui devait donner naissance à notre hebdomadaire. Ces réunions ont eu lieu en juin et en octobre 1964. Il y avait des résistances dans les deux équipes: ce sont les conseils, mieux, les exhortations de Mendès France qui en ont triomphé.[12] »

Ensuite tous les grands événements furent commentés dans les pages du Nouvel Obs par Pierre Mendès France, lequel prodiguait ses conseils à l’équipe de rédaction chaque semaine et jugeait sans complaisance l’évolution de son « filleul ». Mieux, ces réunions lui permettaient de prendre la température de la gauche, comme se souvient Jean Daniel : « Avant chaque moment important de la vie politique, nous organisions autour de lui des réunions où se trouvaient la plupart du temps Edmond Maire, alors responsable de la CFDT et pour l’action duquel il avait un évident respect, Michel Rocard, Jacques Delors. Parfois le rejoignaient Alain Touraine, Edgar Morin, Michel Foucault et François Furet. Pierre Mendès France nous a tous marqués.[13] »

Progressivement, avec les années, Mendès se fait plus rare dans les médias; sa maîtrise de l’art radiophonique contraste avec ses piètres performances télévisuelles où sa voix ne joue plus qu’un rôle secondaire. Plus tard, il créera l’événement au cours de grands débats à la radio (contre Michel Debré en 1965[14]) puis à la télévision (contre Georges Pompidou en 1967). Jamais il ne démentira son affection pour les médias, même si l’échec de son soutien à Gaston Defferre lors de l’élection présidentielle de 1965 est retentissant et prouve qu’il n’a pas su maîtriser le passage aux premières allocutions de campagne télévisées. La rareté des apparitions de Mendès France s’explique aussi par sa méfiance de la télévision dont il perçoit l’évolution en scène de spectacle. Il explique cette absence jusqu’à affirmer qu’il n’aime pas « se distribuer lui-même »[15] : un grand paradoxe pour l’un des rares hommes politiques qui ait une relation si profonde et complexe avec les médias et qui, justement, a affiché face aux Français, par la radio notamment, autant un personnage qu’une méthode.

 

Nicolas DORGERET, mars 2005.

 

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[1] LEVY Marie-Françoise, « Pierre Mendès France » in JEANNENEY Jean-Noël, L'Echo du siècle. Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2001 (2e éd.), p. 477.

[2] TUDESQ André-Jean, « Pierre Mendès France et la radiodiffusion » in BEDARIDA François et RIOUX Jean-Pierre (dir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, Paris, Fayard, 1985, p. 205.

[3] Ou plutôt le second après le président Doumergue en juin 1934.

[4] Il a soutenu sa thèse de doctorat sur l’expérience Poincaré.

[5] MENDES FRANCE Pierre, Dire la vérité. Causeries du samedi, Paris, Julliard, 1955.

[6] GOUX Christian, « Expliquer et convaincre » in Pierre Mendès France et l'esprit républicain, Paris, Le cherche midi, 1996, p. 71.

[7] Citation de Pierre Mendès France in Claude MARTI, art. cit., p. 77.

[8] MARTI Claude, art. cit., p. 81.

[9] Son programme économique parait même sous forme de bandes dessinées. 

[10] Beaucoup lui reprochèrent son contrôle sur les ondes, les censures et l’impartialité des médias d’information. TUDESQ André-Jean, « Pierre Mendès France et la radiodiffusion » in BEDARIDA François et RIOUX Jean-Pierre (dir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, Paris, Fayard, 1985, p. 206.

[11] TOURNIAIRE Eliane, « L’Express et le phénomène mendésiste (1953-1956) » in BEDARIDA François et RIOUX Jean-Pierre (dir.), Pierre Mendès France et le mendésisme, Paris, Fayard, 1985, p. 203.

[12] DANIEL Jean, « PMF et la com », Le Nouvel Observateur, 17 juin 2004.

[13] Ibid.

[14] Le Grand Débat. Entretiens Debré-Mendès France, Paris, Gonthier, 1966.

[15] Propos de Pierre Mendès France, lors de l’émission télévisée « L’Homme en question » du 15 mai 1977, rapportés par LEVY Marie-Françoise, « Pierre Mendès France » in JEANNENEY Jean-Noël, L'Echo du siècle. Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 2001 (2e éd.), p. 481.