Sara Daniel change de site ! Vous allez être redirigé(e) dans 5 secondes. Si rien ne se passe, cliquez ici

interview de sara daniel par Marie-Luce Ribot dans le quotidien SUD OUEST (voir l'article en ligne)

IRAK. --La journaliste Sara Daniel est impliquée dans les tractations autour du sort des otages français

Comment elle a relayé le message des ravisseurs :Recueilli par Marie-Luce Ribot


Dans la semaine qui a suivi la disparition de Georges Malbrunot, de Christian Chesnot et de leur chauffeur syrien, survenue le 20 août, le gouvernement français aurait d'abord obtenu un contact avec leurs ravisseurs grâce à un membre de la puissante tribu sunnite des al-Douleïmi, qui fut l'un des piliers du régime de Saddam Hussein.
Sur le point d'aboutir, leur libération a avorté car un intermédiaire membre d'un groupe de la guérilla qui négociait directement avec les preneurs d'otages n'aurait pas voulu immédiatement ramener les deux journalistes français, par crainte des check-points. Dans la nuit, certains hommes de l'Armée islamique d'Irak ont durci leur position. S'en est suivi un long silence. Plus de cinq jours sans que personne ne parvienne à renouer le dialogue.
Jusqu'à lundi soir. Grand reporter au « Nouvel Observateur », Sara Daniel s'entretient régulièrement avec un homme qui l'a aidée à entrer en relation avec des groupes radicaux irakiens. « S'étant aperçu que les ravisseurs n'étaient pas de Faludja, mon contact a trouvé un autre biais pour les approcher : il a été sollicité par des religieux proches de l'Armée islamique d'Irak qui jugent cet enlèvement de deux Français stratégiquement déplorable pour leur lutte. C'est ainsi que pendant un jour et demi, j'ai relayé le message des ravisseurs auprès du gouvernement français... »
A l'occasion de ses nombreux reportages depuis la chute du régime de Saddam Hussein, Sara Daniel est allée au coeur de cette nébuleuse radicale islamique. Elle n'a pas rencontré l'Armée islamique d'Irak mais les leaders militaires et religieux du mouvement Unification et Guerre sainte, basé à Faludja.
Le Tawid Wal Djihad est honni des Etats-Unis, qui l'apparentent à l'insaisissable al-Zarqaoui et à al-Qaida. Ses militants revendiquent les décapitations, en mai dernier, de l'otage américain Nick Berg et du Sud-Coréen Kim Sun-il. Ils sont les plus influents du djihad (*) irakien depuis qu'ils ont établi au printemps, dans le sillage du retrait en trompe-l'oeil des Américains de Faludja, un bastion wahhabite (*) à 50 kilomètres de Bagdad.

Qu'est-ce qui vous a d'abord frappée quand vous êtes entrée à Faludja ?
Le fait de s'y rendre est déjà étonnant. Il n'y a pas à proprement parler de check-points américains. La présence est réelle, mais on n'est jamais contrôlé. Les premiers qui vous arrêtent sont les policiers et les militaires de la nouvelle armée irakienne, censée être subordonnée à celle de la coalition. Mais à Faludja, ce sont les moudjahidin (*) qui font la loi. Ils circulent dans la ville avec des mitrailleuses et les militaires sont soit terrifiés, soit de leur côté.

Comment se fait-il qu'ils aient pris le pouvoir ?
Après la mort des quatre Américains massacrés à coups de pelle à la fin du mois de mars, Washington a imposé un siège d'un mois. Le 29 avril, les soldats américains se sont retirés après être entrés symboliquement dans Faludja sur des Humwees et non des chars. Cette image a masqué ce qui était pourtant une forme de défaite. Car les moudjahidin n'ont cédé sur rien. Ils n'ont jamais remis les auteurs de ces meurtres ni rendu les armes. Le cheikh al-Jalabi, leur leader politique et religieux, parle désormais de la « sainte bataille », de la première victoire du djihad en Irak, et façonne déjà l'épopée mythologique de Faludja où l'on va jusqu'à raconter que des araignées à l'odeur nauséabonde auraient été lâchées sur les soldats américains...

