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ETUDE D'UN CARNET D'ORDRES
pour les débutants en bourse




   Je prends ici l'exemple d'une certaine société dont le nom commence par E et finit par urodisney. Nous sommes le 14 octobre 2005 sur le coup de 17h, et vous décidez, comme ça, de vous intéresser à cette valeur, pour quelque raison qui n'appartient qu'à vous (par exemple, vous voulez en acheter à vos gosses). Un coup d'oeil succinct à l'historique du cours vous apprend que la valeur du titre évolue depuis des semaines entre 0,12 et 0,13 euros, avec une régularité de métronome. Et là vous vous dites : "tiens, si j'achetais à 12 centimes et je revendais à 13, est-ce t'y pas que je me mettrais 7% dans la poche sans effort?".


   Question pertinente, à laquelle je répondrais par cette autre : "Eh, pauvre buse, tu crois vraiment être le premier à avoir eu l'idée ?". Bon, d'accord, il n'est pas physiquement impossible qu'il existe quelque part, à la bourse, une manière aussi simple et aussi efficace de faire fortune rapidement et sans risque. De la même manière, il n'est pas physiquement impossible que ce soir en rentrant chez moi, je trouve Shakira allongée nue dans mon lit, ruisselante de désir pour mon corps d'athlète orné d'un membre d'airain aux proportions éléphantesques. Ce n'est pas physiquement impossible donc, mais c'est tout de même très improbable. Pour vous convaincre que la pompe à fric perpetuelle est une chimère, faites donc un essai avec 1000 euros, et revenez me voir. En général la question est : "Ben, pourquoi y veulent pas que je vende ?".


   Pour comprendre cette criante injustice, il faut connaître un peu les mécanismes de la bourse. Le principe est simple : lorsque deux personnes s'entendent sur le prix d'une valeur, l'échange a lieu à ce prix. Par exemple, si une personne souhaite vendre 1000 actions Eurodisney à 13 centimes, et qu'une autre cherche à en acheter 1000 à 12, il n'y a pas de transaction. En revanche, si l'acheteur augmente son prix maximum d'achat (appelé la limite) à 13 centimes, on observe immédiatement l'échange de 1000 actions à 13 centimes. A l'inverse, si c'est le vendeur qui "craque" le premier et baisse son prix minimum de vente (toujours appelé limite) à 12 centimes, l'échange a lieu à 12. Jusque là, c'est simple.


   L'affaire se corse si on considère qu'il peut y avoir plusieurs acheteurs (ou vendeurs) au même cours. Supposons que cinq vendeurs différents souhaitent vendre chacun 1000 actions à 13 centimes. Supposons qu'à ce moment là, il se présente un acheteur disposé à en prendre 1000 à ce prix. La transaction aura lieu, certes, mais l'acheteur n'en veut pas 5000, il n'en veut que 1000. Alors, comment on fait ? Est-ce que chaque vendeur se débarrasse de 200 actions et en garde 800 sur les bras ? Est-ce qu'on envoie un gendarme mettre le pistolet sur la tempe à ce foutu acheteur pour qu'il daigne en prendre 5000 ? Est-ce qu'on tire au sort l'heureux élu ?


   Bien sûr que non. A la bourse, dans ce genre de cas, on utilise la règle du "premier arrivé, premier servi". Chaque ordre de bourse est soigneusement millésimé au moment de son arrivée sur le marché, on lui attribue une étiquette électronique avec date, heure, minute, seconde et - croyez-le ou non - millionième de seconde. Lorsque plusieurs ordres pourraient être exécutés au même cours, c'est toujours le plus ancien qui est prioritaire. Il est impossible que deux ordres arrivent à la même date (je veux dire, c'est informatiquement impossible, au pire on attend un millionnième de seconde supplémentaire pour enregistrer l'ordre suivant, il y a toujours un ordre plus ancien que l'autre).


   Pour en revenir à votre cas, vous comprenez maintenant que si on ne vous a pas laissé acheter à 12 centimes, c'est parce qu'il y avait des ordres plus anciens que le votre sur le marché. De la même manière, si jamais votre achat passe, vous constaterez alors que vous avez les mêmes difficultés pour vendre à 13 centimes.


