Avertissements :

Ceci est ma première FF dans l'univers de "Le Diable s'habille en Prada" (le film), film produit par Fox 2000 Pictures, réalisé par David Frankel d'après un livre éponyme de Lauren Weisberger. Tous les noms, personnages et situations repris du film leur appartiennent. Aucun avantage financier n'en est tiré.

Genre : romantique

Violence : non

Subtext : non, maintext... quand on en sera là !

Situation chronologique : après la fin du film

Spoilers : références à des évènements se déroulant dans le film. Ce serait mieux de l'avoir vu, mais mon estimée bêta-lectrice, qui n'a pas vu le film, a dit que l'on suivait très bien quand même.

Orthographe : S'il y a des fautes, j'en suis responsable : Fanfan, mon estimée super-relectrice a retiré tout ce qu'elle a trouvé, mais je suis capable d'en avoir rajouté après son passage.

Commentaires à cette adresse : styx63 at noos.fr

 

 

Sa meilleure décision - 1ère partie

 

Miranda Priestly n'était pas arrivée où elle était sans une parfaite connaissance de l'âme humaine, même si nombreux étaient ceux qui lui niaient actuellement cette connaissance. Mais elle n'était pas qui elle était, la toute puissante rédactrice en chef de Runway, le magazine qui faisait et défaisait la mode et les carrières de ceux qui en vivaient, pour maintenant perdre son temps à jouer à ce jeu. Elle savait ce qu'elle voulait et savait qu'elle avait raison : les autres, qui travaillaient pour elle, n'avaient qu'à faire ce qu'on leur disait. S'ils ne supportaient pas la violence du feu, ils pouvaient chercher du travail ailleurs.

Miranda avait tout de suite vu qu'Andrea Sachs, même si elle avait toutes les qualités pour être à terme l'assistante parfaite, n'appartenait pas au milieu de la mode et que, quelle que soit sa réussite future, elle n'y serait jamais totalement heureuse.

Cette réalisation ne l'avait jamais quittée tout au long des semaines et des mois au cours desquels elle avait vu Andrea progresser, s'améliorer, se métamorphoser. Elle était devenue un double en puissance de Miranda, devançant ses directives, pourvoyant à ses désirs avant même qu'elle ait le temps de les exprimer.

Et puis Andrea s'était habillée enfin comme une assistante de Miranda. Si elle n'avait pas eu d'elle-même l'idée de demander conseil à Nigel, Miranda aurait sûrement suggéré au Directeur artistique qu'il fasse quelque chose pour prendre la jeune femme en main.

La première fois qu'elle l'avait vue portant quelque chose venant d'ailleurs que de sa propre penderie, Miranda n'avait rien dit. Cela aurait montré qu'elle s'intéressait à ce que portait sa seconde assistante, ce qui était inimaginable. Et il était heureux qu'aucune réaction ne fût vraiment attendue de sa part car Miranda aurait été dans l'incapacité de parler, époustouflée soudain par la beauté d'Andrea, mise en valeur par cette tenue.

Elle s'interrogea longtemps sur sa réaction. Elle n'était pas étrangère à la beauté féminine. Elle n'aurait pas eu autant de réussite à diriger Runway. Elle avait déjà vu le modèle porté par Andrea et s'il lui allait plutôt bien, il n'avait rien d'extraordinaire. Non, le choc venait de la révélation de la beauté d'Andrea, mais sans le côté artificiel propre aux mannequins. Assister à un casting de mannequins est révélateur. Elles se ressemblent toutes plus ou moins, sont habillées comme tout le monde. Elles sont toutes grandes, très minces pour ne pas dire maigres. Ce sont les tenues, les maquillages et les coiffures qui les font soudain se distinguer des masses.

Miranda devint une admiratrice d'Andrea, tirant fierté de sa capacité à se déjouer de toutes les épreuves qu'elle lui imposait et comme un fan devenant soudain obsessif, elle s'était préoccupée de la vie privée de la jeune femme. Celle-ci était discrète, mais il n'était pas difficile de percevoir les bruits de voix agressifs quand elle appelait Andrea le soir ou le week-end ou la conversation à sens unique qu'elle avait surprise au cours de laquelle sa jeune assistante avait dû défendre ses choix professionnels.

