Droit d’auteur et copyright : notions de base et réflexions prospectives à l’usage des enseignants – auteurs de publications scientifiques et pédagogiques.
(paru in «La lettre du Cerf, Janvier 2003, n°28, pp. 4 à 6)

Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH à l’Université Paris 5 René Descartes (UFR COCHIN),
Chargé de mission à la Direction des affaires internationales de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris ainsi qu’à la
Direction de la technologie du ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.

De plus en plus souvent les méthodes pédagogiques modernes incitent les enseignants à compléter l’enseignement ex-cathedra par l’utilisation de documents multimédias (textes, tableaux, sons, graphiques ou dessins, images fixes ou animées, etc). Les médecins, et singulièrement les radiologistes, ne sont pas en retard dans ce domaine.

Or, une grande partie de des documents sont protégés par les règles de la propriété intellectuelle (voire industrielle, s’il s’agit par exemple d’un logo ou d’une marque déposée), et le bureau du CERF a jugé utile d’en rappeler quelques notions de base et de souligner quelques aspects pratiques.

1          La propriété intellectuelle

En France, le Code de la propriété intellectuelle[1] reconnaît à l’auteur d’une œuvre originale un ensemble de droits qui protègent sa création, souvent confondus sous le vocable de « droits d’auteur ». Il faut, en réalité, distinguer, les droits moraux et les droits patrimoniaux.

Les droits moraux

Les droits moraux naissent dès la création de l’œuvre, sans nécessité de formalité ; ce sont :

-         le droit à la paternité (qui impose par exemple de citer la source d’un emprunt),

-         le droit au respect de l’œuvre (l’intégrité de la création doit être respectée et l’on ne peut la modifier sans l’accord explicite de l’auteur),

-         le droit de divulgation (qui permet à l’auteur de garder une œuvre inédite, s’il le souhaite) et

-         le droit de retrait et de repentir (qui lui permet à tout moment d’arrêter la diffusion de son travail ou de le modifier, sous réserve d’assumer les conséquences financières éventuelles créées par la négociation des droits patrimoniaux ci-dessous détaillés.

Ces droits moraux sont, en France, perpétuels et inaliénables : ils restent attachés à la personne de l’auteur puis de ses héritiers successifs.

Note 1 : A noter que le droit d’auteur français est sur ce point, radicalement différent de celui du « Copyright » américain : aux USA, en effet, le droit moral peut être transféré, par exemple à l’éditeur d’un livre ou d’une revue.

Les droits patrimoniaux :

Ces droits naissent lors de la divulgation de l’œuvre, pour permettre à l’auteur (puis ses héritiers pendant 70 ans) de tirer un profit matériel de son travail. Après cette durée, et sous réserve de certaines conditions, l’œuvre tombe dans le domaine public.
Ces droits patrimoniaux sont :

-         Les droits de reproduction recouvrent toutes les fixations matérielles de l’œuvre sur un support quelconque permettant la communication ou la représentation au public (par exemple l’impression, l’enregistrement sur un cédérom, l’affichage sur une page web, etc). il a donc fallu une loi, publiée au Journal officiel du 3 janvier 1995 pour permettre la photocopie des documents sans accord spécifique de l’auteur ou de l’éditeur, moyennant la gestion collective des droits de reprographie par un organisme ad hoc, le Centre français d’exploitation du droit de copie ou CFC).

-         Les droits de représentation ou de communication au public, qui correspondent au fait de rendre l’œuvre accessible, quelque soit le procédé utilisé.

-         Pour les œuvres graphiques ou plastiques, le droit de suite (qui permet à l’auteur d’être intéressé financièrement à chaque vente successive de leur œuvre)

-         Le droit d’autoriser des œuvres dérivées (ce droit est par exemple illustré par l’exploitation commerciale considérable qui suit la sortie de chaque film de Walt Disney…).

Les droits patrimoniaux appartiennent à l’auteur, qui peut les céder de façon plus ou moins complète à un ou plusieurs cessionnaire(s) : société savante, éditeur de livre ou de revue…

Note 2 : Les choses sont parfois plus complexes que cette brève présentation ne le laisse supposer : par exemple, une photographie - et par analogie, une radiographie médicale - est incontestablement l’œuvre de celui qui la réalise ; toutefois, son exploitation publique est conditionnée à l’autorisation de la personne qui fait l’objet de cette image. Il est donc prudent de demander, surtout s’il existe le moindre risque d’identification de la personne, son autorisation avant toute publication ou présentation publique d’une radiographie, et en cas d’emprunt, de citer le collègue qui l’a fournie.

Il serait donc utile de faire figurer un avertissements dans nos salles d’attente, ainsi que dans les notices d’information de radiologie ou d’hospitalisation… que le caractère universitaire de l’hôpital impose de collectionner pour l’enseignement et la recherche les images scientifiquement utiles et qu’en l’absence d’opposition manifestée par les patients, elles pourront être utilisées pour les enseignements et les publications, le plus grand soin étant apporté à leur anonymisation.

Il faut également recommander aux enseignants de lire très attentivement les documents de cession des droits qu’ils signent avant la publication de leurs articles ou de leurs livres, et de veiller à inclure systématiquement une clause leur préservant le droit d’exploiter librement leur œuvre pour leurs activités d’enseignement dans le cadre du service public de l’éducation nationale. Faute d’une telle clause, certaines cessions extensives de droits ne permettent plus à l’auteur d’utiliser ses propres images, tableaux ou textes, sans accord (parfois onéreux) de l’éditeur.