   Oui, mais si vous attendez "suffisemment longtemps" ? En fin de compte votre ordre arrivera bien à passer au bout de plusieurs jours, non ? Et au fait, peut-on savoir combien il y a d'ordres à l'achat à 12 centimes ? Pertinentes questions, auxquelles il est aisé de répondre grâce à votre nouvel ami : le carnet d'ordres !


   Sur les sites boursiers et ceux des courtiers en ligne, vous voyez souvent des tableaux abscons de cinq lignes et six colonnes, c'est ce que l'on appelle le "carnet d'odres" d'une valeur. Il s'agit du récapitulatif de tous les ordres à cours limite actuellement placés sur le marché, entourant le dernier cours. Pour fixer les idées, voici un exemple de carnet d'ordres, qui se trouve être celui de l'action Eurodisney le 14 octobre vers 17h (je vous fais grâce des millionnièmes). Que peut-on y lire ?


Achat   Vente
1416 49 462 538 0,12 0,13 134 054 678 3537
1100 83 425 723 0,11 0,14 107 662 595 2178
427 64 733 047 0,10 0,15 80 512 396 1136
132 53 149 375 0,09 0,16 56 956 089 433
52 44 326 883 0,08 0,17 50 372 170 263


   Tout d'abord, vous noterez que les cours "actifs" sont mis en exergue sur la première ligne : 0,12 et 0,13 en face l'un de l'autre. En dessous, ce sont d'un côté les acheteurs à 0,11 et les vendeurs à 0,14, puis les acheteurs à 0,10 et les vendeurs à 0,15, etc... les cours traités sont indiqués sur les colonnes centrales. Sur les colonnes plus éloignées du centre, vous trouvez le nombre de titres proposés à ce prix. Ici, vous voyez que les gens disposés à acheter à 12 centimes sont disposés à en prendre plus de 49 millions, et ceux qui sont désireux de vendre à 13 apportent 134 millions de titres. Enfin, sur les colonnes latérales, vous trouvez le nombre d'ordres de bourse que représentent ces volumes (il y a donc 1416 ordres d'achat à 12 centimes, et 3537 ordres de vente à 13).


   Qu'est-ce que cela vous apprend ? En soi, rien. Si vous essayez d'acheter 1000 titres à 12 centimes (ce qui représente une modeste dépense de 120 euros), le carnet d'ordres va se modifier comme suit : 1417 ordres d'achat à 12, pour un total de 49 463 538 titres. Mais gardez bien à l'esprit que tous ces titres potentiellement achetés, même si le prix proposé est le même, ne sont pas égaux : il faudra que les 49 462 538 titres proposés à l'achat avant les votres soient effectivement achetés pour que votre ordre s'exécute ! Cela peut-il se produire dans un délais résonnable, disons d'une semaine ? Le carnet d'ordres n'en dit rien, il faut aller chercher l'information ailleurs, dans le volume quotidien traité. Cette information est aisément accessible sur tous les sites de bourse, il s'agit du nombre total de titres échangés (quel que soit le cours) dans la journée. Pour reprendre l'exemple qui nous intéresse, dans la journée du 14 octobre 2005, 3 902 845 titres Eurodisney ont été traités. C'était d'ailleurs plutôt une bonne journée, il arrive que moins de 2 millions de titres soient échangés, mais supposons qu'il en soit ainsi tous les jours. Si on part du principe (relativement faux mais il faut bien simplifier) que la moitié des titres échangés le sera à 12 et l'autre moitié à 13, on peut supposer qu'environ 2 millions de titres seront achetés à 12, et 2 millions vendus à 13. Vu qu'il y a 50 millions de titres à l'achat, vous pouvez raisonnablement compter que votre achat de 1000 titres passera... dans 25 jours de bourse (soit, dans plus d'un mois, car on ne bourse pas les week-ends).


    Et à la vente, c'est encore plus long !


   Vous comprenez maintenant pourquoi la martingale-miracle n'existe pas. Sui vous observez attentivement l'historique du cours, vous constatez que le temps de faire un aller-retour entre 12 et 13 centimes, il va s'écouler dans les quatre mois, et que sur un tel laps de temps, il est probable que le cours aura "décalé" au moins une fois, entre 11 et 12 par exemple, ruinant votre belle stratégie. Et même si vous avez la chance de vivre une telle période de calme, vous n'êtes pas sauvé pour autant, car il se trouve qu'à la bourse de Paris les ordres ont une date limite de consommation, ils se périment à la fin du mois ! Bref, vous avez peu de chances de faire fortune de la sorte.


