Les peuples autochtones se distinguent de la notion traditionnelle de minorité nationale par deux traits essentiels:

- les populations concernées descendent des habitants d'origine d'une région considérée ;

- elles se caractérisent par un rapport particulier avec les territoires sur lesquels elles vivent, se considérant comme les propriétaires légitimes de ces territoires.

On voit clairement qui sont les autochtones des continents américain et australien, de la Sibérie, du Grand Nord et de l'Océanie. On estime qu'il y a 300 millions d'autochtones dans le monde, répartis dans plus de 70 pays. Dans certains pays, comme le Pérou et le Guatemala, à peu près la moitié de la population est composée d'autochtones.

Actuellement, les populations autochtones sont à la recherche de voies de développement propres, respectant les caractéristiques particulières de chaque pays concerné. Elles sont conscientes d'être face à un problème des plus complexes à une étape dramatique de leur histoire. C'est pourquoi la vie intellectuelle des peuples autochtones a pris ces dernières années un essor considérable.

Les préoccupations des peuples autochtones sont exprimées dans les grands thèmes à l'ordre du jour aujourd'hui et doivent être prises en compte pour toutes les décisions politiques et économiques importantes. Dans ces conditions la Décennie internationale des populations autochtones (1994-2004) peut contribuer au renforcement du rôle de ces peuples et au soutien international de leurs aspirations.

Les peuples autochtones estiment qu'ils doivent gérer eux-mêmes l'économie locale, la planification sociale, les plans d'occupation des sols et la fiscalité. Leurs terres traditionnelles doivent être protégées contre des activités qui ne sont pas écologiquement rationnelles ou socialement appropriées. En somme, ils recherchent un degré plus élevé d'autonomie.

Dans ce domaine, l'expérience de la Yakoutie est sans aucun doute intéressante. Le mouvement pour l'autonomie politique était déjà fort au début du XXème siècle. Voilà les points principaux du programme de l'Union de la liberté populaire (1917) :

"1. L'Union ... se fixe comme but principal la survie des tribus de la région de la Yakoutie par l'amélioration de leur situation économique et morale.

2. Afin de soutenir au nom du peuple sakha l'instaura- tion de la République démocratique et de défendre les intérêts de la population locale il faut déléguer ... à l'Assemblée constitutionnelle ... les personnes qui connaissent bien les conditions de la vie locale.

3. L'Union se fixe comme objectif immédiat l'autonomie de la Sibérie fédérative.

4. La région de la Yakoutie doit être dans cette fédération une entité autonome fondée sur les principes les plus démocratiques.

5. Pour la renaissance économique de la Patrie ... il faut contribuer à l'élaboration des normes législatives appropriées.

7. Pour le développement culturel de la Patrie ... mettre sur place l'éducation nationale pour tous ... l'enseignement dans la langue maternelle ... Le russe comme langue officielle doit rester une discipline obligatoire.

8. Il faut créer des sociétés scientifiques permanentes."

On trouve plusieurs de ces idées dans le projet de la Déclaration des droits des peuples autochtones, élaboré par le Groupe de travail de l'ONU, et basé sur la Charte internationale des droits de l'Homme.

"L'Union de la liberté populaire" a été ensuite transformée en "l'Union des fédéralistes" avec un programme amélioré et plus détaillé. Ce programme a reflété le désir de transformation de la Russie en fédération démocratique et il contient plusieurs idées défendues aujourd'hui par les leaders des peuples autochtones.

Les membres les plus actifs de ce parti ont organisé, en 1928, la campagne pacifique de propagande de leurs idées mais sous la protection des détachements armés. Ainsi cette méthode des zapatistes mexicains qui attire beaucoup l'attention des médias, la Yakoutie l'a connue au début de son histoire politique contemporaine. Nous considérons donc l'organisateur de cette campagne, Ksenofontov, jeune et brillant juriste, comme un des prédécesseurs du sous-commandant Marcos.

Il nous semble qu'actuellement, sur le plan idéologique et organisationnel, le mouvement international des peuples autochtones ne progresse pas beaucoup. Pour sortir de cette crise il faut tout d'abord analyser l'expérience positive existante : celle du Canada et des pays scandinaves pour les problèmes économiques, celle de la Fédération de Russie pour les sciences et l'éducation, etc. Il est nécessaire de coordonner les activités des scientifiques autochtones et de créer une organisation représentative reconnue et influente.

Les peuples autochtones possèdent actuellement un potentiel intellectuel et scientifique qui mérite d'être souligné. Les spécialistes autochtones peuvent et veulent maintenant s'exprimer eux-mêmes et participer aux projets du développement.

