Aspects médico-légaux de la téléimagerie
V. Hazebroucq

Des projets régionaux de téléradiologie - télééchographie sont de plus souvent proposés, tantôt par des gestionnaires de santé convaincus avoir inventé LA pierre philosophale radiologique, tantôt par des radiologistes, publics ou privés, rêvant d’appliquer à notre discipline les principes de la taylorisation pour résoudre notamment l’épineux problème des urgences. L’éditorial de Philippe GIACOMINO, dans la livraison du 3è trimestre 2002 de SRH-info en témoigne.

Ces projets d’usines à télédiagnostic radiologique viseraient, selon leurs auteurs, à optimiser les (trop) rares ressources humaines disponibles, voire parfois à optimiser leurs revenus, grâce à une nouvelle sorte de ‘cabinets secondaires virtuels’. Le Conseil national de l’ordre des médecins est d’ailleurs très réservé sur cette nouvelle possibilité de ‘braconnage médical’ dans les terres des confrères…

Votre chroniqueur, de plus en plus souvent interpellé à ce sujet, qui le passionne de longue date[1], a cru utile de vous livrer ici quelques pistes de réflexions pour l’établissement de projets viables et conformes à toutes les règles de la pratique médicale radiologique. Vos commentaires, vos réactions seraient à nouveau les bienvenus pour dynamiser cette rubrique du journal…

 

Un premier point essentiel est de distinguer absolument deux situations très différentes tant au plan médical ou technique que juridique et déontologique :

-         la téléexpertise et la téléconsultation, d’une part, qui consistent, pour un médecin radiologiste, à demander un second avis, plus spécialisé, à un confrère radiologiste (téléexpertise) ou d’une autre discipline (téléconsultation) afin de confirmer son diagnostic ou sa conduite à tenir devant un cas pratique. Ce cas de figure est très largement répandu depuis les années 1994- 1997, notamment en neuroradiologie, ou en imagerie foeto-maternelle et doit certainement être encore développé et optimisé ;

-         le véritable télédiagnostic, d’autre part qui serait une véritable prise en charge radiologique à distance d’un patient dont les images, enregistrées par un manipulateur travaillant sans radiologiste local, seraient transmises, sur le champ ou ultérieurement, pour interprétation unique et définitive par un téléradiologiste plus ou moins proche, et qui à l’extrême pourrait exercer exclusivement de cette façon.        
Ce principe a notamment été mis en œuvre par les forces armées américaines lors de la première guerre du Golfe ou de leur intervention au Kosovo, et s’est ensuite répandu aux USA, où la déontologie, la réglementation et le financement de la radiologie sont très différents de chez nous.

Au point de vue technique, il est possible -quoique beaucoup moins trivial que certains commerciaux le prétendent - de transmettre des examens radiologiques numériques ou des images échographiques avec une qualité techniquement compatible avec leur lecture et leur interprétation à distance[2]. Toutefois, il doit être clair que les équipements nécessaires à un tel télédiagnostic sont d’un niveau de perfectionnement incomparablement supérieur à ce qui parait suffisant pour l’obtention d’un second avis, échangé de médecin radiologiste à médecin radiologiste, puisque le téléradiologiste doit avoir les moyens de garantir qu’il donnerait exactement les mêmes renseignements à distance que s’il était sur place. Il faut ainsi apporter la plus grande attention à la qualité de l’image, tout au long de son exploitation, du recueil du signal jusqu’à son affichage, sans méconnaître les conditions de son transfert ou de son archivage ; l’absence de dégradation des images (compression destructrice… notamment) et l’interactivité de ces systèmes sont donc d’une importance primordiale. Il faut encore considérer les moyens de garantir le recueil des autres informations, notamment cliniques, indispensables à un diagnostic à distance, préserver l’information du patient et l’obtention d’un consentement éclairé, dont la trace doit être, rappelons le, archivable. Les matériels utilisés doivent donc permettre une réelle interactivité, tout en archivant les données transmises.

