LA
ROUTE DES ÉPICES
L'Europe,
depuis le Moyen - Age, raffolait des épices
qui permettaient de mieux conserver la viande
et de lui donner meilleur goût quand elle n'était
plus de toute première fraîcheur. On disait
"qu 'elles doublaient le plaisir de la
table". Elles permettaient, en tout cas,
de diversifier l'alimentation jusqu'alors bien
fade et limitée.
Avant
même la naissance de Jésus-Christ, les Grecs
et les Romains en importaient déjà.
Ces
épices étaient acheminées d'Extrême-Orient
jusqu'à la côte méditerranéenne par la
fameuse "Route de la soie" ou bien
transportées par voie maritime jusqu'en
Arabie. Là, des caravanes de chameaux
prenaient le relais. Les deux grands points de
vente en Europe, à partir du 10è siècle, étaient
Gênes et Venise.
C'est justement un vénitien, Marco Polo, qui après
un séjour à la cour de l'empereur chinois
Kubilaï Khan de 1275 à 1291, allait raconter
ses souvenirs dans le Livre des
Merveilles qui eut un succès
extraordinaire pour l'époque et frappa
terriblement les imaginations. Il y racontait,
entre autres choses, que les toits de certains
temples de Cipango étaient recouverts d'or
massif. C'est ce pays merveilleux (le Japon
d'aujourd'hui) que Christophe Colomb
voulut absolument découvrir par la route de
l'ouest. Il mourut, sans savoir qu'il avait,
en fait, découvert un nouveau continent qui
sera appelé plus tard "Amérique"
du nom du navigateur italien Amerigo
Vespucci.
Les épices devinrent vite une denrée
indispensable dans la vie quotidienne des
Européens tant pour la cuisine que pour la médecine.
Les sultans d'Egypte imposaient alors des prix
exorbitants. Il fallait, coûte que coûte,
rechercher une route maritime afin d'éviter
ces gênants intermédiaires et les pirates
barbaresques qui pullulaient en Méditerranée.
A l'époque, peu nombreux étaient les marins qui osaient
s'aventurer sur le grand océan.
Pour eux, cette immense étendue était
terrifiante, Les cartographes avaient orné
leurs portulans d'une multitude de lieux
mythiques et d'animaux imaginaires à l'aspect
monstrueux comme le Léviathan, énorme
serpent de mer capable d'engloutir un navire
entier. Les équipages étaient même persuadés
que la mer était en ébullition au niveau de
l'équateur.
Tout était auréolé de mystère.
On parlait d'îles fabuleuses au sud de la
Chine où poussaient à profusion le clou de
girofle et la noix de muscade. Mais seuls les
Arabes y avaient accès. Depuis le 8è siècle,
plusieurs dizaines de milliers d'Arabes
vivaient à Canton et leurs bateaux
sillonnaient l’Insulinde. Au 12è siècle,
d'énormes jonques chinoises, transportant
plus de mille personnes, s'engageaient dans le
golfe Persique pour venir y vendre des épices.
En un siècle les marins portugais allaient courageusement "éclairer"
la route. Ils allaient pour cela devoir
surmonter leur peur viscérale et démolir des
mythes séculaires.
En 1434, après quinze expéditions
successives de cabotage, le cap Bojador,
renflement situé à 1500 kilomètres au nord
du cap vert - la pointe la plus occidentale de l'Afrique - fut franchi. On disait pourtant
qu'aucun navire, une fois franchi ce cap, n'en
pourrait Jamais revenir. Au-delà de ce
"cap de la peur", les
Portugais allaient explorer systématiquement
le littoral occidental africain.
A la mort du roi Henri "le
Navigateur", en 1460, un commerce intense
et fructueux était déjà en activité,
employant jusqu'à vingt-cinq caravelles par
an. Les côtes prirent le nom de leurs
produits - Côte de l’ Or, Côte d’Ivoire,
Côte des Esclaves.
En
février 1488, Bartholomeu Dias doubla la
pointe sud de l'Afrique qu'il nomma "cap
des Tempêtes" mais fut vite rebaptisé
"cap de Bonne-espérance". Il
s'agissait maintenant de préparer une grande
expédition qui ouvrirait la "route des
Indes". Elle partira seulement onze ans
plus tard, en 1497, avec Vasco de Gama.
