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A bas les I t r i t n s
Paris, le 01 juillet 2003

Oh, les pauvres intermittents du spectacle, comme ils sont à plaindre ! Ces modernes damnés de la terre, ces révolutionnaires de la culture, ces croisés des arts sont injustement brimés par un gouvernement réactionnaire à courte vue, à la solde du patronat, du grand capital et de la bourse-ah-vilain-caca.
De quoi s'agit-il au fait ? Il s'agit de conserver les particularités d'un certain statut de travailleurs, celui des intermittents du spectacle, statut qui se traduit dans les faits par une certaine générosité de l'assurance chômage à l'égard des acteurs, certes, mais aussi et surtout (ils sont plus nombreux) des techniciens du spectacle. Pour avoir le droit de toucher le chômage, ces gens ont besoin de travailler beaucoup moins d'heures dans l'année que les travailleurs du régime général. A la base, c'est du reste assez logique et légitime, car la particularité des métiers du spectacle, c'est qu'ils sont généralement précaires : un machiniste travaillant sur un festival sera engagé pour deux semaines, puis il faudra qu'il trouve du travail ailleurs une fois le festival terminé. Un acteur fait son film, et une fois la dernière scène tournée, il en cherche un autre. C'est parfaitement normal, il en a toujours été ainsi, et le statut des intermittents leur permet précisément de ne pas crever de faim entre deux contrats. Certes, ce régime généreux est en déficit, car les cotisations des professionnels du spectacle ne couvrent pas les dépenses, et c'est le régime général qui doit éponger les pertes, mais somme toute, on peut considérer qu'il s'agit d'une subvention déguisée à la culture, un choix de société, en somme.
Tout ceci serait très bien s'il n'y avait les abus.
Car les intermittents émargeant au système étaient quarante mille il y a vingt ans, et cent mille aujourd'hui. Or à ma connaissance, l'activité culturelle ne s'est pas développée de 150% dans le même temps. Et quand on regarde dans le détail, on s'aperçoit que la plupart de ces intermittents déclarent aux assedics très exactement le nombre d'heures requis pour toucher le chômage, quel hasard ! C'est qu'il existe un vaste système d'escroquerie monté avec la complicité des organisateurs de spectacles, permettant de déclarer plus d'heures qu'on en fait réellement. Par exemple, au lieu de payer un électricien de plateau 1000 euros la semaine pour deux semaines de travail, on va lui faire un engagement de quatre semaines à 500 euros (étant bien entendu que l'électricien ne viendra effectivement bosser que deux semaines). Le patron n'y perd rien, et le technicien y gagne des heures.
Celui qui y perd, c'est l'autre électricien. Celui qui fait a le même diplôme, qui fait le même boulot, mais sur un chantier, dans une usine... Celui-là, hors de question qu'il touche à ce genre de friandise, c'est réservé aux Gens du Spectâcle. Celui-là, ce ne sont pas des jours de présence qu'il doit compter pour avoir droit aux assedics, ce sont des mois d'ancienneté. En revanche, s'il veut bien se donner la peine de cotiser pour les autres... Allez, un peu de bonne volonté, c'est pour la culture ! Mais il est vrai que le bâtiment, c'est un métier ni précaire, ni pénible.
Mais l'injustice la plus criante est dans le traitement médiatique de l'affaire. Quand le métallo d'une usine du Pas-de-Calais se bat pour son statut, ou plus simplement pour éviter que son usine ne ferme, qui s'en soucie ? Panoramique sur les corons, plan large de l'usine occupée avec la banderole sur la grille, interview du délégué syndical dans la cour, puis du directeur dans son bureau avec des papiers punaisés au mur, et puis l'inévitable commentaire sur la nécessaire modernisation, la mondialisation, la désagrégation du tissus social, le mal-être d'une jeunesse en mal de repère, c'est une région qui se meurt, un petit plan dans une cité HLM, et zou, c'est dans la boîte, on rentre à Paris. On sent bien que pour le journaliste qui fait le sujet, ces gens habillés comme dans les années 70, avec leur drôle d'accent et leurs mains calleuses, ça fait terriblement typique, ça rappelle les récits que papa faisait de mai-68, de ce dimanche mythique où il avait partagé le pastaga avec une tribu d'ouvriers (des vrais!) de Billancourt(*). C'est le genre de sujet-punition qu'il faut bien faire, mais qui n'intéresse pas grand monde, à commencer par celui qui le fait.
En revanche, les intermittents du spectacle, ça c'est une noble cause. Ce ne sont pas d'exotiques peuplades de papous des terrils, ce sont des gens qu'on connaît, qu'on fréquente tous les jours. Et puis, soyons honnête, entre l'indignation d'Agnès Jaoui et celle d'Emile Ronchard, délégué CGT à la Roubaisienne de Tubulures en Fonte, laquelle passe le mieux à la télé ? Entre un jeune comédien bohême coiffé d'un bonnet en poil de yack écolo et un vieil OS de Flins avec une casquette à carreaux et une trogne burinée (par le rouge sans doute, car les ouvriers boivent leur paye, c'est bien connu), lequel vous semble le plus sympathique ? Lequel est un professionnel de la communication ? Lequel peut susciter la compassion des masses ? Lequel fait vendre du papier ?