En 1993 à Stockholm, le WWF (Fond Mondial pour la Nature) a organisé une réunion consacrée aux problèmes écologiques de la Yakoutie, et aux perspectives de coopération avec notre république. Nous avons signé le Mémorandum de coopération. En 1995, le WWF et la République Sakha ont construit ensemble dans la delta de Léna la plus grande station biologique internationale de l'Arctique. Son inauguration a été effectuée avec la participation de Son Altesse Royale, le Prince Philippe, Duc d'Edimbourg, Président du WWF.

Cette station nous sert de base des recherches conjointes avec les scientifiques américains, français, allemands, japonais. En automne 1995, en Suede, et au mois de février 1997, en Suisse, le WWF a organisé des séminaires de haut niveau sur les problèmes écologiques de la Yakoutie. Nous avons précisé les modalités de collaboration entre la République Sakha et le WWF et avons signé des accords de coopération dans les domaines de création des réserves naturelles, de la biodiversité, de l'éducation écologique. Nous avons signé un accord de coopération similaire avec l'UICN (Union mondiale pour la Nature).

 

 

Je pense que l'Arctique et le Grand Nord joueront un rôle très important dans la civilisation mondiale future. Je suis sûr que l'humanité puisera de l'Arctique et du Grand Nord, comme d'une source vivifiante, sa prospérité, sa force spirituelle, des valeurs nouvelles. Le potentiel économique et culturel, les ressources naturelles du Grand Nord sont immenses et nous n'avons pas encore bien pris conscience de l'importance de son rôle. Nous devons comprendre que ce potentiel est destiné à l'avenir et doit être gardé pour les générations futures ; on peut considérer le Nord comme la zone-réserve pour toute la communauté mondiale. Pour l'avenir, nous devons garder l'Arctique et le Grand Nord dans sa beauté et sa pureté originelle, protéger les peuples, représentants et créateurs de la civilisation circumpolaire.

En premier lieu, il faut abandonner les méthodes traditionnelles d'exploitation des ressources naturelles, quand, dans la poursuite de la rentabilité maximale, on oublie la protection de l'environnement et, ce qui est le plus néfaste, l'intérêt des habitants.

En effet, la zone du Grand Nord occupe environ 20% de la surface de l'hémisphère boréal. Dans cette région, la nature présente une conjonction de caractéristiques uniques : climat d'une rigueur extrême, permafrost. La fragilité des écosystèmes et leur vulnérabilité à la mise en valeur industrielle est d'autant plus grande qu'ils sont très lents à se reconstituer. On utilise ces caractéristiques pour la définition même de la zone du Grand Nord qui ne se limite par le cercle polaire et comprend, par exemple, une grande partie de la Sibérie.

L'expansion galopante des industries extractives et l'accroissement démographique qui en est le corollaire, ainsi que l'augmentation soudaine du nombre des agglomérations et la concentration - sur les sites habités - de véhicules et d'engins motorisés très divers, tout cela fait peser sur les écosystèmes de ces régions septentrionales un surcroît de charges anthropogènes et provoque une dégradation de l'environnement.

Comme l'élément moteur des colons temporaires du Grand Nord était l'appât du gain, peu d'entre eux se sentaient responsables de ce qui pouvait arriver après leur départ. Ils exigeaient naturellement la transformation de la plus grande partie des revenus des entreprises industrielles en salaires et empêchaient souvent les investissements destinés à la modernisation et à la protection de la nature qui ne donnaient pas de gains matériels immédiats.

Pendant mes déplacements fréquents sur tout le territoire de la Yakoutie, j'ai vu avec douleur la toundra endommagée par les traces des véhicules à chenilles et par les déchets abandonnés, les "paysages lunaires" laissés après l'exploitation des gisements d'or, d'étain, de charbon. En effet, la nature du Grand Nord ne possède que des capacités limitées de régénération. Par exemple, une petite tâche de pétrole qui peut disparaître en deux semaines dans le climat tempéré peut rester intacte un an et plus dans les eaux froides de la Kolyma. La surface totale des zones abîmées par l'industrie minière en Yakoutie atteint 300 000 hectares.

Il est donc clair que l'exploitation minière croissante représente un grand danger pour l'environnement et que la dégradation des derniers espaces vierges de notre planète aura des conséquences géopolitiques imprévisibles. Compte tenu de l'immensité du territoire, toute atteinte portée à l'environnement dans ces régions fait peser de graves menaces sur toute la biosphère. En effet, l'Arctique joue un rôle important dans le système climatique mondial en fonctionnant notamment comme l'un des "réfrigérateurs" de la Terre, qui influe sur l'atmosphère mondiale et les courants océaniques.

