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Du Caire à Peshawar il a supplanté Ben Laden
NASRALLAH, star des fous de Dieu
Incontournable au Liban, le chef du Hezbollah est aussi devenu la nouvelle icône du monde musulman. Pourquoi exerce-t-il une telle fascination, y compris chez ses ennemis ? Qui est-il et que veut-il vraiment ?

De notre envoyée spéciale au Liban, Sara Daniel

Ce matin-là, dans les montagnes du Sud-Liban, l'armée israélienne avait tué son fils de 18 ans, Hadi. Mais Hassan Nasrallah , qui devait prononcer un discours à Haret Hreik, la banlieue de Beyrouth où siège le quartier général du Hezbollah, ne changea rien à son programme. Au Liban, tout le monde avait appris la mort de Hadi et regardait Al-Manar, la télévision du Hezbollah. Mais le jeune guide auvisage poupin avait décidé de ne pas évoquer son deuil dans son discours. Alors l'assemblée se mit à le supplier de dire un mot pour les martyrs.
Aujourd'hui à Beyrouth, neuf ans après, on en parle encore : Nasrallah s'est contenté de mentionner le nom de son fils parmi ceux des autres martyrs. «Enfin, a-t-il dit, je pourrai regarder dans les yeux les autres parents dont les enfants sont morts pour la patrie.» Ce jour-là, dans les quartiers déshérités de la banlieue sud de Beyrouth, au Caire ou à Damas, la légende de Nasrallah était née. Même dans le quartier chrétien d'Achrafieh on a admiré l'abnégation, la discrétion et la sincérité du sayyed, vertus dont les Libanais créditent rarement leur classe politique.
Si le Hezbollah est un parti des villages contre les bourgs, des familles contre les tribus et des banlieues contre les villes, alors Nasrallah , en se présentant comme le champion des masses marginalisées, en est le pur produit. Mais même pour ses détracteurs il est beaucoup plus que cela. Son intelligence, son charisme, son sens de la mise en scène, son populisme et son charme subjuguent et en font le meilleur et le plus dangereux des ambassadeurs qui se sont succédé à la tête du Parti de Dieu.
«Si vous êtes avec Dieu, vous devenez plus important que si vous suiviez un chef; vous vous confectionnez une supériorité», analyse le sociologue Ahmed Beidoun. D'autant plus que, depuis la guerre de juillet 2006 où pour la première fois une armée arabe a pu s'enorgueillir d'avoir résisté à l'armée israélienne, Nasrallah est devenu pour certains : «l'ombre de Dieu». Le guide au nom prédestiné (nasr Allah signifie en arabe « la victoire de Dieu ») a fait relever la tête aux humiliés du monde musulman. Car si le religieux a le culte du martyr, il n'a jamais eu celui des victimes. Et les clips d'Al-Manar sont plus volontiers guerriers que larmoyants. Alors, au Caire, un peuple dégoûté par la pérennité corrompue de son président en a fait un nouveau Nasser. Et l'Arabie Saoudite a dû mettre un bémol à ses critiques tant il devenait populaire.
Mais il n'y a pas que les chefs d'Etat des pays arabes qui se sont sentis menacés par l'extraordinaire popularité de l'étoile montante de la oumma (la communauté des musulmans). Au Pakistan, les partis extrémistes ont vu avec inquiétude les étudiants des madrasas établir des comparaisons entre Nasrallah et Ben Laden peu favorables à ce dernier. «Nasrallah a uni les chiites et les sunnites dans un djihad commun contre Israël et les Etats-Unis. Ben Laden les a fait s'entre-tuer en Afghanistan et au Pakistan, et maintenant en Irak», peut-on lire sur un site islamique.
Un des fondateurs iraniens du Hezbollah, Ali Akbar Mohtachemi, a déclaré récemment dans un journal iranien à propos de Nasrallah : «Il existe des étudiants qui vont plus loin que leurs maîtres.» Et Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique, le considère comme son fils adoptif. «Il faut ne rien comprendre à leur relation pour croire que Nasrallah n'est qu'un simple exécutant des Iraniens», explique pourtant un homme politique libanais. Même les Israéliens respectent leur ennemi. Yossi Alpher, ancien du Mossad, a déclaré à l'hebdomadaire américain « Newsweek » : «Il est intelligent, charismatique et il a de la trempe!...» D'où vient cette fascination qu'exerce Nasrallah , y compris sur les gens qui abhorrent l'idéologie véhiculée par le Parti de Dieu ?
