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Reportage Afghanistan 8

Sara Daniel

Article rédigé en septembre 2002

 

Les bombes et la tentative d’assassinat du nouveau président Hamid Karzaï viennent de le prouver: un an après le 11 septembre, la chute des talibans et l’intervention américaine, à l’heure où tous les regards se tournent désormais vers Bagdad, rien n’est encore gagné à Kaboul. Loin s’en faut…

 

Le bourbier de la paix


Dans les rues poussiéreuses de Kandahar, perdu au milieu d’une foule compacte d’hommes qui zigzaguent entre les rickshaws et les carrioles, Mulla Ahmad passe inaperçu. Comme presque tout le monde ici, dans l’ancienne capitale des talibans, il a gardé sa barbe noire et son turban. Il dissimule son visage derrière d’épaisses lunettes de soleil jaunes et dans les replis de son sadar, l’écharpe traditionnelle des Pachtounes. Mulla Ahmad est un taliban. Avant les frappes américaines, il faisait partie de la garde rapprochée du maire de Kandahar, Dir Mohamad Akbin. Aujourd’hui, il préfère se définir comme un doctrinaire du djihad. Réfugié au Pakistan, il revient tous les mois dans sa ville natale, pour tenir des réunions de propagande.
Dans l’arrière-salle d’un petit café de Kandahar, où il a finalement accepté de répondre à quelques questions, il lâche ses mots comme à contrecœur. Indifférent au bruit des tirs que l’on entend encore ici par intermittence, il affiche un air hostile, presque dégoûté, en fixant son verre de thé. Il éructe, avec une violence qui glace, sa haine des femmes et des Occidentaux qui souillent sa ville par leur présence. Et lorsque, d’un petit haut-parleur, s’élève une musique sirupeuse, il se lève d’un bond. Furieux, il menace de partir, malgré le soldat qui a soulevé le rideau de la pièce où il se tient et qui jette un regard étonné dans sa direction. Né à Kandahar, Mulla Ahmad a fait ses études dans une madrasa à Sherad, au Pakistan. C’est là qu’il décide de rejoindre les rangs des disciples du Mollah Omar: «Très vite, nous nous sommes aperçus que ce n’était pas lui mais Ben Laden qui était l’homme fort du djihad. Alors c’est vers lui que nous nous sommes tournés...»
Pense-t-il que le Superviseur du Djihad est encore en vie? «Nous ne le cherchons pas, car nous n’avons pas besoin de lui pour reprendre la lutte», répond-il, cinglant. Pour Mulla Ahmad, la reconquête n’est qu’une question de temps: «Regardez autour de vous. Ici à Kandahar, vous êtes chez nous, les talibans. Il n’y a qu’une vérité. Qu’un seul chemin. Nous sommes là. Nous croyons en nous. Et nous attendons le moment propice.»
A quelques centaines de mètres du café, l’ancien ministère du Vice et de la Vertu n’est plus qu’un amas de poussière et de gravats. Les Américains se sont particulièrement acharnés sur ce symbole du pouvoir arbitraire des talibans. Pour Ahmad, ce n’est qu’un détail: «Comme les Russes autrefois, les Américains ne tarderont pas à se lasser d’être ici. Attaquer l’Irak leur fournira une excuse: ils partiront…»
A la table voisine, Hemat, un ingénieur de Kandahar, se joint à la conversation pour regretter l’époque des talibans. «Eux, au moins, ils nous écoutaient. Ceux d’aujourd’hui ne pensent qu’à s’enrichir. Ils sont à la botte des étrangers. Si vous allez voir le gouverneur, dites-lui que nous, les Pachtounes, nous en avons assez. Et Karzaï, la marionnette des Tadjiks, ferait bien de s’occuper de nous, son peuple, sinon…»
A la lumière de l’attentat perpétré contre le président Hamid Karzaï le 5 septembre, dans sa ville de Kandahar, cette mise en garde prend des allures de prophétie. Elle montre la rancœur persistante, dix mois après les frappes américaines, de l’ethnie majoritaire du pays. Les Pachtounes – plus de 50% de la population afghane – se considèrent comme les grands perdants du changement de régime. Et ils refusent de se laisser enfermer dans l’équation trop simpliste qui les associe aux talibans. Car, à Kandahar plus qu’ailleurs beaucoup d’entre eux ont été les premiers à subir les excès du fanatisme. Mais lorsqu’ils étaient au pouvoir, les «étudiants en religion» ont eu le mérite de restaurer la fierté des Pachtounes: «A l’époque des talibans, nous qui sommes les plus nombreux en Afghanistan contrôlions enfin le pays», assure Shukrudin, un marchand d’étoffes et de burqas. La victoire des Tadjiks de l’Alliance du Nord, permise par les Américains, c’est notre défaite!» Dans son échoppe, on voit aussi la photo du roi Zaher Shah, qui semble être redevenu l’image de référence, le héros de la population de Kandahar: «Il a été écarté du pouvoir. Karzaï, le traître, a laissé faire.» Et dans le regard vert de Shukrudin on lit toutes les contradictions, toute l’amertume des vaincus...