Sa propre vie de couple avait recommencé à se désagréger et le voyage à Paris où son mari aurait dû la rejoindre, n'avait finalement abouti qu'à une nouvelle demande de divorce. Après cela, elle ne chercherait plus à se remarier. Les jumelles verraient leur père. Cela suffirait. Elle n'aurait pas de mal à trouver un cavalier quand ses apparitions publiques le nécessiteraient.

Elle avait commencé à s'inquiéter pour Andrea qui s'était épuisée à faire en sorte que le voyage à Paris soit parfait. Il ne fallait rien de moins pour Miranda. Mais il n'y avait pas que ça. Sa relation avec son copain semblait également aller mal.

Plus le temps passait et plus Miranda s'était étonnée des ressemblances qu'elle trouvait entre elle et son assistante. Et c'est là qu'elle réalisa qu'elle avait une décision à prendre et sûrement la première depuis longtemps qui ne la concernait pas uniquement (ou ses filles), une décision désintéressée qui ne lui apporterait rien. En fait, qui lui coûterait car elle s'était fort attachée à Andrea et pas seulement à cause de ses qualités professionnelles. Il demeurait en la jeune femme une fraîcheur, une pureté d'âme qui semblait parfois faire défaut à Runway. Miranda n'aurait jamais avoué, même sous la torture, qu'elle aimait les étonnements d'Andrea, que passée la première surprise, elle avait souri de savoir qu'Andrea ne savait pas qui elle était avant de venir travailler pour elle.

Miranda avait un rôle à jouer, mais contrairement à ce que la majorité des gens pensait, elle savait qu'il existait un monde en dehors de Runway, un monde auquel appartenait Andrea et où elle se devait de renvoyer la jeune femme. Car à terme, Andrea serait malheureuse. Miranda avait juste tenté d'imaginer ce qu'elle aurait ressenti si elle s'était retrouvée à faire un travail pour lequel elle était très douée mais qui aurait été loin de la mode qui avait toujours été son rêve. Au bout d'un moment, elle n'aurait plus supporté.

L'idée de se séparer d'Andrea lui fit mal, comme lorsque son premier mari avait tenté d'obtenir la garde de ses filles. Mais cette douleur était un signe de plus qu'il fallait éloigner Andy Sachs. C'était son assistante, son employée, une jeune femme de 20 ans plus jeune qu'elle, pourvue d'un petit ami. Et elle-même n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour son propre sexe bien que perpétuellement entourée de jolies femmes et souvent abordée, son aura de puissance attirant d'autres femmes à des positions d'autorité comme la sienne. Si elle commençait à… s'attacher à quelqu'un… qui travaillait pour elle, elle perdrait sa capacité à être ce dont avait besoin Runway.

Son plan avait mieux marché qu'elle ne l'aurait pensé. Un coup de poker habilement conduit lui avait permis de se débarrasser de Jacqueline Follet et de se maintenir à la tête de Runway. Et maintenant Andrea lui reprochait ce qu'elle avait dû faire à Nigel. Elle savait qu'elle lui était redevable, mais il avait compris la situation. Elle vit alors l'opportunité à saisir. Elle n'allait pas forcer Andrea à partir. La jeune femme partirait d'elle-même si elle ne s'était pas trompée sur elle. Elle le sentit au son de sa voix quand elle nia être comme elle. Elle ne le prit pas mal en ce sens qu'elle comprenait que pour Miranda, la comparer à elle était un compliment. Mais quand en haut des marches, elle se retourna pour demander à Andrea si tout était prêt et qu'elle l'aperçut s'éloigner sur la place de la Concorde, elle sut qu'elle avait réussi - si ce n'est un peu trop bien : il y avait encore deux jours à Paris et deux jours sans assistante, c'était criminel - elle avait réussi, mais elle avait perdu également, et pas seulement la meilleure assistante qu'elle aurait jamais. Elle avait perdu quelqu'un qui avait un cœur pur, qui l'avait vue en deux ou trois occasions en position de faiblesse et qui n'avait pas abusé de ce savoir, qui en fait avait pris sur elle de l'aider et avait été prête à recommencer.

