L'art du trading
Le trading est un art. Malgré l'intrusion de l'informatique depuis plus de trois décennies, le trading reste essentiellement un art. Bien sûr les ordinateurs permettent la détection d'anomalies, le test de méthodes, la surveillance d'un grand nombre de marchés, et assistent les traders dans un grand nombre de tâches notamment l'optimisation des investissements, le suivi des positions, la gestion des risques, la comptabilité.
Mais les anomalies détectées et exploitées disparaissent rapidement. Il faut toujours trouver de nouvelles idées pour se renouveler. Les traders discrétionnaires n'ont pas besoin de participer à une telle fuite en avant. En effet, la plupart du temps, ils sont installés sur une niche (qui peut procurer des revenus considérables et concerner des marchés très liquides) qu'ils exploitent habilement. Par exemple ils peuvent profiter de leurs compétences pour aller sur un marché où ils seront plus expérimentés, rapides, habiles et bénéficiant de faibles coûts que les autres participants.
Mais surtout, leurs profits dépendent entièrement de leur habileté à mettre en oeuvre une stratégie. En effet à terme toutes les méthodes s'avèrent non rentables, du fait de l'adaptation du marché. Toutes les anomalies finissent par disparaitre. Et la méthode inverse, qui renverse les signaux, ne s'avère guère plus rentable une fois les commissions et le slippage pris en compte. Aussi peu importe la méthode, elles finissent toutes de la même façon. Mais pourtant, s'il n'y avait pas de frais (pas de slippage, pas d'impact de marché), un certain nombre s'avèreraient relativement rentables. Or un trader habile peut obtenir une bonne exécution de n'importe quelle stratégie. En obtenant des coûts inférieurs à ses compétiteurs, il peut exploiter une niche d'où les autres sont exclus du fait de leur incapacité à compenser les frais d'exécution. C'est exactement ainsi que font de nombreux traders.
Par exemple la plupart des floor traders gagnants ne gagnent guère plus que le spread, l'écart entre meilleure offre et meilleure demande, que paient les institutionnels qui tradent de gros volumes, les pressés et les amateurs. De plus ils peuvent profiter de l'impact de marché de ces gros ordres, en s'associant à l'ordre, en l'anticipant (s'il est fractionné par exemple) ou en le contrant (s'il est terminé). Enfin sur de nombreux marchés ils bénéficient de coûts très faibles, voire préférentiels. C'est aussi pourquoi nombre d'entre eux ont des difficultés lorsqu'ils quittent le floor, car ils perdent leurs avantages compétitifs :
- faibles commissions, voire tarifs privilégiés ;
- rapidité d'exécution, premiers informés premiers à agir ;
- informations uniques, ils ont toutes les transactions (ce qui n'est pas le cas de tous les marchés qui ne font que rapporter les cours à intervalles réguliers), peuvent même deviner qui agit (type et taille du donneur d'ordre), et ont accès à des sources généralement bien informées.
Une façon de réaliser à quel point l'exécution est importante consiste à prendre une de ces nombreuses méthodes qui n'est ni bonne ni mauvaise mais juste non profitable une fois les coûts pris en compte. Supprimer les coûts et regardez comme elle se comporte. Surtout s'il s'agit d'une stratégie à haute fréquence. Puis observez l'importance de la vitesse d'exécution. Pour cela, simulez les résultats si vous pouviez exécuter la stratégie au meilleur prix, voire une barre avant. En général vous aurez la surprise de constater à quel point la méthode devient profitable. Le résultat est souvent spectaculaire. Si par contre la méthode n'est toujours pas profitable, c'est sans doute n'importe quoi et vous feriez mieux de l'abandonner. Un autre point surprenant est que pour pouvoir réaliser l'équivalent d'une à deux barres de profit par trade, on est parfois obligé de conserver sa position très longtemps et pendant ce temps de courir un risque non négligeable. Ainsi d'une certaine façon le faible profit moyen par opération rémunère le risque encouru pendant ce temps. Aussi faut-il s'assurer que le risque pris n'est pas trop important, sinon cela n'en vaut pas la peine. Par exemple le daytrading s'est avéré très intéressant pendant longtemps car peu exploité (avant que des montagnes de liquidités ne se déversent sur les marchés), permettant de limiter énormément les pertes et sans risque overnight.
