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LETTRE A MENECEE.

Ἐπίκουρος Μενοικεῖ χαίρειν.
Μήτε νέος τις ὤν μελλέτω φιλοσοφεῖν μήτε γέρων ὑπαρχων κοπιάτω φιλοσοφῶν · οὔτε γὰρ ἄωρος οὐδείς ἐστιν οὔτε πάρωρος πρὸς τὸ κατὰ ψυχὴν
ὑγιαῖνον.
 
Epicure à Ménécée, salut,

Que personne étant jeune n'hésite à philosopher, ni dans la vieillesse ne soit las de philosopher. Car personne n'est ni trop jeune ni trop vieux au regard de l'hygiène de l'âme.

ὁ δὲ λέγων ἤ μήπω τοῦ φιλοσοφεῖν ὑπάρχειν ὥραν ἤ  παρεληλυθέναι τὴν ὥραν ὅμοιός ἐστι τῷ λέγοντι πρὸς εὐδαιμονίαν ἤ μὴ παρεῖναι τὴν ὥραν ἤ μηκέτι εῖναι 1 · ὥστε φιλοσοφητέον καὶ νέῳ καὶ γέροντι, τῷ μὲν ὅπως γηράσκων νεάζῃ τοῖς ἀγαθοῖς διὰ τὴν χάριν τῶν γεγονότων2, τῷ δὲ ὅπως νέος ἅμα καὶ παλαιὸς ᾖ διὰ τὴν ἀφοβίαν τῶν μελλόντων. μελετᾶν οὖν χρὴ τὰ ποιοῦντα τὴν εὐδαιμονίαν3, εἴπερ παρούσης μὲν αὐτῆς πάντα ἔχομεν, ἀπούσης δὲ πάντα πράττομεν εὶς τὸ ταύτην ἔχειν.4
 
Celui qui dit que le temps de philosopher n'est pas encore ou est passé, est semblable à celui qui dit que le temps du bonheur n'est pas encore ou n'existe plus. De sorte que philosopher incombe au jeune et au vieillard, pour l'un afin que vieillissant il demeure jeune grâce aux biens par la gratitude envers le passé, pour l'autre afin qu'il soit jeune tout en étant ancien en raison de son absence de  crainte de l'avenir. Il faut donc s'exercer à ce qui fait le bonheur s'il est vrai que nous avons tout alors qu'il est présent, et nous faisons tout dans le but de l'avoir s'il est absent.

ἅ δὲ σοι συνεχῶς παρήγγελον, ταῦτα καὶ πρᾶττε καὶ μελέτα, στοιχεῖα τοῦ καλῶς ζῆν ταῦτ' εἶναι διαλαμβάνων · πρῶτον μὲν τὸν θεόν ζῷον ἄφθαρτον καὶ μακάριον νομίζων, ὡς ἡ κοινὴ τοῦ θεοῦ νόησις ὑπεγράφη, μηθὲν μήτε τῆς ἀφθαρσίας ἀλλότριον μήτε τῆς μακαριότητος ἀνοίκειον αὐτῷ πρόσαπτε · πρῶτον μὲν τὸν θεόν ζῷον ἄφθαρτον καὶ μακάριον νομίζων, ὡς ἡ κοινὴ τοῦ θεοῦ νόησις ὑπεγράφη, μηθὲν μήτε τῆς ἀφθαρσίας ἀλλότριον μήτε τῆς μακαριότητος ἀνοίκειον αὐτῷ πρόσαπτε · πᾶν δὲ τὸ φυλάττειν αὐτοῦ δυνάμενον5 τὴν μετὰ ἀφθαρσίας μακαριότητα περὶ αὐτὸν δόξαζε6.

Ce que je t'ai prescrit continuellement, fais-le et exerce-toi à cela, en distinguant que ce sont les éléments du bien-vivre. D'abord en jugeant le dieu comme un être vivant incorruptible et bienheureux, comme la notion commune du dieu a été esquissée, ne lui joins rien qui soit étranger à l'incorruptibilité ni qui ne s'accorde avec la félicité ; mais crois à son sujet, tout ce qui peut lui conserver la félicité accompagnée d'incorruptibilité .
 
Θεοὶ μὲν γὰρ εἰσίν · ἐναργὴς γὰρ αὐτῶν ἐστιν ἡ γνῶσις · οἵους δ'αὐτοὺς πολλοὶ νομίζουσιν οὐκ εἰσιν · οὐ γὰρ φυλάττουσιν αὐτοὺς οἵους νομίνουσιν. ἀσεβὴς δὲ οὐχ ὁ τοὺς τῶν πολλῶν θεοὺς ἀναιρῶν, ἀλλ' ὁ τὰς τῶν πολλῶν δόξας θεοῖς προσάπτων.

Car les dieux existent ; en effet, leur connaissance est évidente ; tels que la beaucoup les conçoivent, ils ne sont pas ; en effet, ils ne les conservent pas tels qu'ils les conçoivent. Et est impie non pas celui qui rejette les dieux de la plupart des gens, mais celui qui rattache aux dieux les opinions de la plupart des gens.
οὐ γὰρ προλήψεις ἀλλ' ὑπολήψεις ψευδεῖς αἱ τῶν πολλῶν ὑπὲρ θεῶν ἀποφάσεις, ἔνθεν7 αἱ μέγισται βλάβαι αἰτίαι τοῖς κακοῖς ἐκ θεῶν ἐπάγονται
καὶ ὠφέλειαι · ταῖς γὰρ ἰδίαις οἰκειούμενοι8 διὰ παντὸς ἀρεταῖς τοὺς ὁμοίους ἀποδέχονται, πᾶν τὸ μὴ τοιοῦτον ὡς ἀλλότρον νομίζοντες.
 
