La
quête d'un nouveau Paradis
Prendre la mer c'est aussi aller vers un domaine
rêvé, telles les îles Fortunées dont parle
Pline, où abonderaient arbres, fruits et
oiseaux. Depuis l'Antiquité, elles marquaient
traditionnellement le bout du monde. Au VIe
siècle, saint Brandan, accompagné de quatorze
moines, part dans l'Atlantique nord à la
recherche d'un Paradis à l'Occident, celui
d'Orient étant interdit par l'ange à l'épée
de feu. Le récit de sa "navigation"
est très populaire au Moyen Âge. Les îles de
saint Brandan, associées aux îles Fortunées,
sont identifiées aux Canaries lors de leur redécouverte
en 1341.
À
l'Occident, le défi des colonnes d'Hercule
L'Océan, qui s'ouvre à l'ouest de la Méditerranée,
est tourné vers le Ponant, là où disparaît
quotidiennement le soleil, un domaine connoté
par la mort. C'est plus ou moins transgresser un
interdit que de franchir les colonnes d'Hercule,
bornes mettant en garde les marins contre une
trop grande audace. Mais l'interdit appelle la
transgression. Dès 1291, les frères Vivaldi
veulent aller aux Indes par l'Océan sur leurs
galères dans l'ignorance totale de la distance
à parcourir et des conditions de la route.
À
l'Orient, le domaine des marchands musulmans
Depuis l'Antiquité, les routes maritimes
relient l'Occident et l'Orient d'où sont importées
soies, épices et porcelaines. Avec la conquête
islamique, les échanges commerciaux se développent
en Méditerranée. Les musulmans s'aventurent
jusqu'en Extrême-Orient, dans les régions les
plus reculées du monde connu. Si les navires
arabes règnent en maître sur l'océan Indien,
la Méditerranée demeure longtemps un lieu de
rivalités avec les Byzantins. La continuité
des itinéraires reste problématique, surtout
pendant les deux siècles que durent les
croisades.
Monopole
des cités italiennes
À partir du XIIe
siècle, l'Occident pèse d'un poids nouveau
dans le commerce en Méditerranée. Les flottes
de Pise et de Gênes s'imposent progressivement
dans le commerce avec l'Orient. Installés à
Constantinople dès le Xe
siècle, les marchands vénitiens commercent
librement dans tout l'empire byzantin. Très tôt,
les habitants de cette cité protégée par la
lagune se sont dotés d'une flotte leur
permettant de commercer avec les musulmans. Peu
à peu, ils se sont construits un véritable
empire en Méditerranée en multipliant les établissements
commerciaux.
Le
voyage de Marco Polo
Marco Polo (v. 1254-1324) est le plus célèbre
des marchands vénitiens. En 1271, il part pour
la Chine et ne reviendra que vingt-cinq ans plus
tard. Prisonnier à Gênes en 1298, il partage
sa cellule avec l'écrivain Rusticello de Pise
à qui il confie ses souvenirs. Son Livre des
Merveilles du monde est considéré comme la
première documentation précise, tant géographique
qu'ethnographique, sur les pays et les peuples
d'Orient. Sa description de la Chine restera une
référence et c'est le Cathay de Marco Polo que
Christophe Colomb tentera de trouver deux siècles
plus tard.
Le
Livre de Marco Polo
Composé par et pour des marchands, le Livre des
Merveilles du monde présente d'abord une étude
du marché asiatique. Une moitié délivre des
conseils pratiques : distances,
marchandises, modes de paiements etc. La
description de son itinéraire apporte une matière
de choix aux cartographes : Marco Polo
utilise à l'aller la voie terrestre, par l'Asie
centrale jusqu'à Pékin, sillonne la Chine,
puis revient par la mer de Chine, l'Océan
indien et le golfe Persique. Cette navigation de
dix-huit mois en fait le premier voyageur
occidental à emprunter cette voie maritime.
De
fragiles embarcations
Si la construction navale progresse de façon
continue au cours des dix siècles assignés au
Moyen Âge, les embarcations restent longtemps
faibles et fragiles. Jusqu'au XIIe
siècle, les bateaux sont mal armés pour
affronter les grandes houles atlantiques. La galère,
effilée et rapide, l'eau glissant bien sur son
bordage à franc bord, a seulement 1,75 m de
creux. La nef, à la coque plus profonde, n'est
munie d'un gouvernail que dans les années 1180.
