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L’évolution contrastée du littoral de l’île de la MARTINIQUE

 

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Pascal Saffache, Michel Desse

RÉSUMÉ.

Une séquence d'analyses cartographiques (1955-1994) a permis de suivre l'évolution du littoral de la Martinique. Au nord-ouest de l'île, un recul moyen de 25 à 35 m a été mesuré : aux effets des vagues et des courants se sont ajoutés les prélèvements des carriers. Au sud au contraire, dans le cul-de-sac du Marin, la progression des côtes atteint 30 m ; l'évolution des modes d'occupation du sol semble avoir joué un rôle dans ce domaine.

 

L'érosion du littoral nord-ouest

La progradation du littoral méridional au cul-de-sac du Marin

Conclusion

Bibliographie

 

L’érosion côtière est un problème majeur au nord-ouest de la Martinique (Saffache, 1998). Lors des tempêtes et des ouragans, des portions de plus de 5 m sont excavées en quelques heures. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les agglomérations du Prêcheur, de Saint-Pierre et du Carbet bordent les plages et misent volontiers sur le tourisme balnéaire. Au sud de l'île, le phénomène est inverse, mais les complexes touristiques de la baie du Marin (Club Méditerranée par exemple) ne sont pas moins perturbés, car la baie s'envase à un rythme de plus en plus soutenu : l'engraissement du cul-de-sac du Marin a été aussi actif en 9 ans (1985 à 1994) qu'au cours des 30 années précédentes (1955-1985) (Saffache et al., 1998); chaque année, la progradation moyenne du rivage varie de 0,7 à 2,1 ni selon les lieux. Les enjeux économiques et humains justifient une étude attentive de ces phénomènes, que nous avons menée récemment (1).

L'érosion du littoral nord-ouest

La portion côtière étudiée s'étend, sur 11 km, de la rivière du Carbet au Cap Saint-Martin (Prêcheur) (carte1).

Le rivage a reculé de 25 à 35 m en 40 ans, soit 0,6 à 0,9 m par an en moyenne. Certains secteurs sont plus gravement touchés: à l'anse Belleville, le recul dépasse 70 m; la pointe Gribouldin, la pointe la Marc et les quartiers de la Charmeuse et Fond Corré ont perdu près de 40 m. L’ensemble du secteur a perdu 30 hectares. Cette situation semble paradoxale, puisque les torrents qui drainent le Nord de l'île transportent beaucoup de particules jusqu'à la côte (Meunier, 1997). Cet apport sédimentaire devrait en principe réapprovisionner les plages; mais la situation locale s'y oppose.

Relief et action marine. Le littoral nord-ouest est particulièrement accore (escarpé), puisque à une centaine de mètres du rivage la profondeur varie de 70 à 110 m.  Du rivage jusqu'à plus de 1500 m de profondeur, se succèdent des crêtes et des canyons qui prolongent les planèzes des massifs émergés (BRGM, 1980). Les vallées sous-marines sont de véritables pièges à sédiments : les matériaux détritiques qui arrivent sur la côte sont directement canalisés et entraînés vers les grands fonds. Le transport sédimentaire, parallèle au rivage (dérive littorale), est ainsi très faible et les plages sont peu alimentées.

De surcroît, les houles sont ici très érosives : n'étant pas amorties par des récifs, elles conservent l'essentiel de leur énergie. Les talwegs sous-marins, perpendiculaires au rivage, favorisent leur canalisation, ce qui accroît leur vitesse de propagation et leur capacité érosive. Cela se vérifie facilement car les portions littorales qui font face à ces couloirs d'accélération (La Charmeuse, Les Abymes, etc.) subissent une érosion accusée, de l'ordre de 1 à 1,5 m/an environ.

La texture de la côte a aussi sa part (tableau I). Contrairement aux roches massives et indurées (andésites ou brèches), les vagues attaquent les formations peu cohérentes et de faible densité; or les nuées, les ponces et les dépôts alluviaux s'étendent ici sur plus de 8 km

Nature des roches

Lieux et ampleur du repli de la côte

 

Andésites et/ou brèches

Anse à Galets (-5 m), Anse à Voile (- 1 0 m), Trou Anastasie (-S m), Anse Céron (-10 m), Pointe Sainte-Philomène (-10 m), Fond Canonville (-10 m), Fond Corré (-15 m), Quartier du Fort (-15 m), Anse Latouche (-8 m), Anse Turin (-10 m), Petite Anse (-10 m).

 

Nuées ardentes, ponces, dépôts alluviaux

Anse Belleville (-72 m), Pointe Gribouldin (-40 m), Les Abymes (-35 m), Rivière du Pécheur (-25 m), La Charmeuse (-38 m), Pointe la Mare (-35 m), Source Chaude (-20 m), Rivière des Pères (-30 m).

Tableau I :  Évaluation du repli de la côte en fonction de se nature pétrographique

 

Les cyclones. L’érosion peut être renforcée par le passage de perturbations paroxysmiques (tempêtes, ouragans, etc.). Lors du passage du cyclone Édith (1963), la plage de l'anse Belleville a reculé de près de 5 m. L’érosion fut tout aussi spectaculaire lors du passage des cyclones Dorothy (1970), David (1979), Allen (1980), Hugo (1989) et Klaus (1990) puisque la côte a perdu chaque fois 2,5 à 7 m en moins d'une demi-journée.

Les prélèvements. Longtemps, les prélèvements de sable par les riverains n'ont pas affecté le rivage. Mais les carriers se sont mis à extraire de grandes quantités de sédiments (200 000 à 350 000 tonnes) à l'embouchure des rivières; l'approvisionnement et la recharge des plages sont fortement perturbés; le déséquilibre du bilan sédimentaire aggrave le recul de la frange côtière.