A quelques kilomètres du bazar, c’est dans le cimetière arabe de Loya Wala que sont enterrés les combattants d’Al-Qaida. Malgré la chaleur accablante, quel-ques dizaines de fidèles sont venus se recueillir sur les tombes. Un garde armé tente de les éloigner. En vain. Ici, les armes ont depuis longtemps perdu leur caractère dissuasif. Mahmud Islam et Djamil viennent du village de Jhoori, dans la province du Helmand. Ils reconnaissent être d’anciens talibans. Ils ont fait quatre heures de route pour apporter un petit paquet de sel «miraculeux»: celui qui, déposé au pied des tombes des «martyrs», s’imprègne de la terre des morts et guérit tous les maux. Plus loin, un groupe de femmes accompagnées d’enfants malades est arrivé du Pakistan. A la tombée de la nuit, la foule se fait plus nombreuse: «Ils font surtout la queue devant ces tombes-là, affirme le gardien du cimetière. Ce sont celles des Arabes de Ben Laden, ceux qui sont morts à l’hôpital.»
A l’hôpital de la Croix-Rouge de Kandahar, Mohamed Daoud, un interne, raconte l’assaut du bâtiment par les forces américaines il y a sept mois: «Ils sont venus les arrêter par surprise, alors qu’ils se faisaient soigner. Les Arabes se sont retranchés dans l’aile gauche avec leurs armes. Ils étaient 9. Les Américains étaient 50. Un carnage.» Daoud détestait les talibans, qui par sept fois lui ont rasé la tête pour le punir. Pourtant, il admet avoir eu de la peine: «Leurs femmes, leurs enfants, les gens de la ville et nous les médecins, tout le monde pleurait…»
Comment apaiser la colère des Pachtounes, qui se perçoivent comme les laissés-pour-compte de la pax americana? Et l’argent peut-il tout régler? Au quartier général de Khana Khan, le commandant de Kandahar, des soldats américains viennent proposer leurs services, c’est-à-dire leurs dollars, aux victimes des erreurs de bombardements. L’homme qui sanglote a perdu toute sa famille. Une compensation? Il ne sait pas quoi demander et continue de gémir face à des militaires qui paraissent décontenancés par sa douleur. C’est une évidence: la rancœur de cette population est la plus sérieuse des nombreuses menaces qui planent aujourd’hui sur la paix. A l’intérieur d’un immense camp retranché d’où ils sortent peu, les soldats américains, hébétés de chaleur sous leur barda, confient volontiers leurs états d’âme. Entre eux et les habitants de Kandahar, de Zaboul ou d’Oruzgan, le contact ne passe pas. A leur grand étonnement, même lorsqu’ils réparent une école ou un puits, on leur fait sentir qu’ils ne sont rien d’autre qu’une force d’occupation qui «souille la terre d’Afghanistan». Et certainement pas des libérateurs. A tel point que c’est précisément leur encombrant parrainage qui sape l’autorité du président Hamid Karzaï dans sa propre ville.
Des hommes en uniforme, des employés de la mairie, de simples citoyens: devant la villa de pierre et de marbre de Wali Karzaï, le jeune frère du président, il y a foule. Comme chaque matin, il réunit la shura, l’assemblée de sa tribu: les Popolzaï. Ses détracteurs prétendent qu’il leur distribue des armes. En fait, il reçoit leurs doléances, arbitre leurs conflits. Mais ce nouveau roitelet local au visage doux s’agace vite lorsqu’on lui rapporte les reproches adressés dans la ville à son frère: «Ils disent qu’il est l’homme des Américains. Mais pendant son exil il est resté de l’autre côté de la frontière, à Quetta. Bien plus près des siens que l’ex-président Rabbani, réfugié à Fayzabad [ancienne capitale des opposants au régime taliban, au nord du Panshir]...»