La
navigation à vue
Plus encore que la faiblesse des navires, les
grandes difficultés résident dans les lacunes
de l'art de naviguer. En ce domaine, l'empirisme
est de règle. Faire le point avec précision
relève de l'exploit. C'est la limite de
visibilité d'une voile sur l'horizon par temps
clair qui détermine le "veues",
l'unité de mesure de la distance en mer. Le
souci de ne pas perdre de vue la terre guide
ceux qui "se mettent en mer". Cette
navigation "à vue" ou "à
l'estime" se perpétuera jusqu'aux grandes
expéditions en haute mer.
Nouveau
regard sur le monde
Aux XIIIe
et XIVe
siècles, l'homme pose un regard nouveau sur le
monde. La mer, génératrice de peurs et de
fantasmes, n'est plus un obstacle mais un chemin
vers de nouvelles contrées, des richesses à
exploiter et des esclaves à exporter. On
abandonne l'idée de deux ceintures océaniques
infranchissables bornées par les colonnes
d'Hercule. Ce changement dans les mentalités
favorise l'exploration des hautes mers : la
connaissance de l'espace maritime s'élargit et
entraîne le développement de la cartographie.
Les
premières cartes marines
À la fin du XIIIe
siècle apparaît une nouvelle image du monde,
non plus fondée sur un concept théologique
mais sur une approche empirique : ce sont
les cartes-portulans, nées de l'expansion du
commerce maritime. Construites sur un canevas de
roses des vents, ces cartes s'accompagnent du
portulan proprement dit, sorte de routier amélioré.
La terre change brusquement d'aspect. L'océan
n'est plus une ceinture infranchissable, mais
une route largement ouverte, jalonnée d'îles
qui offrent autant d'escales vers la découverte
d'autres terres habitées.
La
reproduction du réel
Le fond des cartes-portulans se couvre d'un
canevas de lignes dont les droites correspondent
aux directions de la rose des vents. Ces lignes
permettent aux navigateurs de choisir au départ
le rhumb de vent qui leur convient et, une fois
en haute mer, de faire le point en reportant sur
la carte la distance qu'ils estiment avoir
parcourue. On cherche à donner des informations
pratiques aux navigateurs : rivages, ports,
particularités de la côte. Des échelles de
distance se trouvent au bas des cartes.
La
cartographie majorquine
Une nouvelle cartographie se développe au XIVe
siècle : l'école majorquine offre de
nouvelles représentations de l'espace maritime.
Depuis 1229, les îles Baléares sont rattachées
au royaume d'Aragon (uni à la Catalogne en
1137), qui entretient de riches échanges
commerciaux avec l'Afrique. La péninsule découvre
alors les sciences arabes et juives ; celles-ci
ont développé une géographie issue des
recherches de Ptolémée et mis au point de
nouveaux instruments de navigation. L'atlas
catalan
Ce manuscrit est à la fois une carte nautique
avec rose des vents, lignes de rhumbs, et une
représentation imagée des régions habitées
du globe avec leurs particularités historiques,
géographiques, commerciales, et leurs divisions
politiques. L'espace maritime connu s'est élargi
; on ne représente plus le seul bassin méditerranéen,
mais également le littoral atlantique et les côtes
asiatiques. Les immenses régions de l'Orient
sont représentées selon des légendes et des
coutumes colportées par les voyageurs. La
route de l'or.
La cartographie catalane actualise sans cesse
ses informations. L'innovation porte ici sur la
réalité du Sahara et de ses pistes. Aux déserts
sont appliqués les mêmes lignes de rhumbs que
celles couvrant les mers. La route
transsaharienne, par laquelle on s'enfonce vers
le Soudan, pays des Noirs et de l'or, est indiquée.
Tenues cachées des commerçants caravaniers,
les régions productrices d'or sont connues du
cartographe grâce à des sources arabes. C'est
pour atteindre cet or du Soudan que les
Catalans, puis les Portugais chercheront une
route maritime par l'Atlantique.
Les
insulaires
Vers 1420 apparaît un nouveau genre de cartes :
l'isolario, ou recueil d'îles. Ce ne sont pas
de véritables cartes marines puisqu'il manque
les lignes de rhumbs. Produits en grand nombre,
d'abord manuscrits, puis imprimés, les isolarii
se présentent davantage comme des guides
"touristiques" destinés aux
voyageurs. Genre littéraire à la mode, ils témoignent
de l'intérêt des lettrés pour la cartographie
maritime et de leur parfaite connaissance de la
Méditerranée.