Car les affirmations de la plupart des gens sur les dieux ne sont pas des anticipations mais de mensongères conjectures. De là les plus grands dommages sont présentés comme des punitions contre les méchants envoyées par les dieux, et comme des bienfaits . En effet continuellement unis à leurs vertus particulières, ils agréent ceux qui sont semblables jugeant différent tout ce qui n'est pas tel.
 
 
Συνέθιζε δὲ ἐν τῷ νομίζειν μηδὲν πρὸς ἡμᾶς εἶναι τὸν θάνατον. ἐπεὶ πᾶν ἀγαθὸν καὶ κακὸν ἐν αἰσθήσει · στέρησις δέ ἐστιν αἰσθήσεως ὁ θάνατος. ὅθεν γνῶσις ὀρθὴ τοῦ μηθὲν εἶναι πρὸς ἡμᾶς τὸν θανατον ἀπολαυστὸν ποιεῖ τὸ τῆς ζωῆς θνητόν, οὺκ ἄπορον προστιθεῖσα χρόνον9 ἀλλὰ τὸν τῆς ἀθανασίας ἀφελομένη πόθον.

Mets-toi dans l'esprit que la mort n'est rien par rapport à nous, puisque tout bien et tout mal est dans la sensation. Or la mort est la privation de la sensation. De là une connaissance droite du fait que la mort n'est rien par apport à nous, fait de la mortalité de l'existence un sujet de réjouissance, non en ajoutant un temps inaccessible mais en enlevant le désir d'immortalité.
 

οὐθὲν γάρ ἐστιν ἐν τῷ ζῆν δεινὸν τῷ κατειληφότι γνησίως τὸ μηδὲν ὑπάρχειν ἐν τῷ μὴ ζῆν δεινόν  ὥστε μάταιος10 ὁ λέγων δεδιέναι τὸν θάνατον
οὐχ ὅτι λυπήσει παρών ἀλλ'ὅτι λυπεῖ μέλλων· ὅ γὰρ παρὼν οὐκ ἐνοχλεῖ, προσδοκώμενον κενῶς λυπεῖ. τὸ φρικωδέστατον οὗν τῶν κακῶν ὁ θάνατος οὐθὲν πρὸς ἡμᾶς, ἐπειδήπερ ὅταν μὲν ἡμεῖς ὦμεν, ὁ θάνατος οὐ πάρεστιν · ὅταν δ'ὁ θάνατος παρῇ, τόθ'ἡμεῖς οὐκ ἐσμέν. οὔτε οὗν πρὸς τοὺς ζῶντάς ἐστιν οὔτε πρὸς τοὺς τετελευτηκότας, ἐπειδήπερ περὶ οὕς μὲν οὐκ ἔστιν, οἵ δ'οὐκέτι εἰσίν. ἀλλ'οἱ πολλοὶ τὸν θάνατον ὅτε μὲν ὡς μέγιστον τῶν κακῶν φεύγουσιν, ὅτε δὲ ὡς ἀνάπαυσιν τῶν ἐν τῷ ζῆν.

Car il n'y a rien de terrible dans le fait de vivre pour celui qui a compris sincèrement  qu'il n'y a rien de terrible dans le fait de ne pas vivre de sorte qu'il est sot celui qui dit  craindre la mort non pas parce que étant présente elle causerait du chagrin mais parce qu'à venir elle cause du chagrin ; car ce qui présent ne produit pas de souffrance, étant craint chagrine à vide.
Le plus effrayant des maux, la mort, n'est donc rien pour nous, puisque lorsque nous sommes là elle n'est pas présente et lorsque la mort est présente, alors nous ne sommes plus là. Elle n'existe donc ni pour ceux qui vivent, ni pour ceux qui ont achevé leur existence. Puisqu'elle ne concerne pas les uns, et que les autres n'existent plus. Mais la plupart fuient la mort tantôt comme le plus grand des maux, tantôt comme si elle mettait fin aux choses de lavie.
 
οὔτε φοβεῖται τὸ μὴ ζῆν ( οὔτε γὰρ αὐτῷ προσίσταται τὸ ζῆν 11) οὔτε δοξάζεται κακὸν εἶναι τι τὸ μὴ ζῆν. ὥσπερ δὲ τὸ σιτίον οὐ τὸ πλεῖον
πάντως ἀλλα τὸ ἥδιστον αἱρεῖται, οὕτω καὶ χρόνον οὐ τὸν μήκιστον ἀλλὰ τὸν ἥδιστον καρπίζεται.

On n'a ni peur de ne pas vivre ( en effet la vie ne jouxte pas la mort) ni on ne juge que le fait de ne pas vivre est un mal. De même que l'on choisit pas du tout la nourriture  la plus abondante, mais la plus agréable. de même on jouit du temps non pas le plus long mais le plus agréable.
 