Le gouverneur de Kandahar, Gul Agha, blessé dans l’attentat du 5 septembre, contesterait lui-même, en privé, l’autorité du président Karzaï. Sur le rôle qu’il laisse jouer aux Américains? A propos de la reconstruction du pays? Du sort de la majorité pachtoune? Pas du tout! Comme toujours en Afghanistan, il faut entrer dans les arcanes des conflits internes, des rivalités ancestrales et des vendettas pour approcher la réalité. Un employé municipal explique l’origine de la discorde: «Karzaï soutenait la candidature de Nahibulla, de la tribu des Alekusaï au poste de gouverneur. Mais c’est Gul Agha, de la tribu des Baraksaï, qui a obtenu le poste. Il avait déjà commencé à aider les Américains contre les talibans…»
Depuis, entre les deux tribus, c’est la guerre. Il y a quelques semaines, le gouverneur a ordonné la destruction de plusieurs maisons appartenant à des Alekusaï sous le prétexte qu’elles étaient bâties sur un terrain municipal… Autre signe de défiance vis-à-vis du pouvoir de Kaboul, Gul Agha refuse toujours de verser au gouvernement central les nombreuses taxes qu’il perçoit. Il est pourtant l’un des gouverneurs les plus riches du pays: la route de Spin Boldak achemine tous les jours des centaines de camions qui viennent du Pakistan et sur lesquels Gul Agha prélève sa dîme.
A Kandahar, on estime que Karzaï n’a pas renoncé à se débarrasser du gouverneur récalcitrant pour le remplacer par un proche. Mais ce n’est pas fait. «La méthode est toujours la même, critique un diplomate afghan, pachtoune d’origine. Ils parachutent quelqu’un de Kaboul, puis s’étonnent de constater qu’il n’a aucun pouvoir sur le terrain. A Kunar, pour remplacer un moudjahid dont le corps est encore truffé de balles, Karzaï a nommé un journaliste qui n’avait pas remis les pieds dans sa région depuis vingt ans. Il n’a même pas pu se rendre physiquement jusqu’à la capitale de la province. A Laghman, le candidat de Fahim [ministre de la Défense] a été jeté dehors. A Gardez, le gouverneur appointé par le gouvernement central ne peut pas quitter sa résidence sans prendre le risque de se faire aussitôt abattre. A Khost, le nouveau gouverneur, un professeur de sociologie, ne se déplace jamais sans ses dix gardes du corps…» Tandis que le seigneur de guerre Padsha Khan, qui se veut le nouveau champion de la cause pachtoune et qui dispose, lui, d’une armée de 6000 hommes, ne cesse de lancer des défis au président afghan sur le mode: «Viens me chercher si tu l’oses...»
Presque convaincant, Omar Samat, le jeune porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui vient de rentrer de Washington, défend les choix du gouvernement: «Et quels hommes forts fallait-il donc nommer dans les zones pachtounes?, ironise-t-il. Le vieux roi, Padsha Khan ou le Mollah Omar? Nous ne pouvons pas encore organiser des élections régionales. Mais le jour venu nous verrons si ces hommes qui confisquent le pouvoir parce qu’ils disposent des armes sont vraiment populaires…»
Les menaces qui planent sur l’Afghanistan ne viennent pas toutes de la zone pachtoune, bien sûr. Un matin, il y a deux semaines, l’ambassadeur des Etats-Unis, John Negroponte, et l’envoyé des Nations unies, Lakhdar Brahimi, se réunissent à la hâte. Les nouvelles de Mazar-e-Charif ne sont pas bonnes. Un correspondant sur place leur transmet les derniers développements: à Shebergan, le général Dostom, le chef de guerre ouzbek, a dans un discours public accusé son allié pendant les frappes américaines, le général Mohamed Ata, de vouloir le renverser. Quelques jours plus tard, les combats commencent à Kohd-e-Barq, une zone résidentielle à 20 kilomètres à l’ouest de Mazar. Il y aurait déjà près de 20 morts et 30000 déplacés. Mais Rachid Dostom ne conteste pas le gouvernement central ni le dispositif international. Au contraire, il appelle de ses vœux une force d’interposition onusienne à Mazar, seule capable de maintenir l’équilibre des forces depuis qu’il a perdu du terrain face à Ata. Du côté de la zone contrôlée par Ismael Khan, le seigneur d’Hérat, de nombreux Pachtounes se plaignent de mauvais traitements. Mais le gouvernement central est pour le moment content de «l’Iranien». Il a accepté de verser des impôts à Kaboul, pour un temps en tout cas. Il est le premier des chefs de guerre à consentir ce geste d’allégeance.
