Avertissement : Ces traductions ont fait l'objet de débats pendant les mois d'octobre et de novembre 2001 sur le forum consacré aux langue et culture grecques nzn.fr.langue.grecque. Anaxagore, Métrodore et Henri Tournier proposent tour à tour leur traduction. Le texte grec a été établi par R.Brasillach. J'attire ton attention, lecteur, sur le fait que le texte grec est codé en unicode. A l'adresse suivante , chez Denis Liégeois tu en sauras plus sur ce qu'est l'unicode, et à celle-ci, tu trouveras la police nécessaire pour afficher le grec, Code 2000; tu cliqueras alors sur "download Code 2000". Puis, tu iras dans le dossier windows, puis Fonts, et tu copieras la police dans ce dernier. Si cette police est trop lourde, fais la même opération à partir de la page de Denis Liégeois avec la police Vusillus Old Face Italics et dans Outils/Options/Accessibilité ignore les styles de police spécifiés sur la page web. En  dernier ressort, si tu te désespères, écris à Anaxagore

A APHRODITE

poème écrit par la poétesse grecque Sapphô


Traduction d'Anaxagore
Traduction d'Henri Tournier
Traduction de , Métrodore
Variante de la traduction d'Henri Tournier , remaniée par , Métrodore
Remarques de Lucien Pernée sur l'établissement du texte.

Par Anaxagore en alexandrins non rimés

Ποικιλόθρον’ ἀθανατ’ Ἀφρόδιτα,
παῖ Δίος δολόπλοκε, λίσσομαί σε,
μή μ’ ἄσαισι μηδ’ ὀνίαισι δάμνα,
πότνια, θῦμον.

Immortelle Aphrodite en ton trône irisé,
Enfant de Zeus, tramant tes tours, je t'en supplie,
N'afflige pas mon coeur de douleurs ni d'ennui,
Ô, toi ma souveraine

Ἀλλὰ τύιδ’ ἔλθ’ αἰ ποτα κἀτέρωτα
τᾶς ἔμας αὔδως ἀΐοισα πήλυι
ἔκλυες, πάτρος δὲ δόμον λίποισα
χρύσιον ἦλθες

Mais viens là si jadis pour la seconde fois
Tu perçus mon appel, au loin tendant l'oreille,
Délaissant le palais tout en or de ton père,
Tu vins alors à moi,

ἄρμ’ ὐπασδεύξαισα · κάλοι δέ σ’ἆγον
ὤκεες στροῦθοι περὶ γᾶς μελαίνας,
πύκνα δίννεντες πτέρ’ ἀπ’ ὠράνω ἴθε-
ρος διὰ μέσσω ·

Attelés sur ton char , ils t'emportaient les beaux
Et rapides moineaux au-dessus du sol sombre,
Le plumage serré tournoyant des hauteurs
Jusqu'au coeur de l'Ether

αἶψα δ’ἐξίκοντο · σὺ δ’ὦ μάκαιρα,
μειδιάσαισ’ ἀθανάτῳ προσώπῳ
ἤρε’ ὄττι δηὖτε πέπονθα κὤττι
δηὖτε κάλημι,

Ils venaient aussitôt ; ô bienheureuse, toi,
D'un rire doux présent sur ta face immortelle,
Tu demandais pourquoi je souffrais à nouveau,
De nouveau j'appelais,

κὤττ’ ἔμῳ μάλιστα θέλω γένεσθαι
μαινόλαι θύμῳ · Τίνα δηὖτε Πείθων
μαῖσ’ ἄγην ἐς σὰν φιλότατα ; τίς σ’, ὦ
Ψάπφ’, ἀδικήει ;

Que voulais-je surtout qu'il se produisît en
Mon coeur trembant ; qui, de nouveau grâce à Peithô
Tu veux avec ardeur mener à ton amour ?
Qui t'afflige Sapphô ?

καὶ γὰρ αἰ φεύγει, ταχέως διώξει,
αἰ δὲ δῶρα μὴ δέκετ’, ἀλλὰ δώσει,
αἰ δὲ μὴ φίλει, ταχέως φιλήσει
κωὐκ ἐθελοισα.

Qui te fuit en ce jour demain suivra tes pas.*
Elle écarte les dons ? Alors elle en fera.
Sans amour aujourd'hui, elle aimera bientôt,
Le voulût-elle ou non.

