Irak : Cible numéro un, Abou Moussab al-Zarqaoui a réussi à s’enfuir
L’après-Fallouja
novembre 2004
Les attaques de rebelles à Mossoul, Kirkouk, Baqouba et Buhriz, alors que les marines combattent à Fallouja, montrent que la guérilla est désormais capable de coordonner ses opérations et pourrait empêcher la tenue des élections en janvier
«Aujourd’hui la ville n’est
plus qu’une gigantesque tombe où les gravats sont parsemés de
morceaux de corps déchiquetés.» Abu Tarek, insurgé
de Fallouja, est venu passer quelques heures ce lundi à Bagdad pour se
ravitailler. Pour lui, qui connaît les chemins de traverse, le siège
de la ville n’est pas hermétique. Dès ce soir, il repartira rejoindre
ses compagnons d’armes d’Unification et Djihad, le groupe lié à
la mouvance d’al-Zarqaoui, qui se battent dans le quartier d’al-Shuhada, au
sud de Fallouja. Il décrit une ville laminée par six jours de
combats intensifs. Les mosquées en ruines, les poteaux télégraphiques
pulvérisés, les maisons rasées et les cadavres étendus
dans les rues désertes. Les photographes incorporés au sein de
la 1re division d’infanterie de l’armée américaine confirment
l’évocation du moudjahid. Ils y ajoutent les visions macabres des découvertes
faites par les marines dans la ville: le registre des assassinats d’otages,
les masques noirs des bourreaux et les restes de corps, dont celui d’une femme
«de type caucasien aux cheveux blonds», âgée d’une
cinquantaine d’années, qu’on a retrouvée, selon l’Agence France
Presse, la gorge tranchée et amputée des bras et des jambes.
Combien de civils ont trouvé la mort dans ces combats acharnés?
Impossible à dire: un convoi du Croissant-Rouge irakien acheminant de
la nourriture et des médicaments vers le centre de Fallouja était
toujours bloqué lundi soir à l’hôpital général,
situé en dehors de la ville. Selon un porte-parole des marines, les opérations
de pacification de la ville, maison par maison, ne prendront plus que quelques
jours. Dans le sud, les rebelles livrent leur baroud d’honneur. «Il y
a 50 à 80 Irakiens et combattants étrangers rassemblés
dans le sud-ouest, attendant l’assaut final; plus nous avançons vers
le sud, plus les combats deviennent violents et organisés», a déclaré
le lieutenant Christopher Pimms. Mais la bataille de Fallouja ne sera-t-elle
qu’une victoire symbolique sur l’insurrection irakienne? Au sixième jour
de la bataille, en effet, les militaires américains reconnaissaient que
les deux hommes les plus recherchés d’Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui,
lié à la mouvance Al-Qaida, et Abdallah al-Janabi, le chef du
conseil de choura des moudjahidine, avaient probablement quitté la ville
avant l’assaut.
Lorsque nous l’avions rencontré au mois d’août dernier à
Fallouja, Abdallah al-Janabi s’était vanté du fait que la dernière
lettre adressée par l’ex-administrateur américain Paul Bremer
au Premier ministre Iyad Allaoui ait eu pour objet sa demande d’arrestation
«mort ou vif»... Lundi soir, donc, cet homme frêle, leader
spirituel des moudjahidine de Fallouja et chef des takfiri, les combattants
les plus extrémistes, liés à des organisations étrangères,
était toujours introuvable.
Et tandis que Fallouja était en passe d’être prise par les forces
de la coalition, on assistait à l’embrasement de l’Irak. A Mossoul, livrée
depuis jeudi à des groupes de moudjahidine armés, des affrontements
à l’arme automatique et à la roquette ont eu lieu en pleine ville.
On a cru un moment que l’insurrection de la troisième ville du pays était
le fait de combattants refoulés au nord par l’assaut de Fallouja. Mais
le général Carter Ham, chargé de la sécurité
du nord de l’Irak, assure que ce sont des combattants locaux qui ont mis la
ville à feu et à sang. Une preuve de plus que les actions des
différentes guérillas sont de mieux en mieux coordonnées
à travers le pays. Dans la région de Kirkouk, des explosions ont
mis le feu à des puits de pétrole tandis que l’état d’urgence
était déclaré dans les villes de Bagdad, Baiji, al-Hillah
et Samarra. Lundi dernier, des explosions et des coups de feu ont retenti à
Baqouba et à Buhriz, deux villes situées à environ 60 kilomètres
au nord-est de Bagdad.
Devant le spectacle de cette explosion de violence, pour la première
fois un membre du gouvernement irakien a brisé un tabou en formulant
publiquement des doutes sur la possibilité de tenir des élections
en janvier 2005. «Tenir les élections sera un grand défi,
a estimé le vice-Premier ministre irakien Barham Saleh dans un entretien
au quotidien britannique "The Guardian". Mais les différer
pourrait être encore plus dangereux. Mon espoir est que nous aurons stabilisé
plusieurs des zones qui sont devenues des poches de combattants étrangers
et de rebelles, car il est vital que chaque citoyen irakien puisse exercer le
droit fondamental de choisir un gouvernement, droit qui lui a été
refusé depuis si longtemps...»
Autre sujet d’inquiétude: la possible abstention de la minorité
sunnite aux élections. Déjà, l’association des religieux
musulmans a appelé au boycott du vote tandis que le parti islamique irakien
a choisi de se retirer du gouvernement depuis l’assaut sur Fallouja... Or une
abstention massive des sunnites aux prochaines élections, en entérinant
le passage d’une minorité religieuse constitutive de l’Irak à
la «résistance», pourrait porter les germes d’une guerre
civile confessionnelle.
SARA DANIEL