Fahim Dashty, rédacteur en chef du «Kaboul Weekly», était aux côtés de Massoud lorsque celui-ci a été assassiné. Ses mains et son visage sont brûlés: les stigmates de l’attentat. Dans son hebdomadaire, il appelle à l’unité du peuple afghan. «Je sais bien que la question ethnique est le problème le plus important aujourd’hui en Afghanistan. Mais j’ai choisi de ne pas attiser les tensions en les évoquant trop ouvertement dans le journal», explique le Tadjik de sa voix douce. En parlant, toutefois, ce fidèle du héros défunt du Panshir prend moins de précautions pour défendre ceux qui ont gagné la guerre: «Les Tadjiks du gouvernement sont légitimes. Sans eux, il n’y aurait pas d’Afghanistan aujourd’hui. »
Pourtant, si l’on souhaite vraiment désamorcer les haines, il faudra bien donner toute leur place aux Pachtounes, sous-représentés jusqu’ici dans les instances centrales. Un haut fonctionnaire de l’ONU se déclare satisfait de l’évolution du général Fahim, ministre de la Défense et poids lourd du nouveau régime: «Au sein de l’armée, il vient d’accepter de céder une trentaine de postes-clés aux Pachtounes. Lui, tadjik du Panshir et successeur désigné de Massoud, a fini par en admettre la nécessité.» Avant lui, Younès Kanouni, l’ancien ministre de l’Intérieur, a cédé sa place à un Pachtoune, Taj Mohammad Wardak, pour se contenter du portefeuille de l’Education. Est-ce suffisant? «C’est un faux rééquilibrage, grogne un fonctionnaire pachtoune. Cela fait longtemps que Wardak travaille avec les Panshiris. Au gouvernement, le seul Pachtoune qui nous défendait, c’était le vice-président Haji Qadir. Ils l’ont assassiné!»
Depuis ce meurtre, le 6 juillet 2002, chaque camp se renvoie la responsabilité de la mort de Qadir. «Les Pachtounes croient que c’est Fahim qui l’a fait assassiner parce qu’il était le seul capable de réaliser l’unité de l’ethnie», commente le rédacteur en chef du "Kaboul Weekly". La rumeur a enflé lorsque Karzaï a renvoyé ses gardes du corps, des hommes de Fahim, pour les remplacer par des Américains. Mais qui tire vraiment parti de sa mort? Les cultivateurs de pavot, dont Qadir voulait éradiquer la culture, sans doute. Et surtout les extrémistes pachtounes, qui refusent le principe même d’une collaboration interethnique.»
Tandis que les couteaux sont tirés dans les coulisses, sur le devant de la scène on multiplie les cérémonies de commémoration. Au stade Pole Mahmoud Khan, là où les talibans égorgeaient ceux qui avaient enfreint la charia, on fêtera désormais tous les 18 août l’indépendance du pays. Autre symbole national: la mise en place de la nouvelle monnaie. Tarek Faradi, conseiller principal du ministre des Finances et professeur à l’université Dauphine, énumère dans un français parfait tous les atouts de la future devise: «Jusqu’ici vous aviez le billet de Dostom à Mazar, les afghanis Rabbani à Fayzabad et les roupies pakistanaises dans le sud. Il fallait des valises remplies de billets pour payer la moindre chose. Désormais, c’est fini, s’exalte ce fonctionnaire de la banque centrale. Même les seigneurs de guerre sont d’accord. La nouvelle monnaie, c’est comme un drapeau glissé dans la poche de chaque Afghan!»
Difficile pourtant de rencontrer l’artisan de cette grande réalisation nationale, le directeur de la banque centrale. «Il est extrêmement occupé, et puis il ne souhaite pas aborder d’autres sujets pour l’instant…», s’excusent ses collaborateurs. Car Anouar ul Haq Ahady, directeur de la banque centrale, est aussi le président de l’Afghan Melat, un groupe de Pachtounes extrémistes très virulents. Dans le dernier exemplaire de leur revue, on trouve un avertissement fort clair: «Les Pachtounes redoutent que les Américains aient décidé d’en finir avec eux. Ils ne se laisseront pas faire. Et cela, le président Karzaï ferait mieux de le comprendre.» A bon entendeur…