Mais elle n'était pas faite pour ce milieu. Elle aurait été détruite à un moment ou à un autre.

Miranda considérait avoir fait sa bonne action, mais Andrea lui manquait vraiment.

Elle fut très heureuse d'apprendre que la jeune femme avait obtenu un entretien avec le rédacteur en chef du New York Mirror et fut persuadée qu'avec le certificat de travail qu'Emily envoya par fax, Andrea aurait ce nouveau travail qui correspondait vraiment à ce qu'elle voulait depuis le début.

Quelques jours plus tard, alors qu'elle attendait sa voiture au pied de l'immeuble Elias-Clarke, elle l'aperçut sur l'autre trottoir. Andrea ne put s'empêcher de lui faire un petit signe de la main auquel elle ne répondit pas, bien sûr. Elle savait que de telles rencontres étaient du domaine du possible. Les bureaux du New York Mirror n'étaient pas loin après tout et elle venait juste d'avoir la confirmation qu'Andrea était engagée. Mais une fois montée dans sa voiture, elle ne put s'empêcher de sourire. Andrea ne l'avait pas ignorée. Elle ne semblait pas lui en vouloir ni la redouter. Elle n'était vraiment pas comme toutes ses précédentes assistantes. Miranda se souvenait d'une occasion, un dimanche après-midi à Central Park où elle avait aperçu l'une d'elles se cacher derrière un buisson pour ne pas avoir à la croiser.

Le soir même, après avoir étudié le Book et vérifié que les jumelles avaient bien éteint leur lumière, Miranda alla dans son bureau. Elle passa quelques minutes devant son ordinateur avant de réaliser qu'elle ne connaissait pas l'adresse e-mail d'Andrea en dehors de celle qu'elle avait pu utiliser chez Runway. Peut-être la trouverait-elle au service du personnel, mais comment l'obtenir discrètement ? Elle ne pouvait rien faire qui ne passe par Emily.

Elle n'eut pas l'occasion de creuser le problème, son temps étant monopolisé par la sortie du nouveau numéro de Runway, comme d'habitude.

Mais quelques jours plus tard, une superbe plante en pot, de la famille des orchidées, lui fut délivrée à son bureau. L'enveloppe était marquée d'un "personnel" dans le coin supérieur gauche qui faisait que personne n'aurait osé l'ouvrir. Elle hésita un instant avant de lire la carte, ne voyant pas qui pourrait lui envoyer cette magnifique fleur - venant de son fleuriste préféré - en dehors de toute occasion particulière. Sa surprise fut grande en voyant une note de la main d'Andrea accompagnant une carte de visite frappée du sigle du New York Mirror. Elle dut s'asseoir et tourna son fauteuil vers les fenêtres, se coupant du monde Runway qui bruissait derrière elle, pour relire plusieurs fois la note. La jeune femme arrivait encore à la surprendre. Elle sourit. La note était à l'image d'Andrea, sincère, affectueuse même. Rien à voir avec ce que l'on pourrait attendre de quelqu'un qui a quitté son poste sans préavis et qui se fait traiter d'incompétente dans son certificat de travail (même si Miranda avait ajouté que seul un idiot n'embaucherait pas Andrea sur le champ). Sur sa carte, sous son nom, était écrit "junior reporter". Il y a avait des numéros de téléphone et une adresse e-mail.

Miranda n'hésita pas longtemps pour décider que la fleur resterait dans son bureau où elle en profiterait bien plus que chez elle. Elle déplaça quelques objets, retira un bibelot et accueillit l'orchidée dans sa nouvelle demeure. Elle appela Emily et lui demanda de passer chez son fleuriste pour y acheter tout ce qui serait nécessaire aux soins de la fleur. Elle pensa qu'elle s'occuperait elle-même de l'arroser mais qu'il faudrait quand même qu'elle forme ses deux assistantes à cette importante tâche pour les périodes où elle ne pourrait le faire elle-même.

Ce soir-là, après avoir couché les jumelles et étudié le Book, elle alluma son ordinateur. Après quelques secondes d'hésitation, elle alla sur son compte gmail, ouvert sur l'insistance de ses filles qui voulaient lui écrire quand elles étaient loin sans que cela passe par Runway et ses assistantes. Elle retrouva la fonction qui lui permettait de créer une nouvelle adresse.

