Gavril KSENOFONTOV

Historien et ethnographe sakha (1888-1937)

Extraits livre de Gavril Ksenofontov Les chamans de la Sibérie et leur tradition orale (Albin Michel, 1998, Traduit et présenté par Yves Gautier) :

« Parmi les paysans russes vivant au bord de la Léna dans la province de Yakoutsk, on ne trouve ni forgeron, ni tanneur, ni cordonnier, ni soigner de chevaux. Il y a longtemps qu’on a cessé de filer, de tisser, de broder, de tricoter des bas … Tous se procurent leur ustensiles auprès des artisans yakoutes. Ils sont incapables de pratiquer la castration sur leur cheptel. Quand un cheval est malade, ils vont voir un soigneur autochtone qui, au besoin, sait supprimer une dent ou même faire une césarienne. Ils ne cessent d’avoir recours aux otosut yakoutes – guérisseurs maîtrisant certains rudiments de la médecine tibétaine – ainsi qu’aux ilbisit – rebouteux-masseurs… L’effet conjugué de tous ces facteurs (l’éloignement des centres culturels asiatiques, la faiblesse numérique de la colonisation russe, l’impossibilité de pratiquer l’agriculture…) a permis aux Yakoutes de conserver intacte leur antique culture chamanique des steppes. Etant les plus « reculés » en termes du développement culturel, ils présentent un intérêt notable aux yeux du chercheur poursuivant le but de reconstituer le mode de vie et de pensée des anciens nomades qui, jadis, inondèrent les steppes centrales d’Eurasie. » (p. 19-20).

« De nombreux chamanes yakoutes, qui sont aussi de brillants poètes doués pour l’improvisation, influent sur la psyché des malades par la beauté des images puisées dans le fond coloré de la langue populaire, et emportent leurs auditeurs jusqu’au éseptième ciel » par le jeu artistique des tragédies et des comédies divines. En assistant aux séances dramatiques des chamanes yakoutes, il m’est arrivé plus d’une fois de voir le public réagir spontanément au jeu exceptionnellement talentueux du chamane-acteur. La modulation vocale, la mimique et la gesticulation, la passion, l’incarnation vivante des maladies personnifiées, bref, tout ce que dans un autre contexte l’on appellerait l’art théâtral tend à donner vie aux esprit. De plus, à l’egard des malades chroniques les plus fortunés, les chamanes recourent à des procédés de suggestion hypnotique en les incitant à organiser plusieurs années de suite, à la saison où la nature foisonne, des fêtes animés avec des jeux, des chants et des tournois où affluent tous les parents proches et lointains, les amis, les connaissances et simple voisinage. » (p. 27-28).

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