Parution septembre 1998
Aux Etats-Unis, Sara Daniel
"C’est un assassinat politique"
Stratégie familiale à la Maison-Blanche
La revanche d’Hillary
L’épouse du président a conquis l’Amérique par son soutien indéfectible dans le malheur. Elle compte bien investir dans sa carrière future les bénéfices de cette nouvelle popularité
La revanche d’Hillary Il y a quelques semaines, un ami du couple présidentiel expliquait à Bill Clinton qu’il devait rapidement choisir entre la présidence et sa famille. S’il continuait à nier l’affaire, il garderait sa femme, mais le parjure lui coûterait sa place. S’il avouait, il pourrait garder la présidence mais perdrait son épouse. Une fois de plus Hillary a évité à Clinton de faire ce choix. Parce que dans l’adversité, malgré la douleur qu’elle ressent, elle a décidé de rester à ses côtés. Clinton pourra probablement tout garder : sa femme et la présidence. Cette fois les critiques s’abstiennent de rechercher les intentions cachées d’Hillary Rodham Clinton. Aime-t-elle le pouvoir au point de ravaler sa fierté de femme ? Cette suspicion n’est plus de mise. Symbole de la douleur et de la constance, Hillary est entrée dans le martyrologue moderne, entre Diana et Jackie Onassis. D’une des femmes les plus haïes aux Etats-Unis, elle est devenue l’une de celles que l’on respecte le plus. Il faut dire que, même aux pires moments de la cabale qui a sévi contre elle, elle a toujours été une figure emblématique : épouse professionnelle avec un bureau dans l’aile ouest de la Maison-Blanche, conscience de la génération de l’après-Watergate, chef officieux de l’aile libérale du Parti démocrate, toute une génération s’est identifiée à elle. Et a projeté sur elle ses espoirs et ses déceptions. Alors, sainte ou pécheresse ? s’interrogeait " Newsweek " en février 1996, comme s’il n’y avait pas de troisième voie. Lady Macbeth de Little Rock ou version moderne d’une Jeanne d’Arc protectrice des opprimés, promettant à tous une couverture sociale décente ? La first lady a déchaîné la haine toutes tendances politiques confondues. Comme l’écrit David Broke, un journaliste du " Spectator ", auteur d’une biographie d’Hillary : " Des auteurs de droite, comme cet agent du FBI qui l’a décrite dans un livre comme une castratrice dérangée et folle de pouvoir, aux écrivains de gauche comme l’historien Roger Morris qui dépeint dans son livre une femme cynique et sans principes au service de l’oligarchie des hommes d’affaires de Little Rock, Hillary a suscité plus de commentaires que toutes les autres épouses présidentielles réunies. " Les grands tacticiens de la Maison-Blanche l’ont peu défendue. Pendant qu’on éreintait Hillary, on épargnait parfois Bill. L’épouse servait de paratonnerre. On la haïssait pour de mauvaises raisons. Les raisons qui poussent à l’adorer aujourd’hui ne sont pas meilleures. On l’aime parce qu’elle souffre comme une femme. Pour une fois on imagine chez ce personnage fort et intraitable une blessure, une féminité retrouvée. Mais paradoxalement, cette nouvelle popularité va sans doute permettre à Hillary de sortir de l’ombre de son mari. Car Hillary est la véritable locomotive idéologique qui fait avancer le couple. D’un côté, elle a toujours admis les avantages politiques que l’on pouvait tirer à se montrer conservatrice sur le plan de la morale. Que ce soit dans la campagne sur l’éducation en Arkansas ou dans le repositionnement centriste de Bill Clinton en 1994. Mais cette morale austère ne s’explique pas uniquement par le cynisme politique. Il suffit pour s’en convaincre de lire son livre, " Il faut tout un village pour élever un enfant ", fortement influencé par les préceptes religieux de la gauche chrétienne. Ce qui distingue Hillary à la fois des nouveaux démocrates et des républicains, c’est la volonté d’imposer cette vision morale par l’action gouvernementale. La puce antiviolence dont Bob Dole s’est fait l’avocat, les couvre-feux pour les enfants, les uniformes scolaires sont autant de propositions que l’on trouve dans " Il faut tout un village… ". En présentant sa réforme du système de santé, elle a clairement indiqué qu’elle voulait introduire quelques règles dans la jungle de la concurrence. " En réalité, écrit David Broke, c’était une OPA sociale du gouvernement sur le système privé de santé. Si Hillary a échoué, c’est que son projet était beaucoup trop radical. " C’est cette volonté farouche d’imposer ce qu’elle estime être le bien par l’action gouvernementale qui a séduit Bill Clinton. Homme de peu de convictions, il a été fasciné par cette femme volontaire. " Né à Yale, ce lien érotique et intellectuel s’est renforcé lors de la défaite de Bill en 1980 et s’est confirmé en 1989 au cours de ce qu’il faut appeler la "double candidature" des Clinton, explique David Broke. La capacité qu’a montrée Hillary de le remettre en course puis de le propulser sur la scène politique nationale en lui proposant un projet de réforme de l’éducation lui a conféré aux yeux du président une aura presque surnaturelle. Hillary est devenue tout pour Bill. Il l’avait surnommée sa "boussole morale". " Les avantages qu’a tirés Bill Clinton de ce partenariat sont assez évidents. La réciproque est moins vraie. En 1974, elle a dû abandonner le comité du Watergate pour venir vivre en Arkansas. En 1980, elle a dû sacrifier sa carrière d’avocate et changer son nom pour préserver la carrière de son mari. Puis ce fut l’affaire Whitewater où la probité de Clinton était mise en cause. Chaque fois, elle a choisi de " faire face aux côtés de son mari ". Pourquoi cette soumission à un homme si imprévisible de la part d’une femme si forte ? " Il faut faire appel à sa psychologie la plus intime pour répondre à cette question, analyse David Broke, mais il est clair que malgré ses succès d’excellente élève à Yale, il y avait une grande part d’insécurité chez Hillary. Bill lui a procuré tout ce que Hugh Rodham, son père, ne lui a pas donné, l’approbation, l’admiration, la reconnaissance publique et le sentiment d’être désirée par un homme en vue. Elle a pu également être attirée de manière perverse par l’avanie que lui faisait subir le libertinage de Clinton. Ce qui est sûr, c’est qu’il a un besoin vital d’elle. Et qu’elle aime cela. " Aujourd’hui Hillary doit encore une fois subir les conséquences de la conduite irréfléchie de son mari. A-t-elle dit la vérité en août lorsqu’elle a assuré n’avoir appris la liaison de Clinton que quelques jours avant sa comparution devant le Grand Jury ? Ou bien a-t-elle menti pour protéger le président ? Etait-elle au courant lorsqu’elle a qualifié l’enquête de Starr de complot idéologique ? Seule la popularité de la première dame empêche les journalistes et les juristes de creuser plus avant cette question. Pour l’heure, des proches du couple présidentiel expliquent qu’Hillary a l’intention de continuer à travailler avec Bill sur des dossiers qui lui tiennent à cœur comme la réforme du système de santé et de l’éducation. Souvent, la first lady envisage l’après-Maison-Blanche. Elle voudrait alors diriger un think tank, ces centres de recherche qui façonnent l’opinion, ou une organisation publique comme la Fondation McArthur à Chicago, qui aide les enfants défavorisés. On pense aussi qu’elle pourrait chercher à se faire élire gouverneur dans son Etat natal, l’Illinois. En attendant, avec le poids de sa nouvelle popularité, elle a, contrairement à son mari, plus de pouvoir qu’elle n’en a jamais eu au sein du tandem présidentiel.
SARA DANIEL
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