Hassan Nasrallah est né dans la banlieue est de Beyrouth, dans un quartier où il n'y avait ni électricité ni eau courante. Son père était un marchand de légumes originaire de Bazourié, un petit village près de Tyr. Mais tout le monde s'accorde à dire que la forte personnalité de la famille était sa mère. C'est d'elle qu'il a tiré son caractère et son assurance. Nasrallah a grandi dans les années 1960, une époque où Beyrouth était considéré comme le Paris du Moyen-Orient. Seule la communauté chiite, dominée par les sunnites, ne profitait pas des investissements qui affluaient au Liban. Leur seule ressource, qui avait été le commerce avec la Palestine, s'était tarie avec la création d'Israël en 1948. En 1975, lorsque la guerre civile commence au Liban, la famille de Nasrallah part se réfugier à Bazourié. Dans ce village, devant les maisons de la famille Nasrallah réduites en poussière par les raids de la dernière guerre, un cousin du « sayyed Hassan » se souvient que déjà, à 15 ans, il donnait des conférences et se livrait à des commentaires de textes religieux dans la petite bibliothèque de textes sacrés qu'il avait pu rassembler. Déjà, aussi, il semble qu'il ait eu la fibre politique : «Il avait un petit mot gentil pour tout le monde. Il se souvenait des problèmes de chacun.» Un cheikh religieux qui l'a remarqué l'envoie à Nadjaf, en Irak, avec une lettre de recommandation pour l'ayatollah Baqir al-Sadr, le beau-père de Moqtada al-Sadr. Celui-ci le confie à un religieux libanais, Abbas al-Moussaoui, qui deviendra le secrétaire général du Hezbollah. Puis le jeune Nasrallah se rend à Qom.
C'est en prononçant les prêches dans les mosquées et en s'exerçant à l'ichtihad, l'exégèse des textes sacrés, qu'il est devenu l'extraordinaire orateur que l'on connaît, malgré ce petit défaut d'élocution dont il s'amuse parfois en public. «Nasrallah pèse chaque mot qu'il prononce. Ses effets sont choisis comme ceux d'un magicien qui sort un lapin de son chapeau et qui sait comment va réagir son public», analyse Waddah Charara, un sociologue libanais qui compte des membres du clergé chiite dans sa famille. Et c'est vrai que les discours s'adaptent à chaque public. Sur Al-Jazira, il voue aux gémonies les dirigeants arabes. Aux Israéliens, il présente ses condoléances pour leurs martyrs et évoque ses scrupules quand il a commencé les bombardements. Mais sur Al-Manar, les juifs deviennent «les petits-fils des singes et des cochons».«Si nous cherchions dans le monde entier une personne plus lâche, méprisable, faible d'esprit, d'idéologie et de religion, nous ne trouverions personne de pire que le juif. Remarquez bien, je n'ai pas dit les Israéliens...»
Pourtant, pour beaucoup de Libanais et pas seulement chez les chiites, Nasrallah reste le seul homme politique qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit. Comme lorsqu'il a annoncé pendant la guerre et en direct sur Al-Manar que le Hezbollah était en train de bombarder un bateau de guerre israélien. Et c'est vrai qu'il arrive à donner un air de transparence, de simplicité à cette organisation opaque et inquiétante qu'est le Hezbollah. Ainsi, en pleine guerre, il n'hésite pas à divulguer sa tactique : «Notre politique ne consiste pas à nous accrocher à un territoire. Nous ne voulons pas que nos jeunes soient tués en défendant une colline ou un village. L'idée est de piéger les soldats israéliens en les faisant s'enfoncer dans les villages.» C'est peu de dire que Nasrallah tranche avec la langue de bois d'un parti centralisé et dogmatique qui refuse de divulguer jusqu'au prénom de ses militants.
Prisonnier d'une demeure trop grande dont il ne peut sortir depuis que son nom figure sur une liste de personnes à abattre, le fils de Rafic Hariri reçoit dans le bureau de son père. Aujourd'hui Saad Hariri se reproche sa naïveté et ne comprend toujours pas ce qui s'est passé. Quelques jours avant l'enlèvement des deux soldats qui a précipité son pays dans la guerre, il avait rencontré Hassan Nasrallah , qu'il connaît bien. Il lui avait fait part de l'avertissement que Jacques Chirac lui avait donné. A écouter le président français, Olmert n'attendait qu'une occasion d'en découdre avec la milice armée. Mais Nasrallah l'avait rassuré, il ne se passerait rien qui pourrait compromettre la saison touristique.
Aujourd'hui, le fils du Premier ministre assassiné tente de se souvenir des mots de Hassan Nasrallah , revisite chacune de ses phrases à l'aune de la catastrophe qui s'est abattue sur le Liban. A-t-il menti, n'était-il pas au courant, aurait-il reçu une suggestion de dernière minute de Téhéran ? Chacune de ces hypothèses est analysée par ceux qui ont assisté à ce dialogue national dont tous rapportent l'ambiance chaleureuse, «une véritable lune de miel», décrit l'un d'eux.
Nasrallah , qui a façonné sa légende pour être connu comme le seul homme politique libanais qui ne ment jamais, a-t-il, à la veille de la guerre, failli à la règle qu'il s'était fixée ? Sur ce point, le sayyed accepte de s'expliquer auprès du journaliste d'Al-Jazira venu l'interviewer, avec cette simplicité frappée au coin du bon sens qui séduit tant le public : «Je leur ai dit à plusieurs occasions que l'affaire des prisonniers était une question importante et que la seule manière de la résoudre consistait à enlever des soldats israéliens. Bien sûr, j'ai dit cela en passant. Je n'ai pas fait de déclarations au cours du dialogue en disant : «En juillet j'enlèverai des soldats israéliens», soyons sérieux...» Selon cet homme politique libanais qui le connaît bien, Nasrallah ne cesse de mentir : «Mais il ment sincèrement. Un peu comme l'extrême-gauche quand elle mentait à la bourgeoisie. Cet homme est un vrai croyant et il a une mission divine, le reste...»
