On est conscient aujourd'hui de la contradiction du modèle traditionnel, injuste et non durable, bâti sur un mythe de croissance infini qui ignore les limite finies de notre planète. Les mécanismes voulus pour le nouveau modèle du développement durable n'ont pas de base solide dans l'expérience des hommes ni dans la pratique des gouvernements.

Maintenant, il est clair que le développement durable ne peut plus être envisagé hors de la culture ; l'Occident n'est plus ici le donneur de leçon, mais bien, à l'inverse, le demandeur d'un dialogue qui l'éclairerait. C'est pourquoi devient si important le message des sociétés autochtones du Grand Nord portant une vision réconciliée de l'homme et de l'environnement, et induisant des comportements sociaux spécifiques.

Pour se perpétuer, une culture a besoin de se renouveler de manière à faire face aux problèmes du temps présent. Après avoir subi, des années durant, l'impact puissant de la culture technocratique envahissante, les spécialistes autochtones ont appris à réévaluer les valeurs traditionnelles afin de privilégier celles qui sont porteuses de progrès, qui allient des éléments autochtones et universels. Ils comprennent bien que le retour au passé n'est plus possible ; ce qui est encore possible c'est le recours à ce passé pour y puiser les principes directeurs de la vie nouvelle. Ils voient le monde sous différents angles de vue dont certains ne sont pas accessibles aux intellectuels occidentaux.

La révolution dans le domaine des communications permet aux spécialistes autochtones d'accéder à une quantité sans cesse croissante d'informations. Ils ne peuvent et ne veulent pas s'isoler du reste du monde et doivent donc mener une réflexion qui s'étend au monde entier, dont ils font partie.

On ne peut plus centrer le développement sur les seuls besoins de la génération présente. Il faut oublier les approches considérant l'homme comme "maître de la nature". Ainsi, jusqu'à récemment, les populations temporaires du Grand Nord de la Russie ont été intoxiquées par une propagande soviétique qui les présentait comme des surhommes, conquérants de territoires vierges.

Un proverbe des Evens, un des peuples autochtones de la Yakoutie, dit : "L'homme est un grain de poussière de la Terre". En effet, dans les stratégies du développement durable, l'homme doit trouver sa juste place comme un des éléments d'une triade inséparable "homme-société-nature".

Une des principales difficultés de l'élaboration et de la réalisation des stratégies du développement durable consiste dans la domination actuelle du modèle économique de libre marché tourné vers la recherche du profit, plutôt que vers le bien-être des communautés. Ce système entraîne, dans une planète aux ressources limitées, une consommation de plus en plus importante de ces ressources. Le modèle de l'économie centralisée n'est plus crédible aujourd'hui.

Le nouveau modèle alternatif doit se baser sur la capacité relative des communautés locales et des régions à se suffire à elles-même. Organiser la vie économique autour d'économies locales décentralisées, relativement auto- suffisantes, donnera à chacun une part équitable dans le contrôle des bénéfices. Les échanges entre de telles économies locales doivent être justes et équilibrés. Les résultats du développement doivent être évalués par les indicateurs de la qualité de la vie qui tiennent compte du bien-être individuel, social et environnemental.

La militarisation de l'économie est incompatible avec le développement durable d'un pays. La confrontation récente des deux blocs et la course aux armements ont généré le problème de la militarisation du Grand Nord. "Le silence blanc", la rareté de la population, l'absence du bouillonnement de la vie, contribuent psychologiquement à la création de bases militaires et de sites d'essai d'armements, de technologies militaires et de l'arme nucléaire. On évacue ici de manière inadéquate les déchets nucléaires qui risquent de contaminer le fond des mers - avec les répercussions à grande échelle, voire planétaire, que cela peut entraîner. Ainsi, entre 1970 et 1980, l'URSS a pratiqué douze explosions souterraines d'engins nucléaires sur le territoire de la Yakoutie. Deux d'entre elles ont fini en catastrophes. Là-bas, la terre est morte et des hectares de forêts ont péri.

Le développement durable du Grand Nord n'est possible que dans les conditions de coopération efficaces avec le reste de l'humanité. Des méthodes et des technologies propres de production doivent être utilisées dans tous les nouveaux projets réalisés dans ces espaces dont l'écosystème est si fragile.

L'expérience séculaire des peuples arctiques de relations harmonieuses avec l'environnement sera utile pour l'élaboration des stratégies de développement durable. Les ressources, les traditions, la mentalité de la population et son potentiel spirituel donnent au Grand Nord une base solide pour le développement durable.

L'Humanité a-t-elle des ressources pour assurer son développement durable ? Elle a encore sa ressource principale, les espaces de nature vierge, conservés dans certaines régions du monde. Les plus grands espaces se trouvent dans le Grand Nord dont la Yakoutie occupe une portion considérable. La nature bien protégée et les traditions toujours vivantes de relations harmonieuses avec l'environnement seront les apports du Grand Nord dans l'épopée difficile du développement durable de l'Humanité. L'Humanité doit donc, de façon sérieuse, s'intéresser au Grand Nord et contribuer à sa protection.

Ainsi, la Yakoutie, une région au climat sévère, à la nature pure et bien conservée, forte de ses richesses naturelles et de ses traditions spirituelles, avec son potentiel économique unique, peut devenir progressivement un des centres mondiaux de développement durable. Ses succès et ses échecs auront des répercussion sensibles sur la qualité de la vie de l'humanité et sur le bien-être de la Nature Vivante de notre planète.

Sommaire

© Editions du JIPTO