Qui peut donc faire les échographies ?
Dr Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie, AP-HP et Université Paris DESCARTES, directeur du D.U. d’imagerie médicolégale.

Avec la disponibilité croissante d’appareils de plus en plus performants, simples d’emploi, miniaturisés et parfois spécialisés, l’usage de l’échographie s’étend dans de nombreux domaines, jusqu’au développement (anecdotique ?), d’une offre commerciale de prestation de la première vidéo du bébé à naître, totalement découplée de tout but médical, pour permettre aux futurs parents de présenter le bébé à la famille… et sans doute d’amuser la galerie lorsqu’il sera grand. Très sérieusement, on peut se demander à qui est réservée, juridiquement, la pratique de l’échographie.

« Voir ce qui est invisible, grâce à des sons inaudibles », lors d’une échographie, est indéniablement un acte médical, tel que défini au CSP

L’article L. 4161-1 du Code de la santé publique (CSP), seule définition légale de l’acte médical[1], pose le principe du monopole médical sur tout acte de diagnostic ou de thérapeutique[2]. Ce CSP précise, ailleurs, que les manipulateurs d’électroradiologie médicale sont les seuls professionnels à pouvoir, sans être médecins, effectuer par délégation et «…sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin en mesure d'en contrôler l'exécution et d'intervenir immédiatement, certains actes de radiologie médicale…»[3]. Le décret d’application de la loi[4], énumère les actes autorisés au manipulateur d’électroradiologie et précise, entre autres, que le manipulateur est qualifié pour le « Recueil de l'image ou du signal, sauf en échographie » (alinéa g de l’article 2 du décret de 1997) ainsi que pour l’«aide à l'exécution par le médecin des actes d'échographie» (alinéa i).

Dans l’état actuel du droit, la pratique d’échographies complètes par un manipulateur excède donc clairement les limites de son statut et constitue dès lors le délit d’exercice illégal de la médecine, également opposable au médecin pour lequel travaille le manipulateur, en vertu du 3° de l’article L 4161 cité précédemment. Attention, en cas d’erreur ou de litige, ce caractère illégal de l’acte fera obstacle à sa couverture assurancielle, comme au rattachement de la faute à la fonction, pour la prise en charge de l’indemnisation par l’hôpital.

Certains manipulateurs et certains radiologistes proposent de faire évoluer le droit et de reconnaître en France, à l’instar de plusieurs pays étrangers - dans lesquels l’échographie n’a souvent pas aussi bonne réputation qu’en France - une compétence de sonographistes. Cependant, le diagnostic échographiste se fait idéalement en observant la formation dynamique des images selon le déplacement et la modification d’orientation ou de pression de la sonde sur le patient, et non a posteriori lors d’une relecture d’images produites par d’autres. En cas d’erreur diagnostique, les tribunaux considéreraient certainement celle-ci comme fautive si elle résultait d’un examen limité à l’analyse de quelques clichés revus à l’écran ou au négatoscope. La perte de chances d’un diagnostic plus exact, par rapport à un examen conduit directement sur le patient serait incontestable, quelle que soit la qualité des images recueillies ou du protocole suivi.

Il en sera sans doute différemment lorsque des acquisitions volumiques automatisées permettront en routine la manipulation d’un bloc tridimensionnel dans lequel on pourra, après acquisition, se ‘balader’ dans tous les sens. Mais l’expérience actuelle du scanner volumique et de l’IRM montre que ces manipulations sont autant chronophages que l’examen lui-même, sinon plus.

Par ailleurs, la pratique par d’autres paramédicaux (infirmiers…) d’échographies, ou l’aide régulière à l’exécution d’échographies sont légalement réprimées, au double titre de l’exercice illégal de la médecine et de celui de la profession de manipulateur, voire de l’usurpation de ce titre[5] ; dans nos hôpitaux, des échographies sont ainsi irrégulièrement réalisées dans plusieurs spécialités cliniques (cardiologie, ophtalmologie,…). Il importe d’attirer l’attention de nos confrères et directions d’établissement, et surtout d’éviter de s’en faire complice. En revanche, les sages-femmes appartenant au personnel médical, sont légalement qualifiées pour les échographies de la sphère génitale.

Additif d'août 2009 : Un arrêté du Ministère de la santé du 30 mars 2006 (réf.: NOR : SANH0621438A), pris en application de l'article 131 de la loi 2004-806 du 9 août 2004 avait autorisé, par dérogation aux disposition précédemment rappelées, deux séries d'expérimentations sur six mois de "collaborations entre professionnels de santé" (expression qui a succédé à celle de "transfert de compétences", jugée trop ambitieuse...) :
- dans le premier cas, il s'agit de permettre la réalisation de bilans échographiques standardisés par des manipulateurs d'électroradiologie oeuvrant sous la surveillance de médecins radiologues seuls responsables du diagnostic final ;
- dans le second cas, il s'agit de faire réaliser par des infirmières des examens échocardiographiques standardisés ultérieurement interprétés par les cardiologues sous la responsabilité et selon le protocole desquels sont pratiqués ces échocardiographies.
 