Ὁ δὲ παραγγέλλων τὸν μὲν νέον καλῶς ζῆν, τὸν δὲ γέροντα καλῶς12 καταστρέφειν εὐήθης ἐστὶν οὐ μόνον διὰ τὸ τῆς ζωῆς ἀσπαστόν, ἀλλὰ  καὶ
διὰ τὸ τὴν αὐτὴν εἶναι μελέτην τοῦ καλῶς ζῆν καὶ τοῦ καλῶς ἀποθνῃσκειν. πολὺ δὲ χείρων καὶ ὁ λέγων καλὸν μὲν μὴ φῦναι, φύντα δ'ὅπως ὥκιστα πύλας Ἀίδαο περῆσαι.

Celui qui enjoint au jeune de bien vivre, mais au vieillard de bien finir son existence est sot non seulement parce que vivre est une joie, mais aussi parce
que vivre bien et mourir bien sont une même pratique. Le pire est  celui qui dit qu'il est beau de ne pas naître, et si l'on naît, de traverser le plus vite possible les battants de l'Hadès.

εἰ μὲν γὰρ πεποιθὼς τοῦτό φησι, πῶς οὐκ ἀπέρχεται ἐκ τοῦ ζῆν ; ἐν ἑτοίμῳ γὰρ αὐτῷ τοῦτ’ ἐστίν, εἴπερ ἦν βεβουλευμένον αὐτῷ βεβαίως · εἰ δὲ μωκώμενος, μάταιος ἐν τοῖς οὐκ ἐπιδεχομένοις. μνημονευτέον δὲ ὡς τὸ μέλλον οὔτε πάντως οὐχ ἡμέτερον, ἵνα μήτε πάντως προσμένωμεν ὡς ἐσόμενον μήτε ἀπελπίζωμεν ὡς πάντως οὐκ ἐσόμενον.

Car s'il affirme cela avec conviction, pourquoi ne sort-il pas de l'existence ? En effet, cela est à sa portée, dans la mesure où il le veut avec fermeté. Mais si c'est une raillerie, il est sot dans un domaine qui ne l'admet pas. Il faut se souvenir que l'avenir ne nous échappe pas non plus totalement, afin que nous ne l'attendions pas absolument comme devant arriver, ni en désespérer, comme devant absolument ne pas arriver.

ἀναλογιστέον δὲ ὡς τῶν ἐπιθυμιῶν αἱ μέν εἰσι φυσικαί, αἱ δὲ κεναί, καὶ τῶν φυσικῶν αἱ μὲν ἀναγκαῖαι, αἱ δὲ φυσικαὶ μόνον · τῶν δὲ ἀναγκαίων αἱ μὲν πρὸς εὐδαιμονίαν εἰσὶν ἀναγκαῖαι, αἱ δὲ πρὸς τὴν τοῦ σώματος ἀοχλησίαν, αἱ δὲ πρὸς αὐτὸ τὸ ζῆν.

Il faut conjecturer par analogie que parmi les désirs les uns sont naturels, les autres futiles, et parmi ceux qui sont naturels, les uns nécessaires et les autres naturels uniquement ; parmi ceux qui sont nécessaires, les uns sont nécessaires au bonheur, d'autres à la sérénité du corps, et d'autres à l'existence elle-même.

τούτων γὰρ ἀπλανὴς θεωρία 13 πᾶσαν αἵρεσιν καὶ φυγὴν ἐπανάγειν14 οἶδεν ἐπὶ τοῦ σώματος ὑγίειαν καὶ τὴν τοῦ σώματος ἀταραξίαν, ἐπεὶ τοῦτο τοῦ μακαρίως ζῆν ἐστι τέλος · τούτου γὰρ χάριν πάντα πράττομεν ὅπως μήτε ἀλγῶμεν μήτε ταρβῶμεν ·

Car une théorie qui ne s'écarte pas de ces derniers sait ramener chaque choix et chaque refus à la santé du corps et  son ataraxie, puisque ceci est le but de la vie bienheureuse. En effet nous agissons en toute chose en vertu de cela afin de ne pas souffrir ni d'éprouver de l'effroi.

ὅταν δὲ ἅπαξ τοῦτο περὶ ἡμᾶς γένηται, λύεται πᾶς ὁ τῆς ψυχῆς χειμών, οὐκ ἔχοντος τοῦ ζῴου βαδίζειν ὡς πρὸς ἐνδέον τι καὶ ζητεῖν ἕτερον ᾧ τὸ τῆς ψυχῆς καὶ τὸ τοῦ σώματος ἀγαθόν συμπληρώσεται · τότε γὰρ ἡδονῆς χρείαν ἔχομεν ὅταν ἐκ τοῦ μὴ παρεῖναι τὴν ἡδονὴν ἀλγῶμεν · οὐκετι τῆς ἡδονῆς δεόμεθα. καὶ διὰ τοῦτο τὴν ἡδονὴν ἀρχὴν καὶ τέλος λέγομεν εἶναι τοῦ μακαρίως ζῆν.

Mais une fois que cela s'est produit en nous, toute tempête en notre âme est dissipée, l'être vivant n'ayant pas à marcher comme vers quelque chose de manquant ni à chercher à obtenir autre chose par quoi le bien de l'âme et celui du corps seront comblés. A ce moment nous avons en effet l'usage d'un plaisir dès que nous souffrons de son défaut15 ; le plaisir ne nous manque plus. Et pour cette raison nous disons que le plaisir est le début et la fin de la vie heureuse.