Ἔλθε μοι καὶ νῦν, χαλέπαν δε λῦσον
ἐκ μερίμναν, ὄσσα δέ μοι τέλεσσαι
θῦμος ἰμέρρει, τέλεσον · σὺ δ’αὔτα
συμμαχος ἐσσο

Viens à moi maintenant, délivre-moi du mal
Qui me taraude ainsi puis accomplis pour moi
Ce qu'accompli veut mon ardeur ; et sois toi-même
Mon alliée au combat.


Par Métrodore en alexandrins rimés

Ποικιλόθρον’ ἀθανατ’ Ἀφρόδιτα,
παῖ Δίος δολόπλοκε, λίσσομαί σε,
μή μ’ ἄσαισι μηδ’ ὀνίαισι δάμνα,
πότνια, θῦμον.
Sur ton trône ondoyant, Aphrodite immortelle,
Enfant de Zeus, tressant les ruses, je t’appelle :
Ne dompte pas, ni par dégoûts ni par douleurs,
Souveraine, mon cœur.


Ἀλλὰ τύιδ’ ἔλθ’ αἰ ποτα κἀτέρωτα
τᾶς ἔμας αὔδως ἀΐοισα πήλυι
ἔκλυες, πάτρος δὲ δόμον λίποισα
χρύσιον ἦλθες
Viens plutôt par ici, si jamais autrefois
Tu prêtas ton oreille à ma lointaine voix,
Et quittant la maison tout en or de ton père
Tu vins à ma prière,

ἄρμ’ ὐποσδεύξαισα · κάλοι δέ σ’ἆγον
ὤκεες στροῦθοι περὶ γᾶς μελαίνας,
πύκνα δίννεντες πτέρ’ ἀπ’ ὠράνω Αἴθε-
ρος διὰ μέσσω ·
De beaux et vifs moineaux, attelés à ton char,
T’emportaient dans leur course au-dessus du sol noir,
En battant dans le ciel, de leurs ailes serrées,
Les sphères éthérées.

αἶψα δ’ἐξίκοντο· σὺ δ’ὦ μάκαιρα,
μειδιάσαισ’ ἀθανάτῳ προσώπῳ
ἤρε’ ὄττι δηὖτε πέπονθα κὤττι
δηὖτε κάλημι,
Et vite, ils arrivaient : bienheureuse déesse,
Ton visage immortel riant avec tendresse,
Tu demandais pourquoi de nouveau je souffrais,
De nouveau j’appelais,

κὤττ’ ἔμῳ μάλιστα θέλω γένεσθαι
μαινόλαι θύμῳ· Τίνα δηὖτε πείθω
... ἄγην ἐς σὰν φιλότατα ; τίς σ’, ὦ
Ψάπφ’, ἀδικήει ;
Ce que par dessus tout je voulais qu’il advienne
A mon cœur délirant : « qui veux-tu que j’amène
En la persuadant de t’aimer ? Qui donc, ô
Sappho, te fait défaut ?

καὶ γὰρ αἰ φεύγει, ταχέως διώξει,
αἰ δὲ δῶρα μὴ δέκετ’, ἀλλὰ δώσει,
αἰ δὲ μὴ φίλει, ταχέως φιλήσει
κωὐκ ἐθέλοισα.
Car celle qui te fuit bientôt te poursuivra,
Au lieu de refuser, elle te donnera,
Elle qui n’aimait pas, sera vite amoureuse,
Bien qu’elle soit boudeuse. »

Ἔλθε μοὶ καὶ νῦν, χαλέπαν δὲ λῦσον
ἐκ μερίμναν, ὄσσα δὲ μοὶ τέλεσσαι
θῦμος ἰμέρρει, τέλεσον· σὺ δ’αὔτα
σύμμαχος ἔσσο.
Reviens-moi maintenant : de mes cruels soucis
Délivre-moi ; tout ce dont mon cœur se languit,
Accomplis-le pour moi ; que toi-même en personne
Mes armes compagnonnes.

Par Henri Tournier en décasyllabes

Vénus immortelle* au trône enchanteur
Qui naquis de Zeus et tresses tes feintes,
Ah ! ne soumets pas par chagrins ou peines,
Maîtresse, mon coeur.