Ces deux séries d'expérimentations dérogatoires, ont duré six mois dans cinq services précisément désignés (pour la première série, à Rouen, Metz et Toulouse et pour la seconde, à Lyon et Marseille)  et ont fait l'objet d'un bilan globalement plutôt positif permettant d'envisager leur généralisation, surtout pour l'échographie faite par les manipulateurs, puisque l'expérimentation des échographies faites par les infirmières a mis en lumière un déficit de formation intiale (qui s'en étonnerait ?...) .

Mais pour le faire légalement, il importe de respecter les modalités prévues par l'article 51 de la loi HPST (voir à ce propos l'article de ce site consacré aux nouvelles coopérations entre professionnels de santé).

Précisons, qu’en matière de médecine vétérinaire, la Cour de cassation (chambre criminelle) a indiqué qu’un prévenu qui avait créé une entreprise de « diagnostics de gestation chez les animaux et le cheptel agricole »..., sans jamais « se livrer à des pronostics sur l'évolution de la gestation », ni fournir « d'indication sur un état pathologique quelconque de l'animal » ni prescrire « aucun soin » était bien coupable d’exercice illégal de la médecine vétérinaire; Cet arrêt a été confirmé par une seconde décision analogue en 1999 [6]. La petite entreprise, évoquée en introduction, semble donc dans l’illégalité, bien qu’elle ne prétende pas agir dans le domaine de la santé.

L’échographie n’est pas réservée aux médecins radiologistes

Plusieurs spécialités médicales utilisent habituellement, parfois de longue date, l'échographie : des gynécologues obstétriciens et sages-femmes, cardiologues, gastro-entérologues, ophtalmologistes mais aussi des médecins nucléaires et même de médecins généralistes diplômés d’échographie. Les urgentistes revendiquent plus récemment l’usage de cette technique.

Initialement, quelques radiologistes ont cru pouvoir s’opposer à cette diffusion de la technique dans d’autres spécialités que la leur. La Cour de cassation s’est opposée à cette prétention, en considérant que les contrats réservant l’exclusivité du radiodiagnostic dans une clinique ne pouvaient faire obstacle à la pratique d’échographies par des médecins ou des chirurgiens d’autres spécialités, en accord avec l’article 70 du Code de déontologie médicale[7].

La Cour de cassation a par ailleurs considéré, dans plusieurs affaires, notamment en gynécologie obstétrique et en gastroentérologie, que la réalisation le même jour de l’échographie et d’un autre examen technique par un même praticien ne s’opposait pas à leur double cotation à taux plein ; elle a validé l’argument selon lequel ces examens étaient effectués « selon des techniques différentes, en des temps différents, (parfois des locaux distincts), sur des patients préparés d'une façon différente, leur réalisation nécessitant une interruption du contact entre le malade et le praticien, de sorte que ne constituant pas des actes exécutés de manière continue au cours d'une même séance »[8], ce qui faisait obstacle à l’argument des caisses d’assurance maladie demandant que le second acte soit coté à 50%. En matière obstétricale, la Cour a ajouté que l’échographie « se trouvait plus particulièrement orienté sur l'examen du fœtus » alors que le reste de l’examen concernait la femme.

Il convient de distinguer clairement l’échoscopie - simple complément de l’examen clinique- d’un véritable examen échographique

Nos confrères cliniciens revendiquent souvent la pratique de l’échographie en arguant que cette technique leur permet de compléter utilement l’examen clinique, à l’instar du stéthoscope ou du tensiomètre. Les radiologistes eux-mêmes l’utilisent parfois ainsi, par exemple pour vérifier l’aspect échographique d’une anomalie hépatique vue au scanner, ou en sénologie pour compléter un examen clinique difficile et apparemment normal, chez une femme aux seins uniformément denses en mammographie. Cette façon de faire, pour donner un surcroît de sécurité à l’examen clinique ou à une autre technique d’imagerie est hautement recommandable et conforme à l’article 33 du Code de déontologie médicale[9].

Mais cet usage de l’échoscopie ne doit pas être confondu avec l’examen échographique stricto sensu, avec toutes ses obligations : la durée suffisante, le soin nécessaire, la remise d’un compte-rendu en bonne et due forme et illustré par quelques images significatives de bonne qualité. Seul cet examen formalisé, ainsi objectivé, peut être valablement coté et pris en charge par l’Assurance maladie.

Un arrêt de la Cour d’appel de Reims du 11 avril 2001 a appliqué ce raisonnement pour qualifier de fautive l’absence de diagnostic d’une malformation fœtale par un gynécologue obstétricien qui avait pratiqué sept échographies dont « l’organisation défectueuse… au milieu des consultations de surveillance de la grossesse a contribué… à l’absence de dépistage de l’anomalie… »[10].