Questions réglementaires

Au point de vue légal et réglementaire, ensuite, il faut rappeler que le technicien manipulateur d’électroradiologie n’est habilité à réaliser des actes de radiodiagnostic, normalement soumis au monopole du médecin, que « sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin en mesure d’en contrôler l’exécution et d’intervenir immédiatement. », selon les termes de l’article L.4351-1 du Code de la santé publique, repris par le décret 84-710 du décret de compétence des manipulateurs d’électroradiologie médicale, qui précise en outre, à son article 2, que ces personnes sont habilitées à pratiquer « le réglage et le déclenchement des appareils », ainsi que « le recueil du signal et des images sauf en échographie ».[3]

 

Ces textes doivent être interprétés avec la plus extrême rigueur : Si rien n’exige que le médecin sous la responsabilité duquel exerce le manipulateur soit qualifié en radiodiagnostic, il doit cependant être formellement susceptible de contrôler l’exécution et d’intervenir immédiatement, ce qui suppose une compétence technique réelle en imagerie et une disponibilité parfaite ; faute de quoi le médecin qui aurait accepté de « couvrir » une activité incontrôlée engagerait incontestablement sa responsabilité pénale, qu’il est possible de mettre en cause, en cas de simple « mise en danger d’autrui par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement » sans même qu’il en ait résulté de conséquence dommageable (articles 223-1 et -2 du Code pénal) Cette infraction est également reconnue pour la personne morale organisatrice et il faut ajouter que sa responsabilité civile ou administrative serait indiscutablement engagée en cas de demande indemnitaire, en cas d’erreur diagnostique dommageable.

 

En outre, il importe de se rappeler que la directive euratom 97-43, en cours de transposition, vise expressément à interdire la pratique d’actes exposant aux rayonnements ionisants (tels le radiodiagnostic) par des médecins n’ayant pas suivi une formation spécifique de radioprotection et de dosimétrie, ce qui est le cas des radiologistes, mais pas généralement d’autres spécialistes médecins ou chirurgiens, notamment des urgentistes.

 

Il faut également se garder de trop faire dépendre les soins d’un outil complexe et - dès lors - faillible : si bien employé, un système de téléimagerie peut indéniablement être très utile, il peut aussi entraîner des catastrophes technologiques, surtout l’on omet de préparer dès le départ, la procédure et les moyens d’agir en urgence, en cas de défaillance technique. La prudence élémentaire consiste à considérer qu’en informatique le pire arrivera toujours et que la seule incertitude porte sur la date et l’heure de la panne… Comme le disent les Anglo-Saxons “Failing to prepare is preparing to fail”.

 

Au surplus, il ne faut pas perdre de vue que le rapport 2001 de l’AHRQ, (US Agency for Healthcare Research and Quality, l’équivalent nord-américain de notre ANAES) a souligné que la réalisation et l’interprétation par des non-radiologistes d’examens de radiologie pour les urgences est l’une des causes majeures d’erreurs médicales aux USA, et recommande de rétablir la lecture sur le champ de ces examens par des radiologistes[4]. Il serait donc paradoxal de se mettre maintenant à copier une pratique américaine, dont l’expérience est si sévèrement sanctionnée par l’organisme officiel US d’évaluation de la qualité des soins.

Faisabilité de ces projets

Pour conclure ce survol rapide des conditions de faisabilité de ces projets, il reste à signaler que nombre de publications, notamment celles de FRANKEN et coll.[5] soulignent excellemment qu’il ne suffit pas qu’un système de téléradiologie soit techniquement performant ni légalement installé pour garantir son succès pratique ; de nombreux projets mirifiques ont sombré dans l’échec parce qu’une attention insuffisante avait été initialement portée aux facteurs humains.