 

SARA DANIEL

 

 

«La burqa, c’est atroce, mais si on l’enlève...»

Shaala, 21 ans, infirmière
Depuis la fin du régime des talibans, nous avons le droit d’échanger des informations avec nos collègues masculins à l’hôpital. Certaines petites filles commencent aussi à aller à l’école. Ils disent qu’à Kaboul et à Mazar quelques femmes ont enlevé leur burqa. Ici, nous sommes toujours en prison. Les femmes n’ont le droit de rien faire. J’aimerais pouvoir mener la vie d’un homme. Etre libre. La burqa, c’est atroce avec cette chaleur. Mais si on l’enlève, on se fait battre. J’aurais aimé que le gouvernement nous oblige à la retirer par décret. Mais il aurait dû assurer la protection des femmes après. De toutes les façons, la burqa, c’est un détail. Pour nous, les femmes de Kandahar, rien n’a changé. Notre déception est immense. Ce matin, je suis passée devant le restaurant Kandahar. Dans une salle séparée, il y avait deux femmes, habillées de noir des pieds à la tête et gantées. Elles mangeaient une glace au chocolat. A chaque bouchée, elles se tournaient vers le mur et baissaient la tête pour que personne ne puisse apercevoir leur bouche. C’est encore terrible d’être une femme en Afghanistan. Propos recueillis par Sara Daniel

 

 

 

 

 

 

 

 

Au camp de Spin Boldak

Les damnés de la guerre
C’est une ville de tentes. A Spin Boldak, à la frontière pakistanaise, près de 40000 personnes s’entassent dans un no man’s land de cailloux. Les autorités prétendent qu’ici des membres d’Al-Qaida et des talibans ont trouvé asile. Parmi ces réfugiés, des Kuchis, fuyant la sécheresse, et surtout de nombreux Pachtounes du Nord qui fuient les exactions des soldats de Dostom, le maître de Mazar. Le Mollah Younès est venu avec une centaine de familles de la ville de Meymaneh, près de Mazar. Il décrit la mise à sac d’une ville, les assassinats et les pillages. Il a assisté au meurtre de son oncle: «Ils ont mis une kalachnikov sur son ventre et ils ont tiré. Pendant trois jours le corps est resté là: on n’osait pas aller le chercher.»
Mohammed Nour est arrivé de Shebergan, la ville où Dostom a élu domicile, il y a trois mois. Il raconte: «Je venais de me marier. Les soldats sont arrivés. Ils ont volé les bijoux. Le lendemain, ils sont venus chercher ma femme. Mon frère a essayé de les en empêcher, ils l’ont tué. Nous avons été une centaine à nous rendre à pied à Hérat. Là, on nous a appris que la situation n’était pas bonne pour les Pachtounes, alors nous sommes venus ici. Pourquoi personne ne nous défend-il? Pourquoi Karzaï les laisse-t-il faire?»

 

Sara Daniel

 

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