La déforestation détruit la Terre et les hommes qui la peuplent à une vitesse effrayante. Les immenses forêts boréales absorbent du gaz à effet de serre (le gaz carbonique, le méthane, l'ozone, etc.) et aident ainsi à résister au réchauffement de la planète qui menace l'ensemble du monde. Dans son principe, le mécanisme de l'effet de serre est simple : le Soleil émet vers la Terre de l'énergie sous forme de chaleur et de lumière ; cette énergie atteint la surface de la planète, océans et continents réunis, qui en restitue une partie sous forme de radiations infra-rouges, c'est-à-dire de chaleur. Ce réchauffement pourrait être particulièrement marqué aux latitudes polaires.

N'oublions pas la pollution des surfaces des glaces arctiques qui diminue leur capacité de réflexion. La fonte de la calotte glaciaire et du permafrost pourrait modifier considérablement le niveau de la mer dans le monde entier, changer le climat de toute la planète. Dès à présent, le niveau des mers monterait en moyenne de 1,3 mm par an.

Nous sommes conscients que dans un monde interdépendant, les problèmes liés à l'environnement sont devenus un objet majeur des relations internationales. Il ne s'agit pas seulement de la détérioration des composantes principales de la qualité de la vie mais, en fait, de la survie de l'Humanité. C'est pourquoi la République Sakha fait tout pour soutenir les initiatives internationales importantes. Ainsi, en 1996, quand le WWF a lancé son nouveau projet "La planète vivante", la Yakoutie était la première région arctique à soutenir ce projet. Lors de la présentation de ce projet à Londres, le 1 octobre 1996, nous avons déclaré que, quand les pays et les peuples unissent leurs efforts pour sauver la Terre de la catastrophe écologique, la République Sakha contribue à ce projet par le renforcement de son Système des Hauts Lieux Sacrés.

Le Prince Philippe a souligné que notre politique dans le domaine de l'environnement et notre initiative ont une importance mondiale, elle suscite un vif intérêt des médias à l'échelle internationale. Ainsi, dans le journal suisse "Le Matin" (le 12 février 1997) Jean-Louis Rey note :

"Il faut avoir séjourné dans les régions arctiques, tenu dans sa main un bouleau frêle comme un doigt d'enfant et avoir appris qu'il avait 50 ans pour mesurer l'incroyable fragilité de l'écosystème polaire.

Voila pourquoi les peuples arctiques, plus que tous autres, ont développé une sensibilité extrême à la protection de leur environnement. Voila pourquoi, aujourd'hui autonomes, extraits de l'incroyable gâchis productiviste soviétique, les Iakoutes donnent au monde une leçon de raison. En décidant de préserver les ressources d'un quart de leur territoire, ils assurent non seulement l'avenir de leurs générations futures, mais aussi celui de nos enfants et arrière-petits-enfants.

Et on se prend à rêver d'autres continents. A imaginer les forêts canadiennes, la jungle africaine, les hévéas malais, les rives de l'Amazone ou les marais des Everglandes mis sous protection volontaire, intelligente et internationale. A croire que le Bruneï ou les Emirats sauront conserver, précautionneusement, une bonne part de l'or noir. Ou que cessera le grand pillage des mers.

C'est toute l'ambition du programme mondial du WWF pour l'an 2000. C'est toute l'intelligence de ce peuple du Nord d'en avoir compris la vitale importance. Avant tout le monde."

Nous mesurons bien la portée de nos initiatives à l'échelle de la planète tandis que les menaces pesant sur la biosphère ont augmenté en rapidité, ampleur et échelle à tel point que leur gravité pour la qualité de la vie, et même la survie de l'humanité, devient de plus en plus sérieuse.

A cette occasion, je voudrais noter les grands efforts du Ministère de l'Environnement de la République Sakha dirigé par le docteur en biologie Vassili Alexeev. Il a commencé comme un des dirigeants du mouvement écologique de la Yakoutie. Alexeev a ensuite présidé la Commission sur l'Environnement du Parlement et il est déjà depuis plusieurs années, Ministre chargé de notre politique écologiste. Il est un des membres efficaces de notre équipe gouvernementale, capable de mener des réflexions méticuleuses et des actions de longue haleine afin de résoudre les problèmes les plus difficiles.

Sa tâche principale est la création du système de gestion et de contrôle des actions dans le domaine de la conservation, de la recréation et de la régénération de la Nature Vivante. Ce système doit être stable par rapport aux aléas des changements politiques, sans emprise excessive de la bureaucratie. Le Ministère de l'Environnement a achevé la réunification des efforts de tous les services publics chargés des problèmes liées à la protection de la nature.

Le mouvement écologiste se développe de façon constructive et contribue par une réflexion créatrice à la rénovation des traditions sans conjectures utopiques. Ainsi, existe l'association de la jeunesse "Nordlat", l'association des femmes "La femme sakha - maîtresse de l'alas", etc.

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