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Reportage Al Jazira Quatar

 

Article rédigé en février 2003

 

Sara Daniel

De Paris à Beyrouth, d’Alger au Caire, près de 40 millions d’Arabes et de musulmans suivent chaque jour les affaires du monde à travers l’écran d’Al-Jazira. Qui y a-t-il derrière la chaîne basée au Qatar? Quelle idéologie professe-t-elle? Qu’y dit-on de l’Occident, d’Israël, de l’Islam, de Saddam? Notre enquête

 

Al-Jazira la voix des Arabes

«Vous avez entendu le bruit qui court? Il paraît que je suis viré!» Fayçal al-Qassem, le présentateur vedette d’Al-Jazira et le journaliste le plus célèbre du monde arabe s’esclaffe. Un ami vient d’appeler pour le prévenir: les représentants des pays du Golfe, réunis à Doha, viennent de demander – une fois de plus – sa tête à l’émir du Qatar. A cause de son émission «Direction opposée», le prince Abdullah d’Arabie Saoudite a boudé le Conseil des Pays du Golfe. Et il n’est pas le seul. «Grâce à moi ce congrès à été celui des chefs d’Etat absents», s’amuse Al-Qassem. A Doha, dans sa belle villa, le présentateur est un impertinent. Comme à la télé. Le petit homme rond qui trône dans un salon aussi doré que ses célèbres lunettes cerclées ne croit pas un instant à sa disgrâce.
Comment pourrait-on se passer de lui? A Damas ou au Caire, il ne peut plus marcher dans la rue sans créer une émeute. Pour les 40 millions de téléspectateurs qui regardent Al-Jazira, Fayçal al-Qassem est bien plus qu’une star du petit écran. Aux yeux des nostalgiques de la grande époque de Nasser, il incarne désormais la voix des Arabes. Ce fils de paysan syrien, titulaire d’un PHD (diplôme de 3e cycle) de littérature anglaise, est le leader charismatique d’un monde arabe virtuellement unifié. Le héraut d’une oumma du satellite. Chaque mardi à 21 heures, temps universel, de Paris à Beyrouth, d’Alger à Doha, les spectateurs arabophones fascinés se rassemblent devant la célèbre émission qui propose des débats où s’exprime une vision «non occidentale». «Oussama Ben Laden a-t-il servi ou desservi la cause de l’islam?», «Le sionisme est-il pire que le nazisme?», «la voix des Arabes» ne fait pas dans la nuance. Et les opinions défendues sur le plateau seraient considérées sur CNN comme de graves délits. Exemple d’émission, au lendemain de l’attentat terroriste contre un avion israélien, à Mombasa. «Les actions militaires contre les Etats-Unis sont-elles du terrorisme ou de la résistance?», s’interrogeait le «docteur» Al-Qassem. Dans son introduction, le Larry King des nationalistes arabes présente les points de vue de ses deux invités: «Est-ce que nous assistons à la réalisation de la prophétie de Ben Laden: vous nous tuez, alors on vous tue? Selon un sondage réalisé par Al-Jazira, 90% de nos spectateurs sont favorables aux actions contre les intérêts américains dans le monde. Certains disent: il faut leur faire payer cher leur hégémonie… Les autres disent que ce n’est pas en détruisant quelques avions que nous allons faire respecter nos droits…» Face à face, sur le plateau, un Koweïtien, rapidement discrédité lorsque son interlocuteur l’aura présenté comme «pouvant figurer dans le livre des records des contacts avec les Israéliens», et un ancien marxiste égyptien islamisé, qui emportera la sympathie de son auditoire en déclarant: «Cette action au Kenya est un acte stratégique. Elle rétablit l’embargo contre Israël levé par les pays arabes… Les Israéliens seront maintenant obligés de se cacher. C’est une extension qualitative du domaine de la lutte…»