Cet article a été publié un an après un premier travail dans lequel la même équipe démontrait la valeur diagnostique équivalente de la lecture directe des clichés radiologiques sur films et leur télédiagnostic à l'hôpital universitaire. Constatant une utilisation décevante de leur dispositif, les auteurs ont ensuite étudié, par des entretiens et l'envoi d'un questionnaire, l'appréciation subjective de l’ensemble des intervenants locaux concernés par le programme de téléradiologie sur les différents types de ‘services radiologiques’ qui se sont succédés entre 1992 et 1995 à l'hôpital rural de Mena (Arkansas, USA) en relation avec les radiologistes universitaires de Iowa City (Iowa, USA):

•        Une présence quotidienne d'un radiologiste local, qui pouvait bénéficier d'une téléexpertise auprès des radiologistes universitaires de Iowa City ;

•        Un télédiagnostic exclusif par les radiologistes universitaires de Iowa City, assurant l'intérim du radiologiste local dont le départ imprévu n’a permis son remplacement qu'après quatre mois ;

•        Des vacations bi- ou trihebdomadaires d'un radiologiste itinérant, pour les examens nécessitant sa présence et assurant la lecture des radiographies pratiquées entre deux passages[6] ;

•        Un système hybride dans lequel un radiologiste privé passait à l'hôpital les jours ouvrables et garantissait une interprétation par courrier sous 24 heures pour les urgences ;

La solution de télédiagnostic pur a été la plus mal notée, à la fois par les médecins cliniciens, par les techniciens du service de radiologie et par les administrateurs de l'hôpital rural.

•        Le délai constaté (24 à 96 heures pour obtenir une interprétation par téléradiologie) a été jugé inacceptable, puisque le radiologiste local interprétait auparavant toutes ses radiographies dans la journée ;

•        Bien que la fiabilité de l'interprétation ne soit aucunement contestée, plusieurs correspondants ont souligné que les comptes-rendus de téléradiologie ne leur étaient d'aucun secours, car ils ne répondaient pas aux questions qu'ils se posaient. Un médecin clinicien a regretté de n'avoir jamais été contacté directement par téléphone pour lui signaler une anomalie radiologique insoupçonnée ou une urgence thérapeutique.

•        De nombreux problèmes de communication orale ou écrite ont été mis en lumière ; les incompréhensions et malentendus ont été trop nombreux de part et d'autre, aussi bien au niveau médical ou paramédical qu'administratif. Ainsi, par exemple :

-        La qualité des échographies pratiquées par les techniciens échographistes de l'hôpital rural étaient souvent considérée comme médiocre par les radiologistes universitaires chargés de l'interprétation à distance, alors que les techniciens échographistes de Mena jugeaient outrancières les exigences des radiologistes du CHU.

-        Les radiologistes de Iowa City considéraient souvent que les renseignements cliniques fournis pour l'interprétation étaient incomplets ; les employés de l'hôpital rural pensaient que les exigences de renseignements étaient excessives.

-        Les techniciens de l'hôpital rural ressentaient le comportement des radiologistes de l'hôpital universitaire, et surtout des internes, comme hostile et autoritaire. Ils se plaignaient d'être trop fréquemment transférés d'un interlocuteur à un autre lors de leurs appels téléphoniques.

-        Plusieurs comptes-rendus ont été envoyés avec le commentaire que leur interprétation était impossible en l'absence de date sur le cliché. Or les dates figuraient sur des étiquettes adhésives, non lisibles par le processus de numérisation.

-        Une demande clinique d'interprétation urgente s'est vue répondre que l'examen serait interprété après la transmission des informations relatives à l'assurance de la responsabilité professionnelle.

-        Les administrateurs de l'hôpital de Mena ont regretté de ne pouvoir correspondre avec leurs homologues de l'hôpital universitaire sans subir le filtre d'employés subalternes. Ils se sont plaints d'avoir à envoyer en doubles ou en triples exemplaires les formulaires de prise en charge et plus généralement ont trouvé l'hôpital universitaire trop bureaucratique. En prime, ce n'est qu'au milieu de l'expérience qu'il a été découvert que le système MEDICAID d'assurance maladie de l'Arkansas ne pouvait pas prendre en charge les honoraires médicaux de praticiens d'un autre état, ce qui n'a rien arrangé…

 

Au total, si la fiabilité des interprétations radiologiques était reconnue, les autres aspects de la qualité du service rendu en téléradiologie étaient jugés inacceptables et l'expérience n'a pas été poursuivie. FRANKEN et coll. concluent que la fiabilité diagnostique n'est pas le seul critère à prendre en compte pour juger une expérience de téléradiologie et que les dimensions humaines sont également essentielles. Ils avouent avoir négligé cet aspect lors de la mise en place initiale de leur offre de téléradiologie et naïvement cru que la radiologie d'un petit hôpital rural devait nécessairement s'effectuer comme celle d'un gros centre hospitalo-universitaire urbain.