ταύτην γὰρ ἀγαθὸν πρῶτον συγγενικὸν ἔγνωμεν, καὶ ἀπὸ ταύτης καταρχόμεθα πάσης αἱρέσεως καὶ φυγῆς, καὶ ἐπὶ ταύτην καταντῶμεν ὠς κανόνι τῷ πάθει πᾶν ἀγαθὸν κρίνοντες. καὶ ἐπεὶ πρῶτον ἀγαθὸν τοῦτο καὶ σύμφυτον, διὰ τοῦτο καὶ πᾶσαν ἡδονὴν αἱρούμεθα, ἀλλ’ἔστιν ὅτε πολλὰς ἡδονὰς ὑπερβαίνομεν, ὅταν πλεῖον ἡμῖν τὸ δυσχερὲς ἐκ τούτων ἕπηται ·

En effet, nous reconnaissons celui-ci comme premier bien inné, c'est de lui que nous tirons le principe de chaque choix et chaque refus, et c'est vers lui que nous tendons jugeant tout bien au canon de l'affect. Et puisque ce bien premier est inné, à cause de ceci aussi, nous choisissons tout plaisir , mais il arrive que nous négligions de nombreux plaisirs, lorsque la peine qui s'ensuit pour nous est plus grande.

καὶ πολλὰς ἀλγηδόνας ἡδονῶν κρείττους νομίζομεν, ἐπειδάν μείζων ἡμῖν ἡδονὴ παρακολουθῇ πολύν χρόνον ὑπομείνασι τὰς ἀλγηδόνας. πᾶσα οὖν ἡδονὴ διὰ τὸ φύσιν ἔχειν οἰκείαν ἀγαθόν, οὐ πᾶσα μέντοι αἱρετή · κατάπερ καὶ ἀλγηδὼν πᾶσα κακόν, οὐ πᾶσα δὲ ἀεὶ φευκτὴ πεφυκυῖα.

Et nous estimons que de nombeuses peines sont supérieures aux plaisirs, lorsqu'un plaisir meilleur s'ensuit pour nous qui avons longtemps enduré les peines. Donc tout plaisir par le fait d'avoir une nature appropriée est un bien, sans devoir pour autant être choisi ; De même que chacune des souffrances est aussi un mal, sans que toutes soient toujours par nature à fuir.

τῇ μέντοι συμμετρήσει καὶ συμφερόντων καὶ ἀσυμφόρων βλέψει ταῦτα πάντα κρίνειν καθήκει · χρώμεθα γὰρ τῷ μὲν ἀγαθῶν κατά τινας χρόνους ὡς κακῷ, τῷ δὲ κακῷ, ὅταν πάλιν, ὡς ἀγαθῷ.

Cependant, il importe de juger tout cela par l'observation et la comparaison et des avantages et des inconvénients. Nous usons, en effet, du bien comme du mal selon les moments, et souvent, inversement, d'un mal comme d'un bien.

καὶ τὴν αὐτάρκειαν δὲ ἀγαθὸν μέγα νομίζομεν, οὐχ ἵνα πάντως τοῖς ὀλίγοις χρώμεθα, ἀλλ’ὅπως ἐὰν μὴ ἔχωμεν τὰ πολλά, τοῖς ὀλίγοις χρώμεθα, πεπεισμένοι γνησίως ὅτι ἥδιστα πολυτελείας ἀπολαύουσιν οἱ ἥκιστα ταύτης δεόμενοι καὶ ὅτι τὸ μὲν φυσικὸν πᾶν εὐπόριστόν ἐστι, τὸ δὲ κενὸν δυσπόριστον · ὅι τε λιτοὶ χυλοὶ ἴσην πολυτέλειαν διαίτῃ τὴν ἡδονὴν ἐπιφέρουσιν ὅταν ἅπαν τὸ ἀλγοῦν κατ' ἐνδειαν ἐξαιρεθῇ.

Et nous estimons l'autarcie comme un grand bien, non pas afin d'avoir besoin en tout de peu de choses mais, afin d'avoir besoin de peu si nous ne possédons pas beaucoup, légitimement persuadés que ceux à qui elle fait le moins défaut jouissent le plus agréablement d'une bombance et que tout ce qui est conforme à la nature est aisé à se procurer, futile, malaisé. Des saveurs simples qui apportent une égale bombance à un mode de vie apportent le plaisir lorsque toute douleur liée à un manque est supprimée.

καὶ μᾶζα καὶ ὕδωρ τὴν ἀκροτάτην ἀποδίδωσιν ἡδονήν, ἐπειδὰν ἐνδέων τις αὐτὰ προσενέγκηται. τὸ συνεθίζειν οὖν ἐν ταῖς ἁπλαῖς καὶ οὐ πολυτελέσι διαίταις καὶ ὑγιείας ἐστὶ συμπληρωτικὸν καὶ πρὸς τὰς ἀναγκαίας τοῦ βίου χρήσεις ἄοκνον ποιεῖ τὸν ἄνθρωπον καὶ τοῖς πολυτελέσιν ἐκ διαλειμμάτων προσερχομένοις κρεῖττον ἡμᾶς διατίθησι καὶ πρὸς τὴν τύχην ἀφόβους παρασκευάζει.