Dans le monde, selon le docteur Al-Qassem, il n’y a que deux catégories de gens. D’un côté, les ennemis – les Etats-Unis et les sionistes –, de l’autre, ceux qui les combattent – Ben Laden et le Hezbollah –, malgré les efforts déployés par les «collaborateurs», les «vendus»: les dirigeants arabes, contre lesquels le présentateur déchaîne toute sa hargne. Alors, chaque mardi, les ambassadeurs des pays arabes au Qatar se demandent si cette fois, ce sera leur tour de devoir faire leur valise. Le Marocain, le Saoudien, le Jordanien, le Bahreïnien… Tous ou presque ont dû, un jour ou l’autre, se plier à ce jeu de chaises musicales diplomatiques. «Quant à l’Irakien, cela fait un moment qu’il a disparu»,confie un diplomate en poste à Doha, qui a renoncé à s’inquiéter des absences de ses confrères. Fayçal al-Qassem, lui, tient le compte de ces péripéties diplomatiques avec gourmandise: les plaintes officielles des gouvernements arabes, ce sont ses médailles. Dans sa villa, mise à sa disposition par la direction de la chaîne, il raconte avec délectation les débuts de sa success story à Al-Jazira.
«Je pensais que ce serait une chaîne arabe comme les autres. Vous savez: qui Sa Majesté va voir, qui elle a vu, qui elle verra… Logique, puisque la chaîne appartient à l’émir du Qatar. Alors j’ai fait un test: ma première émission critiquait la politique des pays du Golfe. Violemment. Je m’apprêtais à faire mes bagages… mais ils m’ont félicité. Depuis, je fais ce que je veux.» Quitte à dire n’importe quoi. Ainsi, une semaine après l’attentat du World Trade Center, Fayçal al-Qassem citait un article d’«Al-Watan» selon lequel, ce 11 septembre, «4000 juifs n’étaient pas venus travailler…» Enorme bobard antisémite qui fera le tour du monde arabe. A la suite de ce dérapage, relevé par Daniel Schneidermann dans son émission «Arrêt sur images», le Conseil supérieur de l’Audiovisuel convoquait Michel Kik, chef du bureau d’Al-Jazira à Paris, pour le réprimander. Mais Fayçal al-Qassem ne regrette rien: «Je n’ai pas été le premier à le dire, et puis nous ne savons toujours pas qui a commis ces attentats…» Il n’a d’ailleurs reçu aucun rappel à l’ordre de ses patrons.
Jusqu’ici, Al-Qassem n’a été suspendu qu’une fois, pendant trois semaines: c’était il y a un an, lorsqu’il a traité tous les dirigeants arabes de «salauds». «C’est vrai, je me suis laissé emporter, reconnaît la star, qui a dû oublier que le propriétaire de la chaîne, l’émir du Qatar, pouvait se sentir visé. Mais ce sont quand même tous des salauds.» Un salaud aussi Saddam, le raïs de l’Irak, qu’il vient d’interviewer longuement? «Je l’ai trouvé très serein, très structuré. Mais oui, lui aussi, c’est un salaud, comme les autres. On ne me fera pas taire. Pendant des années, les dictateurs nous ont forcés au silence. On n’avait même pas le droit de parler du prix du poisson. Et puis arrive Al-Jazira. Comme une météorite dans de l’eau croupie. Ce n’est pas vraiment une chaîne, car il n’y a pas de liberté de la presse sans démocratie. Disons que c’est une curiosité du système. Pour une fois, nous avons la chance de pouvoir parler, alors nous hurlons!»
Dans la salle de rédaction ultramoderne de la chaîne, une quarantaine de journalistes s’affairent devant leurs ordinateurs, un œil rivé sur CNN, l’autre sur Al-Jazira. Ils viennent de Khartoum ou de Beyrouth, d’Alger ou de Bagdad. Ils vivent pour leur travail. Beaucoup sont issus du département arabe de la BBC. Une radio que les Saoudiens ont préféré fermer en mai 1996, lorsque les journalistes se sont piqués de critiquer le régime wahhabite. Ils sont de tous les partis, même si la grande majorité d’entre eux sont nationalistes ou islamistes.
Khadija Bengana, la jolie présentatrice du Journal, a fui, elle, la télé algérienne et les menaces d’assassinat. Ses origines l’ont rendue prudente. «J’ai un point de vue plus modéré que certains de mes collègues concernant les mouvements islamistes. Je les ai trop vus assassiner la raison. Mais eux se réfèrent aux Frères musulmans, un mouvement structuré, encadré par des oulémas, tandis que chez nous les islamistes n’ont aucune culture.» Depuis six ans qu’elle exerce son métier au sein de la chaîne, jamais la jeune femme n’a reçu de rappel à l’ordre. Sa liberté vaut bien des sacrifices: une vie tout entière consacrée au travail, dans un pays où la société est très conservatrice, à la traîne des autres émirats, dit-elle. Il y a quelques mois, Khadija a demandé à