Cette expérience a depuis été confirmée par de multiples autres tentatives, américaines et françaises, qui démontrent aussi que le service rendu par un radiologiste ‘virtualisé’, inconnu des praticiens locaux, ignorant des contraintes et des protocoles des médecins auquel il adresse ses diagnostics n’apporte pas automatiquement un service comparable à celui d’un radiologiste local, dont le visage, la façon de faire, les qualités et les défauts sont connus, même s’il n’est qu’un vacataire à temps très partiel. Faut-il ajouter que l’implication d’un radiologiste normalement diligent ne sera peut-être pas la même envers des patients et des cliniciens qu’il fréquente habituellement dans son service hospitalier et envers des patients ou des cliniciens ‘virtualisés’ par l’éloignement, voire d’importances différences culturelles ou sociales.

Conclusion

Il en est de la télémédecine comme plus généralement de l’informatique : l’outil seul ne supplée pas convenablement une organisation humaine déficiente ou carentielle. Le lecteur aura cependant compris qu’il ne s’agit pas, pour son chroniqueur, de ‘jeter le bébé avec l’eau du bain’. Il faut certainement continuer de s’efforcer à intégrer les techniques de communication et l’informatique dans notre pratique quotidienne. La médecine, et notamment la radiologie, impliquent précisément le traitement d’informations multiples et diverses, fournies en grande partie par nos imageurs et à communiquer avec les autres. Mais ces techniques ne résument évidemment pas notre métier, n’en déplaise à ceux qui nous croient des photographes d’intérieur, et nous devons, ainsi en permanence, repenser aux aspects humains et sociaux, notamment juridiques et éthiques, de notre pratique, afin de l’optimiser dans son ensemble.


 


[1] Cette passion l’a entraîné à consacrer à ce sujet sa thèse d’université, soutenue en 1999, puis un ouvrage publié en 2000 intitulé « Fiabilité et faisabilité de la téléradiologie », publié aux éditions Lharmattan dans la collection « L’éthique en mouvement » et disponible dans toutes les librairies ou sur l’internet, par exemple chez Amazon.fr. Ce livre est publié sans droit d’auteur et cité ici sans arrière pensée commerciale ni publicitaire.

[2] Dans le cas de l’échographie, une difficulté technique complémentaire (surmontable) consiste à reproduire le lien entre l’image que l’on observe et la position ou les mouvements de la sonde. Tout échographiste sait en effet que nombre d’artéfact peuvent être créés à volonté, ou supprimés par une réorientation de la sonde, ou une modification de son appui, sans parler même des réglages de l’appareil

[3] Précisons, pour devancer une interrogation fréquente que la situation des sages-femmes est tout autre, car elles forment une profession médicale, et exercent donc en toute autonomie, sous réserve d’une compétence limitée à la sphère gynéco-obstétricale. Elles peuvent donc réglementairement pratiquer des échographie et en assumer la responsabilité.

[4] Une citation plus complète figure dans une précédente rubrique de SRH-info (3è trimestre 2002).

[5] J Telemed Telecare, 1996

[6] aux USA, il n’est pas illégal de faire pratiquer des radiographies par un manipulateur sans encadrement médical effectif. De même, la pratique d’échographies par un personnel spécifiquement formé (sonographers) y est légale, mais il faut simultanément rappeler que de nombreux auteurs justifient la confiance limitée accordée aux USA à l’échographie, par le fait, justement, que ceux qui interprètent les images ne sont pas ceux qui les recueillent.