Et le pain, et l'eau rapportent le plus haut plaisir, lorsque quelqu'un dans le besoin les porte à la bouche. Donc l'accoutumance à des régimes de vie simples et non munificents est d'une part pourvoyeuse de santé et d'autre part rend l'homme diligent pour ce qui touche les besoins nécessaires à l'existence , nous dispose mieux pour les surplus dispensieux et nous rend sans peur devant le hasard.

οὐ γὰρ πότοι καὶ κῶμοι συνείροντες οὐδ’ἀπολαύσεις παίδων καὶ γυναικῶν οὐδ’ ἰχθύων καὶ τῶν ἄλλων ὅσα φέρει πολυτελὴς τράπεζα τὸν ἡδὺν γεννᾷ βίον, ἀλλὰ νήφων λογισμὸς καὶ τὰς αἰτίας ἐξερευνῶν πάσης αἰρεσεως καὶ φυγῆς καὶ τὰς δόξας ἐξελαύνων · πλεῖστος τὰς ψυχὰς καταλαμβάνει θόρυβος.

Car ni les boissons et les festins ininterrompus ni les jouissances issues des jeunes gens et des femmes ni ce que portent de poissons et autres nourritures une table dispendieuse n'engendre une vie agréable, mais une réflexion sage et à la recherche des causes de tout choix et tout refus, repoussant les opinions ; la plus grande grande confusion s'empare des âmes.

τούτων δὲ πάντων ἀρχη καὶ τὸ μέγιστον ἀγαθόν φρόνησις · διὸ καὶ φιλοσοφία τιμιώτερον ὑπάρχει φρόνησις, ἐξ ἧς αἱ λοιπαὶ πᾶσαι πεφύκασιν ἀρεταί, διδάσκουσαι ὡς οὐκ ἔστιν ἡδέως ζῆν ἄνευ τοῦ φρονίμως καὶ καλῶς καὶ δικαίως ἄνευ τοῦ ἡδέως. συμπεφύκασι γὰρ αἱ ἀρεταὶ τῷ ζῆν ἡδέως, καὶ τὸ ζῆν ἡδέως τούτων ἐστὶν ἀχώριστον.

mais le plus grand bien et le début de tout cela est une sagesse pratique ; Par suite une philosophie est aussi à plus juste titre une sagesse pratique à partir de laquelle toutes les vertus restantes sont produites, enseignant qu'il n'y a pas de vie heureuse sans vie sensée et belle, et pas de vie juste sans vie heureuse. Car les vertus sont produites avec la vie heureuse, et la vie heureuse est inséparable de celles-ci.

ἐπεὶ τίνα νομίζεις εἶναι κρείττονα τοῦ καὶ περὶ θεῶν ὅσια δοξάζοντος καὶ περὶ θανατου διὰ παντὸς ἀφοβως ἔχοντος καὶ τὸ τῆς φύσεως ἐπιλελογισμένου τέλος, καὶ τὸ μὲν τῶν ἀγαθῶν πέρας ὡς ἔστιν εὐσυμπλήρωτόν τε καὶ εὐπόριστον διαλαμβάνοντος, τὸ δὲ τῶν κακῶν ὡς ἤ χρόνους ἤ πόνους ἔχει βραχεῖς, τὴν δὲ ὑπό τινων δεσπότιν16 εἰσαγομένην πάντων ἀγγελῶντος17, ἅ δὲ ἀπὸ τύχης, ἅ δὲ παρ' ἡμᾶς, διὰ τὸ τὴν μὲν ἀνάγκην ἀνυπεύθυνον εἶναι, τὴν δὲ τύχην ἄστατον ὁρᾶν, τὸ δὲ παρ’ἡμᾶς ἀδέσποτον, ᾧ καὶ τὸ μεμπτὸν καὶ τὸ ἐναντίον18 παρακολουθεῖν πέφυκεν, ἐπεὶ κρεῖττον ἦν τῷ περὶ θεῶν μύθῳ κατακολουθεῖν ἤ τῇ τῶν φυσικῶν εἱμαρμένῃ δουλεύειν ( ὁ μὲν γὰρ ἐλπίδα παραιτήσεως ὑπογράφει θεῶν διὰ τιμῆς, ἥ δὲ ἀπαραίτητον ἔχει τὴν ἀνάγκην )

Car qui imagines-tu être plus fort que celui qui a des opinions conformes à propos des dieux, est continument sans peur quant à la mort, a réfléchi à la fin de la nature, distingue d'un côté que l'étendue des biens est aisée d'accès et facile à se procurer, de l'autre que celle des maux est courte en durées et en peines, anticipera16 celle que certains désignent comme la maîtresse17 de tout, ce qui dépend de la fortune et ce qui dépend de nous, parce qu'il voit d'une part que la nécessité est irresponsable, d'autre part que la fortune est instable, et parce que ce qui dépend de nous est sans maître : s'y attache naturellement ce qui est à blâmer et son contraire18; en effet, il vaudrait mieux s'attacher à la fable dont les dieux sont le sujet que d'être soumis à la nécessité des physiciens (l'une dessine l'espoir de détourner le malheur en rendant hommage aux dieux, l'autre comporte une nécessité inexorable).