Ainsi la ville de Yakoutsk, capitale de la République Sakha, est devenue aujourd'hui le pivot d'un ensemble de réseaux de spécialistes autochtones du Grand Nord. Le peuple Sakha occupe une place d'honneur dans la Fédération de Russie grâce à son niveau d'instruction élevé. En effet, plusieurs milliers de jeunes autochtones poursuivent des études supérieures à l'Université de Yakoutsk, à l'Institut d'Agriculture, à l'Institut de Médecine, ainsi qu'à l'extérieur de la république. La ville de Yakoutsk est l'un des centres scientifiques et culturels les plus importants de la Sibérie.

La République Sakha dispose de plusieurs instituts de recherche scientifique :

- l'Institut chargé des problèmes des minorités autochtones du Grand Nord ;

- l'Institut chargé des problèmes physiques et technologiques du Nord;

- l'Institut de l'industrie minière du Nord ;

- l'Institut du développement économique du Nord ;

- l'Institut de géologie ;

- l'Institut de physique cosmique ;

- l'Institut chargé de l'écologie du Grand Nord, etc.

Dans le but de contribuer à la coopération scientifique internationale et de coordonner leurs activités, l'ensemble des établissements scientifiques et d'enseignements supérieurs de la Yakoutie a fondé, en 1992, le Centre international pour le développement des territoires du Grand Nord (CIN) qui est devenu aujourd'hui le noyau de l'Académie du Forum Nordique.

Pour faciliter la mise des experts autochtones à la disposition des organisations intéressées, les participants autochtones à la 12-ème session du Groupe de travail de l'ONU sur les populations autochtones (Genève, juillet, 1994) ont convenu de créer l'Association Mondiale des Scientifiques Autochtones (AMSA) qui réunit des réseaux régionaux de scientifiques autochtones.

 

 

Le but principal de l'AMSA est de parvenir à établir des stratégies de développement rationnel permettant aux populations autochtones d'améliorer leur qualité de vie, sans sacrifier les ressources et le milieu naturel. Notre volonté est la protection de notre identité, mais sans rejeter les bénéfices du progrès social, économique et politique.

Il existe actuellement un grand nombre d'ONG des peuples autochtones :

- Indigenous World Association ;

- World Council of Indigenous Peoples ;

- Fondation Rigoberta Menchù ;

- International Organisation of Indigenous Resource Development ; etc.

Actuellement, les députés autochtones des parlements nationaux et régionaux, avec les membres des assemblées élues des différents peuples autochtones, sont en train de discuter les modalités de la mise sur pied de l'Association Mondiale des Parlementaires Autochtones (AMPA). Cette ONG pourrait donc se considérer comme une organisation politique, représentant dans la société internationale, de façon la plus légitime, les intérêts des peuples autochtones. L'AMPA doit participer à l'élaboration de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et au processus de son adoption par les Etats. Elle pourra en contrôler la mise en oeuvre.

En revanche, l'Association Mondiale des Scientifiques Autochtones (AMSA) doit forger une organisation d'experts compétents et impartiaux. Elle est en mesure dès maintenant de conseiller les organes et institutions du système des Nations Unies, notamment dans les domaines du développement, de la santé, de l'environnement et de la culture. L'AMSA doit élaborer des projets d'autodéveloppement des peuples autochtones, de protection de l'environnement et organiser une coopération internationale pour leur financement et leur exécution.

Sur la base de l'AMPA et de l'AMSA on peut créer le Forum permanent des populations autochtones. La création de ce Forum a été demandée par la Conférence mondiale sur les droits de l'Homme, dont l'Assemblée Générale de l'ONU a fait, le 23 décembre 1994, un des volets de la Décennie internationale des populations autochtones. Cette instance pourrait donner aux peuples autochtones l'occasion de :

1. Prendre part à l'adoption des décisions dans le système des Nations Unies;

2. Conseiller les organes et institutions appropriés du système des Nations Unies au sujet des questions qui les concernent, notamment dans les domaines du développement, de la santé, de l'environnement et de la culture;

3. Communiquer des informations sur les violations des droits de l'Homme en vue d'appeler sur ce point l'attention des organes et des mécanismes appropriés et de les inciter à prendre des mesures, comprenant éventuellement le contrôle de la mise en oeuvre de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones;

4. Etablir un dialogue avec les Etats et mener des recherches et d'autres activités d'intérêt mutuel.

Il est de toute évidence souhaitable que l'instance permanente soit un organe efficace qui contribue à apporter des améliorations pratiques tangibles au bien-être des peuples autochtones. Il n'est pas dans l'intérêt des gouvernements, des peuples autochtones ou du Secrétariat de l'ONU d'établir une instance dont les recommandations resteraient lettre morte et dont les décisions ne seraient pas réalisables faute de ressources ou de consensus de la part des partenaires principaux.

Sommaire

© Editions du JIPTO