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La progradation du littoral méridional du cul-de-sac du Marin

Le cul-de-sac du Marin est la plus grande échancrure de la côte méridionale de la Martinique et s'étend sur 11 km2 environ. Cette baie est le siège d'une forte accumulation : de la pointe Borgnesse à la pointe Marin, plus de 7,5 km de côtes sont en voie d'engraissement (carte2). Au cours des 40 dernières années, plus de 20 ha ont été gagnés sur la mer, ce qui représente une progradation (avancée) du rivage d'une largeur de 30 m environ, et le phénomène s'accélère.

L'apport des bassins-versants. La baie du Marin reçoit les apports de plusieurs bassins-versants, qui couvrent une surface totale de 22 km2 : 17 km2 sont en forêt, 3 en pâturage et 2 en maraîchage. Les sols sont homogènes et appartiennent à la classe des vertisols (Colmet Daage et al., 1965); comme ils sont riches en sodium, leur agrégation est faible et leur stabilité dépend de la quantité de matière organique : les fortes teneurs en matières organiques sous forêt et sous pâturage augmentent la résistance. Du vertisol à l'érosion; la mise en culture maraîchère provoque une chute des teneurs en matières organiques et une augmentation de la sensibilité du sol à l'érosion. Des simulations indiquent que, pour une pluie de récurrence annuelle (55 mm.h-1), l'érosion d'un sol sous forêt est quasiment nulle alors qu'elle est de 5,5 t.ha.h-1 pour les surfaces maraîchères. Pour une pluie de récurrence centennale (150 mm.h-1), l'érosion est de 200 kg.ha.h-1 pour la forêt et de 22 t.ha.h-1 pour les surfaces maraîchères.

Une allure de catastrophe. Au cours des années 1980, la mise en place d'un périmètre irrigué a permis le développement de cultures maraîchères dans le Sud de la Martinique: 2 km2 dans la seule commune du Marin. Les eaux de ruissellement se chargent de particules fines qui restent longtemps en suspension et ne se déposent pas avant d'atteindre la côte: les argiles s'accumulent sur le littoral. On a calculé que cette contrée est régulièrement affectée par des précipitations d'une intensité moyenne de 20 mm.h-1 et d'une durée moyenne annuelle de 100 heures. Les 17 km2 de forêt libèrent chaque année, environ 13 tonnes de sédiments; les 3 km2 de surfaces pâturées en perdent bien plus (24 t), mais sans proportion avec les terres cultivées, qui libèrent 2000 fois plus de sédiments (26 000 t pour 2 km2 de maraîchage), fournissant la quasi-totalité des apports (tableau II). Cette arrivée massive de sédiments a des conséquences écologiques particulièrement dommageables pour la faune et la flore sous-marines : la ressource halieutique ne cesse de péricliter et les coraux, jadis si florissants, sont presque tous nécrosés. Des menaces planent sur le port de plaisance du Marin et les activités touristiques qu'il favorise.

Tableau II

Surfaces occupées(km2)

Volume sédimentaire annuel exporté (t.an-1)

Forêt

17

13

Pâturage

3

24

Maraîchage

2

26000

 

Des mesures à prendre. Face à cette catastrophe écologique et économique, nombreux sont ceux qui réclament le reboisement des surfaces cultivées. Faute d'y parvenir, il faudrait néanmoins proposer des solutions culturales plus adaptées, donc plus durables. L'une des premières mesures à prendre pourrait être de limiter la période durant laquelle le sol est dénudé, ce qui réduirait l'ampleur des effets du ruissellement. Certaines solutions (éviter les labours profonds, par exemple) devraient même être étendues à l'ensemble des bassins-versants de l'île.

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Conclusion

Une observation attentive montre l'ampleur des contrastes locaux sur le littoral d'une île de taille pourtant limitée. Elle montre aussi, dans les deux cas, qu'un changement dans le mode d'activité humaine peut avoir des conséquences considérables, affectant de façons différentes un même projet, qui est celui du développement touristique. Les entrepreneurs et les élus méritent d'être mieux informés et sensibilisés en ces domaines. Rien, en effet, ne relève ici d'une fatalité naturelle : la dynamique des littoraux résulte de l'interaction entre les forces naturelles et l'action humaine, quelque contradictoires qu'en apparaissent les résultats, elle introduit des changements qui, dans les cas étudiés, ont des conséquences négatives, au moins pour certaines activités.

haut      Pascal Saffache, Michel Desse  (1999)  texte publié dansMappemonde " ,55,   3/1999,

 

(1) Pour apprécier l'évolution du littoral nord-ouest, les trois dernières couvertures topographiques IGN de 1955 (1/20 000), 1985 et 1994 (1/25 000) ont été ramenées à la même échelle (1/25 000) par la Photothèque nationale. La superposition des cartes a été effectuée à l'aide de films transparents sur lesquels les principaux amers (points géodésiques, églises, etc.) ont été répertoriés. Ces cartes étant éditées par l'IGN, il n'y a pas eu de difficulté de report concernant le zéro topographique. L'évolution générale de la côte a ainsi pu être mesurée. Pour la baie du Marin, la même étude cartographique diachronique à été réalisée. En outre, l'érodibilité du sol à été mesurée grâce à un simulateur de pluie (Valentin & Asseline, 1978). Les pertes en terres, obtenues sur une surface d'un mètre carré et sous trois modes d'occupation du milieu (forêt, pâturage et maraîchage), ont été exprimées en kilogrammes ou en tonnes par hectare puis extrapolées à l'échelle des bassins-versants.