τὴν δὲ τύχην οὔτε θέον ὡς οἱ πολλοὶ νομίζουσιν ὑπολαμβάνων (οὐθεν γὰρ ἀτάκτως θεῷ πράττεται) οὔτε ἀβέβαιον αἰτίαν (οἴεται μὲν γὰρ ἀγαθὸν ἢ κακὸν ἐκ ταύτης πρὸς τὸ μακαρίως ζῆν ἀνθρώποις δίδοσθαι, ἀρχὰς μέντοι μεγάλων ἀγαθῶν ἢ κακῶν ὑπὸ ταύτης χορηγεῖσθαι) κρεῖττον εἶναι νομίζων εὐλογίστως ἀτυχεῖν ἢ ἀλογίστως εὐτυχεῖν (βέλτιον γὰρ ἐν ταῖς πράξεσι τὸ καλῶς κριθὲν ὀρθωθῆναι διὰ ταύτην), ταῦτα οὖν καὶ τὰ τούτοις συγγενῆ μελέτα πρὸς ἑαυτὸν ἡμέρας καὶ νυκτὸς πρὸς τὸν ὅμοιον σεαυτῷ, καὶ οὐδέποτε οὔθ' ὕπαρ οὔτ' ὄναρ διαταραχθήσῃ, ζήσῃ δὲ ὡς θεὸς ἐν ἀνθρώποις · οὐθὲν γὰρ ἔοικε θνητῷ ζῴῳ ζῷον ἄνθρωπος ἐν ἀθανάτοις ἀγαθοῖς.

Sans faire de la fortune un dieu comme la plupart l'imagine (car rien en effet n'est effectué dans le désordre par un dieu )ni une cause indéterminée (car les hommes croient qu'elle leur donne bien ou mal en vue de vivre heureusement, et pourtant que les principes des biens et des maux importants sont l'effet de son orchestration) mais imaginant qu'il vaut mieux échouer avec sagesse que de réussir avec irréflexion (il est préférable qu'elle avalise ce qui a été bien jugé), agis avec des principes abalogues pour toi-même le jour et pour ton semblable la nuit, et tu ne seras jamais troublé ni dans la veille ni dans le rêve mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes ; en effet, il ne ressemble nullement à un être mortel l'être humain qui vit dans des biens immortels.


 
 
