du littoral martiniquais
Des méthodes de protection inadaptées[)es méthodes de protection respectant l'environnement
Une autre façon de penser et de gérer le littoral
Au cours des dernières décennies, le littoral de l'île de la Martinique a connu d'importantes évolutions, puisque les baies et les culs-de-sac se sont transformés en des zones quasiment stériles (appauvrissement ichtyologique) en raison de leur envasement.
Parallèlement, certaines portions côtières ont reculé à un rythme soutenu. A titre d'exemple, au nord ouest de l'île, le recul de la côte a été estimé à un mètre par an environ (1).
En raison des impacts écologiques que sous-tendent ces phénomènes, mais plus encore face à l'augmentation de la vulnérabilité des populations riveraines, des mesures de protection et de gestion durable devraient être prises.
En France métropolitaine, ces mesures relèvent de la compétence de l'État, car l'article 1,1 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 (2) stipule que " le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur. La réalisation de cette politique d'intérêt général implique une coordination des actions de l'État (... ) "
S'il est traditionnellement du devoir de l'État de gérer et de protéger les côtes, force est de constater que ce n'est pas le cas en Martinique. En effet, depuis la loi de décentralisation, les décisions d'aménagement relèvent du Conseil régional. C'est donc cette institution qui choisira d'aménager tel ou tel secteur ou privilégiera telle ou telle procédure de gestion (3). Les propositions d'aménagement des côtes sont présentées dans le Schéma de Mise en Valeur de la Mer (SMVM).
Si ce document a le mérite de prendre en compte l'ensemble du littoral martiniquais, on peut cependant regretter que la fragilité de la frange côtière n'ait pas été suffisamment mise en relief .
En outre, ce document ne propose pas d'intégrer la gestion des côtes dans une véritable dynamique de protection régionale. Ainsi, il est à craindre que l'on pratique, une fois encore, une gestion au coup par coup (au fur et à mesure que les besoins se font sentir) qui aboutira inéluctablement à des protections disséminées et non intégrées dans un projet de défense global.
Face au manque d'intérêt que suscite la mise en place d'une véritable politique régionale de protection côtière, il s'avère nécessaire de présenter les méthodes de protection qui ont été utilisées jusqu'alors en Martinique. Parallèlement, nous détaillerons celles qui auraient pu l'être ; ainsi, apparaîtront les inadaptations les plus flagrantes. Enfin, nous proposerons une autre méthode de gestion des côtes dont pourraient s'inspirer les décideurs.
Des méthodes de protection inadaptées
De 1950 à 1975, l'urbanisation du littoral s'est faite au détriment de toutes les règles de sécurité, puisque des maisons ont été construites en bordure de mer sans que ne soient pris en compte les risques d'érosion auxquels elles étaient exposées.
Face à l'importance du recul des côtes, mais plus encore face à l'augmentation de la vulnérabilité des populations riveraines, il s'est avéré nécessaire de protéger ces constructions en réalisant des ouvrages de défense.
Trois types d'ouvrages ont été employés : des ouvrages longitudinaux (murs verticaux en ciment, parois de soutènement en béton armé),transversaux (épis) et des brise-lames.
Les ouvrages longitudinaux sont souvent considérés comme l'unique moyen de protection du littoral car ils présentent deux avantages :
de par leur verticalité, leur emprise au sol est faible ; ils furent donc utilisés sur des sites ne permettant pas une importante extension en largeur;
Cinq communes littorales furent donc équipées de ce type d'ouvrage : le Lorrain, le Marigot, le Prêcheur, le Diamant et Sainte-Anne. Si ces ouvrages ont rassuré les populations menacées, en réalité, il n'est plus souhaitable de les utiliser car ils n'ont qu'une efficacité limitée et présentent de trop nombreux inconvénients :
en raison de leur caractère massif et monotone, ces ouvrages sont véritablement inesthétiques ;
bien qu'ils freinent l'érosion qui résulte de l'attaque frontale de la houle, ils ne peuvent réduire les manifestations érosives qui affectent le bas des plages ;
Les ouvrages transversaux, bien que plus adaptés au caractère labile du milieu littoral, présentent, eux aussi, de nombreux inconvénients. A titre d'exemple, ces ouvrages étant généralement construits à partir de blocs volcaniques de formes irrégulières, il est souvent difficile d'agencer ces blocs de façon à ce qu'ils forment une paroi homogène et stable. En outre, ces blocs volcaniques étant généralement fissurés (4), les houles les démantèlent facilement. Pour ne prendre qu'un exemple, l'épi (5) installé en 1977 à Tartane est détruit sur plus de la moitié de sa longueur.
Même les brise-lames, implantés face aux grands hôtels du sud de l'île n'ont qu'une efficacité illusoire. En effet, ces derniers devant aussi servir d'aire de repos aux touristes, ils n'ont été construits qu'à une dizaine de mètre du rivage (6) ; dans ces conditions, ils ne peuvent absorber toute lénergie houlographique et ne réduisent que partiellement l'érosion.
Contrairement à ce qui a été fait jusqu'à présent en Martinique, pour protéger efficacement une côte, il ne suffit pas d'y juxtaposer des ouvrages aux caractéristiques techniques différentes.
Pour aménager et protéger durablement le littoral, il ne faut pas privilégier les ouvrages de protection, en tant que tels, mais l'influence que ces derniers peuvent avoir sur la côte.