En conclusion, si les médecins imagiers, radiodiagnosticiens ou nucléaristes, ne devraient pas s’épuiser vainement à tenter d’empêcher leurs confrères d’autres disciplines de faire des échographies, nous devrions en revanche tout faire pour imposer une distinction claire - y compris tarifaire- entre les simples échoscopies (que nous pratiquons aussi volontiers, et sans les facturer) des véritables examens échographiques. La réduction du nombre d’échographies qui résulterait de cette distinction salutaire permettrait d’en réclamer une légitime revalorisation.


 

[1] c'est-à-dire réservé au médecin, ou dans leur domaine partiel de compétence au dentiste et à la sage-femme ;

[2] Article L4161-1 du C.S.P. : « Exerce illégalement la médecine :

1° Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l'Académie nationale de médecine, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre … exigé pour l'exercice de la profession de médecin, ou sans être bénéficiaire des dispositions spéciales… 
2° Toute personne qui se livre aux activités définies au 1° ci-dessus sans satisfaire à la condition posée au 2° de l'article L. 4111-1 …(nationalité française, européenne ou équivalence reconnue, note VH
);

3° Toute personne qui, munie d'un titre régulier, sort des attributions que la loi lui confère, notamment en prêtant son concours aux personnes mentionnées aux 1° et 2°, à l'effet de les soustraire aux prescriptions du présent titre;

4° Toute personne titulaire d'un diplôme, certificat ou tout autre titre de médecin qui exerce la médecine sans être inscrite à un tableau de l'ordre des médecins…ou pendant la durée de la peine d'interdiction temporaire …;

5° Tout médecin mentionné à l'article L. 4112-7 (médecins européens régulièrement établis dans leur pays, note VH)qui exécute des actes professionnels sans remplir les conditions ou satisfaire aux obligations prévues audit article.

Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux étudiants en médecine ni aux sages-femmes, ni aux infirmiers ou gardes-malades qui agissent comme aides d'un médecin ou que celui-ci place auprès de ses malades, ni aux personnes qui accomplissent, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État pris après avis de l'Académie nationale de médecine, les actes professionnels dont la liste est établie par ce même décret. »

Article L4161-5 du CSP : « L'exercice illégal de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme est puni d'un an d'emprisonnement et de 100.000 F (=15 245 €) d'amende. Dans tous les cas, la confiscation du matériel ayant permis l'exercice illégal peut être prononcée. »

Article L4161-6 du CSP : « Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues par l'article 121-2 du Code pénal des infractions prévues à l'article L. 4161-5. Les peines encourues par les personnes morales sont:

1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 du Code pénal;

2° Les peines mentionnées aux 2° à 9° de l'article 131-39 du Code pénal.

L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 du Code pénal porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. »

[3] Article L4351-1 du CSP : « Est considérée comme exerçant la profession de manipulateur d'électroradiologie médicale toute personne qui, non médecin, exécute habituellement, sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin en mesure d'en contrôler l'exécution et d'intervenir immédiatement, des actes professionnels d'électroradiologie médicale, définis par décret en Conseil d'État pris après avis de l'Académie nationale de médecine. Les manipulateurs d'électroradiologie médicale exercent leur art sur prescription médicale. »

[4] Décrets n°84-710 du 17 juillet 1984, n°97-1057 du 19 novembre 1997, et n°2000-509 du 6 juin 2000.

[5] Article L4353-1 du C.S.P. : « L'exercice illégal de la profession de manipulateur d'électroradiologie médicale est puni de 40 000 F (6 100 €)d'amende et, en cas de récidive, de cinq mois d'emprisonnement et de 60.0000 F d'amende (9 147€). »

Article L4353-2 : « L'usurpation du titre de manipulateur d'électroradiologie médicale est punie des peines prévues à l'article 433-17 du Code pénal. »

[6] C. Cass. Crim., 20 octobre 1993, n°304 : « …dès lors qu'il implique nécessairement une intervention, à l'aide, de surcroît, d'un appareillage, sur le corps de l'animal, le diagnostic de la gestation, qu'elle soit ou non de caractère pathologique, constitue un acte de nature médicale »

[7] C. déontol. Médic., Art. 70 : « Tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. »

[8] C. Cass. Sociale, 17 octobre 1996 (N° 333), 31 octobre 2002 (N° 337)

[9] C. déontol. Médic., Art. 33 : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés. »

[10] La Cour d’appel valide donc ainsi le raisonnement du TGI de Charleville-Mézières qui considérait comme fautive l’erreur diagnostique, en raison de la réalisation des échographies lors des consultations de surveillance, et de ce fait par « nécessité, rapides et superficielles… ce qui ne donnait pas les meilleures chances de diagnostic des anomalies. »