Notes et remarques :
1.Ce n'est pas encore le moment d'être heureux ou ça ne l'est plus. Ce qui suppose l'équivalence de l'activité de philosopher et celle d'être heureux. voyez la sentence vaticane 27: en philosophie, le fruit et l'activité sont contemporains, apprendre et jouit vont ensemble. Epicure fait référence à la question disputée du moment de philosopher: de 30 ans à 50 ans chez les platoniciens, après la paideia, avant la politique, 14 chez les Stoïciens, seulement quand on est jeune selon Calliclès, etc., une fois dans sa vie chez Descartes... Epicure renvoie tout le monde dos à dos, la réponse est : tout le temps, dès la naissance et jusqu'à la fin, et en tous cas... maintenant!
2.La gratitude envers le passé est le secret du bonheur du vieillard, avec l'absence de crainte envers l'avenir. C'est pourquoi le vieux est comme dans un port en sûreté, mieux équipé pour le bonheur que le jeune, qui a à craindre de l'avenir (sentence 17, où l'on retrouve la χαρις).
Selon Leo Strauss l'épicurien est incapable de souffrir de son passé: le voilà résumé d'un mot. Il y a aussi un bel article et fameux de Victor Brochard, qui montre que cela devait se rapporter à de véritables techniques spirituelles, d'autosuggestion. J'ai été frappé d'entendre un jour les médecins qui s'occupaient de la fameuse Jeanne Calment dire que le secret de sa longévité était peut-être dans sa capacité à se rendre présent les moments passés heureux, sans aucune amertume ou regret. un plaisir vécu est "a joy for ever": rien ne peut nous l'enlever, il est constitutif, et dès qu'on s'en souvient, il est là, aussi présent qu'au premier jour. c'est pourquoi le sage peut, même dans le taureau de Phalaris, ou à l'agonie, comme Epicure lui-même au jour de sa mort, quand les souffrances ne lui laissent plus de répit, combattre la souffrance par le souvenir de ses entretiens avec ses amis (c'est sa lettre testament que cite Diogène L). C'est sa manière à lui de pratiquer la réminiscence... ce n'est pas pour rien que le temps qui correspond à cet état s'appelle le parfait. avoir été heureux, c'est l'être. et c'est là la gratitude réparatrice, qu'il faut opposer à l'inquiétude disturbatrice du jeune.
3.Ce qui fait le bonheur, ce sont les préceptes, qui ne sont pas agréables par soi, mais par ce qu'ils produisent immédiatement. il faut s'y exercer, parce qu'il ne suffit pas de les prononcer une fois, mais il faut les appliquer à chaque cas qui se présente, tout le temps. ainsi, il faudra s'entraîner à méditer sur le fait que la mort n'est rien par rapport à nous.
4.Quand il est là nous avons tout, et nous faisons tout pour l'avoir s'il n'est pas là. lui présent, nous avons tout, lui absent, nous faisons tout pour l'obtenir. forme qu'on retrouve partout. c'est le présupposé, qu'Epicure, en empiriste du bonheur, se contente de demander à son lecteur de reconnaître. s'il ne le reconnaît pas, il peut abandonner tout de suite la lecture. bref, la morale relève d'un impératif technique (si tu veux être heureux, alors...), non d'un impératif catégorique.
5.Tout ce qui peut conserver, de lui, la félicité qui accompagne son incorruptibilité, estime que cela se rapporte à lui (περι αυτον, sous-entendu, ειναι). D'une part il ne faut pas ajouter ce qui est incompatible, mais d'autre part il faut adjoindre toute opinion qui renforce l'idée qu'on en a. Même raisonnement, mutatis mutandis, dans le Tratatus theologico-politicus de Spinoza, ch. 14. Une fois définis les 7 articles du credo minimum, chacun doit y ajouter les dogmes qui entretiennent sa foi. Le dogme minimal expose ce que tout le monde admet, la notion commune sur la foi. Par exemple, chez Spinoza, en gros, le credo minimal dit : Dieu existe, et le culte consiste à pratiquer justice et charité. une fois cela admis par tous, chacun peut, et même doit adapter ces dogmes communs et universels à ses propres convictions personnelles, afin de mieux se disposer à "obéir": par exemple il pensera s'il est ignorant que Dieu est une sorte de juge doué de liberté, etc.; ou bien s'il est savant, qu'il est la nature elle-même dans sa nécessité. Ici c'est pareil, il faut commencer par ne pas attribuer aux dieux des opinions incompatibles (croire qu'ils peuvent se soucier de nous, etc.), mais il faut AUSSI leur attribuer des opinions qui en renforcent la notion en nous, c'est cela le culte. Tout ce qui ne les nie pas, on peut et même on doit le penser à leur sujet. Contrairement à ce qu'on croit souvent l'épicurisme est une théologie, et des plus sérieuses.
6.cette forme de raisonnement est systématique :
1/ il expose d'abord la "notion commune" (κοινη νοησις), composée de deux adjectifs, l'un positif l'autre négatif (et le positif dépendant du négatif:
bienheureux parce qu'incorruptible), qui exprime non l'essence mais ce que tout le monde admet des dieux (l'esquisse), ce qui est nécessaire de reconnaître, le suffisant, afin de :
2/procéder au tri des opinions (δοξαι), les possibles et les impossibles. Nous avons donc la tripartition habituelle, qu'on retrouvera dans la classification des désirs: le nécessaire (ce sans quoi il n'y a plus de dieu), le possible (ce qu'on peut ajouter sans détruire la notion), et l'impossible (ce dont l'ajout détruit la notion). l'athéisme vient du fait qu'on n'a pas fait ce travail: la foule ajoute à la notion des opinions incompatibles qui la détruisent (par exemple que les dieux sont sensibles à la pitié ou à la colère), et du coup on détruit la notion, qui devient contradictoire, et on ne croit plus aux dieux, ce qui est la pire chose qui puisse nous arriver.
3/ à partir de là la connaissance (γνωσις) est possible: εισι θεοι.
7.Le verbe επαγω peut avoir le sens logique d'induction: Aristote, Topiques, I, 12. mais Bollack signale (sans référence à vrai dire) que le verbe avec αιτια et datif signifie lancer une accusation contre quelqu'un. ἔνθεν désignerait les hypothèses fausses: de ces hypothèses on déduirait que les plus grands maux proviennent des dieux, ou plus exactement: les plus grands malheurs sont lancés en accusation venant des dieux contre les méchants. le mythe consiste à faire des dieux des justiciers. quant à καὶ ὠφέλειαι comme il n'y a pas d'article devant ὠφέλειαι il faut le considérer comme un attribut au même titre que αιτιαι : les maux sont à la fois considérées ou lancés par la foule comme des accusations contre les méchants, et même comme des bienfaits (comme
punitions, soit au service des bons, soit pour corriger les méchants: renversement ultime de la superstition, le mal devient un bien). en tous cas tout le passage développerait l'erreur de la foule. comparer avec Spinoza, Ethique, I, appendice.
