Il existe en France un peuple de droite et un peuple de gauche. En mai 2002, le peuple de gauche a appris une cruelle leçon que le peuple de droite avait acquise à la dure au cours des vingt dernières années : il est utile d'être fidèle au chef que l'on s'est donné. Cette leçon, il est probable qu'il faudra la répéter plusieurs fois avant qu'elle n'entre dans les têtes, tant paraît profond le désastre et improbable l'hypothèse d'un second miracle de type dissolution. Les cinq années qui viennent verront sans doute se déchirer le parti socialiste entre les sociaux-démocrates des clans Fabius et Strauss-Kahn et les "gauchistes" réunis autour de Hollande ou Aubry. Qui a raison, quel projet parviendra-t-il à mener la gauche à la victoire ? Aucun. Le "blairisme " est vomi par les Français, et le modèle Schröder est en grande difficulté en Allemagne. De l'autre côté, les fantasmes égalitaristes seront sans doute plébiscités par les bobos... qui hypocritement finiront par voter conformément à leur intérêt, pendant que la France "d'en bas" restera sourde à ces promesses, car ça fait belle lurette qu'elle est perdue pour le PS. Et puis, on verra aussi les verts, rouges et autres "républicains de gauche" tenter de rameuter leurs troupes, égarées lors des législatives, autour de slogans extrémistes et démagogiques qui rendront bien difficile tout rassemblement à gauche. En tout cas il faut bien dire ce qui est, la gauche plurielle, c'est fini. Lors des législatives, la stratégie a montré non seulement son inefficacité, mais en plus sa nuisance : certaines circonscriptions ayant été perdues par des candidats écologistes incapables de s'imposer et d'attirer les reports dans les circonscriptions qui leur avaient été concédées, là même où des candidats socialistes auraient pu sauver quelques sièges. L'avenir s'annonce donc sous de sombres auspices pour la gauche.
Comment expliquer cette défaite, aussi soudaine que totale ? Sans doute faut-il analyser l'électorat "de gauche" et sa curieuse psychologie. Tout le monde a maintenant compris que le "petit peuple", celui des ouvriers, des employés, bref, les "moins d'une brique par mois", n'avait que faire de la gauche et de son programme. Ces gens votent soit à droite, soit à l'extrême droite, soit pour la plupart, pas du tout. Les riches, pour leur part, votent à droite, ce qui est normal et bien légitime puisque cette famille politique défend ouvertement leurs intérêts. L'espace politique de la gauche, c'est donc la classe moyenne, ce qui sonne mieux que "bourgeoisie éclairée", les fonctionnaires, les cadres. Tous ces gens sont soit des nantis, soit en position de le devenir, et n'ont donc, a priori, aucun intérêt à adhérer à des aventures écologistes ou trotskistes, qui si elles étaient appliquées, feraient d'eux les premiers payeurs, les premières victimes. Dans ces conditions, pourquoi diable ont-ils voté ainsi ? La réponse officielle est "pour envoyer un message", entendez, pour pénaliser un programme jugé trop mou et trop centriste et pour le tirer, au deuxième tour, vers la gauche. Voilà qui est totalement faux et tient d'une l'analyse duhamélienne
(1) de la politique. La vraie raison de ce vote tient dans la schizophrénie qui s'est emparée d'un peuple de gauche qui a certes été élevé dans des idées de partage et d'égalité, mais qui dans le même temps jouit de revenus conséquents, et bien souvent d'un patrimoine non négligeable. Ainsi, prenant connaissance des programmes de la gauche plurielle, plus d'un électeur aura été alarmé par des propositions d'alourdissement de tel ou tel impôt "égalitaire", de taxe supplémentaire sur les carburants, bref, le bulletin socialiste risquait fort de coûter cher à qui le glissait dans l'urne. Mais bien sûr, pas question de voter à droite, quelle horreur ! Alors, lâchement, on est allé voter Taubira, Besancenot, Mamère, Arlette, sachant que ces candidats n'avaient aucune chance d'être élus, dans le secret espoir (comblé) que ces voix manquant à Jospin le feraient trébucher. Non, on n'a pas trahi, puisqu'on a voté à gauche ! Merveille des merveilles, cette stratégie d'un rare hypocrisie a non seulement fonctionné, mais a en outre donné l'occasion de prouver sa "gauchitude" au second tour en reprenant l'oriflamme glorieux des aïeux antifascistes, pour le plus grand profit de Chirac. Exit, donc, Jospin.
Et dire qu'il y en a pour trouver les Français naïfs en politique...
duhamélien, -ne adj. : se dit de qqn qui est aux ordres des puissants.
"Malko se saisissat du guéridon et frappat violament le serviteur duhamélien dans les partis." (Gérard De Nerval)