Le lendemain matin, Andy trouva un message à son travail, un peu étonnée car personne n'était encore supposé connaître cette adresse.

From : dragonlady_MP@gmail.com
To : A.Sachs@NYMirror.com

Objet : sans sujet

Merci pour la magnifique orchidée. C'était une pure folie car j'ai idée de ce que peut être son prix et de l'état de vos finances après ces dernières semaines. Mais elle me fait particulièrement plaisir donc je ne reviendrai pas sur le sujet.

Je suis également contente de voir que notre presse new-yorkaise a encore un peu de bon sens et en a fait preuve en vous embauchant. J'espère bientôt lire votre nom sur un article et me rendre compte par moi-même que tout ce gaspillage de talent n'aura pas été vain.

Demain, je vais devoir supporter l'arrivée d'une n-ième seconde assistante (la cinquième en deux mois si je ne me trompe pas - mais ne dites à personne que je compte… Emily doit croire que je ne fais même pas attention au fait qu'elles changent de tête avec régularité. Je les appelle toutes Emily… Aucune, même la vraie Emily n'a mérité le droit d'être appelée Andrea)

Andy remercia le ciel qu'elle était déjà assise et pas en train de boire son café quand elle lut le message, tant son expéditeur, facilement identifiable, que le contenu qui venait en confirmation la prirent par surprise. Elle allait répondre par retour de mail quand elle hésita soudain. Quelques manipulations plus tard, elle tapa rapidement une réponse.

From : fatgirl-from-ohio@yahoo.com
To : dragonlady_MP@gmail.com

Objet : Murphy Brown

Bonjour,

Je confirme que l'orchidée était une folie, mais je voulais absolument montrer l'étendue de ma gratitude pour tous ces mois passés à Runway et pour le certificat que vous avez envoyé au Mirror avant mon entretien. Nous n'en parlerons plus, mais je suis contente qu'elle vous plaise.

Lire vos démêlés avec vos assistantes me ferait sourire si je ne ressentais pas encore une pointe de culpabilité à votre situation. J'essayerai de la diffuser en pensant à Murphy Brown et en me disant que rester 15 jours à vos côtés m'aurait permis de passer pour une perle aux yeux de M. Brown.

Je n'ai pu m'empêcher d'apercevoir certains titres concernant votre divorce en cours. Je suis désolée de tout cela et de la peine que ceci peut vous causer ainsi qu'aux jumelles. J'apprécie d'autant plus le journal où je me trouve, qui se tient résolument éloigné de tout sensationnalisme. J'espère que Leslie pourra écarter le plus gros des coups.

Bon courage

Andy

Miranda sourit pour la première fois de la journée quand elle trouva la réponse le soir à son retour. La journée avait été particulièrement difficile et ce n'était même pas la faute de la nouvelle. Mais si celle-ci se représentait le lendemain, Miranda commencerait à la tester, rien que pour voir jusqu'où sa résistance pourrait aller. Elle nota la nouvelle adresse utilisée par Andrea, sourit à nouveau devant le pseudonyme utilisé et s'empressa de répondre.

From : dragonlady_MP@gmail.com
To : fatgirl-from-ohio@yahoo.com

Objet : Re : Murphy Brown

Mes filles m'ont déjà fait une réflexion similaire après la rediffusion des premiers épisodes de la série il y a quelques mois, mais c'était pour me faire remarquer que j'avais plus de chance en étant tombée sur vous…

Je me demande parfois si je n'aurais pas dû laisser la place à Follet à Paris plutôt que de lutter pour garder Runway. Je n'arrive pas comprendre comment tant d'incompétence peut se révéler en l'espace d'une journée alors que ce que je demande est purement basique…

En fait, les filles me causent bien du souci, même si je ne veux pas en parler… mais à qui en parlerais-je ? Leur thérapeute dit que c'est normal, et que les choses vont rentrer dans l'ordre. Je voudrais juste que ça aille plus vite, pour elles. Je me sens souvent si impuissante…

Et c'est ainsi que commença une étrange correspondance entre Miranda et Andy. Miranda était toujours la première à écrire, Andy, la dernière à répondre. Cela pouvait aussi bien concerner la nouvelle bévue des "Emily" que des petits articles qu'Andy commençait à signer. Parfois, Miranda parlait d'elle-même, sans s'en rendre compte, de ses filles, du divorce qui, malgré le temps, faisait toujours les régals de la presse à scandale.

