Répression:
L’ultraviolence policière en procès
Lors du G8 à Gênes en 2001, 307 personnes arrêtées ont subi de graves sévices.
ÉRIC JOZSEF
Libération
lundi 24 mars 2008
Charges furieuses de la police, matraquage de militants pacifistes, assaut nocturne à l’école Diaz qui abritait des jeunes altermondialistes : les images du G 8 de Gênes marqué par la mort de Carlo Giuliani, le 20 juillet 2001, avaient relégué au second plan les sévices subis, à l’abri des regards, par 307 personnes interpellées au cours du sommet international et conduites à l’extérieur de la ville, dans la caserne de Bolzaneto.
Sept ans après les faits, le procès intenté à quarante-six policiers, carabiniers, agents pénitentiaires et médecins a enfin permis de reconstruire de manière détaillée les trois jours de brutalités à l’intérieur de cette structure qui devait être le lieu de triage des manifestants arrêtés. «L’enfer», «Le lager [camp de concentration, ndlr] de Bolzaneto», titre la presse transalpine qui publie depuis quelques jours de larges extraits des témoignages des victimes au procès et le réquisitoire très dur des procureurs de Gênes.
Ceux-ci ont requis des peines pour un total de soixante-seize ans et quatre mois à l’encontre de 44 inculpés. Ils sont pêle-mêle accusés d’abus de pouvoir, de violences privées, d’injures ou encore de coups. Le délit de «torture» n’a pas été retenu. Celui-ci n’existe toujours pas dans le Code pénal italien. «Nous étions tout proches de la torture», ont tout de même fait savoir les procureurs. «Bolzaneto a été un lieu où pendant trois jours interminables les droits humains ont été suspendus», a précisé l’un d’entre eux, Vittorio Ranieri Miniati qui a dénoncé les «humiliations et l’anéantissement des personnes recluses». L’acte d’accusation parle de «comportements inhumains, dégradants et cruels» et encore de «la violation systématique des droits de l’homme et des libertés fondamentales».
«Viva il Duce». A leur arrivée à la caserne de Bolzaneto, les manifestants étaient immanquablement insultés, bousculés, menacés et obligés, pour certains, de rester des heures durant les jambes écartées les bras tendus contre le mur. Une fois conduits dans leurs cellules, ils ont subi une pluie de coups de matraques, des crachats, des gifles, des coups sur la nuque et des jets de gaz lacrymogène. «Bienvenue à Auschwitz» , lançaient les policiers entre deux «Viva il Duce» ou le petit refrain «1-2-3 vive Pinochet, 4-5-6 à mort les Juifs». Traités de «communistes de merde», de «pédés» de «putains», menacés de sodomie ou de viol («grâce à Dieu, il n’y a pas eu de violence sexuelle», notent les procureurs), frappés à coup de saucisson ou de matraque dans les testicules pour les uns, à coups de poing dans le visage pour les autres, ils ont tous été humiliés.
Les filles devaient tourner nues sur elles-mêmes sous les rires des policiers. Une jeune femme s’est vue retirer son piercing vaginal, malgré ses règles, devant cinq personnes. A. D. a eu les côtes fracturées. Un troisième des brûlures de cigarettes sur le pied. Handicapé, Massimiliano A. supplie d’être accompagné aux toilettes, en vain. «Si tu ne signes pas ta mise en état d’arrêt, tu ne reverras plus tes enfants», lancent les policiers à l’adresse d’une manifestante française.
«Lynchage». Étudiants pour l’essentiel, employés, ouvriers ou chômeurs mais aussi avocat ou journaliste, leurs récits ont notamment été confirmés par Marco Poggi, un infirmier : «J’ai vu des détenus giflés, frappés à coups de poing ou de tête contre le mur. Pour certains, c’était un vrai lynchage. J’ai assisté à des choses que je croyais inimaginables. Pendant des jours, je me suis tu, puis j’ai fait la chose la plus juste…»
«Nous ne croyons pas à des explosions de violence à l’improviste , soulignent les procureurs, le procès a prouvé que les chefs de cette caserne ont permis et consenti cette grave atteinte aux droits des personnes.» Malgré cela, aucune enquête interne n’a été ordonnée par la police.
Le procès de Bolzaneto a laissé quasiment indifférente toute la classe politique italienne, actuellement en campagne électorale pour le scrutin législatif des 13 et 14 avril, que ce soit la droite de Silvio Berlusconi qui était aux affaires au moment du G8, comme le centre gauche de Walter Veltroni. «Comme si, écrit le quotidien La Repubblica , la promesse d’une Italie nouvelle pouvait exonérer de se demander pourquoi l’enfer de Bolzaneto a eu lieu.»
L’ancien président de la Cour constitutionnelle Valerio Onida a pourtant rappelé qu’un «Etat qui vexe et maltraite les personnes privées de liberté n’est pas un Etat démocratique. Une police qui utilise la force pour commettre des délits au lieu de les empêcher ne peut être considérée une force de l’ordre». Le verdict du procès en première instance devrait être prononcé avant l’été. Mais quel qu’il soit, aucun des inculpés n’ira en prison. Dans un an, tous les délits commis à Bolzaneto seront considérés comme prescrits.