Reviens ici-bas, toi qui dans le temps
Ecoutas ma voix pourtant si lointaine.
Quittant le palais doré de ton père
Tu vins sur ton char ;

il était tiré par de beaux oiseaux
Qui, vifs, l'entraînaient par la terre sombre.
Leurs ailes fendaient du plus haut des cieux
Le coeur de l'éther.

Vite ils arrivaient. Mais toi, Bienheureuse,
Visage immortel baigné d'un sourire,
Tu me demandais pourquoi je souffrais,
Pourquoi j'implorais,

Quel ardent désir avait pris mon coeur
Jusqu'à la folie : Qui dois-je t'aider
A combler tes voeux ? Qui te fit injure
O chère Sappho ?

Celle qui te fuit bientôt te suivra,
Qui boude tes dons bientôt t'en fera
Qui ne t'aime pas t'adore déjà,
A corps défendant."**

Reviens maintenant. Des cruels soucis
Libère mon âme et rends achevés
Mes nombreux désirs. toi-même, en personne,
Sois mon alliée.

* Pour ceux qui s'offusqueraient qu'on traduise Ἀφρόδιτα par Vénus, j'ai une solution de rechange :
Déesse Aphrodite au trône diapré.
Comme nous ne sommes pas en alexandrins classiques, la diérèse sur diapré ne s'impose vraiment pas...
** var.: Qu'elle veuille ou pas ( ce qui a l'avantage de produire une 4ème rime)

Remarques de Lucien Pernée à Henri Tournier :
Cher Henri au trône diapré sans diérèse, Je viens de lire ta traduction en décasyllabes. Avec le texte de Sappho en regard et le secours de mes dix doigts, j’ai admiré le travail – qualis artifex – Mais saurais-je jamais qui étaient ces drôles d’oiseaux (vers10 στροῦθοι ) ? Colombes, cygnes, pigeons, tous oiseaux emblématiques d’ Aphrodite ? A la variante « Qu’elle veuille ou pas » (vers 23 κωὐκ ἐθέλοισα) je préférerais « A cœur défendant ». Enfin je proposerais pour le vers 18, sur lequel Philippe Brunet après quelques autres s’est crucifié, la lecture suivante : -μαι σ’ ἄγην, -μαι allant avec πείθω-  pour en faire un subjonctif passif délibératif πείθωμαι, « Qui dois-je me laisser convaincre » + proposition infinitive  ἄγην  (= ἄγειν).
De τίνα  et de σ’ , lequel est le sujet et lequel le complément ? A mon idée σ’ est le sujet : « Qui dois-je me laisser convaincre que tu amènes à l’amour de toi « ( σάν équivalent à un génitif objectif) . Car Sappho ne peut inspirer à elle seule le désir ; elle doit se faire aider d’Aphrodite. C’est elle qui pliera sous sa loi l’amante de Sappho (cf. vers 20-23). Je tiens donc « Qui convaincre encore de combler tes vœux » pour une belle infidèle.


Variante de la version d'Henri Tournier, rimée par Métrodore

Vénus immortelle au trône enchanteur
Qui naquis de Zeus et tresses tes rets,
Ah ! ne soumets pas par pleurs ou regrets,
Maîtresse, mon coeur.

Reviens ici-bas, ô toi qui naguère
Ecoutas ma voix venant de si loin.
Quittant le palais doré de ton père
sur ton char tu vins ;

il était tiré par de beaux oiseaux
Qui, vifs, l'entraînaient par la sombre terre.
Leurs ailes fendaient les cieux, tout du haut
à travers l'éther.

Vite ils arrivaient. Mais toi, Bienheureuse,
Visage immortel ô ma sourieuse,
Tu me demandais pourquoi je souffrais,
Pourquoi j'implorais,

Quel ardent désir avait pris mon coeur
jusqu’à la folie : "qui vais-je à nouveau
porter à tes voeux ? d’où vient ton malheur,
O chère Sappho ?

Celle qui te fuit te suivra bientôt,
Qui boude tes dons t'en fera bientôt
Qui ne t'aime pas t'adore déjà,
qu’elle veuille ou pas."

Reviens maintenant. Des cruels soucis
Libère mon âme et puis accomplis
Mes nombreux désirs. Combats en personne,
Sois ma compagnonne.


Remerciements au site http://fleche.org/lutece/ qui met à disposition son stock d'images et de photos, dont cette fresque issue de Pompéï représentant Vénus.

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