Et un soir, sans vraiment réfléchir, car si elle y avait pensé, elle ne l'aurait pas fait, elle appela Andrea et lui demanda de passer chez elle prendre un verre. La conversation fut trop brève pour qu'un éventuel sentiment de gêne ou d'inconfort s'installe : au fond, les deux femmes ne s'étaient pas parlé de vive voix depuis près de huit mois. Miranda avait juste lancé son invitation, l'unique objet de son appel, attendu la réponse d'Andy et s'était forcée à une formule de politesse (après tout, Andrea ne travaillait plus pour elle, elle devait faire un effort).

Miranda avait dit vers 20 heures, mais ne put s'empêcher d'être agréablement surprise quand Andy sonna à la porte avec quelques minutes d'avance. Les premières secondes de gêne s'évanouirent après que Miranda ait embrassé Andy sur les deux joues comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Elle l'invita à suspendre son manteau dans la penderie qu'elle connaissait bien, puis elle l'entraîna dans le petit salon. Elle l'invita à s'asseoir et observa avec plaisir quand elle prit place sur le petit canapé. Elle la rejoignit avec deux verres de vin blanc et une bouteille ouverte. A nouveau quelques minutes de silence camouflées derrière la dégustation du vin, un bordeaux.

Miranda en profita pour observer la jeune femme, puis décida d'entamer la conversation. Les silences, s'ils n'étaient pas de sont fait, la gênaient.

"Tu te demandes pourquoi tu es ici." Et ce n'était pas une question.

Andy posa son verre. "Nous avons eu quelques échanges cordiaux de mails, mais notre relation est un peu étrange... "

"Crois-tu que je reste en contact avec mes anciens employés ? Si je me sépare d'eux, c'est pour de bon."

"Et moi ?"

"Tu es un cas à part. Je ne considère pas m'être séparée de toi."

"Parce que vous vous retrouvez en moi ?"

"Tu as répondu à mes messages..."

"Ne pas vous répondre serait suicidaire..."

Le visage de Miranda se referma brutalement. "Etait-ce la seule raison ?"

"Non, bien sûr que non. En fait, ce n'est jamais entré en ligne de compte. J'étais heureuse de garder un contact avec vous...Même si je suis partie brutalement, je ne regrette pas les mois passés à Runway, à vos côtés... Et depuis que nous... correspondons, je découvre une autre facette de vous que vous ne montrez jamais et qu'il m'a semblé apercevoir une fois ou deux."

"Mmm... Ne va pas prendre la grosse tête, mais j'ai l'impression que tu étais la seule personne à la fois intelligente et de bon sens... Bien sûr, si j'étais interrogée, je nierais avoir prononcé ces mots."

"Bien sûr. Et pourquoi ce verre ce soir, chez vous ?"

"Parce que les courriers électroniques ont leur limite et que je ne voulais pas être seule ce soir... Et prendre un verre au dehors aurait tout été sauf tranquille... Le divorce a été prononcé aujourd'hui..."

"Oh !… Je suis désolée… en fait, je ne sais pas quoi dire…"

Miranda réprima un sourire. Andrea n'avait pas changé. "L'heure des regrets est passée. C'était fini… tu étais présente ce fameux soir. Tout ce qui s'est passé depuis n'est qu'un désagrément de plus dans la vie de quelqu'un qui ne peut échapper à la curiosité malsaine d'une certaine presse. Enfin… mes filles m'ont pardonné pour ma part de responsabilité dans ce fiasco. Et je considère avoir donné assez de gages au modèle familial imposé pour que l'on m'excuse si je ne cherche pas spécialement à me remarier."

"Alors ce soir, vous célébrez vos premiers moments de liberté ?"

"Est-ce la journaliste qui parle ?"