   Mais avec un peu d'habitude, on peut tirer d'autres informations du carnet d'ordres. On peut, par exemple, tirer un portrait-robot (qui vaut ce qu'il vaut, mais qui s'appuie sur des données objectives) de l'investisseur moyen. Puisqu'on a le nombre de titres proposés et le cours du titre, il est facile de calculer la valeur totale des ordres de bourse à tel cours, et en divisant par le nombre d'ordres, la valeur moyenne de l'ordre de bourse. Par exemple sur le cas ci-dessus, on obtient le résultat suivant :


Achat   Vente
cours nb. titres nb. Ordres valeur totale valeur moyenne cours nb. titres nb. Ordres valeur totale valeur moyenne
0,12 49 462 538 1416 5 935 504,56 4 191,74 0,13 134 054 678 3537 17 427 108,14 4 927,09
0,11 83 425 723 1100 9 176 829,53 8 342,57 0,14 107 662 595 2178 15 072 763,30 6 920,46
0,10 64 733 047 427 6 473 304,70 15 159,96 0,15 80 512 396 1136 12 076 859,40 10 631,04
0,09 53 149 375 132 4 783 443,75 36 238,21 0,16 56 956 089 433 9 112 974,24 21 046,13
0,08 44 326 883 52 3 546 150,64 68 195,20 0,17 50 372 170 263 8 563 268,90 32 559,96
   
  295 097 566 3127 29 915 233,18 9 566,75   429 557 928 7547 62 252 973,98 8 248,70


   Mine de rien, c'est instructif. A la bourse, il y a un animal mythique qui s'appelle "le gros". Le "gros", c'est le gros investisseur, le fonds de pension, le gérant de SICAV. Le "gros" a deux caractéristiques :
1 - Il est riche, il passe des ordres énormes et ne perd pas son temps avec des petites sommes, comme nous autres, pauvres mortels.
2 - Il est bien informé, donc s'il achète ou s'il vend, c'est qu'il est "initié", qu'il a des "tuyaux de première main", bref, le gros est malin.
(enfin, ça, c'est la théorie...)


   Si vous revenez sur le tableau, vous constatez que sur Eurodisney, l'ordre moyen est de quelques 8000 euros à l'achat et 9000 à la vente. Autant dire rien du tout. Pour vous donner un ordre d'idée, il m'est arrivé de passer des ordres de 8-9000 euros, et je ne suis ni un "gros", ni un boursicoteur particulièrement prospère. Pire, dans les premières plages de cotation, l'ordre moyen avoisine les 4000 euros. Une vraie misère ! Il n'y a que dans les plages éloignées que le volume moyen augmente, signe que des investisseurs un peu riches sont en embuscade là, attendant une éventuelle faiblesse du titre pour acheter, ou un sursaut pour vendre un gros paquet.


   Par comparaison, cet autre tableau pris le même jour à la même heure représente l'activité sur le titre Total, la plus grosse capitalisation de Paris.


Achat   Vente
cours nb. titres nb. Ordres valeur totale valeur moyenne cours nb. titres nb. Ordres valeur totale valeur moyenne
205,50 1 930 4 396 615,00 99 153,75 205,60 1 768 3 363 500,80 121 166,93
205,50 4 255 6 873 977,00 145 662,83 205,70 1 800 3 370 260,00 123 420,00
205,30 12 862 12 2 640 568,60 220 047,38 205,80 3 433 2 706 511,40 353 255,70
205,20 5 055 6 1 037 286,00 172 881,00 205,90 5 491 9 1 130 596,90 125 621,88
205,10 2 493 6 511 314,30 85 219,05 206,00 10 719 5 2 208 114,00 441 622,80
   
  26 595 34 5 459 760,90 160 581,20   23 211 22 4 778 983,10 217 226,50


   Vous constatez que sur ce titre, l'ordre moyen fait dans les 100 000 euros ! Visiblement, le marché n'est pas tenu par des petits joueurs, par des boursicoteurs à la petite semaine tels que votre serviteur, mais par des gens qui ont les moyens de passer des ordres de cette magnitude.


   Tirez de cette comparaison les leçons que vous souhaiterez. Pour ma part, il y a une de ces deux valeurs sur lesquelles je suis investi à l'instant où j'écris ces lignes (je ne vous dirai pas dans quel sens), et une autre non.




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