Qui est leur leader militaire ?
Un Irakien de 29 ans, ancien membre de la garde rapprochée de Saddam, mais qui affirme haut et fort ne pas regretter le régime de l'ancien dictateur. Pour lui, Saddam n'était pas un homme de foi car il l'empêchait de pratiquer sa religion. C'est un salafiste (*), extrêmement pieux, très déterminé. A chaque question que je lui posais, il débutait par un long préambule où il faisait référence au Coran, mais il avait aussi très envie de parler et m'engageait à poser des questions. Par moments, il était tendu car il y avait autour de lui beaucoup de combattants, dont certains venaient de plusieurs régions d'Irak.

Quels sont ses arguments ?
J'ai été franche en lui disant que je comprenais pourquoi il se battait contre ce qu'il considère comme un envahisseur, mais que je trouvais les enlèvements et les décapitations d'otages totalement barbares. Il a voulu me convaincre qu'il n'avait pas le choix. Qu'après Abou Ghraib et les massacres de civils pendant le siège de Faludja, la seule réponse était la loi du talion.

Qui sont les combattants à ses côtés ?
Ceux que j'ai vus ont entre 28 et 40 ans. Il y a beaucoup d'anciens militaires de l'ancien régime, qui utilisent leurs compétences pour former leurs résistants. La majorité est salafiste, donc défend l'interprétation la plus rigoriste du Coran.

Le quotidien des habitants de Faludja s'en ressent-il ?
Bien sûr. Les rares femmes qui sortent sont habillées à la saoudienne, vêtues de l'abaya noire qui leur cache les mains et les yeux. Il est interdit d'écouter de la musique, sauf religieuse, et les murs sont couverts de mises en garde pour rappeler les règles islamiques. Le salafisme à Faludja était déjà fort; la ville a basculé dans un quotidien wahhabite. Les moudjahidin font régner la terreur. Il y a une chasse à l'espion. A cela, il faut ajouter que depuis le siège, la situation sanitaire est déplorable, l'électricité fonctionne trois heures par jour et il n'y a plus d'eau potable.

A l'inverse des Arabes étrangers qui grossissent les rangs de la guérilla, vous avez remarqué que ces Irakiens ne sont pas encore prêts à devenir des martyrs...
Depuis un an que je travaille sur ces groupes, j'observe leur évolution. Au début, il s'agissait de cellules désorganisées composées de gens déterminés à attaquer les Américains. Au fur et à mesure, j'ai constaté leur radicalisation et leur aspiration à devenir un jour ces hommes prêts à se sacrifier. Même si les Arabes étrangers arrivés des pays limitrophes ont fait quelques émules, le culte du martyr ne fait pas encore partie de la culture des Irakiens. Mais pour combien de temps ? Les groupes qui sont dans une logique de libération nationale, les plus modérés, disent ne plus avoir droit au chapitre. Les radicaux confisquent le combat et cette logique est terrifiante.

Avez-vous vu des combattants étrangers ?
Oui, il y en a dans l'organisation Unification et guerre sainte. Mais leur leader affirme, et c'est vrai en partie, que les Irakiens contrôlent tout et que les étrangers viennent en appui. On sait en revanche qu'il existe près de Faludja une cellule de plus en plus étoffée de combattants uniquement étrangers.

Pensez-vous que ce qui se passe à Faludja peut faire tache d'huile ?
C'est la volonté de Tawid Wal Djihad. J'ai assisté à l'arrivée de combattants issus de plusieurs provinces et qui venaient rendre des comptes au chef militaire. Le prochain objectif est de fermer la ville de Samarra, au nord, et de créer au fur et à mesure de petits émirats d'où partirait la résistance. Ces groupes sont très éclatés mais veulent coordonner des opérations de grande envergure et simultanées. C'est très inquiétant.

Marie-Luce Ribot (05/09/04)

 

Retour accueil