8. La question est de savoir de qui parle cette phrase. la foule, ou les dieux? et si ce sont les dieux, les dieux de la foule, ou au contraire les vrais dieux? bien que Bollack se prononce en faveur de la première hypothèse je pense qu'il est plus prudent de maintenir la pluralité. Cela dit la première hypothèse me semble la plus convaincante, parce que l'erreur est justement de croire que les vertus puissent concerner les dieux. les vertus sont des instruments au service de la conservation du plaisir (qui seul nous est véritablement οικειος), mais seuls les hommes en ont besoin (des vertus, qui diffèrent selon les temps et les lieux); pas les dieux, qui sont d'emblée incorruptibles et dans le plaisir. Reste à comprendre tout ce qui n'est pas tel: est-ce que ça renvoie à semblable ou bien à étranger (ce qui en fait n'est pas étranger, le dieu, l'image de la félicité): la seconde hypothèse me semble préférable.
9.Il s'agit simplement du temps infini d'une vie éternelle, qui n'est pas accessible à nous puisque nous sommes mortels, donc, il n'y a pas à désirer l'impossible.
10.Le ματαιος ne craint pas les souffrances qui précèdent la mort, mais simplement le fait que la mort est à venir, ce qui empoisonne toute la vie.
11.Les éditeurs ont préféré inventer un texte manquant avec "le sage" comme sujet de verbe, qu'il faut remettre à l'actif, etc., au lieu de chercher à comprendre. mais si on rapporte αὐτῷ au sujet de la phrase précédente, τὸ μὴ ζῆν, on peut comprendre le verbe προσίσταται qui signifie au sens propre se placer contre, auprès de, en le rapportant à la vie: on ne craint pas le non vivre, parce que la vie ne se situe pas en continuité avec lui. variante de la mort n'est rien en rapport avec nous. sous-entendu, ce qu'on craint dans la mort, c'est autre chose que ce qu'elle est vraiment. donc, le sujet ce n'est plus le sage, mais tout le monde: personne, au fond, ne craint le non vivre, ni n'a l'opinion que ne pas vivre est un mal. ce qu'on craint, c'est autre chose, qui a rapport avec la vie. mais comme la mort n'a justemen aucun rapport avec elle, etc.
12. Il s'agit de faire une "belle mort".. l'idée est que le beau se distribuerait sur la vie et sur la mort, ces deux activités étant distinctes; alors qu'il n'y a qu'une seule belle chose, qui est de bien vivre et bien mourir, sans division.
13.la θεωρία porte sur les désirs, et de plus ne doit pas s'égarer, c'est à dire qu'on peut s'appuyer sur la théorie pour dévier dans la pratique mais ce n'est pas des désirs qu'on s'écarte, c'est de la référence que constitue le plaisir ; du reste il est souvent question chez Epicure de θεωρία, par ex. Hérodote, 59, la θεωρία appliquée aux invisibles, et Pythoclès, 86: la θεωρία appliquée aux modes de vie..
14.Ici ana signifie en arrière et non en hauteur : c'est l'image d'un retrait, non d'une élévation. comme on dit : revenir à la réalité. Voir Bailly, II. et la maxime 26: parmi les désirs, tous ceux qui ne se ramènent (epanagousin) pas à la douleur quand ils ne sont pas comblés ne sont pas nécessaires... id, maxime 30. et aussi Diogène Laërce sur les cyrénaïques, 91, 4.
15. Le plaisir n'est pas présent et pourtant nous n'en manquons pas, il n'est pas absent non plus. de sorte qu'il faut comprendre χρείαν non comme besoin mais comme usage afin de bien le distinguer du manque, ἐνδέον. dès que le manque disparaît, qu'on est dans l'ataraxie, que la tempête de l'âme se dissipe, on peut faire usage du plaisir non manquant quand nous souffrons de sa non présence. Il ne faut pas confondre la souffrance liée au manque et celle liée à la non-présence du plaisir. la souffrance du manque se traduit par une douleur immédiate dans le corps (la faim); la souffrance de la nonprésence suppose un jugement. Pour éclairer ce passage, le fragment de Stobée. 422 usener, qui montre que l’injustice vient des désirs naturels seulement (simplement possibles) pris pour nécessaires, autrement dit non du manque, mais de la souffrance liée à la pensée de l’absence : « nous faisons usage du plaisir quand nous souffrons de sa non présence ; mais quand nous ne sommes pas dans cet état et que nous nous arrêtons à la sensation, alors il n’y a aucun usage du plaisir ; car ce n’est pas le plaisir de la nature qui produit l’ injustice au dehors, mais l’appétit qui se rattache aux opinions vides » . La souffrance de la non présence n’est pas un manque, parce que la non présence n’est pas l’absence : la souffrance est un usage du plaisir, dont la présence dans la mémoire produit des désirs vides, des regrets superflus, celui de retrouver la présence de l’objet qui a causé le plaisir, au moment même où ce plaisir est bel et bien présent en nous, en notre mémoire, et où nous disposons de lui, où nous ne manquons pas de lui. L’usage est ce qui excède la sensation.Souffrir de l’absence du plaisir, c’est faire usage de plaisir, ce n’est pas manquer du plaisir. Je suis dans le plaisir dès que les désirs nécessaires sont satisfaits, et c’est alors seulement que je peux souffrir de l’absence de ce que j’aime, du fait, non de l’état du corps, mais de l’opinion ajoutée par l’esprit, qui redoute l’avenir, regrette le passé. Le remède consiste à s’approprier le plaisir par la pensée, en chassant l’opinion vaine, et à contrebalancer la souffrance par la mémoire des biens passés et des maux passés, au lieu de gâcher le présent par la pensée des choses absentes, et ainsi établir sur la pensée du plaisir des rapports d’amitié pour assurer l’avenir.
16.L'important est que le sage sera capable de distinguer, même à l'avance, ce qui relève de chacun de ces trois champs que le vulgaire confond (et c'est pourquoi il faut les mettre sur le même plan tous les trois).
En fait, même si le texte est un peu alambiqué, et sans doute tronqué, le sens général est tout de même clair, il s'agit de faire le partage des causes. il y en a trois (conformément aux trois types de désirs, par exemple): nécessité, hasard, liberté.
17.peut-être s'agit-il de la nécessité, ainsi désignée par les "physiciens" (ex les stoïciens); mais Selon Bollack c'est la fortune, et ensuite il y aurait un accusatif de relation: "il annoncera celle que... mais dans un monde où certaines choses dépendent de la fortune, d'autres de nous."
18.si l'on blâme ou approuve les actions humaines, c'est qu'elles sont faites "sans maîtres", que les hommes sont libres. On remonte de la morale à la liberté, de manière toute kantienne.


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Robin Delisle