« Le soleil du matin resplendissait
sur l'épée de bronze, où il n'y avait
déjà plus trace de sang. - Le croirais-tu,
Ariane ? dit Thésée, le Minotaure s'est à
peine défendu. »
Jorge Luis Borges: La demeure d'Astérion.
LeLIVRE DU LABYRINTHE n'est ni un
opéra, ni une suite de piéces de formations diverses
plus ou moins rattachées par des titres ayant quel-ques
rapports avec un mythe. C'est plutôt un lieu vivant, ou
un ensemble de lieux sonores, c'est un labyrinthe musical aux
possibilités formelles nombreuses.L'idée du cycle
s'est peu à peu imposée à moi après
la lecture de la nouvelle de Borges, La demeure d'Astérion
,et alors que la composition de Labyrinthe/miroir pour pia-no
et huit instruments était déjà commencée.
Le Minotaure de Borges n'est pas le monstre sanguinaire imaginé
d'ordinaire; il est l'image de la plus grande innocence, de la
pureté absolue. Il n'est pas l'assassin des neuf victimes
qui le visitent tous les neufans; il est celui dont la vue est
impossible à tout être vivant, sauf pour Thésée
qui sera l'artisan de sa mort, par la volonté d'Ariane.
Il est aussi ( ainsi que Marie-Claire Bancquart ledit dans le
texte de Meurtre , qui constitue la fin du cycle) le monstre «
au doux ventre de fleur », dont Pasiphaé sa mère,
et Ariane sa soeur seront amou-reuses.
Il ne s'agissait pas pour moi de « décrire ' ce mythe,
mais plutôt d'inventer une musique qui soit le mythe, et
avant tout ce labyrinthe, qui est plus et autre chose qu'un lieu:
un ensemble de forces, un réseau de possibles à
l'intérieur duquel vit, joue, rit et assume son innocence
absolue, la créature mi-homme mi-taureau, terrible et admirable,
qui ne connaît ni la douleur ni la souf-france, jusqu'à
ce que Thésée les lui enseigne par son meurtre rituel.
Je pris donc très vite conscience qu'il ne suffisait pas
d'écrire des oeuvres se rapportant au mythe. Encore fallait-il
trouver une technique d'écriture, de pensée, qui
permette de créer un ensemble temporel et spatial dont
les éléments fassent partie d'un tout unifié
par l'idée du labyrinthe, lieu de la plus grande solitude,
mais aussi de la plus grande ouverture, dont toutes les portes
sont ouvertes mais infranchissables, lieu de l'infini puisque
chaque geste du Minotaure invente un nouveau labyrinthe, que chaque
pensée, chaque sensation du monstre créent de nouvelles
ramifications.
Variabilité constante du lieu virtuel, polysémie, allers et retours du temps;il fallait inventer un monde sonore qui allie la plus parfaite immobilité à la plus grande mouvance, et puisse exister si nécessaire dans plusieurs modes de temps simultanément. Seul, un certain type de polyphonie pouvait me donner ces possibilités: une polyphonie de formes, disons une polymorphie.
Cette idée prit forme dès le
début du travail de Labyrinthe/miroir, qui
fut la première pièce composée du cycle.
L'oeuvre résulte de la superposition de plusieurs oeuvres.
Chacune de ces pièces est à la fois partie du tout,
et oeuvre autonome. Cela implique l'acceptation d'une loi qui
va contre toutes les habitudes acquises de l'écriture :
l'idée même de partie secondaire devient impossible.
De cette manière, l'écriture ne connaît de
repos en aucune de ses parties, chaque instant devant pouvoir
être à la fois nécessaire au tout,
et suffisant en lui-même. Plus généralement
il s'agit d'un ensemble de techniques qui implique l'abolissement
de l'idée même de hiérarchie à l'intérieur
de l'écriture.
Ainsi, à l'instar du Minotaure, chaque oeuvre creuse
dans le temps d'autres « galeries », d'autres ramifications.
Une pièce comme Labyrinthe/miroir, dont l'exécution
dure 17 minutes, donne lieu à un ensemble de ramifications,
de pièces « satellites », de plus de 90 minutes.C'est
d'ailleurs la partie du cycle dans laquelle la polymorphie est
la plus radicale: les oeuvres autonomes, qui constituent Labyrinthe/miroir
par leur superposition sans qu'il soit apporté la moindre
modification au texte, sont:
1: Vol d'Icare pour Flûte et Guitare éléctrique.
2: Dédale pour violoncelle et harpe.
3: Minotaure pour clarinette et cymbalum.
4: Fil d'Ariane pour deux percussions.
5: Labyrinthe/miroir pour piano seul.
Chaque pièce possède sa forme
propre, la superposition instituant une autre
forme, proche et lointaine à la fois. On pourrait utiliser
ici le terme de « polymorphies labyrinthiques».
Prologue superpose deux oeuvres différentes:Jeux
de monstre pour Clarinette, Viole d'amour
et Violoncelle, et Portrait de Minotaure avec
Labyrinthe pour Viole d'amour et basson.
Icare, pour Basse et cinq violoncelles, sur
un texte de Marie-Claire Bancquart contient une pièce pour
Violoncelle seul: Fragment d'Icare
Après Labyrinthe/miroir, vient Solitude
du Minotaure pour un piano en seizièmes de tons,
deux pianos en quarts de tons,et deux Violes d'amour.On peut jouer
seule la partie de piano en seizièmes de ton.
Marie-Claire Bancquart est aussi l'auteur du texte de l'oratorio:Meurtre
pour quatre voix et bande magnétique. A la différence
du texte d'Icare, qui est un poème pré-existant,
mis en musique, celui de Meurtre a été
écrit exprès pour l'oratorio.
On peut donc « feuilleter »ce livre de bien des manières.
L'interprétation de l'ensemble des oeuvres(sans les satellites)
représente un concert de deux heures de musique. Ce concert
a eu lieu le 29 Mai 2000 à Radio-France.On peut aussi «
visiter » toutes les versions d'une partie du Livre. On
peut aussi jouer seulement chaque partie, ou chacune des oeuvres
satellites.
Une exécution de toutes les versions possibles du Livre
du Labyrinthe du-rerait environ cinq heures.
Pour l'exécution « intégrale » de Labyrinthe/Miroir,un
ordre d'enchaînement des versions est prévu.Il est
indiqué dans la partition.