Celui qui y perd, c'est l'autre électricien. Celui qui fait a le même diplôme, qui fait le même boulot, mais sur un chantier, dans une usine... Celui-là, hors de question qu'il touche à ce genre de friandise, c'est réservé aux Gens du Spectâcle. Celui-là, ce ne sont pas des jours de présence qu'il doit compter pour avoir droit aux assedics, ce sont des mois d'ancienneté. En revanche, s'il veut bien se donner la peine de cotiser pour les autres... Allez, un peu de bonne volonté, c'est pour la culture ! Mais il est vrai que le bâtiment, c'est un métier ni précaire, ni pénible.
Mais l'injustice la plus criante est dans le traitement médiatique de l'affaire. Quand le métallo d'une usine du Pas-de-Calais se bat pour son statut, ou plus simplement pour éviter que son usine ne ferme, qui s'en soucie ? Panoramique sur les corons, plan large de l'usine occupée avec la banderole sur la grille, interview du délégué syndical dans la cour, puis du directeur dans son bureau avec des papiers punaisés au mur, et puis l'inévitable commentaire sur la nécessaire modernisation, la mondialisation, la désagrégation du tissus social, le mal-être d'une jeunesse en mal de repère, c'est une région qui se meurt, un petit plan dans une cité HLM, et zou, c'est dans la boîte, on rentre à Paris. On sent bien que pour le journaliste qui fait le sujet, ces gens habillés comme dans les années 70, avec leur drôle d'accent et leurs mains calleuses, ça fait terriblement typique, ça rappelle les récits que papa faisait de mai-68, de ce dimanche mythique où il avait partagé le pastaga avec une tribu d'ouvriers (des vrais!) de Billancourt(*). C'est le genre de sujet-punition qu'il faut bien faire, mais qui n'intéresse pas grand monde, à commencer par celui qui le fait.
En revanche, les intermittents du spectacle, ça c'est une noble cause. Ce ne sont pas d'exotiques peuplades de papous des terrils, ce sont des gens qu'on connaît, qu'on fréquente tous les jours. Et puis, soyons honnête, entre l'indignation d'Agnès Jaoui et celle d'Emile Ronchard, délégué CGT à la Roubaisienne de Tubulures en Fonte, laquelle passe le mieux à la télé ? Entre un jeune comédien bohême coiffé d'un bonnet en poil de yack écolo et un vieil OS de Flins avec une casquette à carreaux et une trogne burinée (par le rouge sans doute, car les ouvriers boivent leur paye, c'est bien connu), lequel vous semble le plus sympathique ? Lequel est un professionnel de la communication ? Lequel peut susciter la compassion des masses ? Lequel fait vendre du papier ?