ne plus présenter «Pour les femmes seulement», l’unique émission hebdomadaire d’Al-Jazira consacrée aux femmes. Il faut dire que la femme du cheikh Qaradaoui, l’imam de la chaîne, est devenue la productrice de ce magazine féminin… Khadija ne souhaite pas commenter sa décision. On saura juste qu’elle s’entend bien avec la majorité de ses collaborateurs du JT. «Il faut dire que sur l’essentiel nous pensons tous la même chose.» L’essentiel? Le martyre du peuple palestinien. Qu’ils soient nationalistes ou islamistes, beaucoup de journalistes acceptent avec difficulté la politique «normalisatrice» d’Al-Jazira, qui donne la parole aux dirigeants israéliens. Pour eux, voir le nom d’Israël écrit sur les cartes de la région diffusées à l’antenne, c’est déjà le signe d’une capitulation. «Pendant les événement de Jénine, tous les journalistes pleuraient. Ils me disaient: "Pourquoi faut-il que nous interviewions ces assassins?"», raconte Ibrahim Helal, un Egyptien, rédacteur en chef de l’info, qui, tout à son métier, ne partage pas ces scrupules: «Le journalisme, c’est parler de ce qui est, pas de ce qu’on voudrait qui soit.» C’est lui qui a reçu, à Doha, plusieurs des messages de Ben Laden. Et qui a décidé de les passer. Le dernier? Une cassette audio, que le correspondant d’Al-Jazira à Islamabad lui a fait écouter au téléphone. «J’ai hésité pendant une demi-heure. Et puis je l’ai diffusée. Quel média ne l’aurait pas fait?» Un raisonnement de pro: Ben Laden fait recette, et Al-Jazira applique les lois du marché de l’information. Comme CNN. La question n’est donc pas de savoir pourquoi Al-Jazira a choisi de diffuser les messages de Ben Laden, mais pourquoi Ben Laden a préféré Al-Jazira à tout autre chaîne arabe…
On peut trouver un début de réponse dans le livre qu’Ahmed Zeidan, correspondant de la chaîne à Islamabad, vient de consacrer à Cheikh Oussama. Ce journaliste syrien est le dépositaire habituel des cassettes envoyées par le milliardaire. Il est aussi le seul qui ait rencontré Ben Laden depuis le 11 septembre. Le «superviseur» d’Al-Qaida avait apprécié ses articles dans «Al-Hayat». Appréciation réciproque: dans son livre, Zeidan confesse toute l’admiration que lui inspire Ben Laden, présenté comme un homme héroïque, qui a les larmes aux yeux quand il parle de sa mère. Mais aussi calculateur et vaniteux, qui demande à son cameraman de refaire les prises dont il n’est pas satisfait. Récemment publié à Beyrouth, ce livre, qui repose sur les entretiens réalisés par l’auteur avec l’instigateur présumé des attentats du 11 septembre, est une mine pour les services secrets de la planète.
Beaucoup, à Al-Jazira, avouent une sorte de fascination pour le leader d’Al-Qaida et l’ancien régime des talibans. Au bout de la salle de rédaction, il y a les «Afghans», comme on surnomme les journalistes qui ont couvert les frappes américaines en Afghanistan. Beau gosse, Taysser Allouni roule des mécaniques. «Moi, ma spécialité, dit-il, ce sont les endroits chauds.» Le reporter de guerre syrien s’exprime couramment en espagnol. Il a vécu longtemps à Séville. Il évoque avec nostalgie l’islam tolérant d’Al-Andalous, puis, sans craindre de se contredire, se met à chanter les louanges des talibans: «Contrairement à ce qu’ont prétendu les Américains, les talibans n’interdisaient pas aux petites filles de s’instruire. Ils connaissaient fort bien l’existence des "écoles interdites". Et lorsqu’on dit que les femmes ne pouvaient pas travailler… Mais en Afghanistan, il n’y a même pas de travail pour les hommes!» Le reporter algérien Abdul Hak Saddah, qui a relevé Allouni en Afghanistan après l’effondrement du régime du Mollah Omar, est resté lui aussi marqué par l’expérience: «Après la chute des talibans, quand on parlait des Arabes, c’était comme si on parlait du diable. J’étais devenu une cible.» Il finira par trouver refuge dans les locaux de CNN… Son jugement aujourd’hui sur Ben Laden? «On peut détester l’homme, mais pas ses discours, si on est musulman.»