Or, entre-temps, allait éclater la
"bombe Colomb"……
En mars 1493, ce dernier, débarquant
à Lisbonne, venait révéler au monde que les
Indes - croyait-il - avaient été atteintes
par l'ouest. Il venait en effet, après douze
années d'attente et de supplications durant
lesquelles son projet fut repoussé plusieurs
fois par Jean II du Portugal et les rois
catholiques d'Espagne, d'offrir sur un
plateau, aux souverains espagnols Ferdinand et
Isabelle, un nouveau royaume qu'il avait découvert
à la tête d'une flottille de trois
caravelles délabrées, le 12 octobre 1492.
Soixante ans après l'évènement, le chroniqueur espagnol
Francisco Lopez de Gomara en donnera la juste
mesure en écrivant : "La plus
grande chose depuis la création du monde,
hormis l'Incarnation et la mort de son Créateur,
c'est la découverte des Indes".
Le Portugal, prenant ce pays pour l'Extrême-Asie,
voulut faire valoir ses droits.
Afin de départager les deux prétendants, il
fut fait appel au pape Alexandre VI qui avait
"tout pouvoir sur les peuples chrétiens
et infidèles".
Celui-ci, soucieux de préserver la paix chrétienne
et faire front à l'Islam, publia aussitôt la
bulle intercaetera qui définissait le
partage des terres découvertes ou à découvrir
entre Espagnols et Portugais.
Toutes les terres se trouvant à l'est
du méridien du cap vert iraient au Portugal
tandis que les terres à l'ouest de ce méridien
seraient dévolues à l'Espagne.
Jean II, après réflexion, demanda que ce soit finalement le méridien
situé à 370 lieues à l'ouest des îles du
cap Vert qui serve de ligne de démarcation.
Savait-il déjà, avant la future découverte
officielle, en 1500, par Cabral, qu'il
existait une terre - que l'on appellera Brésil
- au sud-ouest du cap Vert ? C'est probable,
mais les Portugais savaient garder jalousement
leurs secrets. Voici la raison pour laquelle,
aujourd'hui, on parle portugais au Brésil et
espagnol dans le reste de l'Amérique du Sud.
Le Portugal gagnait d'un côté le Brésil et
Terre-Neuve mais il ne savait pas encore que
ce qu'il gagnait en Atlantique, il allait le
perdre aux antipodes, en plein dans les îles
Moluques, si importantes, par la suite, pour
les épices.
A
partir du XVème siècle, les navigateurs
portugais, à la suite de Vasco de Gama,
franchissent le cap de Bonne-Espérance et se
lancent pour eux-mêmes dans ce fructueux
commerce.
La route des épices est alors contrôlé à
l'est par les Arabes et au sud par les
Portugais. Christophe Colomb convainc la
couronne d'Espagne de tenter sa chance par...
l'ouest. Et, bien qu'ils n'arrivent pas aux
Indes, ils découvrent l'Amérique, un autre
continent riche en épices.
Au
XVIIème siècle, c'est au tour des marchands
hollandais et anglais de se lancer dans le
commerce des épices en créant des compagnies
et des comptoirs sur les côtes asiatiques.
En
1654, les Français s'installent aux Indes
avec la création par Colbert de la Compagnie
des Indes Orientales. Plus tard, ils développent
la culture des épices dans leurs colonies de
la mer des Antilles (Guadeloupe, Martinique)
et de l'océan Indien (Madagascar, La Réunion,
Maurice).
A
la fin du XVIIIème siècle, les Anglais
dominent le marché des épices, alors que
leurs cours sont en baisse.
Aux
XIXème siècle, la culture des épices s'est
très largement étendue. L'Indonésie,
restent un fournisseur important, mais est
supplantée sur le marché international par
l'Amérique latine.
De
nos jours, les épices sont devenues de banals
ingrédients de l'art culinaire. Aujourd'hui
en France, l'épice la plus consommée est le
poivre (86 000 quintaux importés par an),
suivi par le gingembre, le safran et le
curcuma (63 000 quintaux environ chacun), les
piments (28 000 quintaux), la cannelle et la
muscade (8 000 quintaux environ chacun),
le girofle (6 000) et la vanille (4 000).
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