Elément provenant d’un monument bouddhique (stupa, décor mural ou niche), cette tête extrêmement émouvante par sa grâce et sa délicatesse, sa réserve et son charme presque mélancolique, son élégance profondément humaine d’une extrême douceur, appartenait à la collection Malraux, une collection qui fut exposée à Paris au cours des années 30 dans les locaux de la N.R.F. (voir le catalogue publié par J. Strzygowski, « The Afghan stucco of the N.R.F. Collection », Paris – New York, Nouvelle Revue Française, Stora Art Gallery ).
Cette tête est un très bel exemple de l’art gréco-bouddhique, propre à l’Afghanistan, cet art dont l’esthétique à l’alchimie étrange, presque indéfinissable, à l’harmonie curieusement apaisante par son humanité captiva un homme comme André Malraux, homme de synthèse s’il en est qui sut allier littérature, voyage et politique - un homme ouvert à l’Asie et curieux de son temps, mais pétri également de références classiques, et qui fut fasciné par cette rencontre entre l’Orient et l’Occident sur ces hautes terres afghanes où étaient passées les armées d’Alexandre, les pèlerins bouddhistes sur la route de la Chine ou les princes nomades venus d’Asie centrale.
Cette tête est publiée par André Malraux dans « Les Voix du silence » en regard de l’ange au beau sourire de Reims (13ème s.) et semble illustrer merveilleusement la théorie de l’auteur : selon lui, l’art gréco-bouddhique du style de Hadda, près de Jelalabad, fait l’économie du Roman à la différence de la Chine, et bien qu’héritier comme l’art occidental, du monde gréco-romain, cet art « gréco-afghan » ignore avec superbe le haut Moyen-âge que connaît l’Occident pour décliner avec quelques siècles d’avance une esthétique « gothique » – Malraux opposant volontiers cet art du stuc de l’école de Hadda à l’art du schiste qu’on dit du Gandhara, région de Peshawar, qui pour lui s’apparente au Bas-Empire romain.
Avec cet art du stuc gréco-afghan, « nous sommes en face d’un gothique sans roman » , note-t-il avec ce sens de la formule qui lui est familier et d’opposer le style hellénistique des stucs de Hadda, empreint d’une volonté certaine de séduction, aux schistes gandhariens qu’il voit « gallo-romains ». « A Reims et ici », écrit-il dans «la Nouvelle Revue Française», en 1931, « un même sentiment s’exprime : l’attendrissement devant l’être humain conçu comme créature vivante et non comme créature de douleur. Dans les deux cas, une figure sublimée : ici, le prince qui deviendra le Buddha , là l’ange donnent la note essentielle et ces deux figures, par leur nature même, échappent à la douleur. »
Cette tête est la seconde de la collection Malraux à entrer dans les collections nationales, après le don fait en 2006 par M. et Mme Michel Duchange de la superbe tête au turban, présentée aujourd’hui dans l’exposition des collections du Musée de Kabul, « Afghanistan, les Trésors retrouvés ». Jusqu’à cette date, en effet, la collection Malraux était paradoxalement absente des collections françaises et donc de celles du Musée National des Arts asiatiques - Guimet, alors qu’elle est représentée en revanche, avec juste raison, au Musée des Beaux-Arts de Boston et dans d’autres musées de l’Amérique du Nord.
Pierre Cambon, Conservateur en Chef
Section Afghanistan - Pakistan
Musée Guimet -
18.01.2007