Propos incendiaires, surenchères extrémistes: dans les talk-shows d’Al-Jazira, la haine de l’autre ne se déguise plus. Comme les Américains et les Israéliens, les Arabes se vivent aujourd’hui en guerre. Et la guerre ne porte pas à la modération. Mais il est paradoxal, cet émir du Qatar qui laisse se développer sur sa chaîne un discours qui contredit sa politique. Tandis qu’Al-Jazira donne la parole à des tribuns antisémites, comme le leader de l’extrême-droite américaine, David Duke, l’émirat reçoit une délégation de commerciaux israéliens qui distribuent des pin’s représentant les drapeaux du Qatar et d’Israël! Et pendant que les vedettes de la chaîne vomissent sur la diabolique Amérique et la guerre qui se prépare, le Qatar accepte de servir de quartier général aux opérations contre l’Irak. Peu de gouvernements, démocratiques ou non, accepteraient de financer une chaîne qui dessert leurs intérêts. Alors pourquoi?
En novembre 1996, lorsque le cheikh Hamad crée Al-Jazira (l’île), il affirme vouloir faire de sa chaîne le fer de lance de la modernisation du pays. Il vient de renverser son père. Il veut secouer son minuscule émirat, qui somnole dans l’opulence. Son ambition? Faire du plus petit des pays arabes (600000 habitants, dont seulement 100000 Qatariens) le plus démocratique. Il dépense 130 millions de dollars pour créer la chaîne qui va bouleverser le paysage audiovisuel arabe. Un vent de réformes souffle sur le pays: le ministère de l’Information et les commissions de censure sont supprimés. En 1999 les femmes obtiennent le droit de vote et présentent des candidates aux élections municipales. «Toutes ces initiatives constituent un gage de liberté, en vue de la création d’un Etat de droit», explique le cheikh Hamad ben Thamer al-Thani, membre de la famille royale et président du conseil d’administration d’Al-Jazira (interview au magazine «Politique internationale»).
La société se met à bouger. On voit aujourd’hui des Qatariennes enveloppées d’abbayas intégrales côtoyer des hommes aux tables des cafés. Et on aperçoit souvent leur silhouette noire au volant des 4x4 rutilants qui embouteillent l’artère principale. Une révolution. Qui provoque l’indignation de l’Arabie Saoudite voisine. Pourtant cette version héroïque, qui fait de la création d’Al-Jazira le symbole de la démocratie en marche, laisse les Qatariens sceptiques. «De quelle démocratie parlez-vous, soupire un universitaire de Doha. L’émir refuse la création de partis, il n’y a pas de justice indépendante. Et les gens qui protestaient contre la modernisation forcée du pays ont été mis en prison. Tout ça, c’est de la poudre aux yeux pour les Américains.» Et ça marche: les Etats-Unis se félicitent des récentes orientations du petit émirat. Dans un article d’une touchante franchise, le rédacteur en chef du «Herald Tribune», David Ignatius, propose l’émirat en exemple aux autres pays arabes: «Ce qui rend le Qatar intéressant, c’est qu’il épouse les valeurs américaines. Voilà la nation qui a lancé Al-Jazira, l’exaspérante, incendiaire et terriblement intéressante chaîne… qui fournit au monde arabe ce dont il a le plus besoin: une occasion de débattre librement…»
Alors libre, Al-Jazira? Pas tout à fait… «Il y a une ligne rouge que nous ne devons jamais franchir, confie une journaliste de la chaîne. Nous interviewons les opposants de tous les régimes arabes, mais le père de l’émir, qui vit à Londres, n’a jamais été sollicité.» A la cafétéria de la chaîne, les journalistes évoquent aussi la censure du reportage d’une des stars de la chaîne, Yosri Foda. Une enquête sur le trafic d’enfants pakistanais utilisés comme jockeys dans les courses de chameaux et qui meurent de sous-alimentation. C’est que les courses de chameaux sont une passion nationale au Qatar… «Nous, les journalistes arabes, nous devons toujours fermer les yeux sur quelque chose, admet, fataliste, un membre de la rédaction. Quand on travaille dans un journal libyen, on fait attention à ce qu’on écrit sur Kadhafi, quand on écrit dans "Al-Hayat", on oublie les princes saoudiens, ça fait partie du contrat. Finalement, à Al-Jazira, nous avons de la chance. Notre seul sujet tabou est un minuscule pays qui n’intéresse le monde que… parce qu’il est le siège d’Al-Jazira.»