Ainsi, il existe de nombreuses autres techniques, très résistantes et peu coûteuses, qui s'adapteraient beaucoup mieux au littoral martiniquais ; dès lors, comment comprendre que ces techniques de protection n'aient toujours pas été employées ? En réalité, les personnes qui ont la charge de gérer le littoral se contentent passivement d'employer les méthodes les plus couramment utilisées en France métropolitaine. S'il est parfois nécessaire de se référer au modèle métropolitain, il ne faut pourtant pas le transposer systématiquement à la réalité locale.
[)es méthodes de protection respectant l'environnement
En raison de l'inadaptation des ouvrages jusqu'alors utilisés (murs, parois de soutènement, etc.), nous proposons de protéger durablement la côte en utilisant, par exemple, la technique des gabions (7). Cette dernière ne présente que des avantages :
-sa conception est rapide, car il s'agit de remplir de pierres, des paniers en acier qui sont ensuite superposés les uns sur les autres. Leur empilement peut être rectiligne ou en gradins. Quoi qu'il en soit, la réalisation et la pose des gabions ne durent que quelques semaines ;
de par leur perméabilité, les gabions ne réfléchissent pas les houles ; aussi n'augmentent-ils pas l'ablation des matériaux sableux. En outre, il n'est pas nécessaire de les enfouir pour assurer leur stabilité ;
leur structure étant souple, ils s'adaptent facilement aux déformations naturelles du terrain ;
enfin, ils se fondent parfaitement dans le paysage puisque les plantes les recouvrent après quelques mois.
Si des gabions avaient été utilisés à l'Anse à l'Ane, pour stopper le recul du rivage, cela aurait peut-être évité que l'on altère le caractère naturel de cette anse.
Plutôt que d'utiliser des techniques qui dénaturent ou transforment le paysage, l'idéal serait de protéger la frange côtière tout en préservant son aspect naturel. Si cela peut paraître utopique, en réalité, depuis de nombreuses années ces procédures sont déjà employées en Floride (8), par exemple. Il s'agit tout simplement de réalimenter les anses érodées en matériaux sableux.
En Martinique, si des plages artificielles ont été créées par le biais de transferts sableux, en fait les aménageurs n'ont jamais utilisé cette technique pour lutter contre l'érosion des côtes. Cela est vraiment regrettable car les sédiments (sables et graviers) nécessaires à cette opération se trouvent facilement sur place (dans les carrières).
Une autre façon de penser et de gérer le littoral
Même si les aménageurs décidaient aujourd'hui de n'utiliser que les techniques de protection les plus efficientes (les gabions et la réalimentation des anses), ils n'obtiendraient pas pour autant une protection littorale durable.
En réalité, la durabilité ne s'acquiert qu'au terme d'une longue procédure qui inclut, bien évidemment l'utilisation d'ouvrages de protection plus adaptés.
Pour gérer et protéger durablement une côte, il importe de respecter les étapes suivantes. Dans un premier temps, il convient de modéliser le littoral de façon à :
prévoir l'évolution future du rivage en facilitant, par exemple, la localisation des zones sensibles à l'érosion ou à l'envasement ;
La modélisation du littoral est donc une étape essentielle dans la quête d'une gestion durable.
A partir de ces informations, il conviendra ensuite d'estimer le coût des dommages côtiers afin de juger de l'importance des ouvrages de défense à réaliser. En effet, il n'est pas souhaitable de construire un ouvrage de protection de plusieurs millions de francs sur une côte qui ne serait que faiblement affectée par l'érosion.
Il faut donc adapter les ouvrages de défense à l'importance des dégradations littorales et non implanter systématiquement les mêmes ouvrages quel que soit le type de dégradation constaté.
Au terme de cette seconde étape, il conviendra de mener un certain nombre d'enquêtes sur le terrain de façon à définir les principales caractéristiques physiques (caractéristiques de la houle, de la marée, type de côtes, nature des matériaux, etc.) et humaines (données économiques) des zones à aménager. Toutes ces informations permettront d'élaborer une banque de données qui permettra de mieux intégrer les ouvrages de protection au contexte physique et socio-économique régional.
Nanti de toutes ces informations, il sera alors possible de choisir le type d'aménagement qui conviendra le mieux à tel ou tel type de côte, de façon à réduire tel ou tel type de dégradation littorale.
En appliquant cette procédure de gestion, la protection du littoral martiniquais ne se résumera plus à une juxtaposition d'ouvrages implantés sous la pression des événements.
Nous disposerons alors d'un véritable projet de gestion global qui s'inscrira dans une dynamique de développement durable.
Prendre conscience de ces dysfonctionnements, c'est déjà faire un pas vers la protection durable.
Pascal SAFFACHE (1999) texte publié dans " Combat Nature " n° 126 Aout 1999, page 27-28
NOTES:
(1) Voir " Cultures intensives et prélèvements sableux dégradent le littoral martiniquais " par Pascal Saffache, " Combat Nature " n° 124 Février 1999, page 11.
(2) Loi publiée au Journal Officiel le 4 janvier1986.
(3) Les services de l'État, comme la Direction Départementale de l'Équipement par exemple, ne sont que des chevilles ouvrières qui agissent en tant que maître d'uvre auprès de la collectivité régionale.
(4) Il est très difficile de se procurer des blocs volcaniques sains (sans fissure).
(5) Ouvrage établi perpendiculairement au rivage pour entraver l'érosion.
(6) Ces ouvrages ont été implantés trop près du rivage aussi ne protègent-ils pas efficacement la côte.
(7) Panier métallique rempli de cailloux et servant à renforcer les berges.
(8) A l'origine, la plage de Miami beach (Floride) avait une largeur de 20 mètres environ. Entre 1976 et 1982, plus de 17 millions de m3 de sable y turent transférés. Cette plage atteint actuellement une largeur de 200 m environ.