Un ancien ministre libanais se souvient d'une conversation qu'il a eue avec le religieux le 22 juin 2000, alors que Tsahal venait de se retirer du Sud-Liban, et au cours de laquelle celui-ci a dévoilé ses ambitions : «Je lui ai dit: «Maintenant que le Sud est libéré, tu va être au chômage?» Il m'a répondu: «Cela, ce sont les mezze [entrées libanaises]. Maintenant commence notre travail. A quoi sert cette révolution islamique si je n'arrive pas à Jérusalem? Et puis il faut que j'arrache le Hamas aux Saoudiens!»» Car une des ambitions du secrétaire général du Hezbollah est de briser le ghetto chiite dans lequel la révolution islamique s'est enfermée. C'est pour cela que son alliance avec le Hamas est si cruciale et que certains analystes libanais pensent que l'enlèvement des soldats israéliens a été fait aussi pour permettre à Nasrallah de négocier au nom du Hamas. «Avec cet enlèvement, il voulait aussi sortir du cercle vicieux irakien, explique un ancien ministre libanais. Pour lui, l'Irak et sa guerre civile entre sunnites et chiites est le talon d'Achille de la révolution khomeiniste. La seule chose qui l'empêche de s'étendre...»
Ibrahim Lamin est journaliste à « Al-Akhbar », une publication proche des idées du parti de la « résistance ». Spécialiste de la branche militaire du Hezbollah, il a souvent été le confident du sayyed. Selon lui, l'Occident ne comprend rien à la personnalité de Nasrallah chez qui cohabitentun sens aigu de la logique et un grandmysticisme. A l'écouter, Nasrallah et les dirigeants du Hezbollah disposaient d'informations qui montraient qu'Israël était déterminé à lancer une offensive contre leurs positions vers le mois de septembre. Ils n'avaient pas prévu que l'enlèvement des soldats déboucherait sur la guerre que l'on sait. Pour Nasrallah , c'est Dieu qui les a aidés à précipiter le déclenchement d'une guerre inévitable, alors que l'état-major israélien n'était pas encore prêt. Ce qui explique les panneaux rouges vantant la «divine victoire» plantés un peu partout dans les décombres de la banlieue sud de Beyrouth : «Nasrallah pense vraiment comme cela. Il s'est préparé militairement, il a accompli tous ses devoirs, par conséquent Dieu est avec lui. Il croit sincèrement à l'intervention divine.»
C'est peut-être la clé de cette fascination qu'exerce Nasrallah sur ses interlocuteurs. Son personnage présente de multiples facettes où chacun peut trouver son bonheur ; les tiers-mondistes laïques comme les fous de Dieu. Chez lui, le culte du martyr fondamental, qui est devenu beaucoup plus qu'un moyen d'atteindre ses buts militaires et politiques, est une fin en soi, un instrument de rédemption personnelle. Mais il coexiste avec une approche pragmatique des situations, et avec un parler vrai à mille lieux des dogmes de son parti. La grande popularité de Nasrallah lui a-t-elle permis de prendre un peu de distance vis-à-vis des pères fondateurs du Hezbollah ? Ou n'est-il que le visage rond et souriant d'une organisation totalitaire, tendue vers un seul but, l'anéantissement de l'Etat d'Israël ? Un peu des deux sans doute. Reste que depuis la guerre le nouvel homme le plus populaire du monde musulman est devenu un acteur incontournable du règlement de la question proche-orientale. Comme le fait remarquer Ghassan Salamé, ancien ministre de la Culture libanais : «Pour sortir de cette impasse entre les civilisations occidentale et musulmane, il va falloir cesser d'ostraciser toutes les organisations et leurs représentants qui nous déplaisent en les inscrivant sur la liste des organisations terroristes.»

Sara Daniel

Un destin libanais
Août 1960. Naissance dans la banlieue sud de Beyrouth.
1976. Etudes en Irak à Nadjaf. Rencontre avec Khomeini en exil (1977).
1978. Saddam Hussein intensifie sarépression contre les chiites, Nasrallah est contraint de rentrer au Liban où il adhère au mouvement Amal, alors le principalparti chiite.
1982. Il quitte le mouvement Amal avec Abbas Moussaoui pour fonder le Hezbollah.
1992. A 31 ans, il devient chef du Hezbollah après l'assassinat par les Israéliens d'Abbas Moussaoui.
2000. Tsahal se retire du Sud-Liban après vingt-deux ans d'occupation.
2004. Echanges de plus de 400 prisonniers libanais et arabes contre trois soldatsisraéliens.
2005. Assassinat de Rafic Hariri à Beyrouth. Les troupes syriennes se retirent du Liban.
2006. La guerre a fait 1 200 morts et 900 000 déplacés au Liban ; 150 morts et 400 000 déplacés en Israël.



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