"Non, bien sûr. Mon bloc et mon dictaphone ont fini leur journée. Ils sont dans mon sac. Il n'y a qu'Andy ici."

"Alors oui. Je célèbre le début d'une nouvelle vie, où je serai la mère de mes enfants et la rédactrice en chef de Runway et où je n'aurai plus à compromettre ce que je suis pour satisfaire l'ego de quelqu'un d'autre."

"Vos filles, puis le magazine… dans cet ordre ? Et croyez-vous vraiment que pour avoir quelqu'un dans votre vie, vous auriez à porter le poids de tous les compromis ?" Andy se mordit les lèvres et rosit légèrement quand elle réalisa l'audace de ses questions.

Miranda leva un sourcil, puis se pencha vers la table basse pour remplir à nouveau les verres.

"Andrea, si je devais voir une seule de ces paroles dans un journal, les histoires d'horreur que tu as dû entendre sur mon compte à Runway ne seraient que contes de fée en regard de ce que je te ferais subir…"

Andy se carra dans son coin de canapé. "Miranda… je suis là en… amie… ? Vous ne parlez pas à vos amis ?"

"Je ne suis pas sûre que nos définitions du mot ami coïncident. Si j'ai besoin de parler, je vais voir mon psy."

"Eh bien, un véritable ami ne vous dira pas, au bout de 45 minutes, que vous devez prendre un autre rendez-vous et de voir à régler ses honoraires avec sa secrétaire… Mais il est vrai qu'il faut prendre le risque de faire confiance."

"Je fais confiance à Andrea, mon ancienne seconde assistante. Quelle était la question ?"

"Malgré mon abandon ?"

"Il était programmé. Tu as fait exactement ce que je voulais, peut-être un peu plus vite que prévu… tu me parlais de mes filles…"

Andy resta figée. "Pro… programmé ?"

"Regrettes-tu ta décision ?"

"Globalement… non."

"Alors ce n'est pas la peine de revenir dessus. Mes filles et Runway sont mes priorités. Suivant les circonstances, le magazine pourrait sembler plus important, mais au bout du compte, mes filles auront toujours le dernier mot. Je sais que je ne m'y prends pas bien, qu'elles abusent souvent de la situation. Il n'y a aucun guide sur la façon d'élever ses enfants qui corresponde à ma famille. J'espère juste que les erreurs que j'ai pu faire avec elles et que je continuerai à faire, n'auront pas de conséquences dramatiques sur leur avenir. Quelle était l'autre question ?"

"Quelqu'un qui partagerait votre vie…"

"Ah oui… Soyons brutalement honnêtes !"

Comme si Miranda pouvait être autrement, mais Andy se retint de le dire à haute voix.

"Je suis arrivée à un point de ma vie où j'ai puissance, argent et gloire. Et je ne dis pas ça par orgueil. C'est juste une constatation."

"Je sais, Miranda."

"La logique voudrait que mon compagnon soit un homme dans la même situation que moi. Or celui-ci cherchera une blonde de 20 ans aux charmes pas totalement naturels et qui flattera sa puissance, dépensera son argent et profitera de sa gloire."

Andy ne put s'empêcher de sourire. "Avez-vous pensé aux mérites d'un surfeur blond et bronzé aux abdos en tablette de chocolat ?"

"Tu sais déjà tout ce que l'on dit de moi. Imagine ce que cela serait si je devais avoir un jeune amant, que dis-je ? Un gigolo ! Non… "

"Même en restant discrète ?"

"La discrétion est difficile à pratiquer quand on est une personnalité publique. De toute façon, un… surfeur n'a d'intérêt que s'il peut mettre en valeur un costume pour l'un des prochains articles de Runway. Pour ma part, je ne saurais pas quoi en faire."

"Il faudrait alors chercher dans la direction opposée… le contraire d'un surfeur blond… un universitaire brun…"

"Si tu ajoutes bedonnant, je serai obligée de réagir de façon drastique comme de te téléphoner à 3 heures du matin. Cet… universitaire devrait quand même répondre à certains critères esthétiques."

"J'en suis persuadée."