De
nouveaux instruments de navigation
La toute récente cartographie marine résulte
d'une innovation technique : la boussole.
Sans elle, pas de carte marine, car il est
indispensable que chaque utilisateur de la carte
dispose des mêmes points de référence que
celui qui l'a établie. D'autres outils
favorisent l'essor de la carte marine et offrent
aux marins des éléments de navigation moins aléatoires :
le sablier, la sonde (mesure la hauteur des
fonds sous la quille) et le loch (calcule
approximativement la vitesse du navire)
deviennent nécessaires à quiconque se lance à
l'assaut du grand large.
L'usage
de la boussole
La boussole gagne rapidement la confiance des
navigateurs et devient leur guide le plus précieux.
Elle est apparue pour la première fois en Méditerranée,
semble-t-il, à la fin du XIIe
siècle, mais reste dans un premier temps utilisée
uniquement lors des navigations en haute mer.
Elle se compose, à l'origine, d'une simple
aiguille aimantée, flottant dans un récipient
d'eau. L'aiguille est bientôt placée sur un
pivot, dans une boîte (boussola) à laquelle on
adjoint, au XIVe
siècle, une rose des vents.
La
mesure du temps
Afin de mesurer le temps, des sabliers sont
employés en complément des cadrans solaires ou
de leurs équivalents nocturnes, les nocturnals,
qui permettent de connaître l'heure en fonction
de la position des étoiles. Les ampoules des
sabliers en verre de Venise comptent environ une
demi-heure durant laquelle on laisse filer des
cordes à nœuds pour évaluer (en nœuds) la
distance parcourue. Un mousse s'occupe de les
retourner et s'en sert pour assurer les
changements de quart.
La
navigation astronomique
Si les cartes nautiques et la boussole suffisent
pour orienter le navire dans les mers intérieures,
en plein océan l'astronomie se révèle
indispensable pour faire le point en mesurant la
hauteur des astres. L'astrolabe permet de déterminer
avec une relative précision la latitude d'après
la position du soleil. Mais on ne possède pas
de moyens fiables pour évaluer la longitude qui
ne sera déterminée qu'au XVIIIe
siècle.
Calcul
de la latitude avec l'arbalète
Au milieu du XIVe
siècle, un nouvel instrument permet de calculer
la latitude pour déterminer la position du
navire : l'arbalète, ou bâton de Jacob,
mesure la hauteur des astres au-dessus de
l'horizon, le soleil de jour ou l'étoile
polaire la nuit. Beaucoup de marins préfèrent
utiliser à bord le quadrant, un cercle en bois
marqué en degrés, suspendu à un anneau
portant un fil à plomb avec un système de visée
sur le côté. Plus maniable, l'instrument reste
d'une précision relative, en mer, étant donné
les mouvements du navire.
Le
voyage de Bougainville
Au début du XVIIIe
siècle, l'océan Pacifique où les Européens
n'ont qu'un seul comptoir, aux Philippines,
reste en partie méconnu. Les débats sur
l'existence d'un continent austral sont relancés,
de nouvelles explorations engagées. En 1766,
Bougainville embarque avec un cartographe, un
astronome et le naturaliste Commerson pour le
premier voyage scientifique français autour du
monde. Terminé en 1769 après une abominable
traversée du Pacifique, ce voyage laisse entier
le mystère des terres australes. Mais grâce à
lui, la France a connu Tahiti.
À
la recherche de La Pérouse
Commanditée par Louis XVI, l'expédition de La
Pérouse (1785-1788) devait établir des
comptoirs en Alaska, créer un commerce avec la
Chine et compléter les connaissances
scientifiques en embarquant savants et
dessinateurs. Ils ne reviendront jamais. Parti
à leur recherche en 1791, Entrecasteaux passe
près de l'île de Vanikoro mais sans débarquer.
C'est en 1825 que Dumont d'Urville trouve des
vestiges du naufrage, sans doute provoqué par
un cyclone, près de la côte de Vanikoro. Des
survivants ont débarqué sur l'île. Mais
aujourd'hui encore, le mystère perdure.
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