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Bau-dis-cours !
Paris, le 05 juin 2003

Il ne m'appartient pas de juger si Dominique Baudis est un fier défenseur de la vertu morale souillé dans son honneur par un abominable complot du lobby pornocrate, ou s'il s'agit d'un pervers pédophile amateur de sado-maso et de snuff movies pris la main dans le minou prépubère. Le fait est que je n'en sais, sur le fond de cette affaire puante, pas plus que n'importe quel quidam. Cependant, la rumeur a condamné l'ex-maire de Toulouse. Il feint de l'ignorer, mais il est trop tard pour lui, jamais on n'oubliera cette affaire, selon le vieux principe populaire qu'il n'y a pas de fumée sans feu.
En revanche, on peut s'interroger sur la personne de Dominique Baudis. Que sait-on de lui ? C'était le maire de Toulouse, il y était populaire à juste titre grâce au développement économique de sa ville, de l'achèvement du périphérique et du succès du métro. Figure du centrisme, son influence politique s'étendait bien au-delà de sa vaste communauté urbaine, il avait même mené la liste unique de la droite lors d'élections européennes. Bref, Baudis l'homme politique, c'était quelqu'un qui comptait.
Et puis un beau jour de 2001, voilà que notre homme a tout laissé tomber pour prendre la présidence du CSA. Il a abandonné tous ses mandats, comme le veut l'usage, afin de diriger ce qui, dans les textes, n'est qu'un corps mineur de l'Etat. Mais quelle mouche l'a piqué ? Pourquoi une telle déchéance volontaire, et pourquoi la presse ne s'en est-elle pas émue ?
Cette curiosité de la vie politique pourrait étonner un étranger, mais pas un Français. En effet, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel est en théorie un modeste rouage de la machine France, mais dans les faits, c'est un des principaux lieux de pouvoir. Le CSA donne aux radios et aux chaînes de télévision le droit d'émettre, ou le leur retire selon son bon vouloir, en fonction de critères obscurs et éminement politiques. Il vérifie le temps de parole dévolu à chaque formation politique dans les média, veille à la bonne tenue morale et culturelle des programmes, au respect des "cahiers des charges", etc... En bref, le CSA a droit de vie et de mort sur les media, c'est un cabinet de censure comme on en a peu exemple parmi les grands pays démocratiques, et son président est un des hommmes les plus puissants de France. Ce n'est donc pas un accès de folie furieuse qui a pris Baudis, mais une décision logique et raisonnable dictée par une ambition politique bien légitime.
Et à la tête du CSA, que fit Baudis ? Exactement la même chose que ses prédecesseurs à ce poste, brider chaque année un peu plus la liberté d'expression en faisant la chasse au porno (au sens le plus large du terme), à la publicité clandestine (à tel point que ça en devient risible) et en veillant scrupuleusement à ce que les entreprises française de media restent entre les mains d'amis du pouvoir, qui pour cette tâche le stipendient (1).
Car il n'y a en France aucune liberté d'expression. Si elle est garantie dans la constitution, elle est réprimée dans la loi sous toutes sortes de prétextes, atteinte aux bonnes moeurs, atteinte à la vie privée, publicité pour des secteurs interdits d'antenne, diffamation, injure publique, incitation à la haine raciale ou au suicide, atteinte à l'honneur de la police, de l'armée, de tel ou tel élu, de telle ou telle entreprise, protection de l'enfance, révisionnisme, droit à l'image... Dans la pratique, le seul moyen d'être correctement informé dans ce pays est de lire la presse étrangère. Et le CSA est le bras de cette censure dans le domaine de la radio et de la télévision (et il s'en fallut de peu qu'Hervé Bourges n'étende ses tentacules jusqu'au contrôle d'internet, comme on fait en Chine ou en Arabie Saoudite).
Ce qui induit du reste un fort compréhensible "effet Pravda". De quoi s'agit-il ? Du temps de l'URSS, les Soviétiques avaient l'habitude de lire la Pravda, mais de n'en point croire un mot, car la propagande que celle-ci contenait ne trompait plus personne depuis longtemps. Le seul media auquel les Russes faisaient relativement confiance était le téléphone arabe, le bouche-à-oreille, en d'autres termes, la rumeur.
Donc, les récentes affaires ayant montré aux Français qui l'ignoraient encore que la presse nationale est aux ordres du pouvoir et indigne de confiance, ils font comme les braves popov du temps jadis : ils ne lui accordent plus aucun crédit (et du reste, ils ne la lisent plus, le vénérable Monde est quasiment en faillite). Qui donc va croire en la bonne foi de Baudis quand il va clamer son innocence dans des chaînes de télévision qui ont toutes les raisons de mettre genou en terre devant lui ? Qui va croire les articles indignés défendant son honneur paraissant dans les journaux de ses amis et obligés ? Qui va croire qu'un seul journaliste en France prendrait le risque le critiquer, quoiqu'il puisse avoir fait ? Qu'il soit coupable ou innocent, les Français savent bien que la presse titrerait exactement la même chose et le défendrait quoiqu'il advienne.
Il y a une perverse justice à voir périr par la rumeur l'homme qui a tant fait pour lui donner du crédit.




stipendier v.t. : payer qqn, généralement pour accomplir une sale besogne "- Je suis mi-triste, mi-gai, car mon bankster stipendié m'ayant vendu des pouilleries, je ne risque pas d'être fisc-idiot cette année." (Nicolas de la Tour-Penchay)

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