Le problème du trader n'est donc pas de trouver une méthode profitable. Il y en a de nombreuses, suffisamment pour que chacun puisse trouver une méthode qui convienne à ses moyens et à sa personnalité. En fait contrairement à ce que pensent de nombreuses personnes, il est inutile d'avoir un avantage systématique, il suffit d'être plus habile. Le vrai problème est l'exécution, et c'est dans ce domaine que toute la différence se fait entre un bon et un mauvais trader. Les bons traders sont capables de
- réduire l'impact de marché voire l'annuler la plupart du temps
- améliorer le prix d'entrée par rapport à ce que prévoit la méthode
- améliorer la sortie
- limiter le risque des opérations
- éviter les situations périlleuses
- exploiter des anomalies favorables à la méthode
- intégrer des informations utiles à sa prise de décision
- c'est une activité compétitive, libre, et donc seule une minorité, les meilleurs, s'en sortent ;
- il est bon d'avoir un avantage compétitif, mais la compétition est forte, et tout avantage finit par disparaitre ;
- l'apprentissage sur le tas est difficile et nécessite volonté, curiosité, esprit critique, temps et argent ;
- une connaissance intime des marchés, une grande expérience ;
- des qualités personnelles rares chez une seule et même personne :
- réflexion mais décision,
- rapidité mais maîtrise,
- patience mais réactivité,
- goût du risque mais aversion aux pertes,
- assurance mais réalisme et méfiance ;
- une bonne connaissance de soi, une psychologie adaptée à cette activité ;
- toujours vouloir s'améliorer, se renouveler, se tenir au courant ;
- prendre du recul sur le marché, sa méthode, et surtout sur soi.
De même si vous développez un avantage, ou si on vous en donne un (système, méthode), la plupart des gens seront capables de l'exploiter. C'est en fait ce qui se passe avec les autres activités économiques. L'éducation, la formation professionnelle, le réseau personnel, le milieu social, le diplôme, l'implantation d'un commerce etc peuvent procurer un avantage permettant de se positionner sur le marché du travail ou dans l'économie, bref d'occuper une place qui cadre avec son milieu, son histoire, sa personnalité, ses compétences et ses goûts : il s'agit simplement de s'insérer professionnellement. En fait la société a développé de nombreuses possibilités d'acquérir de tels avantages compétitifs, cela est sans doute une nécessité pour que la vie en société ne soit pas une lutte de chaque instant. Un trader est dans la même situation. Il doit acquérir un avantage pour se positionner dans une activité où la barrière à l'entrée est en apparence très faible, où la compétition est très forte. S'il dispose d'une méthode qui a prouvée son efficacité par le passé, il pourra tenter de l'exploiter, mais même dans ce cas les moins habiles échoueront tandis que les plus doués feront des miracles. Dans cette profession, une petite différence peut donner des résultats spectaculairement différents avec le temps. En général la différence entre le succès et l'échec se joue sur des détails.
Le trading est un art, ou du moins l'exécution est une activité artisanale que même les algorithmes les plus sophistiqués n'arrivent pas et probablement jamais à égaler. Car il ne s'agit pas d'un combat entre l'homme et la machine, mais entre un trader équipé d'outils et des machines. Le seul avantage certain des machines est la vitesse. Pour le reste un trader peut et doit prendre l'avantage à condition de
- se positionner dans une activité (style, méthode, marché)
- utiliser voire développer les outils adaptés
- avoir la discipline, la patience, la rigueur, la décision, le savoir-faire et l'expérience pour appliquer sa méthode