"Et l'attrait du tweed et de la flanelle s'épuise rapidement… Non, je suis convaincue que je finirai ma vie seule et cela me convient très bien… Andrea, ne fais pas cette tête de chiot abandonné ! Tu connais mon emploi du temps mieux que moi. Où aurais-je la possibilité de trouver du temps pour construire une nouvelle relation ?"

"Je suis pourtant persuadée que celui qui aurait la chance d'attirer votre affection gagnerait énormément. Il est juste dommage que vos anciens maris ne l'aient pas vu."

"Je suis une salope en talons aiguilles, le diable habillé en Prada, une vraie mégère qui ne sera jamais apprivoisée… Ne lis-tu pas la presse ? Je croyais que c'était indispensable pour tout journaliste qui se respecte. Et si l'on parlait de toi pour changer. Tu ne vivais pas seule avant Paris…"

Andy accepta le virage dans la conversation, sachant que Miranda ne serait pas prête ce soir à supporter la contradiction.

"Mais au retour, si. Il a pris un nouveau travail à Boston. Je n'ai pas voulu l'y rejoindre alors que ma carrière débutait. Et franchement, les horaires de journalistes sont aussi terribles qu'à Runway, ce qu'il me reprochait en partie. Ce qui explique le calme de ma vie sentimentale."

"Même pas un collègue qui t'aurait invité à prendre un verre un soir ?"

"Pas intéressée. J'ai rencontré Nate à la fac. Il a été ma première relation sérieuse. Mais maintenant, j'aimerais vivre un peu juste avec moi. Déterminer ce que j'aime et ce que je veux sans que ce soit influencé par la présence de quelqu'un qui partage ma vie."

"Ah, les premiers pas dans la vie adulte…" Miranda sourit.

"Vous êtes si jolie quand vous souriez… oups, désolée. C'est le vin sur un estomac vide qui parle."

"Merci du compliment. Mais pourquoi l'imputer au vin ? Tu ne le penses pas ?"

Andy se savait plus où se mettre, mais savait que la fuite n'était pas une solution.

"Je le pense. Le vin a juste affaibli mon usage des convenances."

"Les convenances et les règles de savoir-vivre sont juste un moyen utile pour éviter de s'entretuer en société, surtout quand vous rencontrez votre ennemi intime à une soirée."

"Cela vous est déjà arrivé ?"

"De rencontrer mon ennemi intime et de vouloir le tuer ? Oui. Mais ne parlons pas de choses désagréables. As-tu le temps de rester dîner ? Je ne voudrais pas te rendre à la ville avec juste du vin dans un estomac vide. S'il t'arrivait quelque chose, cela me serait sûrement reproché."

"Vous cuisinez ?"

"Je n'en ai pas l'air ?"

"Pardon. Je ne sais pas… Je n'y ai pas vraiment pensé…"

"J'ai passé les cinq premières années de ma carrière professionnelle à Paris. J'ai appris à cuisiner, et pas seulement pour éviter les nourritures trop riches des restaurants. J'ai demandé que l'on me fasse quelques préparatifs, il n'y a plus qu'à faire cuire."

"Je ne voudrais pas m'imposer…"

"Je t'ai invitée, Andrea. Cela me fait plaisir. Suis-moi à la cuisine et parle-moi de ce que tu fais au Mirror ! J'ai commencé à voir ta signature sous quelques articles…"

Et Andy suivit Miranda, à moitié assommée par le nombre de révélations qu'elle avait eu en un court laps de temps sur son ancienne patronne.

Quelques heures plus tard, Miranda se retournait pour la n-ième fois dans son lit, cherchant vainement le sommeil.

Les évènements de la soirée se repassaient en boucle devant ses yeux fermés. Un poète français avait écrit que l'espérance était la plus grande des folies. Il y avait également des centaines de citations associant folie et amour.

Rien que le fait de penser à associer ces mots et l'état de ses pensées était signe de folie. Elle n'avait pas souvenir d'avoir été dans cet état après ses autres précédents divorces. Cela ne faisait que confirmer ce qu'elle avait cru décerner quand elle avait décidé d'inciter Andrea à partir.

Elle s'était vraiment attachée à elle.

