Reportage
Afghanistan
Sara
Daniel
Article
rédigé en septembre 2002
En
Afghanistan, elle est la seule femme a n’avoir jamais porté la Burqa sous le
régime des Talibans. Sa garde robe exprime son tempérament. Aujourd’hui le
chirurgien Sowiala, une femme gracile de 55 ans reçoit à l’hôpital militaire
vêtue d’un Shalwar kamiz noir, le pantalon bouffant et la tunique portée ici par les hommes. Mais tous les jours,
pour venir à l’hôpital, elle revêt sa tenue militaire kakhi à bandes
rouges. « j’adore être en
uniforme » sourit-elle. Car Sowiala est général. En Afghanistan.
Aujourd’hui. Ses incroyables galons,
elle les explique simplement « cela fait 38ans que je travaille à
l’hôpital militaire, alors j’ai monté tous les échelons de la hiérarchie.
Lorsque les Talibans sont arrivés au pouvoir, j’étais déjà général : ils
n’ont pas réussi à me déboulonner » Pas faute pourtant d’avoir essayé. En
1992, le général Sowiala, directrice de l’hôpital militaire de Kaboul qui
compte 400 lits est renvoyé dans ses foyers par les Talibans. « huit mois
après ils sont revenus me chercher » explique la doctoresse en souriant.
En temps de guerre, difficile de se passer du meilleur chirurgien de la ville.
Et puis les autres docteurs ne veulent plus travailler sans elle. Les Talibans
acceptent donc qu’elle prenne la direction de la section femme de l’hôpital.
Elle soigne les femmes des dignitaires taleb et donne parfois, en secret, un coup de main à ses collègues masculins.
L’université ferme ses portes aux femmes : Sowiala décide de former des
jeunes doctoresses dans sa clinique. Les Talibans invoquent le Coran. Elle se
lance avec eux dans des exégèses interminables. Sourate contre sourate, elle démontre aux fondamentalistes
rétrogrades que le prophète n’a rien contre les femmes docteurs :
« j’ai toujours aimé me battre contre les hommes » s’amuse Sowiala en
serrant les poings. Près de 100 jeunes femmes seront formées par elle pendant
les 6 ans de l’occupation taleb. Aujourd’hui le général Sowiala est trop
occupée pour se réjouir de la nouvelle donne politique. Entre deux opérations,
elle court d’une ONG à une autre pour essayer de récolter des fonds. Et puis
comme toute les femmes en Afghanistan aujourd’hui, elle se méfie. Après leurs errements passés, les
moudjahidin doivent donner des gages de leur capacité à installer une paix
durable et à garantir quelques améliorations de la condition de la femme.
Alors, elle attend de voir...
Cette inquiétude explique pourquoi une
écrasante majorité de femmes à Kaboul
portent encore la burqa. Ou se plaquent contre un mur lorsqu’elles sont
surprises à découvert par un homme dans une ruelle où elles se croyaient à
l’abri des regards. Quelques-uns unes pourtant revisitent la mode de la longue
tunique grillagée. Certaines découvrent la moitié de leur visage, d’autres
coincent le voile derrière leurs oreilles ou remontent le grillage sur le
front. Au gré de leurs audaces, elles soulèvent un coin de leur camisole
d’opprobre…
Le
20 novembre dernier, tout le monde a pu prendre la mesure de la lenteur de la libération des femmes de
Kaboul. Une manifestation était organisée à l’initiative de Soraya Parlika.
La présidente de l’Union des Femmes
Afghanes voulait montrer que les femmes étaient capables de marcher dans la rue
sans tchadri après 5 ans d’oppression taleb. Plus de deux cents femmes ont
répondu à son appel. Elles se sont réunies à microrayon, une banlieue de
Kaboul. Un rassemblement de fantômes bleus qui peu à peu découvraient un coin
de leur personne.