L’histoire d’Al-Jazira, au fond, c’est l’histoire d’une petite monarchie opulente qui s’est offert une chaîne «libre» afin d’apparaître comme le bon élève de la mondialisation. Et tenter de supplanter son encombrante voisine, l’Arabie Saoudite, dans le cœur des Américains. «L’Arabie Saoudite n’était que la prostituée des Etats-Unis. Le Qatar sera son épouse légitime, dit un intellectuel arabe, et Al-Jazira, l’arme démocratique pointée sur la tempe du royaume wahhabite.» Coincé entre l’Arabie Saoudite et la mer, le petit royaume redoute les tentations hégémoniques de son puissant voisin. D’où l’empressement avec lequel l’émir a invité les Américains à venir installer une base militaire chez lui. «La seule manière d’être sûr qu’ils répondront à nos appels au secours, c’est de les installer à demeure», aurait-il expliqué à un de ses conseillers.
Depuis les Saoudiens enragent. Ils en ont assez des leçons que leur donne le «vilain petit Qatar». Car Al-Jazira ouvre généreusement son antenne aux opposants au régime de Riyad. Du coup, malgré un Audimat à faire pâlir d’envie les chaînes du monde entier, Al-Jazira est boycottée par les régies publicitaires arabes, sur lesquelles les Saoudiens ont la haute main. Ou alors, de façon plus vicieuse, «ceux-ci donnent à la chaîne une publicité choquante, destinée à la discréditer», explique Mohamed El Oifi, un universitaire marocain spécialiste des médias arabes. Exemple, cette pub pour une loterie récemment diffusée: «Voulez-vous gagner 500000 riyals saoudiens?», susurre une jeune femme à la voix langoureuse. Quand le cheikh Qaradaoui, la caution religieuse d’Al-Jazira, vient justement de rappeler, dans son émission, «la Charia et la vie», que l’islam condamnait les jeux d’argent et de hasard. Et voilà la chaîne prise en flagrant délit d’hypocrisie.
Souvent, ces publicités viennent après un appel à la solidarité avec le peuple palestinien ou la récitation d’un verset du Coran. D’autres fois, ce sont des pubs pour des voitures de luxe ou du matériel hi-fi sophistiqué. Il faut décrypter. Comprendre qu’il s’agit d’énerver un public arabe, qui le plus souvent ne peut même pas rêver de se payer ces objets luxueux. Et lui rappeler, par la même occasion, le train de vie indécent des Qatariens.
Dans un article du journal libanais «As-Safir», Joseph Samara analyse ce qui représente pour lui un concentré de schizophrénie: «Le dualisme entre Odeid [la base américaine de Doha] et Al-Jazira au Qatar, c’est la situation arabe vue au microscope, un effondrement terrible de la solidarité arabe et une rhétorique creuse… On tolère Odeid parce qu’Al-Jazira existe, et parce que l’Arabe moyen s’est habitué aux déclarations mensongères comme aux actes de vassalité. Le responsable qatarien est capable de signer un traité qui met en location la souveraineté nationale entre deux scènes filmées: la mort de Palestiniens dans les territoires occupés (la veille du départ d’une délégation israélienne pour le Qatar) et les préparatifs irakiens pour repousser l’agression attendue (la veille du décollage des avions américains de la base d’Odeid pour bombarder Bagdad…).»
Combien de temps le petit pays pourra-t-il tenir le grand écart? Aujourd’hui le cheikh Hamad est bien seul. Haï par les dirigeants des pays arabes à cause des critiques d’Al-Jazira, méprisé par les journalistes de la chaîne pour sa politique jugée complaisante envers Israël, il ne peut compter que sur le soutien de ses alliés de circonstance: les Etats-Unis d’un côté et de l’autre les islamistes, ravis de voir Al-Jazira s’en prendre à ces dirigeants arabes impies qu’ils rêvent d’abattre. Drôle d’équipage. Peu fait pour affronter le gros temps.

 

 Sara Daniel

 

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