Mais que pouvait-il en sortir ? Andrea semblait avoir de l'affection pour elle. Elle avait parlé d'amitié. Et elle ne s'était pas laissée désarçonner par les réactions défensives de la Rédactrice. A chaque fois, elle avait désamorcé tout ce qui aurait pu devenir explosif. Miranda ne se souvenait plus de ce que cela pouvait signifier que d'avoir une amie. Elle avait perdu tout ce qui pouvait y ressembler le jour où elle avait commencé à travailler. Depuis, elle avait glané connaissances et relations, mais pas d'ami.

Et ce soir, à la fin d'une journée difficile, à la fin de semaines et mois difficiles, alors qu'elle n'avait pas voulu être seule, elle n'avait personne vers qui se retourner. Sauf une ancienne assistante à qui elle avait mené la vie dure, qu'elle avait incité à partir et qui était malgré tout restée en contact avec elle.

Que pouvait-il en sortir ?

Mais devait-il en sortir quelque chose ?

Elle avait aimé les échanges de courriels de ces derniers mois dans lesquels elle pouvait exprimer sa frustration causée par son travail, ses doutes et hésitations à l'égard de ses filles, son intérêt pour un nouveau restaurant ou un jeune artiste. Et Andrea était là pour l'écouter, lui remonter le moral sans le faire volontairement par une simple réflexion. De toutes ses assistantes, la jeune femme était celle qui avait été le plus en phase avec elle, sans être son double.

Ne plus avoir de liens professionnels changeait la donne. Elle réalisa soudain que ces derniers mois, elle avait continué d'agir avec Andrea comme lorsqu’elle parlait à haute voix dans la voiture pour mettre de l'ordre dans ses idées, n'attendant pas de réponse, certaine d'avoir une audience captive – on ne pouvait jamais savoir quand les réflexions allaient se transformer en ordres et consignes.

C'est pour cela que sa première réaction avait été défensive quand Andrea l'avait interrogée.

On ne posait pas de question à Miranda Priestly.

Andrea était franche, entière. Même après ce qu'elle avait enduré à Runway, elle n'avait pas changé d'attitude face à elle. Elle n'avait pas changé parce que même quand elle travaillait pour elle, elle avait conservé cette intégrité. Elle s'était adaptée, mais elle n'avait pas fondamentalement changé. Alors que tant d'autres étaient prêts à toutes les compromissions pour entrer dans ses bonnes grâces… ce qui ne réussissait jamais bien sûr.

Miranda redressa son oreiller et s'assit, adossée contre la tête de lit. La chambre n'était pas entièrement noire, la lumière de l'éclairage public traversant les rideaux.

Si elle voulait quelque chose de spécifique, il fallait qu'elle établisse ses paramètres et fixe son objectif. Comment voyait-elle Andrea ? Que voulait-elle ? Que pensait Andrea ?

Elle savait qu'elle n'arriverait plus à dormir et préféra se lever. Elle descendit dans la cuisine et se prépara un expresso, le premier d'une longue série à n'en pas douter. Elle se dirigea ensuite dans son bureau, la tasse de café bien chaud à la main. Elle alluma son ordinateur et vérifia les courriers par acquis de conscience. Le pseudo d'Andrea s'afficha en gras. Le message avait été envoyé peu de temps auparavant.

Je voulais vous remercier de la très agréable soirée passée en votre compagnie. Je voudrais pouvoir dire que l'on devrait remettre ça (cela se fait entre amies), mais j'hésite à proposer un lieu, reconnaissant ne pas avoir les moyens de vous inviter dans les endroits que vous fréquentez normalement, n'osant pas vous convier dans ceux que je fréquente par la force des choses et ne pouvant vous proposer ma table car je ne cuisine pas (et je ne sais pas).

Auriez-vous une idée ?

Miranda ne s'arrêta pas pour réfléchir et répondit :

Vendredi à 20 heures chez toi.

Chinois à emporter (tu te souviens de ce que je n'aime pas ?) Je m'occupe de la boisson.

Miranda sourit en appuyant sur le bouton "envoi". Elle prit le Book et alla l'étudier assise sur le petit divan installé dans un coin de son bureau. Elle ne tarda pas à s'y endormir, l'esprit enfin en paix.

(à suivre)

 

 

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