Certaines
pourtant n’ont pas osé enlever leur tchadri « les hommes n’ont pas vu de
femmes depuis 5 ans. Ils sont devenus sauvages » expliquait l’une d’entre
elle sous son grillage « Si nous nous promenons dans les rues sans voile
on va déclencher des émeutes… » Et puis la manifestation s’est transformée
en piquet : pour des raisons de
sécurité, l’Alliance du Nord n’a pas autorisé la marche à se diriger vers le
centre… Soraya Parlika qui occupait les fonctions de présidente du Croissant
rouge afghan avant d’en être chassée par les moudjahidin et le président Rabani
pour être remplacée par un homme, cache mal son impatience :
« l’Alliance du nord nous berce de bonnes paroles mais nous ne voyons rien
venir. Nous voulons du travail et pouvoir participer à la vie politique »
explique la militante qui admet en souriant vouloir être de la prochaine
« loya girga » l’assemblée consultative afghane qui décidera du sort
du pays « Nous, les femmes avons perdu cinq ans de nos vies. Il faut que
la communauté internationale et l’Alliance du Nord comprenne que nous ne
pouvons plus attendre ! »
Les
maisons de Kaboul regorgent de ces femmes aux carrières brisées qui aujourd’hui
retrouvent un peu d’espoir. Comme Mushan, 32 ans, ex présentatrice à la
télévision de Kaboul, au chômage depuis 5 ans qui a plusieurs projets
d’émissions « aujourd’hui j’ai peur que
les talibans reviennent ou que d’autres hommes s’en prennent à nous »
explique timidement la jeune femme qui a l’air d’avoir été traumatisée par
l’occupation taleb « mais la semaine prochaine, inch Allah, je pourrais
brûler ma burqa… » D’autres ont organisé la résistance pendant
l’occupation taleb ; comme ces dizaines de professeurs héroïques, qui ont
fait la classe aux petites filles, clandestinement, au péril de leur vie et de
celle de leurs proches. Sakina, 35 ans, mère de quatre garçons, un fichu noir à
fleurs violettes sur la tête, reçoit
dans la salle de classe qu’elle a aménagé au fond de son jardin. Dix mètres
carrés dans lesquels s’entassent quatre pupitres et un tableau noir
« je fais l’école par classe de 25. Les petites filles s’assoient à tour
de rôle. » Pour pouvoir prodiguer son enseignement au plus de monde
possible, Sakina a fait plusieurs groupes. Elle explique, sans
jamais se reposer l’histoire et la géographie, les mathématiques et la
littérature « pour que ces petites puissent un jour participer à la
construction du pays »Aujourd’hui elle continue à enseigner dans son
jardin, puisque les écoles pour filles n’ont pas encore réouvert…Lorsqu’on leur
demande ce qu’elles veulent faire plus tard, ses petites élèves répondent
invariablement docteur ou maîtresse d’école, les seuls métiers envisageables
pour des femmes sous l’occupation talibane. Sakina sait que, occupation taleb
ou pas, les mentalités seront longues à
faire évoluer dans ce pays extrêmement
pauvre on l’on ne voit pas d’un bon œil, l’émancipation des femmes de
quelque côté politique que l’on se situe. Le plus souvent d’ailleurs, ici, la libération des femmes est conçue comme un
enjeu de propagande politique. A Feyzabad, l’ancienne capitale de l’Alliance du
Nord, Manija vit les affres des pionnières. Cette jeune femme de 28ans,
diplômée de l’école de journalisme de Kaboul est la présentatrice de ce qui
était la seule télévision d’Afghanistan jusqu’à ce que celle de Kaboul
recommence à émettre la semaine dernière. Pour 5 dollars par mois, Manija présente le bulletin d’information et
anime une émission où elle répond aux lettres des auditrices. Elle apparaît à
l’écran tout de noir vêtu avec un foulard sur la tête. Pour mieux la dérober
aux regards, on lui fait porter des énormes lunettes noires qui dissimulent
presque tout son visage. Pas un sourire ne vient éclairer son expression. A un
âge où toutes les femmes sont mariées, Manija est célibataire « il n’y a
plus d’hommes assez éduqués en Afghanistan pour accepter de voir leur femmes
exercer ce métier » reconnaît elle. A Feyzabad, Manija est considéré par
beaucoup comme une femme légère. Ici aussi, aucune femme n’envisage de sortir
dans la rue sans Burqa et pour la présentatrice c’est une bénédiction. Mieux
vaux qu’on ne la reconnaisse pas dans la rue. Son voile intégral c’est son
sauve conduit. Pour combien de temps ?