Il faut, ces principes posés, se pencher sur l’application de ces principes dans les activités d’enseignement et de recherche et comprendre que le droit n’est actuellement pas en accord avec la pratique. Un aspect différent de la protection de la propriété intellectuelle concerne le statut des productions intellectuelles des agents publics, et notamment des universitaires. Ce point fera l’objet d’un autre article car il nécessite également une présentation juridique un peu détaillée.

2          La pratique quotidienne des enseignements (in vivo ou sur internet)

Ainsi, avant toute utilisation pour un enseignement, un cours, une séance de TP ou de TD, à fortiori pour la mise en ligne pour un cours sur internet, la loi exige, en principe :

-         D’obtenir le consentement de l’auteur ou de l’ayant droit avant toute utilisation en dehors du cercle de famille, d’une œuvre protégée;

-         De payer un droit d’utilisation;

Le respect absolu de ces formalités est en pratique quasiment impossible en routine pour un enseignant ‘normal’ ; jusqu’ici, les usages, qui outrepassent largement la loi, étaient largement tolérés, mais il faut relever le développement récents de quelques procès contre des enseignants, qui démontrent la fragilité juridique de nos pratiques.

Mais cette tolérance ne durera pas :

-         les éditeurs et leurs syndicats bataillent ferme pour « régulariser les pratiques » et fourmillent de propositions techniques et juridiques pour renforcer la protection du « droit d’auteur à la française » ;

-         leurs alliés objectifs, les sociétés d’auteurs, le CFC … développent également leurs arguments et leurs forces pour faire entrer toujours plus d’argent au motif de la défense de l’édition francophone…

-         surtout, les moteurs de recherche de l’internet, leur traduction automatisée, les programmes de lutte contre le plagiat et les contrefaçons des grands éditeurs internationaux de revues scientifiques, rendent le risque plus sensible qu’autrefois dans nos amphithéâtres universitaires, depuis que toutes nos productions -ou presque- finissent un jour sur l’internet ;

Quelques établissements universitaires, la Conférence des présidents d’universités commencent à sentir la menace financière… et ont sollicité la direction des affaires juridiques du ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.

Un groupe de travail, avec la participation de l’auteur de ces lignes, a donc été constitué au ministère, pour répondre à ces préoccupations, profitant de l’opportunité ouverte par la nécessité de transposer en droit français la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information[2].

En effet, cette directive permet aux états membres de l’Union européenne de prévoir des exceptions ou des limitations aux droits d’auteurs (art. 5.3.a) «lorsqu'il s'agit d'une utilisation à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement ou de la recherche scientifique, sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur, dans la mesure justifiée par le but non commercial poursuivi », à la condition que ces exceptions « ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit».

Le groupe de travail propose d’ajouter au Code de la propriété intellectuelle (art. 122-5.3) une nouvelle exception aux droits de reproduction et de représentation pour :

« …les représentations effectuées à des fins exclusives d’illustration de l’enseignement sous la responsabilité d’un enseignant et à destination des seuls élèves ou étudiants qui lui sont confiés pour l’exécution de sa mission d’enseignement »

« … les représentations effectuées à des fins exclusives d’illustration de la recherche publique et de travaux de recherche »

Ainsi, le « cercle pédagogique » (c’est à dire la classe réelle ou virtuelle) bénéficierait des mêmes exonérations que l’actuel cercle de famille… Il restera cependant nécessaire, au niveau national de prévoir une compensation financière (qui peut se traduire par une mesure forfaitaire ou globalisante comme pour les taxes sur les cédéroms vierges, le droit de prêt en bibliothèque ou le droit prévu pour les photocopies ou un dispositif d’aide à l’édition…). Il restera en toute hypothèse de veiller scrupuleusement à respecter le droit à la paternité (c'est-à-dire, en clair, de citer la source de tout emprunt).

Le groupe de travail recommande en outre

-         d’étendre le droit de citation à tous les types d’œuvres, alors qu’il ne vise actuellement que les textes, et de supprimer la réserve « courte(s) citation(s) » qui ouvre la porte à des conflits d’interprétation

-         de prévoir une exception pour « les reproductions intégrales ou partielles d’œuvres destinées à figurer dans un sujet d’examen en vue d’obtenir un titre, grade ou diplôme délivré au nom de l’Etat ». En effet de plus en plus d’examens ou de concours comportent une épreuve de critique ou de résumé d’un article extrait de la littérature.

-         de compléter l’article L. 122-5.3 du CPI par l’alinéa suivant, complétant l’exception au droit d’auteur pour autoriser « …(L’) insertion, à des fins exclusivement d’illustration, dans des documents pédagogiques ou des travaux de recherche mis en ligne par des établissements participant au service public de l’enseignement et de la recherche, à la condition que ces documents soient réservés aux seuls usagers et personnels de ces établissements ». Ici le but est clairement de permettre l’utilisation des mêmes documents pour les enseignements in vivo et sur internet.

Il faut relever que de telles « exceptions éducatives » existent déjà dans les droits canadien, allemand, suisse et espagnols… Elles ne seraient donc pas impensables

Il reste à convaincre le ministère de la Culture, gardien du Temple du « droit de la propriété intellectuelle à la française » et surtout les marchands dudit temple… lesquels sont très virulents et influents ! Un lobbying fort des universitaires et des établissements s’avère indispensable, pour favoriser la négociation du ministère de l’Éducation avec celui de la Culture, et pour faciliter l’adoption par le Parlement des textes qui nous sont indispensables…

Références :

[1] Les articles de ce Code sont accessibles en ligne sur le site web juridique gouvernemental à l’adresse suivante : www.legifrance.gouv.fr

[2] Directive publiée au Journal officiel des CE, n° L 167 du 22/06/2001, p. 0010 – 0019, et disponible en ligne sur le site web de la Commission européenne : www.europa.eu.int